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Critiques de Henri Michaux (139)
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L'Himalaya cahin-caha

Merci à Babelio et aux éditions densité pour l'envoi de ce magnifique livre.

Tout est beau dans cet album jeunesse, le texte un extrait du livre «un barbare en Asie » d'Henri Michaux, les illustrations de Carlos Mine que j'adore surtout celles des femmes népalaises toutes mignonnes, et effectivement l'envie de le découvrir plus, mettant inconnu, comme Fanfanouche24 je découvre qu'il est décédé en 2016,

Cet album est somptueux et luxueux d'une part par la qualité de sa reliure, l'originalité de son format et d'autre part par son texte et ses illustrations. Un beau moment de lecture qui enchantera les petits comme les grands.

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Plume (précédé de) Lointain intérieur

Recueils qui se suivent mais ne se ressemblent pas tout à fait, Plume et Lointain Intérieur, tous les deux publiés en 1938, présentent deux facettes d’Henri Michaux. Autant j’en connaissais une, plutôt à mon goût, celle de Lointain Intérieur, qui m’a fait penser en de nombreux points à Connaissance par les gouffres, ou Misérable Miracle, lus il y a un certain nombre d’années, autant j’ai découvert avec plus de perplexité celle de Plume.



Lointain Intérieur, c’est une poésie viscérale et profondément vivante, jouant le grand écart entre rigueur limite classique et exploration hors du commun de tous les possibles, autant sur les sons, que sur les sens, les sensations, les rythmes, ou encore les images. C’est une expérience d’une force fulgurante en somme, qui tente de transformer le quotidien et l’intérieur humains en une altérité prodigieuse, d’un surréalisme poussé à son paroxysme, qui m’a personnellement séduite.



Plume, c’est plutôt un personnage poussé cette fois au paroxysme de l’absurde, dans une série de saynètes à mon sens moins proches de la fulgurance poétique qui précédait dans les recueils déjà cités. Les saynètes sont déjà davantage calibrées quant à leur taille, à la manière de poèmes en prose plus longuement développés, mais dans lesquels j’ai eu plus de mal à trouver une véritable poésie, et un véritable intérêt finalement. Certes, l’on est toujours au cœur des thématiques fétiches de Michaux (l’altérité, l’absurdité du monde, la nécessité de transfiguration du quotidien, de plonger au plus profond de son intériorité…), mais c’est le style qui m’a laissée, cette fois, en-dehors du propos.



Je continuerai dans tous les cas la découverte de ce poète, comme je le fais depuis un certain temps maintenant. Il semble réserver encore quelques surprises, plus ou moins bonnes…
Lien : http://lartetletreblog.com/2..
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Un barbare en Asie

Partant à la rencontre des civilisations asiatiques des années 1930, Henri Michaux nous délivre ses impressions de voyage sous la forme de jugements si tranchés qu’ils semblent avoir été découpés avec un poignard malais : une violence que reflète bien le titre du livre. Ainsi, non sans une bonne dose de cynisme, Michaux décortique tous les signes qui s'offrent à lui (parole, alphabet, coutumes, art...), et n'hésite pas à les dénoncer quand ils ne renvoient à rien, à ses yeux. Exemple avec le théâtre japonais :



"Aucun acteur au monde n’est aussi braillard que le Japonais avec un

résultat aussi maigre. Il ne dit pas sa langue, il la miaule, et

brame, barrit, brait, hennit, gesticule comme un possédé et malgré ça,

je ne le crois pas. "



Le ton sec et sentencieux de Michaux peut s'avérer désagréable, notamment lorsqu'il s'enferme dans des certitudes peu convaincantes pour un lecteur d'aujourd'hui (par exemple, ses prédictions de révolutions en Inde)... Des certitudes qu’il aura le bon goût de remettre en cause plus tard, comme le montrent les notes de son « moi futur » des années 50 et 80, qui parsèment cet ouvrage. Toutefois, dans ce livre, la civilisation dont les idoles sont le plus mises à mal n’est peut-être pas celle que l’on croit, comme le suggère cette mémorable invective :



« Y aura t-il encore une guerre ? Regardez-vous Européens,

regardez-vous. Rien n'est paisible dans votre expression. Tout y est

lutte, désir, avidité. Même la paix, vous la voulez violemment. »



Au moins, notre barbare sait d’où il vient.



Mais Michaux ne s'abandonne jamais totalement au bruit et à la fureur, car, à travers ses voyages, il tend toujours l'oreille attentive du poète, qui entend et retranscrit en mots la musique propre à chaque civilisation asiatique, comme ces "immenses gammes" qu'il entend résonner dans la religion indienne. Sans nécessairement admirer ce qu'il découvre, il sait en restituer une singularité à même de lancer une rêverie ou une réflexion.



