A ce jour, j’ai lu tous les romans « pour adultes » de Guillaume Le Touze, et quelques-unes de ses œuvres pour la jeunesse. Le dernier roman « adulte », « Attraction », date de 2005. Huit années bien longues pour moi (je confesse avoir même contacté dernièrement les Editions Actes Sud pour savoir si une nouveauté allait bientôt paraître…), car je me suis attachée à la voix si singulière de cet auteur français qui ne ressemble à aucun autre, ni dans son écriture, ni dans son personnage d’auteur, car il est sans doute l’un des écrivains les moins médiatiques qui soit. Si vous voulez connaître Guillaume Le Touze, lisez ses livres. Point.
J’ai choisi de parler d’« Attraction », car, outre le fait d’être le dernier opus de l’écrivain, il prolonge le fil de soie débuté avec « Comme tu as changé » en 1992. Comme tous les auteurs précieux et talentueux, Guillaume Le Touze construit une œuvre sous la forme de « Thème et variations ». Les intrigues, les personnages, les époques, sont différentes, mais une mystérieuse familiarité dessine une sorte d’arbre généalogique dont les racines sont visibles et dont chaque livre est une branche qui ne demande qu’à engendrer d’autres branches.
Ce que j’aime par-dessus tout, dans cette œuvre particulière, est le fait qu’elle m’entraîne dans des mondes qui me sont souvent étrangers. En effet, comme dans « Attraction », les personnages engendrés par l’auteur sont souvent des marginaux. Ils portent en eux un monde qui n’obéit pas aux lois policées de la société. Lâchons le mot : ils sont différents. Cette sentence a été décrétée par leurs pairs, les condamnant à un exil intérieur dont ils ne peuvent s'échapper qu’au travers de miracles : miracle de rencontres, humaines, artistiques. Un tel est orphelin en mal de père, un autre homosexuel rejeté, celle-ci est une attardée mentale, celle-là une femme en mal d’enfant. Des maux assez banals, ou pour le moins courants, si ce n’est que chez Guillaume Le Touze chaque être porte en lui une soif d’absolu qui le rend ombrageux, rétif, indiscipliné, exigeant… On a envie de les aimer ces êtres blessés, on les aime, mais on ne sait comment les apprivoiser. Ils ne sont pas sympathiques au premier abord, et j’aime ce refus de racolage facile auprès du lecteur. J’ai toujours peiné à la lecture d’un roman de l’auteur, parce que je ne comprends jamais tout à fait ce qu’il me raconte, que les personnages m’échappent. Mais c’est précisément parce que je ne comprends pas mais que je sais qu’arrivant au bout de ma lecture j’aurai fait un chemin dans l’inconnu et que mon horizon se sera élargi, que je m’accroche aux pages et que je tiens à rester du voyage. La route tracée par l’auteur est constituée de phrases à la beauté âpre, sensuelles, captives, une beauté adolescente et insolente qui se refuse tout en vous allumant… On se surprend à fermer les yeux, suspendre son souffle, laisser la musique s’écouler et le suave poison se diffuser dans ses artères. C’est une littérature organique, mouvante, presque accessible mais qui se dérobe toujours un peu…
Guillaume Le Touze écrit beaucoup pour les enfants. Il y a chez lui quelque chose de pur, d’intact, que l’on retrouve au cœur et au corps de ses personnages cabossés. Les dialogues sont abrupts, violents quelquefois. Au moment où l’on s’y attend le moins, un trait d’humour vous cueille et vous rend le sourire. L’auteur aime ses personnages, il les défend, prend fait et cause pour eux.
La nature a un rôle important. La mer, un paysage de montagne, un sentier escarpé reflètent le paysage intérieur des protagonistes. Tout se gagne, exige un effort, un dépassement de soi. Le désir surprend les corps par la vision volée d’un espace de peau dans l’abandon du sommeil, un parfum de sueur âcre qui vous prend aux tripes. Rien n’est familier à ses êtres à la mémoire morcelée, tout est neuf et premier.
Si vous aimez une fin confortable aux histoires, vous ressentirez une frustration. Mais, au fond, le thème de l’apprentissage de la frustration est sans doute le thème fédérateur chez Guillaume Le Touze. Qui dit frustration, dit choix, qui dit choix, dit renoncement.
Grandir, semble nous dire l’auteur, est laisser en permanence une porte ouverte à l’inconnu qui peut bouleverser et emporter tout sur son passage. Vivre, c’est laisser la fenêtre ouverte même en plein hiver, pour renouveler l’oxygène. Ecrire, c’est porter un rêve comme un cerf-volant au-dessus de sa tête, dans le ciel aussi bleu que celui de la couverture d’ « Attraction », cette part de nous-même insoumise aux lois de la gravité, sauvage et rebelle, notre plus beau trésor.
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