Citations de Françoise Lefèvre (254)
L'on sait que l'absence grossit dans la poitrine, fait le cœur énorme et qu'on la porte en plus de son propre poids. Elle est partout, remplit tout...
C'est une expérience de l'extrême que d'attendre et d'espérer un improbable retour.
Qui n'a pas guetté de la sorte derrière une fenêtre, au point d'être changé en statue, ne sait rien de l'absence. Ni de l'attente. Ni de ce temps affreux où l'on finit par retourner à la raison, c'est-à-dire à la réalité.
Personne ne viendra p 128
Nous sommes à une époque d’incessants bavardages, de stériles jacasseries. Dès le jardin d’enfants, la pression est très forte. Un enfant qui parle tôt, au regard des gens et des institutions, est intelligent. Un enfant qui se tait indispose.
Je suis sûre qu’il y a des êtres qui passent leur vie à faire des ronds, d’autres des lignes droites, d’autres des points. Mais dans cette vie il faut bien s’arranger, et l’arrangement pour lequel nous prions le plus c’est sans doute celui qui consiste à regarder vivre et à être regardé, à aimer, à être aimé.
Un voyage en calèche aux portières scellées par des initiales de feu.
Une promenade en traîneau sur une neige brûlante.
Ô l’enchantement des réverbères !
Avant, au commencement de ma vie, je ne savais pas que la joie était un bien si précieux. Je ne savais pas que ce sentiment d’allégresse, mainte fois ressenti depuis l’enfance, c’était la joie. Je l’ai partagé sans jamais m’inquiéter d’en être dépossédée. Rien ne m’abattait. Seules la trahison et la duplicité m’auront mise à genoux.
Mais le corps de Céline, c’est un chêne en marche. Un arbre déchaîné balançant sa chevelure de feu. Elle est la mère, la sœur, l’amante. La figure de proue d’un bateau qui ne peut pas sombrer. Mozart et le blues. Des bras comme des branches pour porter, supporter, emporter. Tenir, soutenir, contenir. Des bras qui ne relâchent pas leur effort. Des bras d’éternité. Des épaules de bûcheronne taillées pour endurer les batailles, les sabres, les chars, les exils, les exodes, la misère, la mauvaise fortune des pauvres gens.
À force de renverser la tête pour scruter le ciel, les yeux vous piquent, on devient saoule de lumière, on s’accroche aux ailes de son enfance et on rit. On rit de cette farce immense.
La vie c'est parfois comme ça, il faut se quitter. Alors, on songe à tous les moments passés ensemble où l'on ne savait pas qu'on était heureux.
Serait-ce aussi cela vieillir : ouvrir une fenêtre sur son enfance et bien au-delà…
Serait-ce cela mourir… ouvrir une fenêtre pour laisser entrer les baisers non reçus… Les amours non vécues… Les années perdues… Les beaux insectes bleus…
C’est inouï le nombre de gens qu’il faut chasser de sa route pour qu’ils ne viennent pas piétiner les joies minuscules d’une journée.
C’est souvent par excès de confiance qu’on se retrouve à moitié morte dans un fossé. Il y a des êtres qui inspirent la prédation. J’en suis.
Les enfants auront été ma joie et mon épuisement. La liberté et ma prison. Ils m’ont toujours donné la force de me relever, de me battre et d’avancer. Je ne sais rien de plus juste, de plus lourd et de plus léger au monde que le poids d’un enfant endormi qu’il faut porter durant une longue marche vers une vie qu’on espère meilleure.
J’avançais avec la force de ceux qui savent tirer des traîneaux, corsage ouvert sur le givre, le froid planté comme une lame dans les gencives. Rien ne m’importait que d’avancer. Le ciel était bleu. La cime de cristal des sapins le transperçait comme le cri d’un alléluia. La neige tombait sur mes épaules. En me touchant, elle me bénissait. D’ailleurs, tout me bénissait. Je me sentais bénie.
Parfois je suis belle, lumineuse, à cause de cet amour que je porte comme une boule de foudre à la place du cœur.
L'amour qu'on vit n'est jamais celui qu'on attend.
"Car parler c'est être mal compris. C'est être déjà trahi."
Il faut être à moitié mort dans le temps présent pour écrire sur le temps passé.
On entend très vite s’élever le choeur des réducteurs d’amour. On est à peine autorisée à prendre le nouveau-né dans ses bras. Il faut presque se cacher pour le tenir contre soi. Ils disent qu’on ne doit pas s’en occuper dès qu’il pleure, cela risque de le rendre capricieux. Il ne faut pas le caresser ni lui offrir à téter chaque fois qu’il le demande. Il ne faut pas lui donner de mauvaises habitudes. Ils disent aussi qu’il faut le laisser pleurer. L’isoler. Ne pas prêter attention à ses cris. Ils disent enfin qu’il faut l’installer dans la chambre tout au fond du couloir. Le plus loin possible et que cela lui apprendra à vivre.
Tout dans notre société est fait pour brutaliser le sentiment maternel. Le dénigrer. Tout est fait pour qu’on se retrouve dépossédée. Les mains vides. Il faut oser aimer le tout petit enfant et oser le dire.
Alors oui, même cette mélancolie peut se transformer en joie puisqu’elle est comme une gerbe de foudre et cela s’appelle l’absence. Et l’on sait que l’absence grossit dans la poitrine, fait le cœur énorme et qu’on la porte en plus de son propre poids. Elle est partout, remplit tout. On aime autrement. On aime la chose infiniment petite. On pardonne au ciel trop grand. Soudain, une conversion s’accomplit. Grâce a l’absence, l’amour est dans tout est dans rien. L’absence est dans les livres, les trains, le regard des gens.