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Critiques de Ada Palmer (122)
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

Des nouvelles du XXVème siècle…



Je voudrais d'abord remercier Babelio et les éditions le Bélial' pour l'envoi de ce premier tome de Terra ignota.

Ada Palmer a écrit avec ce roman (« terre inconnue » en latin) un véritable livre-univers, un univers original, riche et complexe : les nations ont disparu pour laisser place à sept Ruches, qui visent chacune des objectifs bien particuliers, et les familles ont été remplacées par les bash, des « collectifs de vie «  inspirés de l'épicurisme, regroupant « quatre à vingt amis choyant ensemble enfants et idées ».

Le narrateur du récit est un homme du XXVème siècle nommé Mycroft Canner, un personnage tout à fait étonnant puisqu'il s'agit d'un criminel qui purge sa peine en effectuant des tâches contraignantes et qui a des accointances avec les grands de ce monde !

Mycroft est confronté à une double énigme : l'une concerne un enfant aux pouvoirs fabuleux, l'autre le vol d'une liste des « plus puissants influenceurs mondiaux ». Les modifications de cette liste peuvent avoir des répercussions considérables sur l'équilibre de ce monde prospère, d'autant plus que les relations entre les Ruches donnent lieu à des manoeuvres pas très nettes…

Si l'univers créé par Ada Palmer est original, le traitement narratif ne l'est pas moins car l'auteure a pris pour modèle Jacques le fataliste de Diderot : son roman est donc une succession de dialogues entre le narrateur et les autres personnages, et le narrateur interrompt très souvent le récit pour s'adresser au lecteur (un lecteur d'après 2454 !) et donner d'abondantes explications, concernant notamment la philosophie des Lumières et ses relations avec cette société du XXVème siècle.

Je dois avouer que ce choix narratif nuit quelque peu au rythme du récit et engendre par moments une certaine lassitude, d'autant plus que rien n'est vraiment résolu à la fin du premier tome (647 pages tout de même) et qu'il faudra attendre la parution du second tome pour avoir une réponse à toutes nos interrogations...

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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

Chaudement recommandé par Jo Walton (Mes Vrais Enfants, Morwenna…) aux dernières Imaginales, Terra Ignota est l’oeuvre d’Ada Palmer, écrivaine américaine encore inconnue chez nous. Historienne et enseignante à l’université de Chicago, Palmer se lance dans l’écriture en 2016 avec son premier roman : Trop Semblable à l’Éclair. Immédiatement acclamée par la critique spécialisée Outre-Atlantique, l’oeuvre d’Ada Palmer est même nommée au prestigieux prix Hugo. Pensée comme une quadrilogie (les volumes marchant par paires), Terra Ignota continue avec Sept Redditions et La Volonté de se battre…en attendant l’ultime opus toujours en cours d’écriture.

Encensé par Jo Walton donc mais également par Robert Charles Wilson (Spin, Axis…) et Cory Doctorow, Trop Semblable à l’Éclair fera l’objet d’une traduction aux éditions du Bélial l’année prochaine en simultané du seconde volume, Sept Redditions.

Et si quelques blogueurs commencent déjà à promouvoir le livre en France, ce n’est pas pour rien…



Pour expliquer l’enthousiasme engendré par la lecture de Trop Semblable à l’Éclair, il est nécessaire d’expliquer en quoi le roman d’Ada Palmer se permet toutes les audaces. Pour bien comprendre cela, commençons par situer l’action elle-même.

Nous sommes en 2454 et le monde tel que nous le connaissons a changé. Beaucoup changé. De son propre aveu, Ada Palmer voulait nous faire visiter un monde qui nous serait aussi étranger que le nôtre à un individu vivant à l’époque de la Renaissance. Ainsi, Trop Semblable à l’Éclair rebat entièrement les cartes socio-politico-religieuses du XXIème siècle.

A l’origine de ces changements, une idée simple mais aux implications formidablement exploitées : la voiture volante.

Au XXVème siècle, la voiture volante existe et s’est imposée comme l’unique moyen de transport de par le monde. Ôtez-vous immédiatement le Cinquième Élément de la tête, la voiture volante de Trop Semblable à l’Éclair est un véhicule autonome (ou presque, nous y reviendrons) et qui file à des vitesses considérables. Il est désormais possible de traverser le globe en quelques heures et de se retrouver en Asie ou en Océanie avec une facilité déconcertante.



Cette révolution a eu des conséquences tout à fait inattendues. En supprimant le paramètre distance, la voiture volante a rendu la nation obsolète. Les hommes ont donc abandonné leur territorialité pour se réorganiser en Hives (Ruches) qui regroupent les individus non plus par origine géographique mais par affinités sociales, politiques, philosophiques ou culturelles. Il existe sept grandes Hives et chacune dispose de son système de loi, de ses habits traditionnels et de son système politique propre. Les Mitsubishi, par exemple, regroupent les pays asiatiques en un consortium géant qui a la main-mise sur la plupart des propriétés de la planète. Dirigé par Ando Mitsubishi, le Chief Director (Directeur Général), mais aussi par un comité de neuf autres dirigeants issus de la Chine, de la Corée, de l’Inde et du Japon. Autre exemple, les MASONs regroupés autour d’un Empereur tout-puissant, Cornel MASON et qui ont émergé des mythiques loges maçonniques que l’on croyait fantasmées. Ainsi, lorsque l’on devient adulte, il est possible de choisir quelle sera la Hive que l’on rejoindra. La nation s’effondrant, les hommes se sont rapidement réfugiés dans la religion, provoquant les Church Wars (Les guerres ecclésiastiques) qui ont coûté la vie à des millions de personnes. Pour enrayer le fanatisme, les Hives ont interdit la religion…ou pour être plus exact, le prosélytisme religieux.

En soi, il n’est pas interdit en 2454 de parler de religieux mais en parler avec plus de deux personnes devient un crime. Pour guider l’homme sur le chemin de la spiritualité, la société dispose de sensayers (du mot japonais sensei, maître-enseignant) qui sont attribués aux individus et dissertent avec eux en entretien privé sur les questions de mortalité et de spiritualité. Plus aucune religion n’est mise en avant, elles forment désormais une sorte de menu dans lequel on pioche ce que l’on désire. Forcément, avec de telles révolutions, l’entité fondatrice qu’est la famille a disparu également ou, du moins, s’est adaptée. Plus de famille donc mais des Bash’es où l’on se regroupe par affinités intellectuelles ou par filiation amicale ou amoureuse. Les Bash’es sont en réalité la transcription des Hives à l’échelle de la cellule familiale. On peut donc désormais avoir des enfants et des enfants de Ba (Ba’kids), les premiers de sang, les seconds de cœur (ou presque). Voilà quelques-uns des changements les plus notables envisagés par Ada Palmer, et encore ne s’agit-il ici que de vous expliquer la partie émergée de l’iceberg. C’est en effet le worldbuilding de l’américaine qui laisse bouche bée. Non seulement l’audace de ses idées éclabousse le lecteur de la première à la dernière page, mais elle arrive de plus à sous-tendre le tout par une histoire passionnante et pleine de rebondissements.



Revenons-en à l’origine.

Trop Semblable à l’Éclair prend place dans cette société utopique de 2454 et suit deux intrigues en parallèle.

Tout d’abord celle d’un vol dans l’un des journaux les plus populaires de la planète : le Black Sakura. Chacun des journaux distribués de par le monde édite une liste des personnes les plus influentes de l’année appelée Seven-Ten Lists. Celle du Black Sakura se voit dérobée et abandonnée dans l’un des Bash’es les plus importants de la planète, celui de la famille Saneer-Weeksbooth. Pourquoi sont-ils importants ? Parce que les membres de cette famille contrôlent le réseau des voitures volantes qui sillonnent le globe et sans eux, il faudrait se reposer sur le système de transport des Utopiens, une autre Hive capitale. Dès lors, difficile de croire que le vol de la Seven-Ten Lists ainsi que les secrets qui l’entourent ne soient qu’une coïncidence.

Pour enquêter sur cette affaire, l’empereur Cornel MASON diligente un homme de confiance, Martin Guildbreaker, qui va devoir fouiller dans les affaires de la famille Saneer-Weeksbooth.

A côté de cette affaire de premier plan, le roman s’ouvre sur l’arrivée d’un nouveau sensayer au Bash’ Saneer-Weeksbooth : Carlyle Foster. Le lecteur découvre avec lui l’existence d’un petit garçon de treize ans, Bridger, qui dispose d’un pouvoir extraordinaire : celui de donner vie à des choses inanimées. Un enfant unique gardé par Thisbe, le Major et Mycroft Canner.

L’histoire toute entière est d’ailleurs celle de ce dernier. Le narrateur de Too Like the Lightning, c’est lui, Mycroft Canner, un condamné au Service. Car au XXVème siècle, les criminels sont punis selon un système d’esclavage social qui fait que lorsque l’on est reconnu coupable d’un méfait, on devient un outil pour la société. Mycroft doit donc se mettre au service des uns et des autres pour pouvoir se nourrir ou dormir. On constate rapidement que Canner est au centre d’une affaire aussi lugubre que terrifiante et qu’il entretient des liens indiscutables avec les plus puissants dirigeants de la planète. Mycroft s’avère aussi un personnage malicieux qui prend un malin plaisir à briser le quatrième mur pour s’adresser directement au lecteur, quitte à utiliser des tirades théâtrales pour arriver à ses fins (le théâtre occupant d’ailleurs une large place dans le roman).



Voila, en substance ce que renferme Trop Semblable à l’Éclair. Et encore ne vous-a-t-on pas parler des set-sets (des enfants élevés pour devenir des ordinateurs vivants), des poupées de Sniper, de l’absence de genre féminin ou masculin, des immenses déchetteries qui parsèment le globe, de la maison close de Madame ou encore de la terraformation de Mars par les Utopiens. Trop Semblable à l’Éclair est d’une telle foisonnance qu’il en devient d’une complexité remarquable. Il faut s’accrocher pour pénétrer dans l’univers d’Ada Palmer mais la récompense au bout n’est pas loin d’être extraordinaire tant le potentiel de l’univers semble sans limite.

Plus important encore, Trop Semblable à l’Éclair est une science-fiction philosophique de haut vol qui emploie un univers futuriste pour parler de façon ludique et passionnante du siècle des Lumières et des grands Philosophes. En effet, pour remplacer le religieux, la société de 2454 a tout misé sur les philosophes de Lumières qui sont devenus les nouveaux symboles de cette époque. Maligne, Ada Palmer en profite pour parler au lecteur de Diderot, Rousseau, Voltaire, Carlyle, d’Aquin et même de Sade. Non seulement elle le fait en évitant tous les pièges scolaires que sous-entend une telle démarche mais elle transmet par la même occasion sa passion pour ces écrivains célèbres d’un autre âge. Mieux encore, elle arrive à expliquer leurs œuvres en transposant leur essence dans certains passages du roman. Prenons pour exemple la conversation qui se déroule dans la maison de Madame entre les diverses puissances ou encore par l’échange torride entre Dominic et Julia.

