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Critiques de Hannah Arendt (128)
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Condition de l'homme moderne

Le livre s'ouvre par une distinction pédagogique entre vita activa et vita contemplativa, avec cette limite que la seconde ne sera guère abordée en dehors du prologue. Ce prologue nous indique que la vita activa a deux champs d'application, le domaine public et le domaine privé, et trois catégories, le travail, l'œuvre et l'action. Le travail est une activité soumise aux nécessités vitales, dont le produit est aussitôt consommé ; il est le propre de l'animal laborans, producteur de ses propres ressources ; le travail et la consommation sont les deux faces du cycle perpétuel de la vie biologique ; le travail n'a ni début ni fin. L’œuvre est la création d’artefacts durables, que l'on ne consomme pas ; il est le propre de l'homo faber, qui crée un monde façonné par l'homme ; la fabrication a un commencement et une fin précis et prévisibles. L’action, liée à la parole, définit l'homme politique ; elle prend place dans le domaine public ; ses conséquences sont inconnues et illimitées, elles vont au-delà de la portée et de la vie de l'acteur ; l'action peut avoir un commencement défini mais n'a jamais de fin prévisible. On est ici dans le domaine académique, facile à suivre mais pas toujours facile à accepter, en particulier dans la prétendue hiérarchie antique entre le travail, qui définit l’esclave, et l’action, qui définit le citoyen (Laërte, le père d'Ulysse, était roi et cultivait lui-même son potager ; Romulus poussait la charrue, etc.). C’est un reflet non critiqué de la politique antidémocratique d’Aristote.



Le titre original du livre est « The human condition », auquel l’éditeur a ajouté le qualificatif de « moderne ». Le livre de Malraux « La condition humaine » (1933) ne permettait certes pas une traduction littérale, mais l'addition de « moderne » est peu adaptée : l’ouvrage se réfère à chaque page à l’antiquité dans le vocabulaire, l’étymologie, l’histoire, les lois et les auteurs (Platon, Aristote, le droit romain, les évangiles ou saint Augustin) ; il n’aborde l’âge moderne que dans son dernier chapitre p 315. Le seul auteur moderne largement cité est Karl Marx, sur un ton sévèrement critique : L'attitude de Marx à l'égard du travail, c'est-à-dire à l'égard de l'objet central de sa réflexion, a toujours été équivoque. Alors que le travail est une "nécessité éternelle imposée par la nature", le plus humaine et la plus productive des activités, la révolution selon Marx n'est pas pour tâche d'émanciper les classes laborieuses, mais d'émanciper l'homme, de le délivrer du travail ; il faudra que le travail soit aboli pour que "le domaine de la liberté" supplante "le domaine de la nécessité ". […] Des contradictions aussi fondamentales, aussi flagrantes sont rares chez les écrivains médiocres ; sous la plume des grands auteurs elles conduisent au centre même de l’œuvre (P 151).



Le style est souvent péremptoire, parfois exalté (le Spoutnik p 33, la Nativité p 314), avec des incises nombreuses, stimulantes mais souvent peu justifiées dans leur contexte et peu convaincantes :

L'amour, à la différence de l'amitié, meurt ou plutôt s’éteint, dès qu'on en fait étalage (p 91). L’amour, phénomène très rare, il est vrai, dans la vie humaine (p 308)

La bonté doit absolument, sous peine de mort, se dissimuler, fuir l'apparence (p 118)

Le bien, en tant que mode de vie cohérent, n’est pas seulement impossible dans les bornes du domaine public, il est l’ennemi mortel de ce domaine (p 119)

La joie de vivre, qui est celle du travail, ne se trouvera jamais dans l’œuvre : elle ne saurait se confondre avec le soulagement, la joie inévitablement brève, qui suivent l'accomplissement et accompagnent la réussite (page 154).

Avant les temps modernes qui commencèrent par l'expropriation des pauvres et s’occupèrent ensuite d'émanciper les nouvelles classes sans propriété, toutes les civilisations reposaient sur le caractère sacré de la propriété privée (p 102)

Ce n'est pas le principe de la machine à vapeur qui était nouveau mais plutôt la découverte et l'emploi des mines de houille pour l'alimenter (p 200)

La longue préface de Paul Ricœur est pour moitié consacrée à l’ouvrage fameux de HA sur Les origines du totalitarisme ; elle défend comme elle peut les énigmes, paradoxes et apparentes contradictions du présent ouvrage. La quatrième de couverture n’a guère de relation avec son contenu.

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Les origines du totalitarisme, Tome 1 : Sur..

Hannah Arendt déclare en introduction de son livre que "Comprendre, en un mot, consiste à regarder la réalité en face avec attention, sans idée préconçue, et à lui résister au besoin, quelle que soit ou qu'ait pu être cette réalité." Défi ambitieux que celui d'étudier les origines du totalitarisme par le biais de l'antisémitisme. Il est vrai que le cas de la communauté juive se prête particulièrement bien par ses spécificités à ce genre de rapprochement : de l'antisémitisme (porté à son apogée par l'affaire Dreyfus) à la Shoah, il est indéniable que la façon dont les nazis ont instrumentalisé la discrimination juive ait abouti au totalitarisme. Si l'on trouve dans l'histoire du peuple juif, quelques raisons à l'avènement du totalitarisme, l'exposé de Hannah Arendt n'explique pas tout : sa tentative de théoriser le concept de totalitarisme n'est pas convaincante. Les exemples exposés et les comparaisons faites avec le nazisme et le stalinisme ne sont pas toujours pertinents. Les innombrables références et notes de bas de page noient malheureusement le message principal. Le développement parfois confus, perd le lecteur. Si l'approche reste intéressante, l'ouvrage est difficile à comprendre. La pensée de Hannah Arendt manque de clarté. Elle est parfois naïve, alambiquée. Probablement que je n'ai pas saisi toute la subtilité du raisonnement mais c'est sans regrets que je referme les pages de ce livre...
Lien : http://embuscades-alcapone.b..
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Les origines du totalitarisme, Tome 1 : Sur..