La caractère très libre et fragmentaire de cet ouvrage le rend tout à fait inclassable, et on y trouve même des comptes-rendus de visites d’aquariums, où Michaux laisse percevoir son amour contrarié pour la mer (lui l'ancien marin démobilisé), et se livre à des descriptions de poissons qui pourraient tout aussi bien être des créatures fabuleuses peuplant ses "lointains intérieurs".



Mais c'est paradoxalement loin au-dessus du niveau de la mer, dans les contreforts de l'Himalaya, que Michaux laisse le plus percevoir ses capacités à éprouver de l'amour pour autrui, pour un être humain considéré dans sa singularité et non plus comme le représentant d'une ethnie ou d'une culture. Au détour d'un simple sourire, qui ôte au barbare sa parole tranchante pendant un instant de grâce.
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A distance

Échappé, arpenteur, rêveur, hanté, philosophe explorateur , sapeur, habitant habité, voyageur voyagé, inventif, traversé traversant , hardi, évadé, Poète libérant libéré !

On se déferlutte  de grande langue. Voilà l'« Illustre et modeste odeur de paille de l'enfance ».

Un peu de grand Michaux pour faire dégueunillette à nos petits jours de peine.

« Leger comme une plume Madame » !

Léger mais profond, aussi profond que cet étang à qui le poète et l'enfant ont donné une âme.

« Ciel à tête », c'est un bonheur !

« Le monde revient, le monde remonte ».

Et nous traversons, à distance, et nous rebondissons d'un texte dans l'autre, emportés, étonnés...

Nous respirons ! Sonnez clairon ! Sonnez à la conscience du monde .

«  Je crache à la bouche de la foule ».

Le poète, cet animal sans œillères, sans paupières, fait pile à la beauté et face aux douleurs de notre Mal.

Et il convoque les mots :

« Une fois de plus, venez

venez, mots misérables encore

pour exprimer le tombé, le dévasté, le méconnaissable

le trois fois plus redoutable qui dans l'ombre se prépare »…

redoutable comme l' « homme se croit une civilisation » .

voilà «  le même » ,

voilà «  quelqu'un », voilà tous nos pareil à la pelle même.

160 visages, comme une bande dessinée.

A tous ces semblables fleurissant…

des mots toupie, des mots portes fenêtres , des mots cheminée , des mots volutes cendres brumes et regard à ces lieux lointains ,

« Ici est la patrie de ceux qui n'ont pas trouvé de patrie, cheveux de l'âme flottant librement. »

Mais il faut également redouter , car le poète nous le conte : si nous redoutons les lions, craignons bien plus la férocité des chiens.

Le lion nous blesse, le chien nous dévore.Voilà la vérité à crue.

Ouvrons l'oeil et colorons le trou noir de nos espaces !

Chassons la noirceur du silence !

Il faut armer son coeur contre les escadrilles du malheur qui font tomber les oiseaux du ciel, qui arrachent les branches des arbres.

« il n'est pas permis à être au monde de commettre l'imprudence d'avoir confiance ».

L'innocence n'entame en rien la vigilance, ni la conscience du poète.

Conscience au portes grandes ouvertes, battantes.

Il faut bien cela pour assister la naissance du monde !

« L'époque abonde – L'époque met au monde- Elle n'est pas encore signée. ».

Garder la capacité de Voir.

«  Dans l'adversité la beauté de l'existence n'est pas absente. »

Alors «  sur la toile du monde il va faire quelque chose », « prendre conseil d'un arbre , d'un arbre pour qui sucer entre le dur gravier c'est déjà la vie en rose ».

Etre capable, capable d'essentiel.

Voilà donc le rôle de l'oiseau. L'oiseau qui ne devrait jamais « laisser à la révolte son nid de duvet ».

Et puis dans un ultime moment, être capable, capable « dans l'amitié du silence «  de s'enfoncer seul dans la nuit immense ».

Ne pas être complice de l'Un,ne pas en être objet, ne pas sautiller dans l'image, ne pas être observé, ne pas être observant, ne pas être observateur.

Etre opérateur de son propre voyage.

Alors rester voyant, ne pas se perdre dans « une poussière de pouvoirs » .

Chercher toujours la lumière et en plein jour, être capable d'attendre le lever du soleil.

L'espace n'est pas rien, n'est pas néant.

Il est une étoffe, faite de plein qui répondent aux vides, tout est pluriel, divers. Correspondances.

