François Mauriac a-t-il la place qu’il mérite dans le Panthéon littéraire du XXe siècle ? Je n’en suis pas sûre. Je l’espère.
Le Sagouin est un livre à redécouvrir absolument. Bien avant que des psys de tout bord se penchent sur le problème, et bien après Poil de carotte, ou les romans de Balzac, François Mauriac nous offre le portrait saisissant d’un enfant mal aimé et d’une mère en négatif : Paule ne maltraite pas physiquement son enfant, elle se contente de ne pas faire tous ces petites gestes de tendresse que prodiguent les autres mères. François Mauriac dissèque avec minutie cette famille mal aimante, mal traitante, toute en haine, en rancoeur, où les cris n’ont d’égal que les non-dits.
Le seul mode de communication est la joute oratoire. Elle peut être à fleuret moucheté, quand madame la baronne attaque : elle sait distiller le fiel comme une aristocrate des temps jadis. Elle est explosive, presque mal embouchée, quand Paule éclate. Il n’est jamais de gagnante dans ces luttes cent fois recommencées, pour ne pas dire cent fois jouées – elles n’ont que les arguments qu’on leur a appris, les arguments qui peuvent faire mal, ou qui peuvent séduire. Elles n’ont de pensées que de leur milieu social.
Pas de gagnantes, mais deux perdants : Galéas et son fils Guillaume. Le premier n’ose tenir tête à sa femme, et quand il se décidera à veiller au bonheur de son enfant, ce sera de la seule manière possible. Guillou, lui, est bien présent, et même si, à l’image d’Antoinette, l’héroïne du Bal, sa mère a trouvé moyen de le reléguer dans un débarras plus que dans une chambre, il laisse des traces de son passage, parce que personne n’a envie, à part Fraulein, toujours de prendre un tantinet soin de lui.
Si l’aristocratie, la grande bourgeoisie est montrée ainsi de manière saisissante, l’instituteur et sa femme ne sont pas épargnés. Les hussards noirs de la république sont bien loin. Couple modèle, parents d’un unique fils paré de toutes les qualités, objets de tous les soins, ils sont presque aussi bornés que ceux contre lesquels ils disent lutter. Elle a d’ailleurs bon dos, la lutte des classes, jolie étiquette qui recouvre le conformisme, la jalousie, et la paresse intellectuelle. Instrument involontaire du destin, Robert Bordas sera sans doute le seul à tirer les conséquences de ses actes, le seul qui a pris pleinement conscience de la tragédie qui s’est jouée, là, dans le bordelais.
Les dernières pages sont à ce sujet saisissantes, et s’il fallait les rapprocher d’une autre oeuvre, ce serait sans conteste les poèmes de Baudelaire ou de Tristan Corbière. La poésie des mots, pour des êtres à qui rien n’a été épargnés.
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