Pourquoi eux? La question paraît d'emblée suspecte, parce qu'elle semble justifier l'ignominie. Elle est pourtant nécessaire. Les bribes de réponse d'Hannah Arendt me laissent un peu sur ma faim. Quelque chose échappe encore, et échappera toujours. Certes, il y a les rapports ambigus entre les Juifs et la société, qui va des Juifs de cours, utiles à l'Etat, aux magouilles de quelques financiers véreux, nuisibles, cristalisant sur eux le sentiment diffus de mépris des Juifs. Certes, les Juifs eux-mêmes oscillent entre l'assimilation, jamais complète, et la différence, qui, en devenant individuelle devient essentielle, le Juif ne devenant que le Juif, l'ennemi intérieur, le comploteur, l'exotique se faisant dangereux. Pourtant, on ne peut que continuer à se demander "pourquoi eux?", tant le saut du mépris au massacre est gigantesque, tant la frénésie antisémite a été (et est encore, Toulouse l'a prouvé la semaine dernière) absurde et criminelle. Sans doute faut-il que je lise la suite, celle où Hannah Arendt tent, autre mission impossible, d'expliquer ce qu'est le totalitarisme, ce monstre politique devenu monstre en chair et en os.
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La Crise de la culture

Elle rend fou ou elle passionne, comme le sophiste dans l'antiquité, selon qu'il se trouve face au philosophe, ou face à la jeunesse promise à un avenir politique.



“Je ne suis pas dans le cercle des philosophe, mon métier c'est la théorie politique” (1)



Faire croire en un monde que nous pouvons enrichir, et dont la génération suivante devrait hériter, alors que chacun.e pour soi fait juste ce qu'il.elle a envie de faire.



Cette question ne nous lâchera pas, de l'Antiquité à nos jours. On va en faire l'expérience à travers 8 essais.



FAIRE CROIRE



“Faire croire” est le thème fabuleux proposé cette année en classe prépa scientifique ; et parmi les lectures proposées aux étudiants se trouve le 7ieme essai de ce livre. Comment alors ne pas être tenté.e de voir le livre entier sous ce thème ?



Faire croire que “les vérités de fait” sont des choses en soi, alors que l'être n'est qu'un effet de dire (2). Raconter c'est émettre, et infiniment plus, omettre des vérités de fait.



Question style, Arendt déploie ses punchlines et ses silences ; bref, elle a sa rhétorique et son érudition, produit de la digestion d'une quantité imposante de références ;

Mais maintenant c'est la question de la violence qui ne nous lâchera plus ; elle se demande quelle est réellement l'origine du totalitarisme (comme Sartre demande quand commence réellement la guerre).



Faire croire au “déclin” de l'occident, jusqu'à sa “ruine”, puis désigner comme facteur responsable, “le déclin de la trinité romaine de la religion, de la tradition et de l'autorité”.



C'est la thèse principale du livre, qu'indiquent de façon complémentaire les titres en français et en anglais. « La crise de la culture » ou « Between past and future ».



Faire croire ensuite qu'il ne s'agit pas d'une attitude qui vise désespérément à restaurer une vague situation antérieure.



Elle sait que l'existence a lieu dans la brèche entre le passé et le futur, et qu'elle est plus intense si la brèche n'est plus “comblée” par la tradition. Mais la peur la retient voire la domine.



On ne peut pas, en tous les cas, ignorer l'existence d'une relation complexe entre Arendt, Heiddeger, la philosophie de celui-ci et son adhésion au nazisme. La polémique ne nous lâchera pas, et l'enjeu philosophique non plus.



Faire croire à Heidegger qu'elle ne sait pas compter jusqu'à trois. (1)



Faire croire qu'elle assume un monde autoritaire, alors qu'elle dit trouver “bizarre quand une femme donne des ordres”. (1)



La contradiction se transforme soudainement en accès de violence : “Qui refuse d'assumer cette responsabilité du monde ne devrait ni avoir d'enfant, ni avoir le droit de prendre part à leur éducation” (3)



Dira t'on encore que ses contradictions sont une manifestation de sa liberté ? (4)

Certes, Arendt reconnaît que “notre capacité à mentir confirme l'existence de la liberté humaine”.



Faire croire que “la liberté fit sa première apparition dans notre tradition philosophique à partir de l'expérience de conversion religieuse suscitée par Saint Augustin” etc…



Le concept a dû échapper aux païens, lorsque le “grand théoricien politique romain” les envoyait se faire rôtir pour leur bien. Quant à Arendt, elle les efface une deuxième fois.



Question goût, elle semble avoir un faible pour les petits pères tyranniques. En cas de critique, une seule réponse suffit, et ça vaut pour Platon comme pour Heiddeger etc..

“même si toute la critique de Platon est justifiée, Platon peut pourtant être de meilleure compagnie que ses critiques.”



Faire croire que le “goût debarbarise le monde”, en s'appuyant sur Kant qui déclarait son “horreur du goût barbare”.



Comme penseuse aguerrie, Arendt enchaine les tours de force de ce genre. J'en déduis ici que Eichman était un kantien de mauvais goût.



Faire croire à la vertu de la parole pour prévenir la violence, et penser avec Aristote que « l'homme qui ne parle pas est une plante » ; malheur à celui qui est sourd à la « bonne parole ».



Lorsque Arendt affirme que seul l'homme meurt, on connaît la suite avec Heidegger : « l'animal crève ». Mais son animal, comme la plante d'Aristote, on l'a vu, c'est toujours le barbare. Et le nazisme, c'est encore ce paradigme : « c'est eux ou c'est nous ». le spécisme philosophique a atteint son paroxysme. (Va t'il enfin commencer à craquer ?)



