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Citations de Henri Troyat (1086)


On eût dit que, sur terre, il y avait les Blancs, les Noirs, les Jaunes, et enfin une race à part: les émigrés. Et nul ne pouvait s'évader de cette condition d'émigré comme nul ne pouvait changer la couleur de sa peau.
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Il n'avait jamais vu un avion de près. Celui-ci était de dimensions énormes. Trop grand pour les hommes. Trop lourd pour le ciel. Déchiqueté, rompu, il gisait sur le ventre dans la neige, telle une bête blessée à mort. Le nez de l'appareil s'était aplati contre un butoir rocheux. L'une des ailes, arrachée, avait dû glisser le long de la pente. L'autre n'était plus qu'un moignon absurde, dressé, sans force, vers le ciel. La queue s'était détachée du corps, comme celle d'un poisson pourri. Deux larges trous béants, ouverts dans le fuselage, livraient à l'air des entrailles de tôles disloquées, de cuirs lacérés et de fers tordus. Une housse de poudre blanche coiffait les parties supérieures de l'épave. Par contraste, les flancs nus et gris, labourés, souillés de traînées d'huile, paraissaient encore plus sales. La neige avait bu l'essence des réservoirs crevés. Des traces d'hémorragie entouraient la carcasse. Le gel tirait la peau des flaques noires. Même mort, l'avion n'était pas chez lui dans la montagne. Tombé du ciel dans une contrée de solitude vierge, il choquait la pensée comme une erreur de calcul des siècles. Au lieu d'avancer dans l'espace, il avait reculé dans le temps. Construit pour aller de Calcutta à Londres, il s'était éloigné du monde d'aujourd'hui pour aboutir à un coin de planète, qui vivait selon une règle vieille de cent mille ans.
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- Tu sais, je peux le dire, c’est une belle course... Une première hivernale, ou je ne m’y connais pas !... Et on l’aura faite ensemble, toi et moi... En équipe... En frères... C’est du plaisir pour la vie, ça !...
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Cézanne et Zola au Salon des Refusés - page 60


En se rendant à cette exposition, les deux amis s'attendent à un choc d'où jaillira la révélation. Ils seront comblés. Dès les premiers pas, ils tombent en arrêt devant un grand tableau montrant, dans une clairière trouée de soleil, une femme nue, assise de trois quarts en compagnie de deux hommes aux vêtements modernes. C'est Le déjeuner sur l'herbe de Manet. Il se dégage de cette toile une force, une insolence, et, en même temps, une lumière qui coupent le souffle. Le Salon officiel offre aux visiteurs des images apaisantes qui ont pour titre : Premières caresses, Les dragées du baptême, Un joli coup de fourchette, Les amis de grand'maman….Et voici que soudain éclate sous leurs yeux la splendeur de cette chair indécente entre des vestons sombres. Des groupes murmurants se forment devant le tableau. Les messieurs ricanent, les dames s'indignent, les jeunes filles baissent les paupières. Cézanne et Zola , eux, sont subjugués. Mais pour des raisons différentes. Cézanne découvre, dans la toile de Manet, une nouvelle façon de voir, simple et brutale à la fois, une habile technique permettant d'évoquer l'atmosphère d'un lieu par des oppositions de couleurs. Zola, lui, y décèle une démarche artistique originale, s'attachant à évoquer le réel dans toute sa crudité, sans se soucier des petites répugnances d'une assemblée de snobs. L'un et l'autre se sentent, en quelque sorte, fécondés par cette rude image de la vie. Zola se croit même brusquement appelé à défendre la cause de Manet, à prouver au monde que Manet est un génie, à se joindre, par la plume, au combat de vérité que Manet mène avec son pinceau.
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Henri Troyat
Ce qui compte, c'est ce qui est inscrit non sur les papiers d'identité d'un homme mais dans son cœur.
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Au lycée de Tsarskoïé-Sélo, Pouchkine eut Kounitzine comme professeur de philo qui jugé trop libéral, dut démissionner en 1821 .