« Paysages sans site, abstraits par réserve par vérité, par recul ».

Le peintre explore il entre dans les fibres, dans d »indécis cotonneux territoires », là où, plus exactement, à travers quoi «  l'immuable se forme, se reforme sans formes, l'existence, la résistance, la commune connaissance ».

« Sous les yeux » est la naissance. « l'amas , la masse, le reste, l'oeuf ».

Mais hâtons nous, il faut mouvementé , secoué, l'espace, « Il faut se hâter , l'Histoire va fermer »…

Mais, « l'aube de l'oublie qui la voit ? »

Alors «  Il faut repartir / le squelette a enterré le cadavre ».

aller d Ailleurs, se vouloir méconnaissable dans la multitude des regards, éviter cette nappe qui se fraie une terreur dans l' âme, cette « nappe qui ne conduit nulle part vient de partout ».

Pays où l'on se noie, maladie des ensembles qui nivelle, villes, bruits, murs, qui ensevelissent , pays où « le plus petit prodige est un tic »…

s'échapper, sauver ses os, traverser, passer, au dehors de l'anéantissement.

Une vague qui élevera une grande poussière. La désintégration, l'« infinisation »,

Ce moment.. «  le moment de la paille touchant à la paille ».

Il ne met pas le feu au poudre, ni de poudre à nos yeux.

Non, il est l'urgence de son propre voyage.

Il faut nourrir sa terre, encrer chaque sillon, un sillon comme un paysage, une ligne, une onde, une lame, un visage, une jachère.

« de toute façon s'en aller

de n'importe quelle façon,

s'en aller. »

Mais toujours veiller en corps, à chevet.

Au chevet de l'enfant visage « enfant sans main, sans pied, ne quittant pas le lit ».

l'enfant visage « rêve à l'élémentaire », cet enfant porté à la fenêtre des îles.

À ces pays d'ailleurs . Téké , « tes narines sentent au loin »

« à coups redoublés, la liberté, à gros bouillons, à tue-tête, à tire d'aile. Le continent sombre cassera la roue, cassera les chaînes, retrouvera ses filles multicolores, son flambant neuf et son retour de flammes ».

Teké ! , il te faut partir.

« Téké marche sans demain, creuse ta tombe homme d'usine ».

«  traversés plafonds, planchers et finies dissipées les répulsions ».

….« Parfois la tête , c'est un oiseau ».

Se libérer des mots, faire gestes plus que signes, s'en aller au hasard, ne jamais le provoquer, éclater plutôt que former. Percer, écartelé de demain, «  cherchant la sortie du terrier ».

Prendre le risque de s'effacer, et « sur sa vie soudain elle passe le buvard » , retirer l'espace, «  le temps a corrigé », prendre distance, et comprendre sa liberté.

Fuir les labyrinthes, fuir leur ville, leur règne, leur méchantes pensées. Être «  extrêmement infiniment distant ». « pour ressortir d'aventure de toute aventure où la boue ne s'attache pas où la poussière ne se pose pas », et cela sans mesure.

Se liquéfier, s’éparpiller, de dissiper, se dissoudre. Peu importe, il lui faudra vivre toute traversée.

Devenir « forme non fermée indéfiniment reformée ».

Comme des volutes de fumée.

«  Libérée du poids de la Terre des remontrances de la Terre, des réseaux /Là où les têtes commandantes n'ont plus accès ».

« Informe, peu informé, le corps n'a pas encore de plein, n'a pas de membres.Un fil, un simple fil, un fil entoure le vide de l'être.Enveloppe seulement. Poussée vient. Des bras sortent, de la tête de n'importe où, pour s'étirer, pour se détendre, pour davantage s'étendre, à l'aventure, bras de fortune sans savoir où déboucher, essais d'enfants, dessins d'enfants ».

« Cerveau d'enfant, cerceau d'enfant, cercles, cercles... »

« Vie comme un livre ouvert, en évidence sur une table, et qui seul compte, devant lequel sans le lire on passerait sans s’arrêter, sans y songer, sans le pouvoir ». Alors à travers page, à distance, « s'en aller de n'importe quelle façon, s'en aller. » et traverser.





Toi qui lira cette correspondance , qui regarde une partie de mon âme , toi qui sais le voyage, sache maintenant que l'histoire va bientôt se refermer, alors hâte toi, traverse le livre passage !



Astrid Shriqui Garain

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Ailleurs : Voyage en Grande Garabagne - Au ..