Faire croire à la pluralité du monde, alors que l' “homme moderne” doit s'identifier à sa nature, définie par le bon goût, le bon sens ou la bonne parole. (5)



Le monde doit être “constamment envahi par des étrangers”. Certain.es ont déjà bondi : sommes-nous envahi.es par les barbares ? du calme, Arendt pense seulement aux nouveaux-nés. Il faut bien du sang neuf, et ces étrangers là on les aimera toujours inconditionnellement. Mais précisément, l'idée qu'elle puisse rassurer certains ne me rassure pas du tout.

D'autre part, il est inutile de dire que la violence dans l'éducation laisse peu de chance à la nouveauté d'exister ; celle des enfants comme celle des adultes d'ailleurs.



Un joli lapsus montre d'une autre manière comment le raisonnement tourne sur lui-même : « on peut toujours tirer une leçon des erreurs qui n'auraient pas dû être commises »



Faire croire que ce monde doit se libérer des nécessités de la vie, alors que la libération elle-même est une nécessité de la vie.



Encore une circularité, qu'elle reconnaît à sa façon en parlant du «  besoin qu'avait l'homme de dépasser la mortalité de la vie humaine ».

(Ou comme dit Sartre en un mot : nous sommes condamnés à être libres)



Dans sa vision téméraire d'un monde solide et permanent, Arendt se voit inévitablement entourée de mirages, d'apparitions et de trésors perdus ; finalement envahie par le dégoût du processus vital qui dévore, digère, etc…



Faire croire à l'émancipation des travailleurs, en diminuant le temps libre.



La témérité de la pensée de Arendt a fermé toutes les portes. le cynisme n'est pas une attitude courageuse. Dès le début de ce livre, le travailleur devait se détourner de l'action, associée à la violence (contrairement à la parole). Il devrait maintenant entendre que l'accroissement de son temps libre le laisserait seulement se vautrer davantage dans les loisirs, qui ne consisteraient qu'à dévorer des divertissements.



Y t-il réellement un “monde”, c'est-à-dire une différence de nature au sens de Arendt, entre le divertissement, la surprise que procure l'art, et l'étonnement, “fille de la philosophie” ? (Divertir, surprendre, étonner, la familiarite est étonnante)



Il ne resterait plus au travailleur qu'à s'affranchir en s'élevant dans un métier digne du “monde” civilisé, en laissant son métier actuel exécuté par des nouveaux esclaves qui sont la condition politique du “monde” de Arendt. (6)



“Peut-être que les éboueurs devraient changer de métier”. C'est fait. Cette idiotie pleine de “bon sens” a été prononcée à l'assemblée nationale par une “représentante du monde”.



Enfin, le travailleur devrait entendre la “vérité de fait” - voir plus haut comment faire croire - qu'il sauvera le bien commun, donc son système de retraite, en bossant plus longtemps.



ETC…



Le livre commence et se termine dans la même tonalité.

“….l'aphorisme de René Char, «Notre héritage n'est précédé d'aucun testament», sonne comme une variation du «Le passé n'éclairant plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres» de Tocqueville….”. (7)

Et c'est finalement une auteure prostrée qui entend les témoignages des savants - Planck, Bohr, Heisenberg… - dans le 8ieme et dernier essai ; comme si elle avait constamment face à elle le spectre du totalitarisme. Alors dans cet état de confusion, l'héritage de Arendt éclaire t'il réellement le passé?



Je crois que son enracinement participe à sa propre confusion, et qu'en tournant le dos à la vie, cette idéologie suicidaire participe silencieusement à la 6ieme extinction de masse.

Je crois d'ailleurs que c'est le droit associé à l'idée d'héritage qui ne va pas du tout de soi. Pourquoi devrait-on hériter de la greenwashing machine ? Qu'est-ce qui oblige fondamentalement à hériter de la dette financière ? Quant aux futurs héritiers des 2,8 millions de millionnaires en France, le droit à hériter est-il réellement fondé ? Je pense à l'obésité financière comme à toute forme d'obésité qu'on ne connaît pas habituellement chez le dingo en pleine nature.



NOTES :



(1) Quelques citations de Hannah Arendt viennent d'une variété de textes rassemblés dans “Humanité et Terreur”.

(2) L'être est un effet de dire. Je tire cette expression du livre de Barbara Cassin “L'effet sophistique”.

(3) Dans “La crise de l'éducation” Arendt s'en prend aux nouvelles pédagogies comme celle inspirée par le pragmatisme de John Dewey ; elle vise aussi le "Siècle de l'Enfant" d'Ellen Key. Or, un carnet de notes tenu par la mère de la jeune Hanna est apparu et se trouve publié dans “À travers le mur - notre enfant”. Ce carnet permet à l'historienne Karin Biro de relever «une certaine concordance» entre les étapes de formation d'Ellen Key et celles de Hannah Arendt. Dans son essai sur l'éducation, on assisterait donc au refoulement d'évènements de sa propre enfance. En me risquant beaucoup, je dirais que son obsession du “nous” politique, c'est la recherche de l'unité perdue du foyer avec ses deux pôles père et mère.

(4) On peut commencer à dire avec Spinoza “Les hommes se croient libres ; cette opinion tient en cela seule qu'ils sont conscients de leurs actes et ignorants des causes par lesquels ils sont déterminés.” Et avec René Char : “Ne pas tenir compte outre mesure de la duplicité qui se manifeste dans les êtres. En réalité, le filon est sectionné en de multiples endroits. Que ceci soit stimulant plus que sujet d'irritation.”

(5) Gilles Deleuze remarque dans « Différence et répétition » : le bon sens ou le sens commun naturels sont donc pris comme la détermination de la pensée pure. Il appartient au sens de préjuger de sa propre universalité.

(6) Les principaux thèmes récurrents chez Arendt se trouvent dans la “Métaphysique” d'Aristote, dès les premières lignes du livre 1.

(7) L'aphorisme de René Char «Notre héritage n'est précédé d'aucun testament» est extrait des « Feuillets d'Hypnos ». le poète parle de trésor au sens d'une « enclave d'inattendus et de métamorphoses », Arendt cherche mais n'en voit aucune trace. Elle fait de ce texte un point de départ, en faisant de René Char un « représentant du monde ». Mais voulait-il se laisser représenter, ou représenter quoi que ce soit ?
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Les origines du totalitarisme, Tome 3 : Le ..

