Il y a déjà quelque temps que je voulais lire ce livre. Ayant découvert le style envoûtant de
Stefan Zweig et sa façon d'exprimer l'essence même des sentiments de ses personnages, je voulais aborder un de ses exercices de style pour lesquels il est renommé, la biographie.
Passionnée de différentes époques de l'Histoire, dont le 16e siècle et les pays anglo-saxons, j'avais déjà plongé dans la lutte sanglante de la Guerre des Deux Roses, les Lancastre, Rose rouge, contre les York, Rose blanche, qui pris fin en apparence, avec l'avènement au pouvoir des Tudors, acté par le mariage d'Henri VII avec Elizabeth d'York, ayant pris comme emblème, une rose rouge à coeur blanc, symbole de réconciliation. Immanquablement, dans la succession au trône, j'ai "rencontré" le destin de la Virgin Queen, Elizabeth Ière, la plus grande reine d'Angleterre pour les uns, une incontestable hypocrite comploteuse pour les autres. Sa biographie m'a donné envie de passer de l'autre côté de la frontière pour connaître plus précisément la vie de sa cousine et ennemie jurée, la reine d'Écosse,
Marie Stuart. Ces deux destins n'ont pas fini d'opposer les historiens, car l'affrontement religieux fratricide, Papistes contre Réformés, est intimement lié à la politique par les appuis puissants apportés de part et d'autre.
Pour construire sa biographie, l'auteur se base sur les documents d'époque, irréfutables fruits d'une recherche minutieuse. Les écrivains, les poètes, les ambassadeurs et les contemporains des deux femmes ont laissé de nombreux écrits. Même si bon nombre d'entre eux ont disparu à des fins politiques, ils sont le reflet du comportement des deux souveraines aux personnalités si divergentes.
La discorde entre la couronne d'Angleterre et celle d'Écosse est légendaire. N'étant pas soumis à la loi salique comme en France, permettant aux seuls héritiers mâles l'accession au trône, Elizabeth 1° succède à son père
Henry VIII. Ce n'est pas sans soulever des protestations, car si le mariage du roi d'Angleterre et d'Anne de Boleyn a été consacré par un évêque reconnu du pape, légitimant ainsi la petite Elizabeth, son père la déclare bâtarde après avoir fait casser son union d'avec sa mère. Il s'ensuit une péri
ode sanglante où de nombreux prétendants perdirent la tête sous la hache du bourreau, à tort ou à raison, mais toujours pour répondre à la soif de pouvoir de certains.
de son côté,
Marie Stuart est couronnée reine d'Écosse à l'âge de 6 ans, suite à la mort de son père Jacques V. Sa mère Marie de Guise est française, de la célèbre Maison du même nom. Fervente catholique, elle refuse la proposition de mariage pour sa fille avec Edward, protestant, fils d'Henri VIII et lui préfère François II, fils d'Henri II et Catherine de Médicis, catholique. La vie de
Marie Stuart commence dans le calme et la prospérité à la cour française. À 16 ans, elle obtient une deuxième couronne, celle de France par son mariage avec François II. Étant malade et souffreteux de naissance, le jeune roi décède l'année suivante sans héritier. Sa veuve désemparée et encombrante pour les Français, regagne son Écosse natale dont elle est toujours la souveraine. Fini, les fastes et les honneurs en grandes pompes, les vers de
Ronsard et
Du Bellay, son absence a laissé des traces. Son demi-frère Murray qui l'a remplacée toutes ces années, a été gagné par la Réforme, entrainant avec lui beaucoup d'écossais. La misère règne sur cette terre rude et sauvage. Son peuple, majoritairement paysan, farouche et rebelle est prompt aux soulèvements.
Là où Elizabeth est manipulatrice peut-être, fin stratège certainement, faisant preuve d'un raisonnement implacable, Marie ne sait pas s'entourer de bons conseillers ou ne les écoute pas. Elle se laisse guider par son coeur et ses émotions, quitte à commettre de terribles erreurs de jugement et se compromettre dans des unions douteuses. L'affrontement de ces deux reines, si différentes, ne peut mener qu'à une catastrophe programmée d'où la première sort victorieuse, mais pas forcément grandie !
Dans la vie de ces deux femmes de pouvoir, tous les éléments d'une tragédie grecque sont présents. Ruses, intrigues, trahisons, passion, meurtres, dissimulations, arrestations, évasions,
Stefan Zweig retrace le destin de Marie, la maudite avec une application d'historien, nimbée de romantisme. Héroïne shakespearienne, comme dans la tragédie d'Hamlet,
Marie Stuart paraît superficielle, inconséquente et naïve. Pour l'auteur, elle est une "éternelle illuminée toujours séparée du monde réel, jusque dans sa détention."
