Lino Ventura
et l'oeil de verre
Arnaud le Gouëfflec,
Stéphane Oiry
avec une préface de
Jean-Claude Carrière
roman graphique
Glénat, 9½, 144p, 2019
Rien de ce qui est Lino Ventura ne doit m'être étranger. Je tombe par hasard et par flânerie sur cet album, dont Lino Ventura qui n'aimait pas les BD, est le héros. Je m'en empare. de plus, la préface de
Jean-Claude Carrière, un personnage lui aussi de l'album, m'emballe. J'apprécie ces deux hommes discrets .
Merlin, un journaliste maladroit et distrait, qui rappelle un certain emmerdeur, interroge Ventura, prétendûment dans le cadre d'un article. Ventura, l'homme taiseux, extrêmement pudique, que lui dira-t-il ? Se laissera-t-il seulement interroger ? Eh bien oui, car Merlin finit par lui être sympathique. Qu'ai-je appris que je ne savais pas déjà ? Rien, ou presque. Je ne me rappelais plus qu'il était né à Parme.
Ventura donc, un Rital qui vient à Paris où il essuiera le mépris, avec sa mère, qui a fait femme de ménage comme lui a fait acteur, pour y retrouver son père, absent au rendez-vous, qui pratique la lutte gréco-romaine puis le catch, et devient manager, est engagé pour jouer un film. L'oeil de verre, c'est la caméra, et devant celle-ci, Becker et Gabin, dans Touchez pas au grisbi, découvrent qu'il est un acteur-né, non pas un comédien qui interprète un rôle, comme Gabin justement. Pour Ventura, « au cinéma, comme dans la vie, tout est affaire de regard et du reflet qu'on laisse dans celui des autres, parce que le regard dit toujours la vérité. »
Sa filmographie est fournie, bien qu'il ait refusé de très nombreux scénarios, et il n'a joué que des personnages pour qui il avait de l'empathie, c'est à dire des personnages traqués, profondément seuls et humains.
Il était très exigeant en amitié. Il détestait Merville, un grand cinéaste mais un homme détestable qui lui avait fait parvenir, en hyène, le casier judiciaire de
José Giovanni.
Le Gouëfflec retrouve le phrasé de Lino Ventura qu'on croit parfois entendre dans tel dialogue. Oiry, avec le choix du graphisme vintage, le trait appuyé, replace le lecteur dans les ambiances du ciné de l'époque. le jeune Lino Ventura devient le héros d'un illustré que d'ailleurs Merlin feuillette en attendant un train.
Cet album est d'une lecture très agréable. Lino Ventura garde son mystère. Impossible de raccourcir la vue avec des réponses simplistes. On peut aussi deviner tout le travail de documentation sous-jacent, et la conception que leurs auteurs ont de la BD.