Plagiant les écrits de voyage, y compris les siens, Henri Michaux promène son lecteur dans des pays imaginaires où il faudrait se garder de voir des métaphores et des allégories trop appuyées du monde réel : Michaux est trop fin, trop humoriste et trop subtil pour ce genre de bêtise engagée. Ce qui est juste en revanche, c'est l'étrangeté profonde de ces mondes absurdes, non moins absurdes que le nôtre, non moins sérieusement absurdes, mais souvent plus jolis, plus fantaisistes, plus cruellement et drôlement poétiques. S'il fallait absolument des analogies, Michaux serait plus proche de Swift que de Voltaire, et il est, en ce triste XX°s tellement dogmatique, le seul poète de langue française vraiment comique.
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Un barbare en Asie

Pour avoir lu d'autres écrits de voyage sur cette région du monde, j'ai été pris au dépourvu par ce récit. L'Asie m'a semblé bien plus loin de mon expérience que je ne l'imaginais. Car dans ce texte, Michaux n'est pas à la recherche de ce qui réuni les Occident et Orient dans le giron de l'humanité, mais de ce qui fait leur différence.

A mon sens, ce livre n'est pas un carnet de voyage, mais plutôt "l'Orient selon Henri Michaux". Je n'y ai trouvé finalement que peu de faits, et beaucoup d'interprétations : finalement, le factuel n'intéresse Michaux que pour être réécrit par son imaginaire. Je comprends mieux le titre à l'aune de cette explication : isolé en lui-même par son incapacité à communiquer - le barbare est celui qui parle une autre langue - Michaux a toute facilité à trouver incompréhensible l'humanité qui l'entoure.

D'ailleurs, sans parler de l'écriture très puissante, je trouve que la force du livre est là, dans sa capacité à nous mettre en face d'une altérité démesurée et pourtant humaine. Et je crois voir les ferments du magnifique "Ailleurs" dans ce parcours aux confins de l'Asie.

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Qui je fus (précédé de) Les Rêves et La Jambe (et..

Le grand secret de la poésie : quel est-il ?

Effet d’impact du signifiant qui vient marquer le sujet dans son corps. ?

Un battement, une série de pulsations qui viennent du corps et de la langue. ?

Peut-être, un jour, nos tablettes sidérantes et quelque I.A. nous le diront !

Je plaisante !



……………………………………………………………



« Je suis habité; je parle à qui-je-fus et qui-je-fus me parlent. Parfois, j'éprouve une gêne comme si j'étais étranger. Ils font à présent toute une société et il vient de m'arriver que je ne m'entends plus moi-même.

"Allons leur dis-je, j'ai réglé ma vie, je ne puis plus prêter l'oreille à vos discours. A chacun son morceau du temps: vous fûtes, je suis. Je travaille, je fais un roman. Comprenez-le. Allez-vous-en." »

…………………………………………………………….



Il l’emparouille et l’endosque contre terre ;

Il le rague et le roupète jusqu’à son drâle ;

Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais ;

Il le tocarde et le marmine,

Le manage rape à ri et ripe à ra.

Enfin il l’écorcobalisse.

L’autre hésite, s’espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.

C’en sera bientôt fini de lui ;

Il se reprise et s’emmargine... mais en vain

Le cerceau tombe qui a tant roulé.

Abrah ! Abrah ! Abrah !

Le pied a failli !

Le bras a cassé !

Le sang a coulé !

Fouille, fouille, fouille,

Dans la marmite de son ventre est un grand secret

Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;

On s’étonne, on s’étonne, on s’étonne

Et on vous regarde

On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.

…………………………………………………



Déjà, avant, un anglais : Lewis Carroll

Et un Irlandais : James Joyce

ont joué, ont jouit.

………………………………………………….



’Twas brillig, and the slithy toves

Did gyre and gimble in the wabe;

All mimsy were the borogoves,

And the mome raths outgrabe.



“Beware the Jabberwock, my son!

The jaws that bite, the claws that catch!

Beware the Jubjub bird, and shun

The frumious Bandersnatch !”…………….



(Lewis Carroll)



"Il était grilheure ; les slictueux toves

Gyraient sur l'alloinde et vriblaient :

Tout flivoreux allaient les borogoves ;

Les verchons fourgus bourniflaient.



« Prends garde au Jabberwock, mon fils !

A sa gueule qui mord, à ses griffes qui happent !

Gare l'oiseau Jubjube, et laisse

En paix le frumieux Bandersnatch ! »…….