Hannah Arendt nous propose dans ce texte dense et précis une analyse très approfondie du système totalitaire mis en place par Hitler et Staline.

J'en retiens, dans le désordre :

-Le mensonge, essentiel dans le système totalitaire vient appuyer " la fuite de la réalité vers la fiction, de la coïncidence vers la cohérence".

-La déresponsabilisation programmée et l'assujettissement par la terreur permettent la pérennité de ce système.

-Les différentes étapes menant à la domination totale sont le meurtre en l'homme de la personne juridique, puis de la personne morale, et enfin de l'identité unique de chacun.

-Les spécificités de l'idéologie totalitaire, qui se distingue de la tyrannie, sont la prétention à tout expliquer, l'émancipation de l'expérience, et l'ordonnancement en une cohérence déconnectée de la réalité.

-La désolation comme "expérience absolue de non-appartenance au monde", détruit la vie privée et provoque la perte du moi. C'est ce qui fonde la domination totalitaire.



En bref, un classique de la théorie politique, à avoir dans sa bibliothèque.

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La Crise de la culture

Essai magistral dont le but est de fournir des clefs sur des sujets aussi variés que les sciences, l'éducation ou le débat public, la crise de la culture se veut un manuel appelant à la réflexion sur la société et sur des grands problèmes sur lesquels tout le monde se doit de donner son avis. Sans jamais tirer de conclusions trop hâtives, Hannah Arendt critique et présente les différents arguments, laissant à son lecteur le soin de pousser la réflexion.



Un livre qui devrait être lu par tous.
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La Crise de la culture

Comme avant la lecture de tout monument, on entre dans "la crise de la culture" avec une certaine appréhension. Sur ce qu'on va y trouver, et sur ce qu'on va en comprendre.



Hannah Arendt développe une philosophie instinctive qui défriche le monde moderne. Elle nous en donne des bases de compréhension qu'elle puise chez les auteurs anciens (principalement grecs, romains et idéalistes), et prouve ainsi, en remettant l'ensemble en perspective, que ce n'est que par facilité qu'on considère le monde actuel comme détaché de son passé par la technologie.



On aurait tort de se priver de ces bases de compréhension que Hannah Arendt nous offre dans un langage par moment ardu, mais compréhensible de tous. Et de ne pas profiter du cours d'histoire de la philosophie politique que cet ouvrage contient de fait.

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La liberté d'être libre

Un petit essai retrouvé depuis peu qui semble avoir voulu être un livre avant que l'autrice ne meure.

Comme toujours avec la philosophe, sa réflexion est enrichie de citation de ses pairs et surtout elle mène à cette administration qui broie et qui s'organise sur les cendres encore chaudes d'une révolution qui a plusieurs visages et profite trop souvent à ceux qui savent garder le pouvoir ou pire le prendre.
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A propos de l'affaire Eichmann

Ce titre regroupe :

- Une interview de Karl Jaspers (par Peter Wyss) sur la polémique engendrée par l'ouvrage d'Hannah Arendt

- Une intervention d'Alexander Mitscherlich

- Une discussion d'Hannah Arendt avec les étudiants juifs

- Un discours d'Hannah Arendt sur les problèmes juridiques du jugement d'Eichmann à Jérusalem



La publication d'Hannah Arendt "Eichmann à Jérusalem" a engendré une vive polémique car elle a constaté que Eichmann n'était pas un bourreau sanguinaire assoiffé de sang juif (comme attendu par des personnes à soif de vengeance) mais un "opérateur de 2nde zone" qui faisait méthodiquement son boulot, respectant les ordres, de logisticien (nos actuels cadres qui ne connaissent qu'Excel et PowerPoint) sans prendre conscience de ce qui se tramait derrière.

Il a une fois détourné un train, mais sa conscience s'est éteinte pour ne plus qu'exécuter que les ordres.

(Cf l'expérience de Milgram, sachant que là l'autorité ne reposait pas sur une simple blouse de médecin, mais sur tout un système perverti par Hitler).

Une inversion de valeurs provoquée par l'environnement et l'environnement du IIème Reich devait être très lourd et étendu.



Elle alarme en disant que cette "extermination administrative" pourrait se reproduire.

Les trop sots pour être utiles, les handicapés, les divergents...



Et quand Emanuel Macron dit dans une gare qu'il croise "ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien", quand Laurent Alexandre parle des "dieux et des inutiles" devant les étudiants de l'X citant Harari et son "Homo Deus", je ne peux m'empêcher d'avoir des frissons et même d'avoir peur.

Et que dire de Bolsonaro et autre dirigeants...



Je me suis déjà posé la question "le néo-libéralisme peut-il mener au totalitarisme".

(Cf https://www.babelio.com/livres/Arendt-La-nature-du-totalitarisme/234496/critiques/2778588).



Je me pose désormais la question : le néo-libéralisme peut-il conduire à une "extermination administrative" ?



Citons aussi la fiction "Soleil vert".



Sans vouloir jouer les Cassandre, méfions-nous !



Livresquement votre.

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La liberté d'être libre

Cinquante ans après, la lucidité de Arendt garde toute son acuité. Belles réflexions sur les systèmes révolutionnaires et la place de l'homme au sein de ceux-ci.
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Condition de l'homme moderne

Ce livre m'a mis face à des idées inconnues. J'ai été plus marquée par sa façon de présenter l'évolution de la société que sa longue dissertation sur les trois types de "vies", mais j'ai tiré beaucoup de questions et d'idées de son travail. Arendt est réputée pour avoir créée une philosophie politique unique, et son point de vue, soigneusement construit et présenté, pose des éclairages tous particuliers sur les événements que l'on connaît. C'est un ouvrage qui fait réfléchir.
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A propos de l'affaire Eichmann

Si aujourd'hui la théorisation de "la banalité du mal" par Hannah Arendt est une référence que tout un chacun devrait avoir à l'esprit, à l'époque où elle publie son rapport du procès Eichmann ("Eichmann à Jérusalem"), l'autrice fait face à de vives critiques et réactions épidermique. À tel point que, peu de temps après sa parution en Allemagne sous forme de livre, un recueil de ces réactions voit lui aussi le jour sous l'intitulé "Die Kontroverse. Hannah Arendt, Eichmann und die Juden."



