Nous sommes au Liban dans les années 60. Imaginez une belle demeure entourée d'eucalyptus, d'orangers, de citronniers, de rosiers et assis sur le perron ensoleillé, Noula, qui veille sur le portail ouvert de cette maison et les allers et venus de tout un monde de colporteurs.
Noula, notre narrateur, est le chauffeur et l'homme de confiance du maître de céans, Skandar Hayek. Cette majestueuse villa se situe à Ayn Chir, banlieue de Beyrouth. Elle est le symbole de la réussite du clan Hayek, tisserands depuis trois générations.
« Nous aussi nous vivions comme si tout allait perdurer, comme si le tissus des jours ne pouvait jamais se déchirer et moi, j'aimais sentir se nouer et se dénouer autour de moi les gestes quotidiens parce qu'ils étaient comme la preuve de l'éternité du monde et des choses ».
C'est ainsi que s'exprime Noula. Avec sagesse et attachement à ce clan, il nous raconte comme il fait bon vivre, à cette époque, dans un Liban apaisé entouré de Skandar Hayek, son patron et homme de caractère, l'acariâtre Mado, soeur de ce dernier en conflit fermé avec Marie, la belle mais froide épouse de Skandar, et leurs trois enfants, Karine, ravissante et libre, Noula, suffisant et incompétent, Hareth, rêveur, épris d'aventures. Tout ce petit monde ne peut vivre sans être entouré de son personnel : Jamilé, la gouvernante, les bonnes et le jardinier. C'est un clan, une famille, même si chacun sait rester à sa place.
Les Hayek sont investis dans la politique. Chrétiens, ils s'entendent très bien avec leurs voisins chiites. Ils ont en commun le même respect quant à leurs engagements.
Malheureusement, ce que l'on aimerait inscrit pour l'éternité, peut un jour basculer « sans crier gare ». La mort subite de Skandar va précipiter cette famille vers un abîme sans fond. Noula nous raconte le déclin inexorable de cette famille. Et pour précipiter un peu plus vite cette famille dans le malheur, son déclin va venir faire écho à celui de ce magnifique pays qu'est le Liban. La guerre civile s'invite jusque dans la propriété des Hayek avec toutes ses conséquences.
A ce moment du récit, les femmes sont seules dans cette grande maison avec comme gardien, notre narrateur Noula. La cohabitation est houleuse entre Mado et Marie, les rancoeurs, les jalousies se libèrent pour faire place ensuite, devant l'adversité, à une grande solidarité, une belle dignité face aux milices, à tous les dangers qui guettent les femmes seules dans ce genre de situation. Cette villa est le dernier symbole de la grandeur des Hayek, elles feront tout pour la protéger et la maintenir.
J'ai refermé ce livre toujours sous l'emprise de l'émotion. Je suis tombée sous le charme de l'écriture addictive de
Charif Majdalani, une écriture comme je les aime, fluide, douce, raffinée. Une écriture qui prend le temps de nous conter, de nous décrire, des paysages, des scènes qui prennent vie sous nos yeux.
Charif Majdalani est née en 1960, il décrit avec réalisme la façon dont la guerre impacte le quotidien des personnes : cela sent le vécu.
J'éprouve une certaine fascination pour ce pays, née certainement de tous les récits que j'ai entendus que ce soit de voyage ou d'amis libanais. Je me souviens de toutes les discussions, de toutes les désespérances, qu'à susciter la guerre civile de ce si beau pays que l'on appelait « la suisse du Moyen-Orient ». Ce fut pour mon entourage une grande tristesse, un véritable tsunami.
Alors sous la plume de ce génial conteur qu'est
Charif Majdalani, le Liban a pris vie sous mes yeux ainsi que la demeure majestueuse des Hayek et le quotidien de tous ses habitants le temps de la lecture d'un livre.