(Traduction Henri Parisot)

………………………………………………………………



« Ne me laissez pas mort, parce que les journaux auront annoncé que je n’y suis plus… Je compte sur toi, lecteur, sur toi qui vas me lire, quelque jour, sur toi lectrice. Ne me laisse pas seul avec les morts comme un soldat sur le front. » (Henri Michaux)



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La Nuit remue

Face aux vers limpides de son grand ami Supervielle, la poésie d'Henri Michaux est une mer orageuse, dont les mouvements se confondent avec la nuit. Des vagues se dressent « contre » les voyages ordinaires. Elles nous font sortir de notre zone de confort. Elles dérangent. Michaux se complaît dans une obscurité capable de rendre incertaines les limites de l'identité.



Dès les premiers poèmes, c'est un vortex, une chute sans fond dans l'espace intérieur, réminiscent des peurs qui surgissent au moment de se coucher, quand on éteint la lumière : « Le gouffre, la nuit, la terreur s'unissent de plus en plus indissolublement. »



Loin de reculer face au gouffre des cauchemars, Michaux y plonge sans relâche pour y puiser son inspiration. Il essaie du moins, car l'instinct de survie n'est pas facile à contrecarrer. Il se heurte à la tyrannie de sa conscience, son ego, son « Roi » qu'il torture avec un enthousiasme désespéré. « Et c'est mon Roi, que j'étrangle vainement depuis si longtemps dans le secret de ma petite chambre ; sa face d'abord bleuie, après peu de temps redevient naturelle, et sa tête se relève, chaque nuit, chaque nuit. »



Les institutions monarchiques sont tenaces. Parmi elles, on trouve les normes du langage, de l'écriture, coupables de diluer l'imagination la plus tempétueuse pour la changer en « gouttes peu nombreuses qui tombent graves et désolées dans le silence. » La révolution contre le Roi passe par un éclatement de la langue, y compris dans son sens organique. Michaux n'hésite pas à se faire violence. Son corps se disloque, se fragmente à travers les aperçus qu'en donnent une multitude de courts textes. Ce processus est particulièrement prégnant dans la partie du recueil intitulée « Mes propriétés », où Michaux s'observe avec une intensité fiévreuse et note les résultats au jour le jour. Un monde imaginaire en ressort. Sa faune et sa flore sont abondamment décrits, en des hypotyposes délirantes d'insectes cristallins et de mangroves.



Michaux cherche à capter ces fragments pour affiner sa connaissance de l'être et dresser la carte d'altérité d'un sujet dix-formes (sinon plus), livré à la métamorphose d'un voyage imaginaire qu'il souhaiterait permanent. Son identité se définit par les espaces qu'il parcourt sans limite physique, en constante métamorphose... et par la tension entre ces voyages poétiques et le réel :



« L'âme adore nager.

Pour nager on s'étend sur le ventre. L'âme se déboîte et s'en va. Elle s'en va en nageant. (Si votre âme s'en va quand vous êtes debout, ou assis, ou les genoux ployés, ou les coudes, pour chaque position corporelle différente l'âme partira avec une démarche et une forme différentes, c'est ce que j'établirai plus tard.)

On parle souvent de voler. Ce n'est pas ça. C'est nager qu'elle fait. Et elle nage comme les serpents et les anguilles, jamais autrement.

Quantité de personnes ont ainsi une âme qui adore nager. On les appelle vulgairement des paresseux. Quand l'âme quitte le corps par le ventre pour nager, il se produit une telle libération de je ne sais quoi, c'est un abandon, une jouissance, un relâchement si intime.

L'âme s'en va nager dans la cage de l'escalier ou dans la rue suivant la timidité ou l'audace de l'homme, car toujours elle garde un fil d'elle à lui, et si ce fil se rompait (il est parfois très ténu, mais c'est une force effroyable qu'il faudrait pour rompre le fil), ce serait terrible pour eux (pour elle et pour lui).

Quand donc elle se trouve occupée à nager au loin, par ce simple fil qui lie l'homme à l'âme s'écoulent des volumes et des volumes d'une sorte de matière spirituelle, comme de la boue, comme du mercure, ou comme un gaz — jouissance sans fin.

C'est pourquoi le paresseux est indécrottable. Il ne changera jamais. C'est pourquoi aussi la paresse est la mère de tous les vices. Car qu'est-ce qui est plus égoïste que la paresse?

Elle a des fondements que l'orgueil n'a pas.

Mais les gens s'acharnent sur les paresseux.

Tandis qu'ils sont couchés, on les frappe, on leur jette de l'eau fraîche sur la tête, ils doivent vivement ramener leur âme.