Les textes publiés ici par les éditions de l'Herne eurent pour but de répondre à la polémique. On y retrouve une interview de Karl Jaspers qui reprend point par point les éléments jugés problématiques par certains (à savoir le rôle de la résistance allemande, celui des organisations juives, la banalisation d'Eichmann, la question du cadre juridique). Elle est suivie d'une intervention d'Alexander Mitscherlich, de notes d'Hannah Arendt autour d'une discussion avec des étudiants juifs et d'une conférence donnée par elle a la Law School De Yale, précisément sur les problèmes juridiques du procès Eichmann.



Il en ressort un esprit brillant, apte à regarder et nommer les faits tels qu'ils sont, sans a priori d'aucune sorte ni parti pris préconçu. Lorsqu'elle relève des éléments, Hannah Arendt le fait dans un esprit académique, non pas pour les juger ou pour faire des reproches (ce n'est ni son travail ni son but) , mais pour les questionner et lancer des pistes de réflexion. Elle nous permet, entre autre, de réfléchir à nos sociétés à la manière dont elles sont organisées et à l'ensemble de cette machine qui permet qu'un individu lambda accepte l'inacceptable.
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La nature du totalitarisme

Il s'agit d'une relecture.

Je l'avais lu il y a bien une 15aine d'années.

Mais je devais le relire pour (ou tenter de) répondre à cette question : Le néo-libéralisme peut-il amener au totalitarisme ?

Dans ces textes, l'autrice analyse (d'une manière non linéaire et touffue, mais c'est son mode de pensée) ce qui peut amener aux totalitarismes : Nazisme et communisme (bolchévique surtout car elle élude le maoïsme, normal car en 1953 Mao était encore adulé).

Elle fait la distinction entre totalitarisme et fascisme (Mussolini) et dictature (Franco).



Elle estime qu'il faut plusieurs éléments :

- Une idéologie,

- Une société fragmentée ou atomisée,

- Des individus se sentant seuls et sans pouvoir d'action,

- Un élément accélérateur (la haine du juif ou du bourgeois),

- Un élément déclencheur, un leader qui allume la mèche (Hitler, Staline)



Même si comparaison n'est pas raison, le néo-libéralisme n'est-il pas une idéologie ? Voire la religion du dieu Argent ?

Nos sociétés ne sont-elles pas fragmentées ?

Notre pouvoir d'action citoyen n'est-il pas réduit (referendum de 2005, règles imposées par la commission européenne pourtant non élue, la troïka sur la Grèce)

Nos libertés individuelles ne sont-elles pas entamées ? (répression violente des gilets jaunes voire des anti pass sanitaire, le pass sanitaire lui-même - présenter un "laissez passer pour aller boire un café, qui' l'aurait imaginé il n'y a que 3 ans en arrière !)

La haine du migrant, du musulman, du terroriste ne ferait-il pas un élément déclencheur.



Je ne veux pas jouer les Cassandre, mais la période actuelle m'inquiète...



Humainement et livresquement votre
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Eichmann à Jérusalem

A travers cet ouvrage essentiel, Hannah Arendt analyse non seulement : le procès de Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961, mais également tout le contexte historique qui a conduit à l’horreur de la Shoah.



Il est stupéfiant de constater que lors de son procès, Eichmann prétendait ne pas se sentir responsable de la mort, de qui que soit, uniquement sous le prétexte ahurissant, qu’il n’aurait tué personne de ses propres mains (ce qui reste à démontrer).

Pour lui, le fait, comme il disait : d' »aider et d’encourager » à l’extermination de MILLIONS d’êtres humains, ne relevait aucunement de sa propre responsabilité.

Selon Eichmann, il ne faisait que son « devoir », il obéissait aux ordres, et cela ne lui posait donc aucun problème de CONSCIENCE.

« Arguments » évidemment, totalement inacceptables face à l’ampleur des FAITS et… de la MORALE !



Le seul moyen grotesque qu’il trouva pour sa défense, fut de MENTIR de manière éhontée.

En effet, sa seule stratégie aberrante de défense était donc de tout nier en bloc, alors qu’il été accusé d’être l’un des principaux organisateurs et responsables de l’horreur que fut : « La solution finale de la question Juive. »

Voici ce qu’il osa déclarer pendant son procès, page 75 :



« Je n’avais rien à voir avec l’assassinat des Juifs. Je n’ai jamais tué un Juif ni d’ailleurs un non-Juif – je n’ai jamais tué aucun être humain. Je n’ai jamais ordonné qu’on tue un Juif ou un non-Juif. Je ne l’ai simplement pas fait. »



Ce que Eichman acceptait donc éventuellement (ce qui pour lui ne paraissait étonnamment pas grave), c’était d’être « juste » coupable des crimes énoncés, page 430 :



« Il convient de rappeler qu’Eichmann avait affirmé de façon inébranlable qu’il n’était coupable que d’avoir « aidé et encouragé » l’exécution des crimes dont on l’accusait, qu’il n’avait jamais, personnellement, commis un crime manifeste. »



Hannah Arendt suggère qu’il s’était enfermé dans un schéma mental « d’automystification », en se mentant à lui-même afin de se dédouaner de sa propre responsabilité.



Alors, « automystification » ET/OU purement et simplement, ignoble ruse mûrement réfléchie pour tenter d’amoindrir son degré de responsabilité ?