En 1822, Pouchkine outré par la démission forcée de Kounitzine, écrira sa première épître au censeur :

"A ta guise tu nommes noir ce qui est blanc,
La satire pour toi est une calomnie,
La voix de la raison, un appel à l'émeute,
La poésie, un vice et Kounitzine, Marat !"

Dans son poème, le 19 octobre 1825, il dira encore :

"A Kounitzine offrons nos cœurs et notre vin,
C'est lui qui nous forma et poussa notre flamme!".
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Un long bêlement monta de la combe, cachée par un barrage de buissons gelés. Les moutons avaient senti l'homme, à distance. Isaïe Vaudagne se mit à rire tout seul, et pressa le pas, la tête tendue dans le vent, une coulée de froid sur chaque joue. Ses pieds s'imprimaient dans la neige mince qui couvrait le sol. Il avait hâte de revoir ses bêtes, peu nombreuses, mais solides sur pattes et de bonne toison. Lâchées au printemps sur les pentes de la montagne, elles avaient vécu toute la chaude saison en liberté. Depuis avril, une fois par mois, il grimpait là-haut, en quatre heures de marche raide, pour les observer, les compter et se faire reconnaître d'elles. En son absence, elles changeaient de place, guidées par la saveur de l'herbe et l'exposition des terrains. Mais toujours il les retrouvait sans peine, groupées autour de la brebis maîtresse, avec leurs derniers nés qui s'effarouchaient à l'approche de l'homme.
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En causant ainsi, d'égal à égal, avec Leurs Majestés, sans témoins gênants, sans médiateurs compassés, il [Raspoutine] se dresse en champion de la Sainte-Trinité qui doit assurer la gloire de la Russie : le Tsar, l'Eglise, le Peuple. Pas de salut, professe-t-il, hors de cette union entre les principes monarchiques et religieux d'une part et, d'autre part, le terroir dans lequel ils plongent leurs racines. Les petites gens sont l'humus nécessaire qui supporte et nourrit l'arbre de l'autocratie orthodoxe.
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Par terre , un corps , tordu dans une pose incommode , les jambes déviées , les bras en croix , le menton durci . Quelques secondes auparavant , ce corps avait une vie , une âme , des parents , des amis , des obligations , une ampoule au pied , des brûlures d'estomac , des papiers d'identité , un but , une vocation , une patrie . Une balle de revolver a suffi à vider l'enveloppe , à dégonfler le ballon . Il n'y a plus rien d'intéressant sous cette peau qui se refroidit .
Des deux mains , Louis Martin écarte les vêtements , fouille les poches . Sous ses doigts , cette chair sacrifiée , cette humidité de sang. Dans ses narines , l'odeur du néant qui se prépare .
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Chapitre Procès Zola après l'émouvant, le poignant, le courageux "J'ACCUSE"


Il est assisté par l'excellent avocat Fernand Labori et par un groupe de défense qui réunit autour de lui Leblois, Trarieux, Reinach et Mathieu Dreyfus. Labori est secondé par maîtres Joseph Hild et Monira. L'avocat du gérant de l'Aurore, Perrenx, est Albert Clémenceau, le frère de Georges. Ayant reçu l'assignation, Zola s'écrie avec joie : "Poursuivi mes amis ….. je suis poursuivi!...." Puis il écrit au ministre de la guerre qu'il n'est pas dupe de la manigance : "En désespoir de cause, on a décidé de m'imposer une lutte inégale en me ligotant d'avance, pour vous assurer, par des procédés de basoche, la victoire que vous n'attendez pas d'un libre débat".


Le 7 février 1898, c'est un homme pâle et résolu qui monte dans un coupé à deux chevaux pour se rendre au Palais de Justice. Il est accompagné de Maître Labori, d'Albert et de Georges Clémenceau et de l'éditeur Fasquelle. En descendant de voiture, place Dauphine, ils sont accueillis par une foule qui hurle ; " A bas Zola, A bas la crapule, Mort aux juifs!". D'abord suffoqué comme par le choc d'une vague déferlante qui lui arriverait en pleine poitrine, Zola se ressaisit vite. Par quel prodige de volonté ce rat de bibliothèque, ce chétif, cet anxieux parvient-il lorsque l'honneur l'exige, à dominer ses nerfs? Il s'étonne lui-même de son calme tandis que, d'un pied ferme, il gravit l'escalier. Il ne vas pas à un supplice mais à un couronnement.