Le tout en ne gâchant rien d’une intrigue dense et pleine de surprises. On ne peut évidemment pas s’empêcher de louer le sens du suspense d’Ada Palmer qui surprend jusqu’au bout. Il faut également saluer sa façon de construire des personnages et des luttes de pouvoirs qui n’ont rien à envier à un Game of Thrones. A ce titre, J.E.D.D MASON fait office de maître étalon. Considéré comme un Dieu dans une époque agnostique, aussi mystérieux qu’effrayant, il reste l’une des trouvailles les plus exquises du récit avec Mycroft Canner. Voici un roman qui parle des Lumières et de philosophie, qui se risque à l’utopie et aux imbroglios politiques…et qui nous offre un meurtrier en guise de narrateur.

Oui, Ada Palmer ose tout. Et c’est pour ça que Trop Semblable à l’Éclair retourne le lecteur.



En l’état, Trop Semblable à l’Éclair est une promesse.

Pensé comme le premier opus d’un dyptique (qu’il forme avec Sept redditions), le roman pose une myriade de questions, donne quelques pistes au lecteur…mais laisse tout le reste en suspens. Ada Palmer se doit donc de tenir toutes ses promesses avec la suite pour que son récit soit pleinement convaincant.

Pourtant, inutile de tergiverser, ce premier opus de la série Terra Ignota est un coup de génie au worldbuilding fabuleux, à l’érudition vertigineuse et à l’audace de tous les instants.

Une entrée en matière éblouissante.
Lien : https://justaword.fr/too-lik..
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

Parmi les romans qui auront fait 2019, on m'avait annoncé le tome 1 de Terra Ignota comme une nouvelle référence en matière d'utopie. Et le genre ayant été justement ces dernières décennies quelque peu laissé au fond du jardin, c'est avec joie que je m'élançais pour le dépoussiérer…

Je vais essayer de prendre le résultat avec des pincettes, mais la déception est là : un livre qui aurait pu certes juste être avec de grandes ambitions, mais risquant de perdre totalement le lecteur non averti, lequel ne verrait que ses défauts et passerait à côté de ses qualités, mais qui empire à mesure qu'on avance. Il s'agit d'un ouvrage exigeant, d'une manière parfois critiquable, mais méritant, pour un lectorat particulier uniquement. Et je n'en fais clairement pas partie.



De l'utopie et du fait QU'ON VA TOUS CREVER SI ON EN FAIT PAS UNE OH !



Disons-le néanmoins, quelles que soient leur nature, les utopies ont toute la légitimité qu'il faut pour revenir sur le devant de la scène en ce début de XXIe siècle : il en faut plus, davantage que toutes ces dystopies faciles devenues un bizness Young Adult quand le genre était né libre, provocateur et avant-gardiste. Aussi cette critique peut-elle se lire comme une réponse à l'une de mes plus virulentes : là où je considère la dystopie actuelle comme n'ayant plus de raison d'être, l'utopie en revanche doit être le genre prenant le relais.

Parce que oui : c'est bien joli d'agiter les peurs de notre belle époque moderne, mais quand on dénonce un truc auquel les gens sont déjà bien assez sensibilisés, le mieux pour être pertinent reste de proposer une alternative. Alternative, on en avait déjà parlé, souvent bâclée par les auteurs de dystopies, opposant les gros méchants coreux capitalistes aux maigres gentils tranceux-bisounours en harmonie avec la nature. Sauf que justement : cette société idéale mérite d'être approfondie, mérite d'être questionnée. Parce que les choses sont beaucoup moins simples qu'il ne semble : peut-on vraiment vivre sans argent, sans patrie ni patron ? Comment structurer (ou déstructurer) cet idéal ? Et ceux qui le partagent pas, on en fait quoi ?

Voilà pourquoi si vous me dites que les utopies ne peuvent être que des récits linéaires dépourvus de rebondissements parce que tout y est parfait, laissez-moi lâcher une bouffée de mon cigare en partant d'un grand rire condescendant, aha aha aha. C'est bien cette idée de perfection à atteindre qui va donner du peps à l'intrigue : ou bien l'utopie est en perpétuel cours de construction, et alors nous découvrons avec les protagonistes comment ils pourraient la faire progresser, quels seraient les adversaires et les soulèvements éthiques, ou bien l'utopie est remise en question, d'où le fait que certains ont forgé pour désigner cela un nouveau terme : une « ustopie », utopie pour les uns, dystopie pour les autres… Notre monde, mais en plus extrême, quoi.

En résultent toutes sortes de questionnements moraux, sociaux et politiques, que l'auteur tente de poser voire d'y répondre, bref de penser contre soi-même pour tenter d'imaginer comment pourrait se créer un monde profitable à tous. Une utopie où chacun pourrait pratiquer librement son ethnie ? Oui mais à quel prix ? Kirinyaga et Kilimandjaro tentent de soulever toutes ces problématiques. Une utopie où chacun vivrait en paix, avec en plus une nouvelle planète pour repartir vraiment à zéro ? Oui mais à quel prix ? Coucou Semiosis. Une utopie où l'on reviendrait aux fondements des principales philosophies communistes et anarchistes pour tenter de créer des communautés 100% locales, écolos et holacratiques ? Bon, j'avoue, sur ce coup-ci, c'est juste un gros teasing éhonté d'une des prochaines nouvelles que je compte publier sur le blog.

Tout cela est bel et bon, mais qu'est-ce qui me permet de dire que l'utopie est plus que jamais d'actualité ? Eh bien les penseurs du XXe siècle ont prédit à peu près tout ce qui nous arrivait, et c'est en effet un sacré margouillis ; mais inutile de rajouter de l'eau au moulin, leur message a été entendu. Tous les éditorialistes invoquent Orwell à tour de bras, le transhumanisme remplit son rôle de croque-mitaine, vous avez tous forcément entendu parler de l'effondrement. Voilà, on en est là : on sait ce qui nous tombe dessus, maintenant on fait quoi ? Comment on tente d'améliorer ? Dans quelle société on a envie de vivre ?

Quand nous connaissons nos peurs en long et en travers, il faut s'armer du courage qui nous permettra de détenir un savoir se trouvant hors d'elles. Quand nous savons ce que nous ne voulons pas pour l'avenir, il reste à savoir ce que nous désirons pour lui. Quand ceux d'hier ont envisagé le monde d'aujourd'hui, il nous reste à imaginer celui de demain.



Commençons par ce qui fâche…



Or Trop semblable à l'éclair répond-t-il à cela ? Il s'y lance en tout cas avec ambition, reconnaissons-le-lui. Aussi nous voyons-nous plongés quelques siècles dans le futur à l'intérieur d'un monde tentant de concilier nos idéaux actuels avec ceux des Lumières. Droits de l'Homme, liberté d'aller et venir, grandiose et volupté, tout ça, c'est plutôt cool, non ? Sauf qu'un type passe par là : Mycroft. Mycroft est un salaud, un criminel, une des rares parias du système, et donc qui connaît le mieux ses dernières failles dont on tente de dissimuler l'existence. Alors, est-il vraiment le méchant… ou juste le seul salaud parmi d'autres qui a eu la franchise de ne pas voiler sa monstruosité ?

C'est alors qu'il se voit contraint d'enquêter sur une mystérieuse disparition : la liste des Sept-Dix, recensant les personnes les plus à même de gouverner, vient de se faire voler (non, en fait, il délègue la tâche à un certain Martin Guildbreaker le temps de trois chapitres et on le voit se tourner les pouces dans le reste du livre :p). Dans sa noble quête chevaleresque de garder la paix dans le meilleur des mondes qui allait si bien jusque-là, il va devoir affronter des imbroglios politiques, des françaises séductrices, et d'innombrables péripéties. Avec un pitch pareil, il y avait de quoi s'enthousiasmer. Seulement, voilà : monsieur le livre est un esthète, exigeant dans sa forme et dans son fond. Alors on en a vu d'autres sur le blog, mais il faut faire une différence entre un bon et un mauvais dosage d'exigence. Prenons La Horde du Contrevent : qu'on l'aime ou pas, voilà ce qui attend le lecteur au début de l'ouvrage :

• aucune exposition des enjeux qu'il va découvrir peu à peu ;

• des néologismes pas expliqués tout de suite, histoire d'éviter le vieux poncif du poisson hors de l'eau ;

• un changement incessant de points de vue pour épouser les différentes psychologies dépeintes ;

• une utilisation de divers signes de ponctuation à première vue invraisemblable, mais justifiée par le point précédent.

C'est surmontable.

Ici nous avons :

• aucune exposition des enjeux qu'il va découvrir peu à peu ;

• des néologismes pas expliqués tout de suite ;

• des interventions incessantes du narrateur ;

• certains dialogues sous formes de didascalies ;

• une évolution de la langue pour éviter de genrer : on remplace il et ils devient ons, ce qui s'avère un gadget pénible dans une société qui reste genrée ;

• des locutions latines ;

• un rythme lent et ne laissant quasiment aucune place à l'in medias res, qui dans La Horde justifiait le fait qu'on ne nous explique rien.

C'est beaucoup. Voire beaucoup trop :

• une utilisation fantaisiste de la ponctuation cette fois-ci pas franchement justifiée : selon la langue ou la nature des personnages, les guillemets et tirets seront remplacés par autre chose. Or ce genre de mesure n'est pertinent que si on l'emploie dans l'intrigue, comme plus tard dans le texte pour faire sous-entendre au lecteur que certains protagonistes comprennent une parole et d'autres pas ;

• un usage inutilement omniprésent des circonvolutions propres à la Renaissance (je précise, on parle pas de la « vraie » Renaissance du XVIe siècle, mais bien de la période qui va de 1492 à la Révolution française) : du genre « ah, lecteur, il faut que je vous précise que la conversation fut en japonais, mais que j'ai pris la liberté de la retranscrire en votre langue » quand il suffirait de glisser au détour d'une réplique un « dit-il en japonais » ;

• une orthographe reprenant celle de la Renaissance, à savoir avec des f, pardon des ʃ à la place des s. Avouons que si c'est drôle au début, ça devient vite pénible, surtout si l'autrice s'en sert exclusivement pour faire parler le lecteur, d'une part parce que ce n'est pas nous réellement, d'une autre parce que ce serait plus logique qu'il s'agisse des personnages de cette pseudo-Renaissance qui s'expriment ainsi (et là, le texte deviendrait vraiment illisible).

Ajoutez à ça l'absence de glossaire, de carte et/ou de dramatis personæ, et avouez qu'avec ça on est parfois dans les choux. Bref, un texte exigeant, oui, mais quand c'est justifié. Et en l'occurence, ça n'est pas forcément le cas. On se retrouve avec une lecture pas inintéressante mais par moments franchement pénible, d'où le fait que certains sauront passer outre tandis que d'autres piétineront à devoir supporter autant de fantaisies inutiles.