Ils vous regardent alors avec ce regard de haine, que l'on connaît bien, et qui se voit surtout chez les enfants. »
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Oeuvres complètes, tome 1

Ces œuvres prouvent à l’envi qu’Henri Michaux était un maître dans la manière de triturer les phrases, de disséquer les mots et de faire exploser chaque syllabe pour leur donner un sens/son nouveau.

Incomparable.
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La Nuit remue

Déjà j'aime le titre. Evocateur de ces bruissements que, seule, peut nous offrir la nuit. J'aime cette poésie parfois déjantée, souvent onirique, ce qui nous ramène au monde de la nuit. Une oeuvre de premier plan de ce poète, à mon estime.
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Paul Klee

Une brève et magnifique introduction au monde des lignes et des taches de Klee à travers la sensibilité de Michaux. Je n'aurais pu rêver un meilleur dialogue entre dessins et mots, comme si Michaux était le meilleur interprète possible en langue des mots de Klee, une langue minérale, végétale, qui sait aussi se taire avec humour : "mon cher K. F. Paul Klee ne devait pas aimer qu'on déraille." Il faut ajouter que les éditions Fata Morgana ont réussi à faire de l'objet livre un écrin à la juste taille de ce dialogue. Une petite perfection qui m'a complètement émue et enchantée.
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L'Espace du dedans

Ce livre est en fait un recueil d’écrits piochés dans les différentes œuvres de Michaux, une sorte de "best of" donc (même si cet anglicisme est particulièrement moche). Il est difficile de ranger Michaux dans la poésie ou dans la prose, il serait plutôt à cheval entre les deux, ou aurait même déjà sauté plus loin, car Michaux est plus qu’un simple équilibriste, il crée son propre monde.



Il pourrait y avoir une ressemblance avec Antonin Artaud mais sans le côté excessif, le style de Michaux est au contraire assez "bonhomme". Bien que déroutante, sa faculté d’écrire une langue nouvelle paraît déconcertante de facilité, c’est là qu’est la force de Michaux, ce nouveau langage qu’il arrive à créer, pourtant inconnu de nous, reste agréable à lire, aéré, et en aucun cas hermétique. La plupart des néologismes qu’il fabrique semblent ainsi exister depuis toujours dans la langue française (lire par exemple son poème Le grand combat).



Bien que je ne sois pas expert en la matière, je considérerai peut-être Michaux comme mon poète préféré. Son inventivité, ce que l’on ressent et devine à travers ses drôles d’écrits, à la fois donc légers et percutants, lui donnent vraiment un style unique et reconnaissable dont l’originalité semble parfaitement maîtrisée.
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Un barbare en Asie

Il aurait été intéressant de lire ce livre en 1933 pour sans doute se trouver dans le contexte des observations réalisées en Inde, en Chine, en Malaisie et au Japon par Henri Michaux. le découvrir presque 90 années après sa parution reste aussi passionnant car on suit le regard d'un homme d'une époque, porté sur des civilisations à une époque donnée et on s'aperçoit que si bien des évolutions sont survenues, les réflexions métaphysiques et poétiques de l'auteur demeurent d'actualité.

Michaux a d'ailleurs ajouté une préface en 1945, soit douze ans après la première publication, puis une nouvelle en 1967, trente-quatre encore après. Et il ajoute dans ses notes des observations précisant ses erreurs d'analyse de 1933 sur par exemple la fin des bains dans le Gange à une échéance assez brève, et, la disparition des castes en Inde sous un autre délai qui s'avérera inexact.

Une fois intégré ce décalage inévitable, la plongée dans le livre est merveilleuse car l'auteur s'intéresse à une infinité de détails, les visages, les sourires ou leur absence, les musiques, les gestes, les vêtements, les arbres et la nature avec même les poissons d'aquarium à Madras (Chennai aujourd'hui), les oiseaux, les traditions religieuses ou non, les femmes, tous ces mystères de l'Asie qui fascinent certains des barbares que nous sommes.

Donc une très belle lecture à savourer dans un rêve éveillé.

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La Vie dans les plis

A la lecture de ce recueil, Henri Michaux peut apparaître comme un être profondément aigri, sorte de Grumpy Cat avant l'heure. Face à cette accusation triviale, peut-être aurait-il couvert ma voix puérile de son "tonnerre d'appartement". Ou bien peut-être m'aurait-il assené quelques paires de claques imaginaires, issues de sa "mitrailleuse à gifles". Ses inventions poétiques sont parfois méchantes et fières de l'être, de parfaits outils imaginaires pour frapper ses ennemis. Qui affronte-t-il ainsi ? Tout ce qui l'empêche de trouver la paix. Tout ce qui l'éloigne de la mer, des plis des vagues, assimilés chez lui à des mamelles, signe de sa femme emportée par une mort soudaine, un an avant la parution de ce recueil. Par l'habituelle ironie tragique, la femme et la mer se rejoignaient encore dans la perte, car Michaux avait aussi été éloigné de l'océan brutalement, après une brève carrière de marin.



