Citations de Chimamanda Ngozi Adichie (1001)
Je voulais dire à la fille que c’étaient entièrement mes cheveux, que je n’avais pas de rajouts, mais les mots refusaient de venir. Je savais qu’elles parlaient toujours de cheveux, de la longueur et de l’épaisseur des miens. Je désirais bavarder avec elles, rire avec elles si fort que je me mettrais à tressauter sur place comme elles le faisaient, pourtant mes lèvres restaient obstinément fermées. Je ne voulais pas bégayer, alors je me mis à tousser puis je sortis en courant et fonçai aux toilettes.
[p193]
Quand Tatie Ifeoma souhaita bonne nuit et partit dans sa chambre, Obiora ralluma la télévision. Assise sur le canapé à côté de Jaja, je regardais les images à la télé, mais je n’arrivais pas à distinguer les personnages au teint olivâtre les uns des autres. J’avais l’impression que mon ombre rendait visite à Tatie Ifeoma et sa famille, tandis que mon vrai moi travaillait dans ma chambre à Enugu, mon emploi du temps affiché au dessus de ma tête. Je me levai peu après et allai dans la chambre pour me préparer à me coucher. Même sans l’emploi du temps, je savais quelle heure Papa avait inscrite pour le coucher. Je m’endormis en me demandant quand Amaka viendrait, et si ses lèvres se tordraient en une mou méprisante quand elle me regarderait dormir.
[p171/172]
Je relevai la tête pour regarder Obiora mastiquer.
« Tu n’aimes pas, Kambili ? » demanda Tatie Ifeoma, ce qui me fit sursauter : jusqu’alors j’avais eu l’impression de ne pas être là, d’être juste en train d’observer une table autour de laquelle on pouvait dire n’importe quoi n’importe quand à n’importe qui, où on pouvait respirer l’air librement et à sa guise.
[p164/165]
Notre société conditionne une femme à vivre comme un échec d'être toujours célibataire à un certain âge. Tandis qu'un homme qui n'est toujours pas marié à un certain âge n'est tout bonnement pas parvenu à faire son choix.
La décoration crème de la chambre à coucher de Papa était refaite tous les ans, mais chaque fois dans un ton de crème légèrement différent. La luxueuse moquette qui s’enfonçait sous vos pieds était d’un crème uni ; les rideaux avaient juste un peu de broderie marron sur les bords ; les fauteuils en cuir crème étaient placés côte à côte, comme si deux personnes étaient assises et partageaient une conversation intime. Tout ce crème se fondait en faisant paraître la chambre plus grande, comme si elle n’en finissait jamais, comme si vous ne pouviez pas fuir même si vous le vouliez car il n’y avait nulle part où se réfugier.
[p61]
Les mots de mes livres scolaires continuèrent à se changer en sang chaque fois que je les lisais. Même quand les examens du premier trimestre approchèrent, même quand nous commençâmes les révisions, les mots n’avaient toujours aucun sens.
[p56]
Dès qu'il sentait que je tirais trop de bonheur de quelque chose qui n'avait rien à voir avec lui, il trouvait le moyen de le rabaisser. Comment peut-on aimer quelqu'un tout en voulant gérer la quantité de bonheur à laquelle cette personne a droit?
Il était étonné qu'elle ne regrette pas tout ce qu'elle aurait pu être. Était-ce un trait de caractère inhérant aux femmes, ou avaient-elles appris à dissimuler leurs regrets personnels, à mettre entre parenthèses le cours de leurs existences, à dédier leurs vies aux seuls soins des enfants ?
-p. 363
Il ne partageait pas leur certitude. Il passait trop de temps à regretter ce qui aurait pu être et à s'interroger sur ce qui devrait être.
- p. 53
Comment pouvait-on regretter quelque chose dont on ne voulait plus ? Blaine désirait ce qu'elle n'était plus capable de lui donner et elle avait besoin de ce qu'il ne pouvait pas lui offrir, et c'était ce qu'elle pleurait, la perte de ce qui aurait pu être.