Cela dit…



À ce stade de l'article, on serait tentés de se dire qu'il ne s'agit que d'un bouquin prétentieux bon pour les oubliettes. Mais ce serait une grosse erreur. Trop semblable à l'éclair joue en effet son succès sur deux tableaux : premièrement, la remise en question permanente de l'utopie : comment ce système fonctionne-t-il ? comment pourrait-il fonctionner autrement ? est-ce que ce détail-ci fait franchement utopique ? Cela demande au lecteur une distanciation des valeurs qu'on lui a inculquées, à savoir la peur du transhumanisme par exemple quand il pourrait être bénéfique à certaines sociétés, mais aussi face aux textes fondateurs de l'humanisme et des Lumières parfois plus sombres que ce que nous voudrions croire. Exemple avec l'Utopie de Thomas More : bon, déjà, si vous êtes féministe, n'ouvrez pas ce vieux machin, mais surtout peut-on bel et bien légitimer l'esclavage pour punir les criminels ? Mycroft se retrouve ainsi serviteur à la solde des puissants : privé d'une partie de sa liberté, ses actions se voient ainsi réduites et donc sa capacité à recommencer ; sauf que pas tant que ça, étant donné qu'on lui délègue d'énormes affaires politiques. Il garde sa dignité puisqu'on le traite presque comme un humain normal… mais étant donné la rareté des esclaves, on pense qu'il est aussi autonome que les autres humains et il arrive qu'on oublie de lui donner à manger : est-ce vraiment un cadre dans lequel le détenu peut s'épanouir ?

C'est le politiquement correct de toutes les époques qui est repris et dont on pousse ici la logique à l'extrême, pour mieux en voir les failles : en supprimant la genraison, nous nous privons d'une certaine forme de beauté ; hommes et femmes sont uniformisés, sans surtout rien qui doive les dissocier l'un de l'autre. de sorte que les rares femmes conservant leur genre sont des gonzesses faisant tomber absolument tous les mecs. Et le genre devient pour ainsi dire un tabou. Toutes sortes d'architectures grandioses sont esquissées : mais pourquoi les avoir construites ici et pas à un meilleur emplacement ? Se pourrait-il que les dirigeants locaux aient voulu montrer la grandeur (forcément un peu plus grande que toutes les autres) de leur mère-patrie ?

Deuxièmement, la présence de l'élément qui pourrait le chambouler. Il s'agit de Bridger, un enfant aux pouvoirs psychiques gigantesques, sorte de dieu ignorant tout de la métaphysique. Mycroft doit le protéger mais on se rend compte bien vite qu'il est pourvu de pouvoirs mirobolants à la limite du « ta-gueule-c'est-magique » ; cependant, les problématiques que ces pouvoirs entraînent, politiques et religieuses, risquent d'ébranler toute la société : l'humain peut-il accéder aux miracles sans la foi ou ces prodiges pourraient-ils se faire tout simplement expliquer par la science dans un avenir lointain ? Et si des gens mal intentionnés faisaient croire qu'il s'agissait d'un nouveau messie ? Il s'agit de l'essence même de la fiction spéculative, prendre quelque chose d'improbable ou impossible et voir ce qui se passerait s'il était admissible dans la réalité. Procéder à un traitement réaliste à partir d'un élément irréaliste. Et en l'occurence, c'est poussé à l'extrême ici : si vos chimères d'enfant devenaient réalité, il se passerait quoi dans le monde adulte ?

Trop semblable à l'éclair est un ouvrage précieux pour la philosophie du fait qu'il expose avec une simplicité limpide des concepts métaphysiques par le biais des adultes expliquant à Bridger les différents courants de pensée. de même, dans l'interview qui sert de postface au livre, l'autrice dévoile une vision très proche de la mienne en matière de la SF « qui fait réfléchir » : chacun peut apporter sa pierre à l'édifice, vulgariser les grands raisonnements mais aussi les prolonger, et la fiction spéculative devient le meilleur terrain expérimental pour tester les différentes théories philosophiques.



… Finissons par ce qui fâche



Ces deux intérêts satisferont donc ceux qui y chercheront le côté philosophique uniquement. Mais même avec ça… Certains passages semblent touchés par la grâce quand d'autres s'enlisent dans les discussions. Ada Palmer possède un véritable don de vulgarisation et peut se montrer très simple ; pourquoi alors, tant d'esquives et de circonvolutions pour qu'on sache ce que peuvent être Mukta ou les Cousins ? le style s'éternise, et se fait d'autant plus sentir quand le roman passe d'un instant vif et intelligent à quelque chose de beaucoup plus complexe et digressif. On attend une fin du monde mais elle ne vient jamais. Mycroft est un monstre, mais on n'explique pas par quel processus de réflexion il a décidé d'être ainsi, ni comment il a changé ; d'ailleurs, à la rencontre de son petit ami Hannibal Lecter, je serais son patron, je me ferais du souci.

Vers les 100-200 dernières pages, l'autrice pète carrément un boulon et s'enfonce dans des fantasmes macabres et sexuels. Les idées sordides qu'on nous présente sont généralement utiles au scénario et aux réflexions philosophiques, mais exposer platement un meurtre ou un viol dans ses moindres détails au cours d'une digression semble pour le moins gratuit, sans compter si cela soulève des questions pour lesquelles on n'aura jamais de réponses : c'était quoi exactement, la philosophie par laquelle Mycroft légitimait ses crimes ? Rien du tout. C'est quoi le dieu que Dominic affirme avoir trouvé en plein acte sexuel ? Rien du tout. Et si encore c'était bien écrit… Mais non même pas, on nous explique noir sur blanc « oui mais en fait non, Sade écrivait ses scènes de Q avec le sien, donc je fais la même chose pour lui rendre hommage ». Heu… Philosophiquement, je crois qu'on est tous d'accord que l'hommage à un auteur ne consiste pas à l'imiter aveuglément, et que c'est plus intéressant de donner à l'ensemble sa touche personnelle ? Parce que si on décidait de rendre un hommage à Céline, je vous assure qu'à côté les affaires Moix et Houellebecq ressembleront à des vacances à la plage…

Et puis il y a tous ces éléments qui n'arrivent pas à passer… Au moins ce livre m'aura appris exactement ce que je ne veux pas faire dans un domaine particulier : la rupture du quatrième mur. le narrateur s'adresse sans cesse au lecteur, donc, soit. Mais il l'appelle tout le temps ainsi, lui rappelant ainsi inutilement sa condition et bâtissant donc un mur entre le réel et la fiction ; mais paradoxalement Mycroft veut nous faire à tout prix rentrer dans le récit, quitte à nous faire parler à l'intérieur. Ce qui est une erreur puisqu'il veut anticiper en permanence ce que nous pensons du roman alors que ce n'est pas toujours le cas, et que nous le penserons pour ainsi dire jamais de la manière formulée. On confond ce que l'on attend du lecteur aux réelles attentes de celui-ci (je vous renvoie à cette analyse pour un exemple plus parlant : https://www.youtube.com/watch?v=o03hwDnARFg). Enfin, le faire trop souvent, surtout en plein milieu des scènes, finit par sérieusement empiéter sur le rythme, défaut que l'on pouvait trouver dans les Orphelins Baudelaire, certes, mais le narrateur préférait tout de même garder ses saillies avant ou après un dialogue ou une scène d'action. Ici, ça peut débouler n'importe quand.



Conclusion



Trop semblable à l'éclair me semble donc d'un intérêt limité et recommandable seulement du bout des lèvres aux férus de haute culture et de philosophie pour voir comment celle-ci évoluerait dans le futur. Un aspect qui m'aurait moi aussi très intéressé ; malheureusement, là où d'autres crient au génie, je n'ai vu qu'un long déjeuner sur l'herbe autour d'une tasse de thé, parlant de temps à autre de torture et de partouzes à perruques, et déballant avec plus de ferveur que de bon sens le kit des trouvailles stylistiques. Vous voulez des interrogations théologiques avec de la violence psychologique, du scandale, des complots et des grosses angoisses métaphysiques, le tout avec un tempo qui ne se presse pas forcément ? Lisez Les Frères Karamazov, qui semblent bien partis pour demeurer ma référence dans le domaine.

C'est donc extrêmement mitigé que je quitte le roman, espérant pour les autres lecteurs qu'il ne s'agisse que d'un tome d'introduction avec une suite un peu plus punchy. Pour ma part, mon tour en voiture volante s'arrête là. Vous, c'est vous qui voyez, c'est pour votre culture…
Lien : https://cestpourmaculture.wo..
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

« Vous avez raison. J’ai commis une faute. Je n’ai pensé qu’à apaiser les souffrances présentes. Je concède et Je reconnais que les lois et le maître de cette maisonnée n’ont pas tort de faire passer le devoir avant la compassion. » Ses yeux se tournèrent vers Ockham. « Je vous présente Mes excuses, membre Saneer, pour ce décalage entre les rais de notre conséquentialisme. » Le silence tomba. Nous n’avons pas l’habitude des mots comme les Siens, qui transpercent le vernis superficiel de nos interactions et plongent jusqu’à la réalité qu’il recouvre. Ockham seul eut la force de sourire. ».



De la force, il ne m’en restait pas non plus après avoir terminé ce vaste roman, lu avec un intérêt totalement décroissant au fur et à mesure de ma progression. Pour apprendre à deux chapitres de la fin, et sans que l’intrigue ébouriffée et répétitive ait réellement progressé, que ce pensum continuait sur un second tome, vraisemblablement tout aussi volumineux et indigeste.



Ada Palmer est certainement une érudite, comme le signale le quatrième de couverture. Seulement toutes ses influences, notamment celles du 18ème siècle français, se retrouvent dans son roman à la manière d’un Dan Brown sous acide ou d’un « pour les nuls » facétieux. Il ne suffit pas d’ajouter un zeste de Voltaire, une cuillerée de Diderot et un frisson de Sade pour donner bon goût à ce brouet étrange.



Tout ne m’a pas déplu : le style est original, comme son sujet. J’estime avoir fait preuve de bonne volonté et j’aurais voulu apprécier ce roman, qui est une belle prise de risque éditoriale. Mais franchement, et ça n’engage que moi, j’estime qu'on a là un ratage presque total, un calvaire à lire en tout cas…

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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

La tétralogie Terra Ignota est l’œuvre d'Ada Palmer et a été annoncée en grande pompe par les éditions Le Bélial'. Trop semblable à l'éclair en est le premier tome et est déjà conséquent avec ses plus de six cents pages.



Nous suivons ici un enquêteur un brin particulier : Mycroft Canner, esclave des plus puissants des oligarques, a des possibilités d'enquête et de connaissances plutôt étendues dans ce XXVe siècle où les religions et les États semblent avoir été abolis. Il doit naviguer entre les Ruches, ces "castes" librement choisies par les différents citoyens, pour retrouver un fichier hautement sensible : la liste des dix personnes les plus influentes de la société mondiale, objet de convoitise tant qu'elle n'est pas dévoilée au grand public et tant qu'elle peut encore être modifiée.

Pour décrire le monde qu'elle met en scène et l'enquête qu'elle déroule au compte-gouttes, Ada Palmer a opté pour un style très particulier qu'on ne risque pas d'oublier après sa lecture. En effet, dès le départ, elle prévient son lecteur que son labeur ne fait que commencer puisqu'il faudra patienter une bonne centaine de pages (plutôt plus, de mon point de vue) pour bien saisir le rythme d'écriture de l'auteur et le jeu de rôle entre les différents personnages. Ajoutez à cela qu'elle est passionnée par le siècle des Lumières au point d'y faire des allusions très récurrentes, parfois jusque dans le niveau de langage utilisé (on a même droit de temps en temps à des transcriptions, intéressant), et vous comprendrez qu'il faut attaquer cette lecture avec l'esprit reposé et disposé à une plongée totale dans un univers fouillé.