Car en effet, à la fin de la guerre ce même bourreau, Eichmann, se vantait auprès des SS, d’avoir fait parti des principaux tortionnaires de cette barbarie, pages 113 et 114 :



« Je sauterai dans ma tombe en riant, car c’est une satisfaction extraordinaire pour moi que d’avoir sur la conscience la mort de cinq millions de Juifs » (ou « ennemis du Reich », c’est-ce qu’il a toujours prétendu avoir dit). »



Compte tenu de l’immensité des crimes, le Tribunal considérant judicieusement qu’il ne s’agissait pas d’un crime « ordinaire », le jugement porta donc sur la responsabilité globale de Eichmann, dans ses gigantesques Crimes contre l’Humanité et Génocide, page 430 et 431 :



« Considérant ses activités à la lumière de l’article 23 de notre code pénal, nous estimons qu’elles étaient essentiellement celles d’une personne sollicitant les conseils d’autrui, ou donnant à autrui des conseils et d’une personne qui en aidait d’autres ou leur permettait d’accomplir des actes criminels ». Mais « comme le crime en question est aussi énorme que complexe, qu’il supposait la participation d’un grand nombre de personnes, à différents niveaux et de différentes manières – les auteurs des plans, les organisateurs, les exécutants, chacun selon son rang – il n’y a pas grand intérêt à faire appel aux notions ordinaires de conseils donnés ou sollicités dans l’accomplissement du crime. Car ces crimes furent commis en masse, non seulement du point de vue du nombre des victimes, mais aussi du point de vue du nombre de ceux qui perpétrèrent le crime et, pour ce qui est du degré de responsabilité d’un de ces nombreux criminels quel qu’il soit, sa plus ou moins grande distance par rapport à celui qui tuait effectivement la victime ne veut rien dire. Au contraire, en général le degré de responsabilité augmente à mesure qu’on s’éloigne de l’homme qui manie l’instrument fatal de ses propres mains. »



Ce qui est certain, c’est que Eichmann n’était : ni fou ni idiot, mais un individu « normal », totalement dénué de toute conscience morale, incapable de faire la distinction entre le Bien et le Mal ; ce qu’exprime parfaitement Hannah Arendt, page 495 :



« Il n’était pas stupide. C’est la pure absence de pensée – ce qui n’est pas du tout la même chose que la stupidité – qui lui a permis de devenir un des plus grands criminels de son époque. »



Puis, toujours, page 495 :



« Qu’on puisse être à ce point éloigné de la réalité, à ce point dénué de pensée, que cela puisse faire plus de mal que tous les mauvais instincts réunis qui sont peut-être inhérents à l’homme – telle était effectivement la leçon qu’on pouvait apprendre à Jérusalem. Mais ce n’était qu’une leçon, ce n’était pas une explication du phénomène ni une théorie à ce sujet. »



Comme pour Rudolf Hoess le Commandant d’Auschwitz et de Franz Stangl le Commandant du centre d’extermination de Treblinka, on constate chez Eichmann l’absence de folie au sens pathologique du terme, car il était parfaitement déterminé à accomplir les ordres et les missions qui lui étaient confiés, concernant la : « Solution Finale ».



Il était ambitieux voire zélé dans l’accomplissement de son infâme « mission » exterminatrice.

De plus, il éprouvait à la fois un très grand mépris et une indifférence totale pour LA VIE HUMAINE. C’est ce que Hannah Arendt nomme la : « Banalité du MAL ».



Il n’est pas rassurant de se dire que de tout temps (passé, présent, futur) des hommes sont capables d’éprouver consciemment, une indifférence voire une certaine jubilation dans l’anéantissement d’AUTRUI. Et lorsque ces hommes se retrouvent à des postes à responsabilités dans des régimes Totalitaires, alors, ils sont capables d’exterminer des masses inouïes d’individus !



Il est tout aussi effrayant de constater que des : Eichmann, des Hoess, des Stangl, etc.., se comptaient par milliers en Allemagne, aux ORDRES du IIIème Reich d’Hitler, pendant la Seconde Guerre Mondiale. Certes, à des postes moins importants, mais en revanche, ce sont ces bourreaux qui étaient chargés de la basse besogne consistant à massacrer des populations entières, comme par exemple, les bataillons exterminateurs SS (les Einsatzgruppen).



Quant à la « passivité » d’une partie du Peuple Allemand (comme en France d’ailleurs, sous le Gouvernement de Vichy) dans la politique du IIIème Reich, cela relève d’un autre grand débat…



Eichmann fut condamné à mort le 15 décembre 1961 et pendu le 31 mai 1962.



Confer également d’autres ouvrages aussi passionnants sur le même thème, de :

– Gitta Sereny « Au fond des ténèbres : un bourreau parle, Franz Stangl, commandant de Treblinka » ;

– Tzvetan Todorov Mémoire du mal, Tentation du bien : enquête sur le siècle ;

– Tzvetan Todorov Face à l’extrême ;

– Rudolf Hoess Le commandant d’Auschwitz parle ;

– Hannah Harendt Le système totalitaire : Les origines du totalitarisme ;

– Shlomo Venezia Sonderkommando Sonderkommando : Dans l’enfer des chambres à gaz ;

– David Rousset L’Univers concentrationnaire ;

– Primo Levi Si c’est un homme ;

– Primo levi Les Naufragés et les Rescapés : Quarante ans après Auschwitz ;

– Michel Terestchenko Un si fragile vernis d’humanité : Banalité du mal, banalité du bien.
Lien : https://totalitarismes.wordp..
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Les Origines du totalitarisme, suivi de Eic..

C'est une oeuvre brillante et intéressante. Hannah Arendt s’intéresse avant tout à la pensée et son implication dans les système totalitaire. Son livre nous concerne d'autant plus que notre pays connaissait il y a moins de 100 ans l'Occupation. Einchmann à Jérusalem est une analyse de philosophe dans un contexte journalistique. Elle développe dans ce livre sa théorie sur la banalité du mal. Je conseille de lire cela après 1984 pour bien comprendre la mécanique des régimes totalitaires.