Dans la salle, le vacarme s'amplifie. Zola gagne le banc des accusés. A travers sont lorgnon, il distingue Jaurès, Rochefort, Gonse, Esterhazy, Raymond Poincaré, de nombreux militaires en uniforme, des avocats assis par terre, les jambes croisées, des journalistes, des comédiens. …. Les femmes sont sur leur trente et un comme pour une première au théâtre. Les hommes ont des visages de justicier. Il y a des curieux perchés sur le rebord des fenêtres.
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Henri Troyat
Pour être heureux, il faut essayer de vivre chaque minute au charme que nous lui trouverons lorsqu'elle ne sera plus qu'un souvenir.
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Quant à son dédain pour les problèmes russes, il le jugeait ridicule.
"Tu regretteras plus tard de ne t'être pas davantage intéressé à ton pays d'origine. Je crois qu'on peut être profondément russe et aimer la France. Quand je rentrerai à Paris, j'espère te convaincre.""
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Au delà du glacier, la route était facile. Une piste gelée se détachait de la moraine et serpentait entre des éboulis de rocs habillés de grosse neige débonnaire. Un dortoir, aux draps soulevés de rondeurs, s'étalait, à perte de vue, dans le crépuscule. L'obscurité, rapidement accrue, faussait les perspectives, gobait les obstacles, lapait les dernières étincelles de blancheur. Le vent s'était apaisé. La nuit était proche. Isaïe marchait, soutenu par l'enchantement de la fatigue. Il avait pris la femme dans ses bras pour la réchauffer. Serrée contre sa poitrine, elle était sage, muette, impondérable. En baissant la tête, il pouvait voir, dans un nid de fourrure ébouriffée, le visage clos qui dormait, tourné de trois quarts. Elle avait confiance en lui. Elle s'abandonnait à lui. Comme un agneau trop faible pour courir dans la montagne. Il croyait avoir rentré toutes ses brebis à l'écurie. Mais l'une d'elles s'était égarée, là-haut. Il était monté la chercher. Il la ramenait au bercail. C'était tout simple.
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La pensée de cette lettre est même si obsédante que dès le 11 août 1923, elle a transposé son impatience et son angoisse dans un poème :
On n'attend pas ainsi des lettres,
Mais une lettre,
Un lambeau de chiffon,
Avec de la colle autour.
Au-dedans, un seul mot,
Et c'est le bonheur. Et c'est tout !
On n'attend pas ainsi le bonheur,
On attend ainsi la mort.
Un salut militaire
Et du plomb dans la poitrine.
Trois balles et c'est tout (...)
Le carré d'une lettre.
Encre et magie.
Pour le sommeil de la mort
Personne n'est trop vieux.
Le carré d'une lettre.
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Nous ne savons rien des êtres. Ceux qui nous sont les plus chers, les plus proches, dissimulent un mystère sous leur fallacieuse simplicité. Chacun vit pour soi. Les communications d'un coeur à l'autre sont rompues à la naissance.
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Ce n'était pas par vocation que Ginette Parpain était entrée, à vingt-trois ans, comme manucure, dans un salon de coiffure des Champs-Elysées, mais dans l'espoir de trouver un mari parmi la clientèle exclusivement masculine de l'établissement. Dix-neuf ans plus tard, de tous les hommes qui lui avaient confié leurs mains, aucun ne lui avait encore demandé la sienne.
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- Soyez la bienvenue chez nous, Martine, reprit Igor Dimitrievitch en levant son verre.
Et soudain il s'avisa qu'il la vouvoyait encore, alors qu'il avait toujours tutoyé ses belles-filles.
- A présent que vous êtes tout à fait entrée dans la famille, reprit-il, je vais vous dire tu.
Elle eut ce demi-sourire velouté qu'il aimait tant et répondit :
- Je vous en remercie, père.
Il enchaîna avec une rude bonhomie :
- Un bon conseil : tâche de grossir un peu! Tu es si mince! Un souffle te casserait en deux!
Tout le monde rit. On trinqua encore. La gorgée de champagne qu'Igor Dimitrievitch avait bue lui piquait agréablement la langue. Bien sûr, il s'agissait là d'un mariage au rabais, d'un mariage à la sauvette. Sans prêtre, sans chants liturgiques, sans robe blanche. Homme d'un autre temps, Igor Dimitrievitch eût préféré les fastes d'or et d'encens de l'église de la rue Daru. Mais deux divorcés ne pouvaient prétendre à la splendeur de ce rituel. Tant pis, il fallait, à l'occasion, savoir se montrer moderne. Les yeux d'Igor Dimitrievitch parcoururent l'assistance et se posèrent sur Eric. L'enfant avait un air penaud et un peu triste parmi tous ces étrangers surexcités. "A quoi peut penser un fils de douze ans dont la mère se remarie?" se demanda Igor Dimitrievitch. Il eut pitié du gamin. Et aussi de lui-même. Tous deux étaient de trop dans cette fête des adultes.
- Viens ici, toi! lui dit-il.
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Les vers ne font pas de distinction entre l'honnête fonctionnaire et le bougre guillotiné . Toute chair leur est bonne . Le juge qui a condamné mon père pourrira de la même façon que lui . Ils s'intégreront à la même terre . Ils nourriront les mêmes végétaux .(... )
J'ai eu le prix d'excellence et mon père est un assassin .
S'ils avaient su que mon père était un assassin , m'auraient-ils donné le prix d'excellence ? P. 85
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Page 152 - Ebauche de l'Assommoir