Clairement, il me faudra donc une autre lecture pour assimiler un certain nombre d'éléments et ainsi davantage savourer cette saga si dense.
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Terra Ignota, tome 2 : Sept redditions

L’exercice du premier roman est peut-être l’un des plus grands challenges que doit affronter un écrivain. Avec Trop Semblable à l’éclair, l’américaine Ada Palmer relevait le gant avec une audace fabuleuse. Worldbuilding extraordinaire, intelligence de l’intrigue et personnages succulents, ce premier volume n’en restait pas moins une moitié d’histoire. Ada y posait en effet une foule de questions tandis que Mycroft Canner, notre narrateur, avouait dès le départ qu’il ne s’agissait que des quatre premiers jours de son témoignage. Il en restait donc trois autres que l’on retrouve dans la suite de la série Terra Ignota avec Sept Redditions. Le défi est de taille puisque la qualité du premier volume a placé la barre très haut pour ce qui constitue en quelque sorte la fin de la première moitié de l’histoire (rappelons à toutes fins utiles que l’ensemble comptera au final quatre volumes). C’est ainsi qu’Ada Palmer se retrouve avec une pression monstrueuse sur les épaules car elle doit enfin répondre de façon convaincante aux multiples interrogations posées par Trop Semblable à l’éclair.



Trop Semblable à l’éclair était un roman d’introduction posant les intrigues d’un futur utopique où la paix régnait depuis près de trois cent ans. On y découvrait en fin de volume que toutes les Hives étaient liées par l’entremise d’une certaine Madame D’Arouet et son bordel mêlant sexe, politique et philosophie des Lumières. Ada Palmer brossait à la fois le portrait d’une époque entièrement différente de la nôtre mais également d’un pouvoir incestueux où tous les puissants partageaient des accointances suspectes. Sept Redditions reprend exactement là où s’était arrêté son prédécesseur et s’ouvre sur un chapitre narré par nul autre que Sniper Cardigan Saneer en personne. Maintenant que l’américaine n’a plus besoin de présenter ses personnages (même si quelques nouveaux venus viendront étoffer l’histoire), elle peut se concentrer sur les tenants et aboutissants de son intrigue pour faire bouger les choses. Si Trop Semblable à l’éclair était une mise en place magistrale d’un gigantesque échiquier politico-socio-religieux, Sept Redditionsse révèle une époustouflant résolution métaphysique et politique de cette partie d’échecs planétaire.



Il est difficile d’expliquer la puissance du roman d’Ada Palmer sans déflorer une intrigue tellement dense qu’elle ne laisse aucun repos à son lecteur. Sept Redditions, comme son prédécesseur, parle d’abord d’Utopie,d’un monde où les gens ne connaissent plus la faim, la pauvreté ou la guerre. Alors que la plupart des auteurs modernes de SF s’orientent vers la dystopie ou le post-apocalyptique, Palmer tente d’expliquer les rouages de l’Utopie et ses failles au travers de trois aspirations utopiques distinctes : la terraformation de Mars par les Utopiens, la numérisation de l’être par les Brillistes et une société stable et pérenne pour l’ensemble des Hives. En deux romans, l’américaine dissèque les défauts d’un système sensé être parfait pour en consacrer la nature humaine comme le principal point faible. En créant un univers aseptisé où le genre et les caractères sexuels sont ignorés et lissés, où la croyance reste quelque chose de strictement confinée et encadrée, la société du XVème siècle semble nier deux fondamentaux de l’être humain. Ada Palmer démontre avec une maestria proprement ébahissante que le sexe et les croyances sont des armes, que vouloir amputer l’homme de ces deux fondamentaux revient à oublier les racines profondément enfuies dans celui-ci. De fait, Sept Redditions joue de cette réflexion passionnante pour influer sur le cours de son intrigue. C’est d’ailleurs cette capacité à mêler pensée philosophique et péripéties narratives qui fait de Sept Redditions un chef d’oeuvre pur et simple.



Tout comme dans Trop Semblable à l’éclair, Mycroft continue à nous faire (re)découvrir les Philosophes des Lumières et les courants de pensée de l’époque. Ce qui devrait en toute logique s’avérer rébarbatif ne l’est pourtant jamais une seule seconde. L’auteure américaine comprend que pour mêler son érudition et la pléthore de références littéraires, philosophiques et historiques qui parsème son récit, elle se doit de leur donner une véritable place au sein de celui-ci. Chaque discussion, monologue ou flash-back a un rôle à jouer dans l’intrigue générale de Sept Redditions. Rien n’est jamais gratuit et tout, absolument tout, s’avère passionnant ! Ada Palmer mène une réflexion profonde sur le rapport de l’homme à Dieu à travers l’ensemble de ses personnages et, plus particulièrement, Mycroft Canner, J.E.D.D MASON, Bridger et Dominic Seneschal. Sans cesse ébouriffant, ce questionnement fouille au-delà des limites habituelles du genre. A quoi sert de croire ? Comment croire ? Comment expliquer l’absence apparente de Dieu ? Pourquoi ce besoin impérieux de croire ? En y répondant, Palmer fait non seulement preuve d’une érudition formidable, mais elle laisse également le soin au lectorat de prendre position et de se poser lui-même ses questions devenant en quelque sorte le sensayer de son lecteur. Il en ira de même avec le pouvoir : démocratie ou dictature ? Comment diriger un monde uni avec plusieurs personnes à sa tête ? Comment exercer un véritable pouvoir absolu et surtout quelles en sont les vraies mamelles ?



À cela, il faut ajouter un autre fil rouge : la guerre. Au fond, Trop Semblable à l’éclair et Sept Redditions parlent de guerre. Comment arrive-t-on à entrer en guerre ? En s’inspirant des événements qui ont conduit à la Première Guerre Mondiale, mais aussi de la guerre de Troie ou de la vie d’Alexandre le Grand, Ada Palmer synthétise la notion de conflit pour démontrer que faire la guerre est le propre de l’homme.

Evidemment, toutes ces considérations philosophiques peuvent paraître bien lourdes mais il n’en est rien. Car même si le lecteur ne possède pas toutes les clés culturelles et/ou intellectuelles pour décoder les innombrables références jalonnant Sept Redditions, il reste encore la quasi-perfection narrative du roman. Peuplé de personnages grandioses, Mycroft Canner et Bridger en tête, ce second volume s’avère palpitant et bourré de rebondissements. En rendant hommage au drame Shakespearien tout en faisant tomber ses dominos avec une audace inouïe, Ada Palmer prouve qu’il n’est pas besoin de dizaines de morts pour laisser son lecteur pantois. Indépendamment de son fond philosophique, Sept Redditions est une histoire science-fictive proprement ébouriffante de la première à la dernière page, offrant tour à tour des visions grandioses, étranges, inquiétantes et audacieuses en diable.



Sept Redditions apporte au lecteur toutes les réponses espérées et bien davantage encore. Ada Palmer tire les ficelles d’une intrigue proprement époustouflante habitée par des personnages tous plus fascinants les uns que les autres et soutenue par une réflexion philosophique et politique de haute volée.

En utilisant au mieux le worldbuilding déjà largement mis en place précédemment et en comprenant que l’érudition d’un roman ne doit pas être une seule vitrine pour l’auteur mais bien le moteur d’une intrigue ambitieuse, Ada Palmer offre un chef d’oeuvre complet, le genre de roman amené à devenir un classique de la science-fiction et même au-delà !

…And this is how Ada Palmer steals the show !
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

Terra ignota d’Ada Palmer est une une saga littéraire en 5 tomes. C’est une série à la construction la plus impressionnante que j’ai lu ses dernières années

« Terra Ignota » est un texte exigeant et peut-être même plus que ça ! Terre Inconnues est sans doute l’un des projets littéraires les plus ambitieux que la science-fiction moderne ait produit. Plus de 2800 pages de pure fiction mélangeant tous les genres de la littératures de l’imaginaire…

Mais alors que nous raconte « Trop semblable à l’éclair« , le premier opus de cette incroyable saga :

2454. Les Etats et les religions n’existent plus. Sept factions régissent l’humanité, en s’appuyant sur la censure, l’analyse statistique et la technologie. Mycroft Canner, condamné à la servitude pour des crimes terribles, appartient à l’une d’entre elles. En enquêtant sur un vol, il se trouve confronté à un garçon de 13 ans doté d’incroyables pouvoirs.

On est ici quelque part entre Dune et Hypérion, avec en filigrane la philosophie des Lumières où l’humaniste vise à promouvoir la tolérance, la liberté et l’amour de l’humanité.. Mais aussi une envie radicale que l’humanité change pour le bien de tout et un effroi insoutenable quand on s’aperçoit que l’utopie n’est pas possible? Comme si l’action funeste des astres (la sidération) nous poussaient à l’anéantissement totale.

Bref une lecture où il faut s’accrocher sans cesse pour me pas lâcher et qui en même temps, est totalement addictive, comme si on ne pouvait pas lâcher, justement, l’imbrication des phrases et des idées qu’elles véhiculent.

Ici l’amour de l’Humanité est la valeur fondamentale et la foi en l’Homme va de paire Car ici aussi on espère rendre l’Humanité meilleure grâce à la diffusion des savoirs.

L’auteur nous propose aussi une réflexion politique dans but de créer une société idéale à l’instar de la république de Platon où d’un Thomas More qui dans son Utopie , appelle à réformer la politique contemporaine en mettant en scène de nombreux personnages faisant société sur une île fictive. Ici de nouvelles planètes pour tout reconstruire et repartir de zéro et où on prône le pacifisme. Bien sur il y a l’épineuse question religieuse, ici toutes les religions doivent mettre en avant l’importance de la tolérance, avec un seul vœux pieux : une véritable renaissance spirituelle.

L’auteur nous entraine dans une histoire folle et nous oblige à revoir nos certitudes et nos points de vue avec à la clé des questionnements politiques , éthiques voire moraux, et surtout sociétaux et sociaux .

Je vous le disait, terra ignora est complexe car à la fois une utopie et une dystopie….

De plus une fois que l’on a lu les les 650 pages de « Trop semblable à l’éclair« , il faut impérativement poursuivre avec les 530 pages de « Sept redditions« , car il semblerait que ces deux opus de la série soient indissociables car la saga marche par paire pour ces 4 premiers volumes.

Mais n’ayez ni peur de la complexité de cette oeuvre, ni de sa difficulté à enter dans l’histoire, car une fois commencer, on n’arrive plus à s’arrêter.

Il faut dire qu’un bouquin de SF encensé par Robert Charles Wilson que j’aime beaucoup et surtout par Jo Walton que j’adore, ne peut-être qu’une oeuvre magistrale !
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

(chronique plus complète sur le blog)



Un premier tome brillant dans un univers riche et complexe. J'ai adoré, c'est facilement ma meilleure lecture de l'année à cette date.



Pour résumer sans trop vous donner de détails je dirais que ce livre raconte, via de nombreux chemins différents, comment un système utopique qui semble limite parfait sur le papier peut être totalement déstabilisé par le plus petit élément insignifiant qui va le faire s'écrouler.

