Citations de Christian Bobin (6229)
L’humain est un tissu qui se déchire facilement.
"Ce qu'on apprend dans les livres, c'est-à-dire "je vous aime". Il faut d'abord dire "je". C'est difficile, c'est comme se perdre dans la forêt, loin des chemins, c'est comme sortir de maladie, de la maladie des vie impersonnelles, des vies tuées. Ensuite il faut dire "vous". La souffrance peut aider - la souffrance d'un bonheur, la jalousie, le froid, la candeur d'une saison sur la vitre du sang. Tout peut aider en un sens à dire "vous" , tout ce qui manque et qui est là, sous les yeux, dans l'absence abondante. Enfin il faut dire "aime". C'est vers la fin des temps déjà, cela ne peut être dit qu'à condition de ne pas l'être. La dernière lettre est muette, elle s'efface dans le souffle, elle va comme l'air bleu sur la plage, dans la gorge. "Je vous aime." Sujet, verbe, complément. Ce qu'on apprend dans les livres, c'est la grammaire du silence, la leçon de lumière. Il faut du temps pour apprendre. Il faut tellement de temps pour s'atteindre. "
C'est quoi, réussir sa vie, sinon cela, cet entêtement d'une enfance, cette fidélité simple: ne jamais aller plus loin que ce qui vous enchante à ce jour, à cette heure.
Peu de livres changent une vie. Quand ils la changent c'est pour toujours, des portes s'ouvrent que l'on ne soupçonnait pas, on entre et on ne reviendra plus en arrière.
Ce n'est pas sa beauté, sa force et son esprit que j'aime chez une personne, mais l'intelligence du lien qu'elle a su nouer avec la vie.
La poésie est le noir du langage sur lequel passent les griffes de la lumière.
Les gens hypersensibles sont en voie de disparition. Ils sont en train d'être effacés, et je crois même (c'est terrible !) qu'on commence à leur demander de s'effacer eux-mêmes discrètement.
[La grande librairie, 4 décembre 2019]
La solitude est une maladie dont on ne guérit qu’à condition de la laisser prendre ses aises et de ne surtout pas en chercher le remède, nulle part. J’ai toujours craint ceux qui ne supportent pas d’être seuls et demandent au couple, au travail, à l’amitié voire, même au diable ce que ni le couple, ni le travail, ni l’amitié ni le diable ne peuvent donner : une protection contre soi-même, une assurance de ne jamais avoir affaire à la vérité solitaire de sa propre vie. Ces gens-là sont infréquentables. Leur incapacité d’être seuls fait d’eux les personnes les plus seules au monde.
Lire, c'est s'éloigner de soi dans le silence.
Nous n'habitons pas des régions. Nous n'habitons même pas la terre. Le coeur de ceux que nous aimons est notre vraie demeure.
Les mains s'éclairent quand elles touchent un livre. Une petite chapelle humaine se dresse dont les limites sont celles du corps. Le vent qui tourne les pages le rafraîchit. Le livre refermé elle disparaît.
Mémé, qu’est-ce qu’il y a de plus important dans la vie ? Je n’ai pas oublié la réponse : une seule chose compte, petite, c’est la gaieté, ne laisse jamais personne te l’enlever.
La mélancolie se lève chaque matin une minute avant moi. Elle est comme quelqu'un qui me fait de l'ombre, debout entre le jour et moi.
LA PENSÉE ERRANTE
Le temps passé dans l'amour n'est pas du temps, mais de la lumière, un roseau de lumière, un duvet de silence, une neige de chair douce.
Être vivant c'est être soit, seul dans son genre.
L'intelligence n'est pas de se fabriquer une petite boutique originale. L'intelligence est d'écouter la vie et de devenir son confident.
On ne peut bien voir que dans l'absence. On ne peut bien dire que dans le manque.
Qui n'a pas connu l'absence ne sait rien de l'amour.
La folle farine : c'est ainsi qu'on appelle la fleur subtile de la farine, si légère que le moindre souffle la disperse. Mes songes, ce matin, sont de cette substance.
P121
On lit comme on aime: on entre en lecture comme on tombe amoureux, par espérance , par impatience.
(" Une petite robe de fête ")