Citations de Dennis Lehane (1474)
Mon propriétaire est un vieux fermier hongrois dont je ne pourrais pas prononcer le nom, même avec un an d'entrainement.
C'était ce que Jimmy, (...) aimait dans ce quartier : la façon dont ses habitants pouvaient soudain effacer une année de souffrances, de récriminations, de lèvres fendues, de soucis de boulot ou de vieilles rancunes et juste décider d'en profiter, comme si rien de mauvais ne s'était produit dans leur vie. (...) Dans le Point, ils organisaient aussi des fêtes entre voisins, évidemment, mais elles étaient toujours prévues longtemps à l'avance, les autorisations nécessaires étaient toujours obtenues, et chacun veillait à ce qu'on fasse attention aux voitures, à ce qu'on fasse également attention aux pelouses — " Méfiez-vous, je viens juste de repeindre cette clôture. "
Dans les Flats, la moitié des habitants n'avaient pas de pelouses, et toutes les clôtures s'affaissaient, alors pourquoi s'emmerder la vie ? Quand on voulait faire la fête, on la faisait, un point c'est tout, parce que, merde, on l'avait bien mérité.
C'est ceux qui signent les chèques qui fixent les règles.
Au fond, tout est dans l’œil de celui qui regarde.
C'est une douce soirée d'été qui sent la pluie. Bobby accompagne Carmen jusqu'à sa voiture. À un moment, il lance un regard de côté, la surprend en train de lui lancer aussi un regard de côté avec un sourire discret, et il songe à la possibilité que ce n'est peut-être pas l'amour qui est le contraire de la haine. C'est l'espoir. Parce que la haine prend des années à se former, tandis que l'espoir peut déboucher au coin de la rue alors même que vous avez les yeux ailleurs.
Je l'ai contemplé de l'autre côté de la table tandis qu'un barbare choisissait dans le juke-box un titre des Smiths. Je hais les Smiths. Je préférerais encore me retrouver ligoté sur une chaise et obligé d'écouter un medley des chansons de Suzanne Vega et Natalie Merchant pendant que des génies de l'art conceptuel se déchirent les parties génitales à coups d'ongles plutôt qu'écouter trente secondes de Morrissey et son groupe chanter d'un ton geignard leur angoisse d'anciens des beaux-arts répétant combien ils sont humains, combien ils ont besoin d'amour, etc. Je suis peut-être cynique, mais si on s'abstient de geindre, on a plus de chances de baiser, ce qui peut constituer une première étape prometteuse.
En trente-deux heures, j’avais essuyé des coups de feu, chuté d’une voiture en marche, écopé d’une fêlure à l’omoplate et d’innombrables éclats de verre dans ma chair, abattu un homme, perdu plusieurs litres de sang, subi douze heures d’interrogatoires hostile dans une petite salle étouffante. Pourtant d’une certaine façon, jamais je ne m’étais senti aussi bien qu’en cet instant où la joue tiède d’Angie me chauffait la main.
Tout ce qu'il avait appris sur la mort, c'était qu'on avait raison de la craindre. Il n'avait perçu le moindre signe d'un éventuel au-delà, jamais lu l'apaisement dans le regard d'un mourant, ni le soulagement à la perspective d'avoir enfin des réponses à toutes ses questions. Il n'avait décelé sur les traits de ses victimes que la certitude de la fin. Une fin qui arrivait toujours trop tôt, à la fois comme une mauvaise surprise et la confirmation lugubre de ce qu'on soupçonnait depuis le début.
On n'a jamais ce qu'on veut, dans la vie, juste ce qu'on peut endurer.
— Les nanas s’imaginent que leur cul leur donne un certain pouvoir. Pour certaines, c’est peut-être vrai, au moins pendant un certain temps. Nous, on s’imagine qu’il réside dans nos couilles et dans nos muscles. Et c’est peut-être vrai. Pendant un temps. (Il secoua la tête d’un air mélancolique.) Un temps très, très court.
(Rivages, p. 183)
Il s'était laissé tellement submerger par le besoin de bouger - d'aller ailleurs, n'importe où, n'importe quand, par n'importe quel moyen - qu'il en avait oublié la nécessité de mettre le mouvement au service d'un but.
- Et si on leur servait de couverture ? répéta Chuck. S'ils nous avaient fait venir uniquement pour les aider à se donner une crédibilité ?
- En clair, mon cher Watson ?
Chuck sourit.
- D'accord, chef. Tâchez de suivre.
- Madame Marino, lors de la séance hier soir, s'est-il passé un fait inhabituel ?
- Rien d'anormal sachant que vous êtes dans un établissement psychiatrique et que notre quotidien n'est pas jalonné de faits "habituels" .
Je sais que la société nous incite à parler des drames que nous vivons, à en discuter avec des amis ou des inconnus compétents, et c'est peut-être réellement efficace. Mais je reste persuadé qu'on a tendance à trop en dire dans cette même société, qu'on attribue à la parole des vertus qui lui font souvent défaut, et qu'à force, on ne se rend plus compte de l'état de complaisance morbide dans lequel elle nous plonge forcément.
Danny, Nora et Luthar jouaient aux cartes sur un vieux drap étalé entre deux cheminées sur le toit de l’immeuble de Salem Street. Il était tard, ils étaient tous les trois recrus de fatigue – Luther avait apporté avec lui l’odeur des parcs à bestiaux, Nora celle de l’usine – et pourtant ils avaient choisi de s’installer là-haut avec deux bouteilles de vin et un jeu de cartes car il n’y avait pas beaucoup d’endroits où un Noir et un Blanc pouvaient se montrer ensemble, et où une femme pouvait se joindre à eux pour boire trop de vin. Lorsqu’ils étaient tous les trois réunis ainsi, Danny avait l’impression de remporter une victoire sur le monde.
C'est un trait de famille chez les Coyne – au moindre sentiment de bonheur, on fuit. Parce que la seule chose susceptible d'arriver après le bonheur est la souffrance.
Nous ne sommes pas qu'une seule chose. Nous sommes des êtres humains. Le pire d'entre nous a du bon en lui. Le meilleur d'entre nous a le cœur qui renferme une part de mal pur. Nous bataillons. C'est tout ce que nous pouvons faire.
(p.403)
Faut toujours que les gens te parlent d’eux, sans arrêt, même s’ils n’ont rien à dire, et ça n’en finit pas. Mais quand il s’agit de montrer ce qu’ils ont vraiment dans le ventre? Alors, là, pas grand chose, Nadia, C’est le vide. Du coup, ils parlent encore plus pour essayer de le cacher, de justifier ce qui peut pas l’être.
(p.154)
Pour moi, ce qui nous distingue des animaux, c'est la possibilité de choisir. Une bête est incapable de maîtriser ses appétits. Contrairement à l'homme. Mon père, en certains moments effroyables, était un animal.
- Ils m'auraient violée, Patrick. J'en suis certaine.
Elle m'a regardé. Un léger tressaillement agitait ses lèvres, qui se sont soudain figées en un sourire - l'un des plus étranges qu'elle m'ait jamais adressé. Au moment où elle me tapotait la main, les coins de sa bouche se sont affaissés, puis son visage tout entier a suivi le mouvement. Les larmes ont jailli de ses yeux alors même qu'elle tentait en vain de retenir son sourire.