Ce premier tome est en fait une façon de nous représenter ce qui était, le monde utopique dans lequel commence l'histoire et de nous introduire l'élément perturbateur.



C'est un récit qui se passe dans les 25ième siècle et dont la trame principale commence par une enquête sur un vol. Il se révèle politique, philosophique et très intellectuel certaines fois mais dans le bon sens du terme. On peut ressortir un amour pour le Siècle des Lumières et les références historiques sur l'époque sont très nombreuses, mélangé à un futur très visuel ce qui donne un mélange détonant et mais vraiment fantastique.



Ce n'est pas la seule période historique qui est présente bien sur car il semble que nos descendants dans le futur sont fascinés par le passé et reproduisent - en les améliorant - les faits historiques. Ainsi on retrouve par exemple l'équivalent de l'empire romain antique, les Masons qui appellent leur dirigeant désigné à vie Caesar et qui ont réintégré un latin simplifié (sans déclinaisons) comme langue officielle.



*****

Pour l'instant vous ne devez pas trop comprendre grand chose à ce monde mais c'est un des éléments les plus marquants du livre !



La première information importante est de savoir qu'on est dans un monde utopique ou plus personne ne meurt de faim, tout est abondant, régulé technologiquement parlant. On en a terminé avec les pollutions, les injustices, les gens ne sont même plus obligés de travailler si ils ne le souhaitent pas (bien que ça reste théorique, une personne sans apport ne sera pas accepté dans une Hive et donc devra travailler pour vivre).



En fait dans ce monde les Pays physiques en tant que Nations ont disparu. Il n'existent plus que théoriquement parce qu'on ne peux pas non plus totalement effacer ce qui a été la règle pendant des millénaires et le sentiment patriotique d'appartenance à une région que peuvent avoir certaines personnes. Du coup les gens portent des brassards ou des pins (et autres décorations) pour montrer d’où ils viennent.



A leur place sont apparu ce qu'on appelle des Hives (ou Ruches en français) qui sont des rassemblements de personnes sur un point commun. Les gens se groupent donc de par leurs convictions, leurs envies (et peuvent en changer quand ils le souhaitent, sur le papier), ou simplement par tradition familiale.



Et dans tout ça ce qui prévaut dans ce monde est la liberté d'être ce qu'on souhaite, d'habiter ou on souhaite, avec qui on souhaite. Les genres ont été abolis aussi, désormais on ne devra désigner une personne que par le neutre. En fait le narrateur n'est pas très bon pour ça du coup il nous donne sa propre interprétation du sexe de la personne qu'il rencontre, même si souvent on fini par comprendre que ce n'est pas forcement la vérité.



Je dirais juste que c'était totalement fascinant de découvrir tout ça. J'ai trouvé cet univers mélange de technologie, de futur "parfait" et d'une grosse dose de passé vraiment très visuel, ça donne totalement un effet "waou" très fort durant toute la lecture.



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Ce que j'ai aussi vraiment apprécié dans ce livre se sont les personnages. Mais en fait je dirais même qu'ils sont plus des Personnages. On voyage vraiment au cœur du pouvoir de ce monde pour cette enquête et donc tous les personnages qu'on croise sont très importants et ont de fortes personnalités.



La narrateur est Mycroft Canner, un condamné au service public à perpétué, car il a commis un crime et n'a plus le droit de posséder de biens physiques. La règle pour ce genre de personnes est qu'une demi journée de travail équivaut à un repas gratuit et c'est la seule chose qu'on a le droit de leur donner.

Il raconte donc l'histoire car il a été en son centre. On suis donc ses propres rencontres ainsi que celles qu'il a pu reconstituer via des témoignages ou des enregistrements.



C'est vraiment un sacré personnage ce Mycroft. Au début on a du mal à le cerner mais il semble si doux, si effacé et en même temps si brillant. On se demande bien comment il a pu être condamné et pourquoi. Il a beau n'être personne, il a des liens et la confiance de toutes les Hives et même au plus haut niveau. Du coup durant tout le livre il est un peu l'homme derrière le pouvoir, il rend des comptes à tous les dirigeants au fur et à mesure que son enquête avance.



*****

Le livre est en fait un récit des événements après coup, racontés par une personne chargée de compiler tous les éléments comme une mémoire pour le futur.

Cette structure donne aussi un élément de narration qu'on n'a pas trop l'habitude de voir à savoir que le narrateur est souvent interrompu dans son récit par un être appelé lecteur qui demande des précisions ou qui le remet sur les rails quand ils s'égare un peu. Comme si le récit était raconté en direct à un témoin au moment ou il le compile. Mais du coup le narrateur ne se gêne pas pour souvent s'adresser à tout ses lecteurs, à nous poser des questions, à nous interpeller sur des points, etc ...



Pour ce qui est du rythme, ne vous attendez pas à une histoire rapide. Il faut du temps pour commencer à voir la situation dans son ensemble, à faire en sorte qu'on comprenne le monde dans toute sa profondeur.

Surtout c'est un livre que j'ai mis très longtemps à terminer. Pour moi qui ai tendance à dévorer mes livres, surtout quand ils me fascinent, ici je n'ai pas pu le faire.



Mais finalement on s'y fait et je n'ai pas trouvé le style d'écriture particulièrement difficile en soi.



C'est surtout le fait de combiner ça au coté totalement différent et à l'imagination qu'il faut pour se représenter et comprendre ce monde qui est difficile et qui rend la lecture particulièrement exigeante.



Conclusion :

Finalement je dirais que c'est une lecture formidablement marquante.



C'est un livre ou chaque chapitre est différent et nous apporte une nouvelle couche à l'intrigue ou au monde. (il y a même un chapitre entièrement en latin ! - avec la traduction). On trouve de tout dedans et c'est limite jouissif à certains moments, bizarre et fascinant en même temps.



Ce patchwork pourra plaire à un grand nombre de personnes de l'amateur de romans historiques ou philosophiques, celui qui aime les romans de type enquête, à celui qui recherche une intrigue et un monde complexe et différent de science fiction.



C'est une lecture exigeante sur plein de points mais elle en vaut vraiment le coup !



Je ne dirais qu'une seule chose : ce livre sors normalement en 2019 en français (Le Belial' à acheté les droits), jetez vous dessus.



18/20
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Terra Ignota, tome 3 : La volonté de se battre

« It is not power that corrupts, but the belief that it is yours. » ¹

C’est par cette phrase qu’Ada Palmer, historienne et écrivaine américaine, synthétise le cœur des préoccupations politiques de sa colossale quadrilogie Terra Ignota.

Si nous ne reviendrons pas ici sur le fabuleux worldbuilding qui entoure l’histoire elle-même (pour cela vous pouvez toujours consulter la longue critique du premier volume), il faut remettre en place les pièces de l’échiquier pour pouvoir expliquer comment, après deux tomes fabuleux se répondant l’un à l’autre, Ada Palmer utilise sa construction narrative et son univers pour servir de tremplin à un approfondissement philosophique de son intrigue.



Chronique des jours noirs

Nous sommes toujours en 2454 et Mycroft Canner ², condamné au Service, meurtrier, cannibale, tortionnaire et esclave aux services des plus grands dirigeants de la planète, reprend la plume après les événements des sept jours de la Transformation qui ont vu la société utopique se fracturer petit à petit.

Les raisons de cet écroulement sont multiples : la découverte d’O.S. ³ (un système d’assassinats calculé et réglé pour maintenir la paix mondiale en éliminant les personnes les plus susceptibles de la faire basculer), la révélation de Madame au peuple (qui transgresse les tabous de genre et de sexualisation de l’époque pour manipuler les plus grands et en faire ses marionnettes dans le plus pur esprit Sadien), l’infiltration des Mitsubishis au sein des autres Hives (en plaçant des simili-sets-sets pour prendre le contrôle en sous-main des structures les plus importantes) et leur main-mise sur les possessions terrestres, la manipulation du CFB (le comité de suggestion par lequel fonctionne le gouvernement de la Hive dites des Cousins) et, bien évidemment l’assassinat puis la résurrection (par Bridger) du Dieu qui venait visiter cet Univers, JEDD Mason.

Voilà de quoi enflammer une société qui n’avait plus connu la guerre depuis au moins 300 ans et qui, semble-t-il, ne sait même plus la faire.

Seulement voilà, alors que la guerre pointe de nouveau le bout de son horrible mufle, chaque Hive cherche à trouver des moyens de prendre l’avantage sur les autres dans le conflit à venir tandis que quelques-uns, notamment à Romanova, tentent désespérément d’empêcher le désastre.

JEDD Mason, qui pense la chose inéluctable car faisant partie de sa Grande Conversation avec son Pair (aka Dieu), charge Mycroft de consigner tous les événements qui mènent sur le chemin de la guerre et donnent aux belligérants la volonté de se battre ou La Volonté de se battre, justement le titre de ce troisième volume.



Le monstre des profondeurs

Contrairement aux attentes, La Volonté de se battre n’est pas là pour explorer directement le conflit sauvage qui va ravager la Terre.

Malicieuse, Ada Palmer prend son temps (et ça ne va pas plaire à tout le monde) et continue autant à construire son univers qu’à s’interroger sur les thématiques centrales déjà esquissées dans les deux précédents volume : la guerre, la Nature de l’homme, Dieu, le pouvoir politique et la notion de Justice. Un programme chargé et à forte valeur ajoutée en philosophie.

Mais, ça tombe bien, Ada Palmer adore la philosophie et va nous le prouver une troisième fois.

Plaçant immédiatement son premier roman sous l’égide de Voltaire et de ses comparses des Lumières, La Volonté de se battre se choisit lui un nouveau parrain en la personne de Thomas Hobbes, philosophe anglais du XVI-XVIIème siècle à qui l’on doit l’écriture d’un ouvrage à l’influence colossale : Léviathan ⁴.

Ada Palmer, fervente admiratrice d’Hobbes à travers le personnage clé de Mycroft Canner, va fondre la fameuse théorie philosophique développée par l’anglais à l’intérieur de son histoire comme elle pu le faire dans les précédents ouvrages avec Voltaire, Diderot ou Sade. Si Mycroft aime à nous rappeler des points historiques essentiels concernant Thomas Hobbes, il ne se contente pas de ressasser ses théories.

Ada Palmer les applique directement en décrivant les fameuses Black Laws (un ensemble de huit lois régissant à minima toute l’humanité et que certains peuvent choisir de suivre uniquement sans intégrer une Hive ou une autre) par le détail (elle invente carrément huit lois comme l’avait fait Isaac Asimov pour la Robotique, mais en s’inspirant cette fois des Lois de la Nature de Hobbes) et en bouclant donc son système politico-philosophique du futur qui, de fait, semble incroyablement bien pensé (et jusque dans les moindres détails).



Conversation divine

Pourtant, au-delà de la mise en pratique de la philosophie de Hobbes (et d’autres comme Blaise Pascal), La Volonté de se battre poursuit son histoire de dominos en montrant comment une utopie prend fin, quelque part entre l’orgueil des hommes et la nécessité d’une vénération divine décidément invincible.

Des figures divines, le roman en comprend deux : JEDD Mason et Achilles.

Comme les lecteurs de Sept Redditions le savent déjà, Bridger s’est suicidé en incarnant l’ancien héros grec en chair et en os tout en le mêlant aux esprits du Major et aux connaissances sur la nouvelle Illiade composée par Apollo Mojave.