Parmi les ennemis de la paix, le plus mortel est le corps humain, champ de bataille contre le deuil et les regrets. Michaux reprend ici sa posture caractéristique du poète maladif, qui me fascine autant qu'elle me dérange. Ici, sa carcasse se distord douloureusement dans des états hallucinatoires, présageant ses futurs expérimentations hallucinogènes. Durant ces états, les plis de sa peau sont torturés jusqu'au rire.



Ces déformations éloignent le corps de l'humanité, mais sans le rendre forcément plus supportable. Il est juste devenu autre chose. Une créature imaginaire. Un Meidosem parmi tant d'autres. Qui sont-ils ? Difficile à dire. Des sortes d'alter egos, qui permettent à Michaux de faire l'aveu de son hypersensibilité, de sa vulnérabilité, mais expriment aussi la possibilité de se confondre avec le monde, et, peut-être, d'y oublier les villes en décomposition édifiées par les regrets. le présent recueil établit une typologie de ces Meidosems fragiles. Leur multitude vient peupler la solitude endolorie de leur créateur, comme autant de souvenirs et/ou d'aspirations, préludes à la respiration. C'est parfois drôle, parfois tragique, quand l'humour acide ne trouve plus son chemin dans la cruauté de la vie.



En tout cas, les Meidosems (et autres entités poétiques de ce recueil) sont faciles à cueillir et à emporter avec soi. Gare cependant à ne pas se laisser intimider par le masque acariâtre de leur propriétaire malmené par la vie (aïe, je crois qu'il m'a giflé).
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Souvenirs d'un voyage au Mont Analogue

C'est un recueil de 9 textes, rassemblés par Bernard Amy, sur l'alpinisme, avec en toile de fond le roman inachevé de René Daumal "Le Mont Analogue". Il y a deux textes de René Amy, de Samivel, et un de Yves Bonnefoy, Pierre Dalloz, Jean Ferry, Guy Martin-Revel et Henri Michaux. Certains sont des nouvelles, des histoires d'alpinisme bien sûr, proches des grand classiques du genre, d'autres tournent autour de la passion et de l'émerveillement de l'alpinisme, d'autres encore sont plus axées sur la poésie, mais l'ensemble permet de faire un parallèle entre les mots et les monts, entre l'exploit de l'écriture et celui de l'ascension. J'ai plus particulièrement apprécié les deux textes de Bernard Amy qui font le lien direct avec le roman « Le Mont Analogue ». Il est sans doute préférable de l'avoir lu pour en saisir l'intérêt (mais pas forcément nécessaire). L'un est une suite, où l'auteur part sur les trace fictives de René Daumal, l'autre est raconté à la manière de Platon, un « Banquet » dans un refuge, avec une discussion philosophique autour du roman de René Daumal. On pourrait conclure comme ceci en citant Bernard Amy : « Daumal lui aussi cherchait des réponses. Et pour les trouver, il avait utilisé la montagne comme un langage. J'ai interrogé les montagnes, chacune d'elle m'a répondu dans son langage. »

C'est un beau complément au "Mont Analogue", poétique, philosophique, qui nous élève aux plus hautes cimes, où les mots rencontrent les cimes. Plus un livre sur la passion, l'addiction, la spiritualité autour de l'alpinisme que sur l'aventure et l'action.

PS. Je regrette juste une chose : la médiocrité de la couverture.
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Poteaux d'angle

Pour ainsi dire, "Poteaux d'angle" est une sorte de recueil de citations. Il est fait de proses souvent brèves, sous forme d'aphorismes ou d'exemples porteurs d'une sagesse. Faut-il prendre ces leçons de sagesse au sérieux ? Avec Michaux, il est difficile de se prononcer : oui, on le peut, cum grano salis, sans jamais perdre de vue l'ironie de l'auteur envers lui-même et pour ce qu'il écrit. Je lis "Poteaux d'angle" avec un plaisir d'autant plus grand qu'il donne à la fois un aliment pour la méditation, comme une sorte de poésie gnomique, mais en même temps, le plaisir littéraire de la reconnaissance, de l'allusion, du pastiche des grands genres de la sagesse : fables, maximes, exempla, aphorismes, pensées fragmentaires. Double plaisir : celui de penser et celui de sourire en lettré. Ni l'un ni l'autre, en fin de compte, ne sont à prendre au sérieux.
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Epreuves, exorcismes, 1940-1944