Il est totalement normal que les historiens discutent encore de nos jours sur le bien-fondé de leurs théories. Les opposés ne s'attirent pas toujours. Elizabeth, fière, célibataire sans héritier, ne se laissant émouvoir par aucun prétendant éventuel et voulant conduire les affaires du royaume comme elle l'entend. Marie, fière également, mais emportée par la passion tombe sous l'emprise d'hommes ambitieux et prétentieux la prenant dans les filets de la sensualité. Malgré tout, si elle se sent légitime pour revendiquer la couronne d'Angleterre portée, selon son camp, par une usurpatrice, elle a un atout de poids avec la présence de son fils, née de sa deuxième union avec Darnley, nommé roi d'Écosse. Il est le prince héritier indiscutable, déclaré héritier de la couronne à l'âge de 1 an à la suite de l'assassinat sordide de son père. Décidément, le sort s'acharne sur les Stuarts très tôt, grâce à des mains habiles à orienter le destin.
La tragique vie de
Marie Stuart est totalement passionnante et peut se brosser en 4 phases : une enfance dorée en France, un retour en Écosse hostile, une existence débridée passionnelle puis une chute dramatique, mais très digne, au bout d'un enfermement d'une durée de 20 ans, transférée de châteaux en châteaux en terre ennemie qui, comble d'ironie, aurait pu être sienne.
Je ne pense pas avoir spoilé quoi que se soit, tous ces faits sont dans les livres d'Histoire. le talent de
Stefan Zweig est de faire vivre tous les protagonistes de ce mélodrame rocambolesque. Il livre le tréfonds de leur âme si bien que, même connaissant les sorts réservés à Darnley, Bothwell et même Marie, je n'ai pu m'empêcher de ressentir de l'admiration et de la compassion pour cette reine qui a perdu la tête par amour avant de la perdre pour de bon le 8 février 1587 avec une dignité, une piété et une sagesse qui hanta longtemps Elizabeth. Mais le destin est en marche, car ce sera son fils, Jacques VI d'Écosse qui sera couronné roi d'Angleterre sous le nom de Jacques Ier. Il réalisera, ce que ses prédécesseurs n'ont jamais obtenu, l'union si attendue et désirée entre l'Angleterre et l'Écosse malgré divers complots dont il fera l'objet, comme il sied à toute Cour Royale !
Des critiques ont qualifié
Stefan Zweig de misogyne par les opinions qu'il a émises dans ce livre. "Dans le temps, dans l'espace et dans ses formes, l'opposition est grandiose : quel dommage que la lutte qu'elle a provoquée ait été d'une aussi pitoyable mesquinerie ! Malgré leur envergure extraordinaire, ces deux femmes restent toujours des femmes, elles ne peuvent pas surmonter les faiblesses de leur sexe ; la haine qu'elles se portent, au lieu d'être franche, est petite et perfide. Placés dans la même situation, deux hommes, deux rois s'expliqueraient nettement, une fois pour toutes et, dans l'impossibilité de s'entendre, se prendraient aussitôt à la gorge ; au contraire la lutte entre
Marie Stuart et Élisabeth, c'est une bataille de chattes où l'on rampe et s'épie en rentrant ses griffes, un jeu plein de traîtrise et d'astuce." Je reconnais que ce paragraphe peut faire lever le sourcil de féministes impitoyables. Pour ma part, époque mise à part, je ne souscris pas à cette allégation connaissant l'humanisme de l'écrivain et sachant que la perfidie, l'intrigue et la sournoiserie ne sont pas uniquement brodées sur les bannières féminines. L'Histoire a montré nombre d'hommes puissants ne brillant pas par leur courage et leur sincérité ! L'affrontement à l'épée au fond d'un pré dans l'aube brumeuse n'est réservé qu'à un romanesque désuet et l'empoignade virile est souvent la conséquence d'une altercation avinée.
Dans une Histoire plus proche de nous, Hitler ayant pris les rênes du pouvoir en 1933 et la biographie étant parue en 1935, je ne peux m'empêcher de penser que beaucoup de réflexions émises par l'auteur, au sujet de la politique et de la façon de traiter leurs sujets, n'évoquaient pas exclusivement l'Écosse et la perfide Albion.
Une période trouble et sanglante de l'Histoire à découvrir, immense fresque romanesque et tragique qu'aucun récit d'imagination ne saurait égaler. Encore une fois, la réalité dépasse la fiction !