Achilles, personnage anachronique mais délicieux, devient dès lors un enjeu central pour toutes les Hives qui voient en lui le dernier capable de façonner la Guerre. Dans un long chapitre, et malgré les souvenirs fuyants et confus de Mycroft, chaque puissant tente d’attirer Achilles à ses côtés. On comprend dès lors qu’Ada Palmer, non contente d’offrir une utopie sous l’influence de la Renaissance et des Lumières, tente sa propre relecture de la guerre de Troie où le lecteur doit tenter de retrouver Hector (ou Sniper ?), les Troyens ou encore Agamemnon. Quand on croit que l’américaine ne peut pas faire plus dense, elle nous prouve encore le contraire.

Mais si Achilles est si important pour l’histoire, c’est aussi parce que dans une époque où le rationnel doit régner en maître, très peu remettent en cause sa nature même, pourtant impossible. Un point commun avec l’autre personnage extraordinaire du récit, à savoir JEDD Mason, ou l’homme qu’on pensait Dieu qui se révèle être un Dieu venu d’un autre Univers ⁵.

Certainement l’un des plus fascinants personnages de la science-fiction moderne, JEDD Mason incarne tout le paradoxe de l’humanité, à savoir le besoin absolu de croire en quelque chose de supérieur dans un monde de plus en plus rationnel.

Pourtant, malgré sa résurrection par Bridger, rien n’indique encore une fois que JEDD soit véritablement le Dieu qu’il dit être. C’est la conviction qu’il suscite et la ferveur qu’il ravive qui importe bien davantage pour le récit d’Ada Palmer et montre que peu importe les Sensayers, les lois, les catastrophes, l’homme DOIT croire.

Et si Hobbes définit l’état naturel de l’homme comme celui où l’homme n’a aucune notion du bien et du mal, qu’il régresse au niveau de la Bête et peut donc être en état de guerre perpétuel, Ada Palmer ajoute ici que l’Homme est une bête de croyances qui lui sont aussi vitales pour vivre que l’air qu’il respire.



La Guerre de Troie aura bien lieu

Audacieuse jusqu’au bout, Ada Palmer construit pour la troisième fois (et peut-être de façon encore plus marquée) un ouvrage de Philosophique-Science-Fiction où elle n’hésite pas à passer un chapitre entier au Sénat ou à discuter du bien-fondé de la Guerre à travers des lignes et des lignes de dialogues.

Ou, plus précisément, des conditions d’une Guerre.

Forte de sa formation d’historienne, l’américaine revient sur les grands conflits et cherchent à travers les 350 pages de La Volonté de se battre à explorer les voies qui mènent à la Guerre et comment, malgré la bonne volonté des uns et des autres, l’engrenage ne peut s’arrêter une fois mis en branle par la volonté individuelle des plus puissants.

Encore une fois, elle rejoint la pensée de Thomas Hobbes qui stipule que si le Léviathan est nécessaire pour maintenir la paix entre les hommes et pour s’arracher à l’État de Nature, il ne faut pas oublier qu’à la tête du Léviathan se trouve aussi des hommes capables de se faire la guerre.

Dans La Volonté de se battre, ils sont aux moins sept, pour les sept Hives principales, sans compter les trois groupes Sans-Ruche et les autres marginaux (comme les Servicers).

Dès lors, la catastrophe attend le monde créé par l’américaine.

Une catastrophe dont nous seront témoins privilégiés dans le prochain volume mais qui débute largement avant avec les différentes complots, mesquineries et ambitions des uns et des autres, humains après tout.

En s’amusant avec les systèmes politiques qu’elle a elle-même mise en place (notamment avec le pouvoir absolu de Cornel MASON), Ada Palmer poursuit sa construction de haute volée sur une société éminemment politique terrassée par l’orgueil de chacun.



Terra Ignota

Dès lors, où placer O.S. et son système terriblement immoral qui a pourtant permis de maintenir la paix mondiale ?

C’est là tout le sens du fameux Terra Ignota⁸, ce territoire inconnu où il est impossible de distinguer le noir du blanc, d’autant plus lorsque le noir est utilisé pour produire du blanc.

Ada Palmer, froidement réaliste, finit par montrer qu’il faut des sacrifices nécessaires sur l’autel du bien commun. Reste à choisir de quel côté notre souplesse morale nous entraîne, un peu à la façon d’un Watchmen d’Alan Moore qui proposait déjà ce choix sous le truchement super-héroïque.

Nos perceptions du bien et du mal ont de toute façon été déjà bien mises à mal par la révélation des crimes d’un certain Mycroft Canner, un narrateur que l’on a appris à aimer, mais aussi par le rôle des Utopistes, cette mystérieuse Hive qui semblent tellement vouloir la guerre ⁶.

Nombreux seront les passages où Mycroft verse dans la folie permettant ainsi à Ada Palmer de se permettre toutes les audaces narratives en donnant la parole à des personnages morts comme Appollo Mojave voire à ressusciter des philosophes comme Thomas Hobbes lui-même.

Si les lignes destinées aux lecteurs sont toujours là pour casser le Quatrième Mur, c’est bien la folie narrative de l’autrice qui scotche, capable de jongler entre l’anglais, le français, l’espagnol, le grec et le vieil anglais avec une aisance qui laisse pantois. Oubliez les jeux de mots vaseux et ridicules d’un Alain Damasio, et profitez ici de la langue ultra-soignée d’une écrivaine au sommet de son art qui montre l’étendue de son savoir linguistique et arrive même à faire passer des lignes entières de dialogues en latin sans que cela ne s’en ressente sur le rythme du récit. Un vrai tour de force en somme.



L’Utopie est éternelle

Il reste pourtant des gros bout d’utopies qui refusent de partir avec La Volonté de se battre. Si l’entreprise d’Ada Palmer peut sembler pessimiste, elle n’arrive cependant pas à cacher son admiration pour les choses qui unissent les hommes, la foi ou le sport, voire les deux, et pour ces personnes capables de tout donner pour le futur.

L’entreprise des Utopistes trouve tout son sens à l’époque actuelle où nous avons désormais totalement oublié les étoiles. Voilà une caste de rêveurs prêts à tout pour toucher l’infini et qui s’en donne les moyens…mais incapable tout de même d’abandonner ses frères imbéciles et bornés qui persistent à vouloir s’entretuer pour des questions de politique ou d’eugénisme ⁷.

Ada Palmer célèbre aussi le sentiment amoureux et la grandiloquence que l’on retrouvait au siècle des Lumières, par les envolées lyriques et folles d’un Mycroft Canner parfois débordé par ses propres émotions, face à Saladin, face à JEDD Mason, face à Apollo. Comment l’amour peut-il persister en face des choses les plus terribles, comment un homme peut renoncer au projet de toute une vie pour rester aux côtés de son amant jusqu’à la dernière minute ?

C’est dans ces instants, qui semblent peu signifiants par rapport à la densité du propos d’Ada Palmer, que l’humanité se révèle la plus incompréhensible et la plus belle, que même la destruction des cités et les rugissements de la guerre ne peuvent faire taire.

Lorsqu’un homme choisit d’abandonner Mars pour mourir sur Terre car il aime et qu’on ne lui enlèvera jamais ce sentiment.

Voilà l’Utopie ultime d’Ada Palmer.



Troisième coup de génie d’une autrice simplement brillante et extraordinairement audacieuse, La Volonté de se battre impose un nouveau modèle de science-fiction érudite en diable et d’une profondeur sans cesse renouveler. Si les amateurs d’action et autres péripéties explosives seront déçus, les autres trouveront dans le nouvel ouvrage d’Ada Palmer un chef d’œuvre qui semble vouloir faire date dans l’histoire de la science-fiction, quelque part entre Hypérion et Dune.

Reste à savoir où s’arrêtera l’américaine (peut-être les étoiles ?) avec son dernier volume attendu l’année prochaine : Perhaps the Stars.



[Critique complète sur le site avec les annotations]
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

« Trop semblable à l éclair » d' Ada Palmer

1er tome de la tétralogie Terra Ignota



Quatrième de couv' vendeuse, intéressante, mais guère plus.

L'intrigue est trop longue, un procéder d'écriture assez original et participatif pour le lecteur, un peu dérangeant car cela coupe notre lecture.

Ce livre doit être lu plusieurs fois ou avec prise de note afin de ne passer à côté d'aucune information.

Je pense que l'aventure montra en puissance et pourrait devenir intéressante, mais un travail de correction et de traduction devrait-être plus approfondie, car certain passage sont dure à mémoriser, à lire ( zozotement d'un des personnages par exemple) a cause de leurs longueurs ou leurs spécificités.



XXVeme siècle, le monde d’hier n’est plus celui d’aujourd’hui. La terre est peuplée par 10 milliard d’habitant vivants au sein de 7 castes différentes appelées Ruches. Dans ce nouveau concept, tout s’avère paisible, utopique... mais cela n’est qu’une façade. Mycroft Canners, un être qu’on ne souhaite pas croiser, enquête sur le vol d’un document compromettant. Certains secrets risquent de faire surface et de compromettre un équilibre durement gagné.
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

En Résumé : J’ai passé un excellent moment de lecture avec ce roman qui nous plonge dans un avenir lointain complètement différent, étrange, original et entraînant. On sent ainsi clairement que l’auteur maîtrise son univers, qui s’avère du dense, complexe et captivant. Que ce soit à travers l’aspect politique, l’aspect social, les religions, ou encore les langues beaucoup de choses ont changés, et pourtant l’ensemble reste lié à notre présent ce qui rend l’ensemble encore plus prenant. Elle nous offre aussi de nombreuses réflexions, ainsi qu’un travail philosophique un minimum soigné qui en dérangera peut-être certains mais qui, j’ai trouvé, s’intégrait parfaitement bien dans le récit. Elle questionne ainsi le lecteur sur la sexualité, la famille, la notion de genre, la politique etc… L’intrigue est efficace, bien porté par révélation et rebondissements, offrant de nombreux mystères et donnant envie d’en apprendre plus. Les personnages sont vraiment intéressants à découvrir, s’avérant étranges, entraînants et prenants. Mycroft sort vraiment du lot, tant on s’attache un minimum à lui, mais plus on le découvre plus on se rend compte qu’il se révèle ambigu. Alors après tout n’est pas parfait le démarrage m’a paru trop dense, j’ai trouvé que par moment l’auteur en faisait un peu trop, ensuite le narrateur brise le quatrième mur et parle au lecteur sauf que quand il fait parler le lecteur je n’ai pas toujours accroché, enfin les dialogues en latins traduit m’ont paru un peu lourds et théâtraux. La plume de l’auteur est entraînante, dense et soignée et je lirai la suite sans soucis.





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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

Livre audio – Lu par Benjamin Jungers : 21h40



Abandon par incompréhension totale ! J'ai tenu 2 heures et bien que j'aime beaucoup la narration de Benjamin Jungers, l'histoire est compliquée, alambiquée avec des passages infantiles et le fait que le nom des intervenants soit dit à chaque fois, même s'ils ne disebt que “oui”.... c'est insupportable !