Bonne lecture, RL
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Eichmann à Jérusalem

Le 27 janvier 2015 a eu lieu les 70 ans de la libération du camps de concentration et d’extermination d’Auschwitz par les russes.

A cette occasion, il y a eu plusieurs émissions fort intéressantes dont celle en 8 épisodes « Jusqu’au dernier : la destruction des juifs d’Europe » de William Karel et Blanche Finger (émission d’ailleurs très intéressante et que je conseille!).



Je l’ai regardé et je me suis souvenue que depuis plusieurs mois, j’avais dans ma PAL Eichmann à Jérusalem d’Hannah Arendt. J’ai donc décidé de le sortir pour le lire.



Je dois avouer que je n’osais pas trop me lancer dedans, j’avais peur que l’écriture d’Hannah Arendt soit trop compliqué, voir même inaccessible si on ne faisait pas régulièrement de la philosophie. Et en fait, pas du tout. Evidemment, ce n’est pas une écriture facile, mais j’ai pu me plonger dedans et si j’avançais lentement, j’avançais sans problème!



Il est toujours difficile de faire la critique de ce genre de livre. Je vais donc parler de ce qui m’a marqué :



Je suis contente d’avoir lu cet essai, j’ai appris beaucoup de choses, même si je ne suis pas toujours d’accord avec son avis.



Les passages que j’ai « préféré » (difficile d’utiliser ce mot…les chapitres où j’ai le plus appris on va dire) sont les chapitres qui détaillent les déportations dans les différents pays. On voit qui a collaboré, qui est allé au devant des souhaits des allemands et qui au contraire, a résisté et protégé ses juifs (parce qu’il y en a eu!!).



Je savais que ce texte avait soulevé une grosse polémique à sa sortie (il y a eu un film l’année dernière je pense, retraçant cette polémique sur la « banalité du mal »). On a été jusqu’à accuser Hannah Arendt de défendre Eichmann, d’essayer de l’excuser.



J’ai été très (mais vraiment) attentive durant toute ma lecture à la moindre phrase qui pourrait donner à croire qu’Hannah Arendt essayait d’excuser, ou prenait la défense d’Adolf Eichmann. Et franchement, en toute honnêteté, il n’y en a pas. Elle se contente de rester neutre et de décrire ce qu’elle voit et pense.



Son « problème » a été qu’elle ne s’est pas contentée de rester à la surface des choses: L’Allemagne nazie en tant que grande méchante et les autres en tant que gentilles victimes.



Dans son analyse, elle ne s’en prend pas qu’au nazisme. Elle s’en prend aussi aux autres pays occupés, ou alliés de l’Allemagne qui ont parfois largement contribué aux déportations et elle s’en prend aussi aux juifs (ce qui a choqué): les sionistes qui ont collaborés au début avec le Reich, les juifs qui ont envoyé les leurs à la mort pour sauver leurs intellectuels, les comités qui donnaient des listes entières de noms dans les ghettos…



Il faut le dire, sans la collaboration des autorités des pays et même des juifs, jamais les nazis n’auraient pu tuer autant de juifs. Jamais. Cela c’est d’ailleurs vérifié dans les rares pays qui ont refusé de livrer leurs juifs.



Mais Hannah Arendt ne s’arrête pas là, elle pointe du doigt autre chose, de très malsain et dangereux : les différences qu’on fait entre les être humains et ici entre les différents juifs : L’idée que certains méritaient plus de vivre que d’autres.



Cela permettait aux personnes de « calmer » les consciences des autorités et des complices : Les juifs allemands contre les juifs polonais, les juifs décorés et combattants de la 1ère guerre mondiale contre les autres, les juifs « connus » contre les pauvres inconnus…



Et donc toutes les personnes qui « sauvaient » les juifs qu’ils pensaient plus « important » faisaient le travail des nazis, en faisant des différences entre les êtres humains.

Je comprends que cela ait vraiment fait scandale à l’époque, on était pas encore prêt à entendre ça.



Il y a également sa théorie de la banalité du mal : comment des hommes « normaux » pouvaient perpétrer de tels crimes? Comment pouvait-on accepter, sans résister, sans réfléchir d’assassiner des milliers et des milliers de personnes? Il est tellement plus simple de penser que ces personnes sont d’abominables monstres, sans conscience. Mais comment peut-on y croire quand des millions de personnes, des nations entières sont concernées?



Pour Hannah Arendt, Adolf Eichmann était une sorte de pauvre type, bureaucrate et fidèle à l’extrême. Il se contentait d’obéir sans réfléchir et n’était pas particulièrement intelligent. Il obéissait tout simplement (ce fut d’ailleurs sa défense, comme tous les nazis : on devait obéir aux ordres).



Je n’en suis pas si sûre que ça. Je pense qu’en effet, Eichmann était vantard, qu’il voulait de l’avancement, mais je pense aussi qu’il était intelligent et qu’il savait parfaitement ce qu’il faisait. Et que puisque personne ne disait rien, il ne voyait pas pourquoi, lui, devrait dire quelque chose.

Je pense vraiment qu’il était antisémite et que le sort des juifs ne l’intéressait pas plus que ça : émigration ou solution finale, cela ne changeait pas grand chose, il fallait qu’ils partent.



Il y a des enregistrements de lui qui cassent avec l’image de l’homme un peu borné et mouton qu’Hannah Arendt voulait donner, (je trouve), ce qui m’empêche de le voir comme juste un exécuteur et c’est tout. Pour être arrivé jusqu’à là (parce que, certes ce n’était pas Himmler, mais ce n’était non plus un fonctionnaire inconnu, il est quand même bien monté dans la hiérarchie nazie), il ne pouvait pas juste suivre la masse.



Hannah Arendt critique aussi la manière dont le procès s’est déroulé : alors que cela aurait dû être le procès d’Adolf Eichmann, on en a profité pour en faire un grand procès sur la Shoah.



C’est assez logique, le procès de Nuremberg, où les plus grands criminels nazis encore vivants ont été jugé, la Shoah a été « noyée » dans toutes les autres atrocités de cette guerre.