-p. 20
Kamara essaya d'apaiser Chinwe, pesta contre son bon à rien de mari, puis raccrocha
sans un mot sur sa vie nouvelle ; elle ne pouvait pas se plaindre de ne pas avoir de chaussures à quelqu'un qui n'avait pas de jambes.
(P. 31)
Elle avait fini par comprendre qu'élever les enfants à l'amé-ricaine, ça signifiait jongler d'une angoisse à l'autre, et que cela venait d'une surabondance de nourriture : parce qu'ils avaient le ventre plein, les Américains avaient le temps d'avoir peur que leurs enfants aient une maladie rare sur laquelle ils venaient de lire un article, et ils pensaient qu'ils étaient en droit de protéger leurs enfants des déceptions, du besoin et de l'échec. Parce qu'ils avaient le ventre plein, les Américains pouvaient s'offrir le luxe de se féliciter d'être de bons parents, comme si s'occuper de son enfant était l'exception et non la regle. Au début ça amusait Kamara de regarder des femmes à la télévision parler de leur amour pour leurs enfants, des sacrifices qu'elles faisaient pour eux. À présent, ça l'agaçait. Maintenant que ses règles revenaient obs tinément mois après mois, elle en voulait à ce femmes manucurées, avec leurs bébés conçus sans effort et leurs formules bien tournées comme « pratiques parentales saines ».
(P. 24)
L'homme dit aussi au professeur Hunk: « Pourquoi faut-il que nous parlions toujours de race? Ne pouvons-nous pas être simplement des êtres humains ? » Et le professeur Hunk répond : « C'est exactement le privilège des Blancs, que vous puissiez faire ce genre de réflexion. » La race n'existe pas véritablement pour vous parce qu'elle n'a jamais été une barrière. Les Noirs n'ont pas ce choix. Le Noir dans la rue à New York ne veut pas penser à la race, jusqu'à ce qu'il tente de héler un taxi, et il ne veut pas penser à la race quand il conduit sa Mercedes en respectant la limite de vitesse, jusqu'à ce qu'un flic le force à s'arrêter.
Pour ma part, je considère comme féministe un homme ou une femme qui dit, oui, la question du genre telle qu'elle existe aujourd'hui pose problème et nous devons le régler, nous devons faire mieux.
Nous sommes des êtres sociaux. Nous intériorisons les idées de notre environnement.
Je ressens de l’espoir parce que je crois profondément en la perfectibilité de l’être humain.
Ainsi, au sens propre du terme, les hommes dirigent le monde. Cela s'expliquait il y a un millier d'années parce que les êtres humains vivaient dans un environnement où la force physique était l'attribut essentiel pour la survie ; les plus vigoureux avaient le plus de chances d'être des meneurs. Et les hommes sont en général doués d'une force physique supérieure. (À de nombreuses exceptions près, bien entendu.) Le monde où nous vivons aujourd'hui est complètement différent. L'être le mieux qualifié pour diriger n'est pas le plus fort physiquement.
C'est le plus intelligent, le plus cultivé, le plus créatif, le plus inventif. Les hormones ne jouent aucun rôle dans ces qualités.
Un homme peut être, aussi bien qu'une femme, intelligent, cultivé, créatif, inventif. Nous avons évolué. Nos idées sur la question du genre, en revanche, n'ont pas beaucoup progressé.
"Expulsé". Ce mot faisait de lui un être inanimé. Une chose privée de respiration et d'esprit. Une chose.
Au dessus de nous flottent des nuages bas, semblables à du coton teint, si bas que j’ai l‘impression que je pourrais tendre la main et en extraire l’humidité. Les nouvelles pluies vont bientôt tomber.
Et, je t'en prie, bannis le vocabulaire de l'aide. Chudi ne t«aide» pas quand il s'occupe de son enfant. Il fait ce qu'il est censé faire. Quand nous disons que les pères «aident», nous suggérons que soccuper des enfants est un territoire appartenant aux mères, dans lequel les pères s'aventurent vaillamment. Ce n'est pas le cas.