#Tropsemblableàléclair #NetGalleyFrance
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

« Trop semblable à l’éclair » est un roman de SF qui me faisait de l’oeil depuis sa sortie. Les éditions du Bélial ont eu la gentillesse de me le faire parvenir, je les en remercie.



Je suis mitigé sur ma lecture, heureusement il y a du positif tout de même, comme l’écriture qui est vraiment belle, avec du vieux français, et ce mélangé à de la SF ça donne une originalité certaine. De plus c’est addictif on veut savoir, l’écriture nous pousse à continuer, même si l’on a pas tout compris au livre.



Les côtés négatifs sont pour moi cette profusion de déambulations philosophiques qui m’ont empêchées de tout comprendre, qui m’ont même troublé dans ma vitesse de lecture et dans mon empathie des personnages, qui d’ailleurs eux sont assez nombreux, parfois appelés par leur prénom, parfois par leur nom, ce qui m’a embrouillé et m’a perdu. J’ai continué ma lecture grâce à la belle écriture mais au final je n’ai pas vraiment compris le livre, enfin si la trame principale, qui est intéressante mais gâchée à mon goût par tout ce surplus pas vraiment utile de philosophie qui part dans tous les sens.



Pour conclure, j’ai aimé l’histoire principale et l’écriture, mais ma lecture a été très longue et indigeste pour les différentes raisons citées ci-dessus. Dommage, mais je ne poursuivrai pas la série.
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

J'étais très motivée pour découvrir cette histoire ! Le titre (Terra Ignota, terre inconnue) et la couverture (qui m'a fait penser à un space opera dans un futur lointain) étaient prometteurs. Et pourtant, il m'a manqué de l'action pour rentrer dans cette histoire. Il y a beaucoup de dialogues, des concepts originaux (la philosophie des Lumières, le non-genre, l'apolitisme) qui auraient pu m'emmener dans ce monde futuriste...mais je restai toujours en marge en saississant certains points mais d'autres me ramenant dans l'obscurité.

Je suis allée jusqu'au bout espérant avoir le déclic... Dommage ! Je ne pense pas lire le tome 2...
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

J'ai enfin lu Trop semblable à l'éclair d'Ada Palmer ! Ce roman utopique a été cité à de multiples reprises comme un futur classique de la SF. Il avait de quoi attirer mon attention, à tel point que l'ai acheté en VO bien avant sa sortie en France. Qu'en ai-je pensé ?



C'est sans doute une remarque qui revient assez souvent, mais Trop semblable à l'éclair est une utopie qui construit un monde véritablement original. Dans les années 2400, l'humanité a connu de profonds bouleversements, technologiques dans un premier temps, mais surtout sociaux. Ada Palmer a choisi de s'inspirer de la pensée des philosophes des Lumières pour inventer une société à la fois familière et unique en son genre. Dans sa structure dans un premier temps : finies les familles bâties autour des liens du sang. Les individus vivent dans des bash, des sortes de colocations où les membres sont choisis selon leurs intérêts.



Finies les nations, le monde est divisé en “Hives”, en Ruches, qui regroupent les personnes selon leurs affinités, intérêts culturels et philosophiques, et leur adaptation à certains systèmes politiques plutôt que d'autres, de la démocratie jusqu'à l'Empire au système de passation du pouvoir qui ne repose pas sur l'hérédité. Parfois c'est très curieux, puisque les cousins sont régis par un système de suggestion box, par une boîte à idées du coup, ce qui semble être tout droit sorti de l'esprit maniaque d'un Chief Happiness Officer trop zélé.



En outre, le monde d'Ada Palmer s'explique à travers des avancées technologiques et techniques immenses. Dans un premier temps, les transports. Les voitures volantes autonomes existent et ont réduit la distance entre les hommes, littéralement et métaphoriquement, car c'est ce qui les a permis de construire des sociétés sans nations. le transhumanisme apparaît par petites touches à travers différents éléments. Les hommes vivent bien plus longtemps grâce à des sortes de bains de rajeunissement, 70 ans est considéré comme le milieu de la vie. Il existe moults autres exemples, comme les set-set, des humains élevés pour devenir de véritables ordinateurs, et une Ruche entière se dédie au développement technologique.



L'autre côté de la pièce, c'est qu'il existe des tabous. le premier est la religion. Suite à des guerres violentes ayant éclaté après la chute des nations. Il est ainsi interdit de parler de croyances en comité de plus de deux à trois personnes, ce qui a aboutit à l'apparition de sensayers, des sortes de conseillers spirituels. Un autre tabou est celui du genre, qui n'existe plus, ou du moins est dissimulé. Il n'y a guère que Mycroft qui s'amuse à appeler les autres personnages selon un pronom de son choix, plus lié à sa perception de ce qui est relié, ou non, aux idées reçues d'un sexe que de la réalité biologique. Les vêtements sont totalement agenres, le langage est en grande partie agenre également, ce qui apparaît assez coercitif envers les personnes cisgenres il faut l'admettre.



Nous arrivons à l'histoire à la troisième sous-partie, mais que se passe-t-il, Geekosophe ? Eh bien pas grand chose, malheureusement. Enfin pas grand chose, disons qu'on n'est pas beaucoup plus avancés sur les deux trames narratives principales : l'histoire d'un enfant de 13 ans, Bridger, qui semble être doté de pouvoirs divins dans un monde où la religion est interdite, et une autre qui même le vol de la liste des influenceurs mondiaux et des accidents de voitures autonomes volantes. Oui, c'est un peu confus dit comme ça. le problème est que “Trop semblable à l'éclair” semble être plus une sorte d'essai qui expose un monde original qu'une véritable histoire.



L'autrice entrecoupera par exemple son récit de nombreuses références directes aux philosophes des Lumières, dans le fond comme dans la forme. le roman est raconté à la première personne comme une suite de dialogues du point de vue de Mycroft, personnage trouble qui semble catalyser beaucoup de pouvoirs et d'attentions. C'est un procédé directement hérité de Diderot et de son Jacques le Fataliste. le fondateur de l'Encyclopédie aura par ailleurs droit à quelques paragraphes sur sa vie, son oeuvre, tout comme Voltaire et consort. le problème est que ce choix ralentit l'intrigue dans un premier temps.



Dans un second temps, cela donne un texte un aspect un peu pompeux, voire pédant (ironique, huhu. Bon, c'est peut-être Mycroft qui fait son malin). Avouons-le, les personnes qui mangeaient de la philosophie des Lumières en étude de lettres tout comme ceux qui n'y connaissent rien n'ont pas spécialement envie d'entendre la vie de ces derniers, mais plutôt d'en voir une analyse à l'aune de cette société futuriste.



Pourtant, le récit ne manque pas de potentiel. J'ai tout d'abord bien apprécié cette graduation dans l'univers. Ce dernier nous est d'abord présenté comme un endroit idyllique qui a su trouver un équilibre parfait entre force du groupe et besoins individuels. Tout comme Mycroft qui, bien que Servant, donc reprisede justice, nous semble bien lisse et doux. Mais petit à petit, l'univers comme notre narrateur gagnent en profondeur et en noirceur. Mycroft nous révèle un passé trouble et un petit côté manipulateur. le monde de Terra Ignota n'est pas si idyllique, avec ses petites politiques, les accointances entre les puissants et autres lieux troubles, comme le croisement déstabilisant d'un bordel et d'un couvent.



Ce dernier élément m'a par ailleurs sortie de l'histoire tant la scène du dialogue qui s'y déroule est surréaliste. Autre élément que j'ai trouvé peu crédible, Mycroft travaille pour beaucoup de personnages très puissants au sein du récit. Il me semble étrange que son statut lui donne accès à de nombreuses informations confidentielles qu'il pourrait facilement monnayer ou utiliser à l'encontre d'autres personnes. D'autant plus qu'il s'agit toujours d'un homme condamné. Mais peut-être y aura-t-il une explication à cet état de fait dans le second tome de la saga ?



La lecture s'est révélée dense et assez laborieuse. C'est pourtant le genre de concept qui me botte, entre transhumanisme, philosophie et manigances politiques. le récit a le mérite de nous plonger dans une société très bien structurée qui nous semble très éloignée de ce que nous connaissons. Des codes aux modes d'organisation politiques, le dépaysement est total. Cependant, j'ai trouvé le scénario peu accrocheur tant la complexité du monde a nécessité une exposition longue et aime à disserter.



Pourtant, il y a un beau potentiel car l'autrice joue bien avec les faux-semblants, mais reste qu'au bout des quelques 600 pages, je n'ai pas eu l'impression d'être bien avancée depuis le début du roman. Je lirais sûrement la suite ceci dit, car je suis curieuse de connaître le fin mot de l'histoire et que je pense qu'il y a des chances pour que le deuxième tome de la saga réalise pleinement le potentiel de l'oeuvre.
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Terra Ignota, tome 2 : Sept redditions

Enfin lu ce deuxième tome de Terra Ignota. La densité du premier m'a fait attendre les bonnes conditions pour l'attaquer. Et bien m'en a pris, la densité, ainsi que la qualité est toujours présente. C'est la suite directe du précédent, nous retrouvons nos protagonistes là où nous les avions laissé.

La grosse différence entre les deux tomes c'est que comme Ada Palmer à posé les jalons de son univers dans le premier, elle peut ici aller beaucoup plus vite dans les enchainements, moins passer par le fait de briser le quatrième mur (ce qui n'est pas pour me déplaire) même si c'est toujours assez présent. L'auteure développe ses intrigues politiques, et là nous sommes servis, rebondissements, coups de théâtre, stratégies qui peuvent paraître alambiquées mais qui font sens au final. Ses questionnements philosophiques sur la nature de l'homme, son rapport au genre et à la religion sont toujours présent et encore plus approfondis. C'est un livre qui donne de nombreuses occasions de réfléchir, de s'interroger, sur soi, sur nos sociétés et sur certaines des tendances actuelles et leur pertinence.

Ce qui est parfait c'est qu'Ada Palmer ne donne pas de réponse pré-mâchée, le cheminement on le fait soi-même et seulement si on le désire, il est tout à fait possible de lire le livre en mettant de côté cet aspect.

J'ai peut être un peu manqué de référence sur le siècle des lumières pour apprécier à sa juste valeur la totalité de ses allusions, mais cela ne m'a pas gêné dans ma lecture.

C'est aussi très intéressant de voir pour une fois une réflexion sur une utopie et non une dystopie comme souvent. Ce monde qu'elle a inventé, qui pourrait tout à fait être issu des courants sociétaux actuels, semble au premier abord si parfait (dans son exposition dans le premier tome) qu'en voir les éventuelles faiblesses ou manques apporte aussi son lot de cogitations intenses.

Passionnant de bout en bout, réservant énormément de surprises, quelques moments très épiques, des joutes verbales d'une incroyable qualité et une caractérisation assez bluffante (mention spéciale dans ce tome pour moi à Madame, MAÇON et Sniper) je me réjouis d'avoir encore deux tomes à venir. Madame Palmer (et Michelle Charrier sa traductrice) un grand merci.
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

On va faire simple, pour moi ce premier tome de Terra Ignota est un coup de coeur. Mais étrangement plus j'essaye de faire une chronique structurée plus j'ai un mal fou à ordonner mes idées tellement ce livre est dense et riche. Je vais donc mettre tout ça un peu en vrac. Tout concourt à avoir le cerveau en ébullition.