Le recueil de poèmes d'Henri Michaux correspondant aux années de guerre est nécessairement affecté par ces années, mais on ne doit pas s'attendre à reconnaître chez ce poète le moindre engagement du côté de "l'honneur" ou du "déshonneur des poètes". Michaux ne se soucie pas d'enthousiasmer son lecteur dans un sens ou dans l'autre, et au contraire, l'ascèse (dont l'humour et le tragique sont des visages) à laquelle il se soumet et nous soumet caractérisent sa poésie : exorciser la magie et l'enthousiasme, laisser le poète et son lecteur nus dans l'épreuve d'un chemin à frayer soi-même dans le malheur collectif. Entrer dans Michaux, c'est aussi faire un pas dans un palais de miroirs où les significations figées et les slogans se réfractent en millions de mots et de facettes, et où plus rien n'est sûr.
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Chemins cherchés - Chemins perdus - Transgres..

Moins connu, ce recueil est toutefois un de mes préférés de l'auteur namurois.



J'ai retrouvé avec plaisir le style rocailleux propre à l'idée que je me fais de chez nous et l'onirisme souvent un peu déjanté parce qu'halluciné de l'auteur.
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Poteaux d'angle

Les mots solides du titre, mots d’architecte, surprennent à la lecture de cet examen de conscience immergé dans le doute. Il s’agit d’aphorismes, de quelques récits, notamment un rêve, et finalement d’un poème. Les aphorismes portent sur la manière de vivre une vie incontrôlable : « Le précieux, le véritablement précieux est distribué sans le savoir et reçu sans contrepartie » (p 58). Michaux se veut l’observateur intransigeant de soi-même et des autres, ces hommes qu’on peut imiter par calcul mais dont la sottise, ou l’ignorance, ou la suffisance ne permettent pas d’accepter ou de comprendre. « Les hommes, tu ne les as jamais pénétrés. Tu ne les as pas non plus véritablement observés, ni non plus aimés ou détestés à fond. Tu les as feuilletés. Accepte donc que, par eux semblablement feuilleté, toi aussi ne sois que feuillets, quelques feuillets » (p 16). Loin de Pascal ou Valery, il ne cherche ni conseil — qui serait prise de responsabilité —, ni confidence — qui serait prise à témoin —, ni exemple, ni généralisation. Aucune trace ici d’un système religieux ou moral.



Michaux s’interroge, s’exhorte et se défie. Il se met à distance en employant le « tu », parfois l’impératif, et rarement le « je » ou le « il ». Il recherche l’autonomie, l’indifférence à autrui, évacue le besoin absurde de partager, de se justifier ou de rendre compte. Les autres sont le plus souvent indistincts, parfois nommés — Djatt le philosophe (l’épithète est un démenti), le soldat S. (un homme qui tombe, figure tragique), sa mère (apparue dans un rêve, fugitive, hostile et lointaine) — ou figurés, comme dans la fable, par le tigre, le singe ou l’araignée.



Pourquoi Poésie Gallimard ? Le poème final le justifie :

Habiter parmi les secondes, autre monde

si près de soi

du cœur

du souffle

Perpétuel incessant impermanent

train égal vers l’extinction

Passantes

régulièrement dépassées

régulièrement remplacées

passées sans retour

passant sans unir

sobres

pures

une à une descendant le fil de la vie

passant…



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Ecuador : Journal de voyage

Michaux offre un livre multiforme: poésie ? Journal ? Récit de voyage ? Récit fantastique et surréaliste ? Anthropologique ?



L'artiste part pour l'Amérique du Sud ( les Andes d'Equateur et traverse un bout d'Amazonie) . Il décide de la tenue d'un journal, avec une grande économie dans le récit. Pas de longue prose, il va à l'essentiel. Expérimentant les psychotropes locaux, il découvre des visions et des sensations qu'il verse sur le papier. Le paysage est personnifié, tutoyé.



"J'ai rarement entendu parler des Tropiques avec naturel. Ce ne serait guère possible. On avance ici comme des policiers. Et rien que pour s'asseoir, il faut prendre des précautions de laboratoire. Au lieu qu'en Europe, on peut s'abandonner à la nature, vivre de plain pied avec elle. Quant à avoir ici sa propriété... Et puis ? Le serpent vient vous tuer chez vous.

Sans doute, il y a bien toute une forêt autour de moi. Mais par grande chaleur, mes veines chantent. Chanson bien monotone. D'autre part chanson bien mienne, et je l'écoute toute la journée. "
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