Il n’y avait pas eu de véritables procès sur le génocide juif et Jérusalem a profité de l’arrestation d’un des derniers « grandes personnalités nazies » pour le faire. Il y a eu donc un procès très long, avec des témoignages qui n’avaient finalement rien à voir avec Eichmann, de fausses accusations…



Il y a bien évidemment encore énormément de choses à dire sur cet essai, mais cet article est suffisamment long et j’ai parlé de ce qui m’a marqué le plus, je vais donc m’arrêter là.



———————————————



Je suis donc contente d’avoir lu cet essai, même si j’ai eu un peu de mal à la fin. C’est vraiment un texte intéressant, mais je pense qu’il faut savoir prendre du recul par rapport à la polémique de l’époque. C’est tout de même un texte assez passionnant, que je conseille, si vous avez envie d’en savoir plus.
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Condition de l'homme moderne

Ça y est ! J'ai gravi la page 404! Je viens juste de me retourner pour admirer le panorama vu d'ici.

Ouah! C'est beau quand même, désolé je suis un peu à bout de souffle là..

En tous cas merci à Hannah pour cette belle expédition philosophique, merci à Maurice le chat qui m'a été fidèle avec ses ronrons jusqu'au bout, à ma femme qui m'a toujours soutenu dans les moments de découragement, au pin parasol qui m'a procuré une ombre précieuse, au réfrigérateur qui gardait le vin au frais, à toute cette équipe que j'ai imaginé me suivre du fond de ma chaise longue...

Pour y arriver je me suis juste entraîné avec Eichmann à Jérusalem, j'ai écouté quelques émissions sur le sujet et puis j'ai glané pas mal d' informations sur le Net... Rien de très sorcier en vrai.

Je sais que je n'étais pas très bien préparé , j'ai beaucoup misé sur le mental et puis la chance bien entendu.

Maintenant c'est fait, je suis content de l'avoir réalisé mais je dois pas oublier que c'est toujours dans le cadre d'une préparation, j'ai d'autres projets plus ambitieux, escalader la critique de la raison pure par la face Nord ou pourquoi pas reprendre l'être et le Néant mais sans escale cette fois-ci....je sais c'est pas très prudent mais c'est ça qui fait la beauté de l'aventure .

Avant tout je vais profiter de mon retour en famille pour en profiter un peu, me ressourcer mentalement, faire le point, analyser mon parcours à froid, et faire profiter de mon expérience formidable à d'autres adeptes de la discipline...

Qui sait, ça peut donner envie aux jeunes générations

Viva la vita hyper-activa!

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Condition de l'homme moderne

C'est le chapitre Travail qui m'a retenu : de l'Antiquité à nos jours, de Platon et Aristote, à Locke, Marx et Friedman,

Arendt renseigne sur la notion de Travail vs Œuvre en différenciant le travail servile qui justifie l'esclavage et le travail civique des citoyens éclairés au service de l'ancienne Cité.

Les différentes notions sont clairement exposées : travail jeu, passe temps, corvée, travail qualifié et non qualifié, productif et improductif, ce qui oppose 'l' animal laborans » de Marx à « l'homo faber » dont les œuvres ou chefs d’œuvre, échappant au cycle de la nature et de la nécessité, sont appelés à « durer ».

On y passe en revue les notions de « valeur », de bonheur, de propriété. Travailleurs ou consommateurs, parfois les deux...

Cette lecture éclairante permet au lecteur de poser les questions qui lui viennent à l'esprit, et qui seront abordées dans les chapitres suivants, l’Oeuvre et l'Action, avant de proposer des choix pour l'âge moderne.

Préface de Paul Ricoeur.
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La liberté d'être libre

Cet essai que je pensais purement philosophique s'est en fait révélé une étude comparative et historique des révolutions américaine et française de la fin du XVIIIème siècle.



C'est bien le lien entre "liberté" et "révolution" qui y est étudié et démontré et tout cela n'est pas bien réjouissant.



Édifiant cependant, car rédigé par un cerveau hyperdocumenté associé à une réflexion poussée sur les événements qui ont amené l'état actuel du Monde (fin des années 60, manifestement pas aussi loin qu'on le croirait), Hannah Arendt y fait figure de Pythie avant-gardiste et met en garde contre des notions abstraites et carrément effrayantes.



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Considérations morales

Ce passionnant Essai de Hannah Arendt sur la Pensée, lui permet de revenir sur le concept qu'elle a élaboré lors du procès de Eichmann (ancien cadre du régime Nazi et responsable de l'organisation du massacre de millions de Juifs) à Jérusalem en 1961, celui de « la banalité du mal ».



En effet, pour Hannah Arendt, malgré l'horreur des crimes commis par Eichmann (et tant d'autres Nazis…), son profil ne relève pas d'une pathologie spécifique, mais plutôt d'une « extraordinaire superficialité », d'une profonde et totale incapacités à Penser par lui-même : il appliquait froidement l'Idéologie criminelle du III Reich, sans aucune mauvaise conscience.

L'auteur en déduit donc qu'il n'y a pas que les « monstres » qui sont capables de commettre un « mal infini », mais également « Monsieur-tout-le-monde » et cela sans aucune motivation haineuse particulière.



Car Hannah Arendt reprend la distinction que faisait Kant entre : la Pensée et la Connaissance.

Entre les deux, seule la Pensée permet de juger entre : le Bien et le Mal.



Finalement, chaque individu possède la capacité de Penser par lui-même et est donc capable de s'en servir…, à bon ou à mauvais escient…



Confer également d'autres ouvrages aussi passionnants sur le même thème, de :

– Hannah Arendt Eichmann à Jérusalem ;

– Hannah Arendt le système totalitaire : Les origines du totalitarisme ;

– Michel Terestchenko Un si fragile vernis d'humanité : Banalité du mal, banalité du bien ;

– Tzvetan Todorov Mémoire du mal, Tentation du bien : enquête sur le siècle.
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