- L'univers qu'a construit Ada Palmer, vient questionner nos idées sur la famille (on oublie la famille mononucléaire), les nations (y appartenir devient un choix), la religion (interdit d'en parler à plus de deux), les sciences (les immuables, les Utopistes), la justice et la gestion des prisons (servir la société pour expier) le genre (il ou elle ont disparu, enfin sauf pour le narrateur qui pense nous aider en les employant de temps en temps). Tout ça n'est qu'une partie de l'iceberg à vous de découvrir le reste, mais tout est cohérent, logique, même dans les déviances, rien n'est du au hasard. On pense être dans une sorte d'utopie au début et plus l'histoire avance plus nos douces illusions de monde parfait disparaissent.

- La forme aussi est multiple et parfois déroutante, le personnage principal, Mycroft Canner brisant dès le début le quatrième mur en s'adressant au lecteur. Mais on en vient vite à se demander si c'est vraiment à nous qu'il s'adresse réellement. Des chapitres entiers prennent la forme de pièces de théâtre. le vieux français fait aussi des apparitions.

- Les personnages sont tous ciselés à la perfection, des hautes sphères du pouvoir (tous plus beaux les uns que les autres, merci la génétique) aux immuables (ordinateurs humains aux capacités de calcul inimaginables) les caractères sont marqués et finement travaillés. Mycroft, Dominic, Jehovah, Sniper, Saladin, Martin, Bridget tous vont rester un long moment dans ma mémoire.

- Même si j'ai été parfois perdu par un manque évident de culture du 18ème siècle et de certains concepts philosophiques (merci Wiki) j'ai aimé l'équilibre qu'a trouvé l'autrice entre cette période et les années 2400. On se demande au début ce que ça vient faire là mais pas d'inquiétude, explication il y a.

- Et au milieu de tout ça une enquête qui se complexifie de page en page (le dernier chapitre m'a tellement donné envie d'avoir la suite entre les mains). L'intrigue principale/secondaire (je ne sais pas trop où placer l'histoire de Bridget) qui devient de plus en plus sombre. L'histoire et l'univers s'assombrissent au fil de la lecture, le malaise s'infiltre en nous, les masques tombent de tout côtés, la forêt aux belles couleurs et à la belle lumière se transforme, plus on avance en son coeur, en marais putride, humide et malodorant. Il faut quand même reconnaitre que l'histoire n'avance pas très vite et que les amateurs de rythme effréné risquent d'être frustrés.



Pour résumer une lecture exigeante qui je pense divisera le lectorat mais qui pour moi est une réussite totale dont j'attends la suite avec envie et impatience. Merci Ada Palmer.
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Terra Ignota, tome 1 : Trop semblable à l'éclair

Terra Ignota est LE titre de SF de cet automne dont tout le monde parle. Il a été très bien vendu sur les réseaux sociaux et dans les librairie où des auteurs phares comme Ken Liu et Robert Charles Wilson en faisaient l'éloge. Alors forcément, j'ai craqué, surtout que l'autrice est également une historienne et comme c'est ma formation d'origine, ça m'a vraiment attirée. Malheureusement, contrairement à l'enthousiasme général, je ressors assez mitigée de ma lecture.



Ada Palmer démarre sur les chapeaux de roues en nous plongeant tête la première dans un monde tel qu'on n'en a jamais lu. Elle a l'excellente idée d'imaginer un univers où les Etats-nations ont disparu suite à l'invention d'une voiture volante réduisant à presque rien les distances entre chacune, et la philosophie des Lumières est maintenant le socle commun de cette nouvelle humanité. Les gens vivent donc dans des "Ruches" qu'ils choisissent par affinité et non à cause de leur lieu de naissance, sexe, religion, couleur de peau, etc. Dans ce nouveau monde, les termes genrés ont également été en grande partie abolis et la religion est quelque chose qui relève de la sphère très privée. Parlez-en dans un groupe de plus de 2 personnes et vous aurez commis un délit ! C'est dans cet univers que nous allons suivre deux intrigues en parallèle : la découverte d'un enfant qui pourrait faire basculer "les croyances" de ce nouveau monde, et l'enquête sur le vol de la liste des 10 principaux influenceurs dont la publication joue énormément sur les rapports de force entre les Ruches.



En tant que lectrice, j'ai donc eu pendant un long moment, le sentiment d'être complètement perdue dans cet univers complexe et surtout totalement inédit. Terra Ignota est une lecture ardue qui nécessite de s'y consacrer entièrement. C'est agréable de découvrir un système aussi innovant et inventif qui change de tout ce qu'on connait, mais ici, j'ai trouvé que sa présentation manquait de subtilité. J'ai vraiment eu le sentiment au cours de ma lecture d'être étouffée par cet univers, au détriment de l'intrigue, qui était bien effacée. Celle-ci m'a plus semblé être un prétexte que l'élément moteur de l'histoire et je le regrette vraiment. Ce sentiment ne s'est effacé que dans le dernier quart du roman et vu son épaisseur, ce fut trop tard pour me convaincre. J'aime être surprise mais j'aime aussi avoir une trame narrative suffisamment dense pour adhérer aux personnages et à ce qui leur arrive. Découvrir comment fonctionne un monde que je ne connais pas ne me suffit pas.



De plus, je n'ai pas accroché, non plus, à certains aspects de la plume de l'autrice. Oui, elle est agréable à lire dans le sens où elle est très vivante et dynamique. Mais bon sang, a-t-on besoin de tant d'effets de styles totalement pompeux et artificiels. J'ai trouvé ridicule les moments où l'un des héros pensait en ancien français. Les longs passages philosophiques m'ont ennuyée au possible et faisait beaucoup trop "cours de lycée" pour moi. Si j'ai envie d'apprendre des choses sur les philosophes des Lumières, je prends un bouquin de Philosophie ou d'Histoire mais pas un titre de SF. Oui, je sais que certains d'entre vous ne seront pas d'accord et seront content de trouver ça ici, mais pour moi cela manquait trop de subtilité, c'était trop plaqué par paragraphes entiers en plein milieu de l'intrigue, cassant le rythme de celle-ci. Je n'ai vraiment pas aimé et pourtant le siècle des Lumières est mon sujet préféré avec la Révolution française... Et je ne parle pas de la volonté d'effacer toute notion de genre, remplaçant les il/elle par "on" et ils/elles par "ons", mais pas tout le temps. C'est certainement un engagement personnel mais je ne vois pas l'intérêt de le faire disparaitre pour des personnes se considérant ouvertement comme homme ou femme. Ça fait à nouveau très artificiel.



Tout cela est vraiment dommage, parce que quand on fait le tri, qu'on évacue tous ces passages redondants et superflus, il se dégage une intrigue vraiment passionnante faite de ramifications bien vues et avec de bons rebondissements. J'ai beaucoup aimé suivre l'enquête sur la liste, les rivalités entre les différentes Ruches, les magouilles que chacune orchestre en douce et ce vers quoi tout ça nous mène. C'est assez évident mais non moins intéressant à voir se mettre en place. J'ai trouvé le personnage de Mycroft Canner aussi terrifiant que fascinant, tout comme le système qui l'a amené là. Celui de J.E.D.D. Maçon l'est tout autant et il a un gros potentiel pour la suite. La façon dont leur histoire s'imbrique avec d'autres que l'on découvre au fil du tome pour former une vaste trame concernant tout le monde et visant à renverser tout est fascinant. C'est simple mais terriblement efficace, on voit que l'autrice est historienne ici. J'ai moins accroché à l'aspect religieux qui entoure Carlyle et sa découverte, mais c'est mon côté athée.



Pour conclure, j'ai trouvé ma lecture des 647 pages de ce roman fort longue, surtout au début. Certes l'univers est fascinant mais ça ne suffit pas à en faire une bonne lecture pour moi. Il manque un équilibre certain entre worldbuilding et trame narrative, cette dernière ne devenant intéressante que dans la fin de ma lecture. Trop d'effets également de la part de l'autrice ont eu raison de moi parfois. Certes c'est une lecture ardue, mais plus par la forme que par le fond. L'histoire, elle, est simple et prévisible pour toute personne un peu passionnée par l'Histoire ou attentive à ce qui se passe dans notre monde. Je pense donc avoir déjà deviné une bonne partie de la suite et compte m'arrêter là. Ce n'est pas le genre d'univers et de saga qui me passionne en SF.
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Terra Ignota, tome 2 : Sept redditions

En Résumé : J’ai passé un excellent moment de lecture avec ce second tome de ce cycle qui m’a paru encore un cran au-dessus du premier maintenant qu’on s’est habitué à l’univers et a sa complexité. Il nous offre ainsi une histoire qui est à la fois entraînante et pleine de rebondissements, tout en se révélant intelligente et ne laisse pas indifférent. L’univers est toujours aussi intéressant à découvrir que ce soit dans ses notions de groupes, leurs dynamiques et leurs secrets. On découvre un avenir où les religions, les notions de genre et autres « chaînes » ont disparu, mais cela n’est pas sans avoir des conséquences. Une utopie qui, sous les révélations, qui commence à craqueler. Les personnages sont toujours aussi captivants à suivre et à découvrir que ce soit dans leurs jeux de pouvoir, leurs évolutions ou encore leurs visions. Mycroft est un héros toujours aussi ambigu, loin du chevalier blanc et plus près même du monstre, mais qui pourtant ne manque pas de complexité et d’intérêt. Le gros point fort du roman vient clairement de l’aspect philosophique et des nombreuses réflexions que soulève le livre, que ce soit aussi bien sur l’aspect politique que sur nous-même ou bien encore sur nos principes de vies. Surtout il le fait de façon soignée, pertinente, n’imposant jamais de vision, mais nous poussant à réfléchir. Alors après je pourrai regretter le fait que Mycroft cherche à communiquer avec le lecteur, ce qui ne me parait pas toujours utile, ou ne ou deux scènes un peu trop théâtrales, mais franchement là je chipote un peu tant l’ensemble se révèle vivant, intelligent et terriblement efficace. Le tout est porté par une plume soignée, entrainante et je lirai avec grand plaisir et très rapidement le troisième tome.





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Terra ignota, tome 4 : L'alphabet des créateurs

. Quatrième volume de ma plus surprenante découverte en SF depuis bien des années . La société utopique et hyper technologique inventée par Ada Palmer est en train de voler en éclats , la guerre civile mondiale tend à fragmenter en clans antagonistes la terre entière et même à gagner l’espace (Stations spatiales, cité lunaire , base martienne ) où résident les promesses d’un élan futur vers l’ailleurs. L’ensemble des personnages lutte contre l’isolement causé par la faillite du réseau mondial de transport et de communication . Si lointain que paraisse le monde décrit il n’est pas sans échos avec notre situation actuelle et nos angoisses ( guerre, apocalypse technologique) . L’écriture est toujours aussi novatrice , pas facile mais stimulante ,les références aux auteurs des Lumières cèdent la place au grand ancien ,Homère, à travers les figures d’Achille, et Ulysse. Travail très impressionnant d’érudition , d’imagination et de maîtrise du récit (Et chapeau à la traductrice) .
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