Rentré à Paris le 4 octobre 1875, Zola écrit à Paul Alexis : "Dès le lendemain de mon arrivée, j'ai dû me mettre en campagne pour mon roman, chercher un quartier, visiter des ouvriers". Certes, il a connu lui-même des coins pauvres de la capitale, mais les logis minables où il a vécu dans sa jeunesse sont ceux de la bohème estudiantine, non ceux de la population ouvrière, livrée à l'ignorance, à la fatigue et à l'ivrognerie. Déjà, dans Germinie Lacerteux, les Goncourt se sont demandés si "le peuple doit rester sous le coup de l'interdit littéraire". Décidé à relever le gant, Zola parcourt, un carnet à la main, le secteur de la rue de la Goutte-d'Or et de la rue des Poissonniers (bd Barbès). Bourgeois des Batignolles égaré chez les sauvages, il prend des croquis, décrit avec minutie l'aspect des maisons, des boutiques, remarque au passage une femme en cheveux qui boitille, une ceinture rouge autour des reins d'un ouvrier, une envolée de blanchisseuses hors d'un atelier à la vitrine garnie de bonnets de dentelle pendus sur des fils de laiton. Dévoré de curiosité, il entre chez un mastroquet, observe les consommateurs avachis, l'œil terne, la lippe baveuse, hume l'odeur de la vinasse et ressort avec la sensation d'avoir passé toute son existence dans ce lieu de perdition et de veulerie. Il lui faut plus de courage, sans doute, pour s'aventurer dans un lavoir, peuplé de femmes dépoitraillées et suantes qui s'interpellent grossièrement et battent le linge dans un nuage de vapeur. Mais, là aussi, il note tout : les réservoirs de zinc, les baquets d'eau chaude, les barres à égoutter, le prix de l'eau de javel (deux sous le litre) et celui de l'eau de lessive (un sou le seau). Quand il regagne son coquet pavillon des Batignolles, après ces randonnées hallucinantes au pays de la mouise, il se replonge avec un regain d'intérêt dans Le Sublime de Denis Poulot, ouvrage où l'auteur, analysant le sort des travailleurs, préconise la création de syndicats pour s'opposer aux patrons.



Page 157 - En réponse à ses détracteurs :


Pourtant si vous désirez connaître la leçon qui, d'elle-même, sortira de l'Assommoir, je la formulerai à peu près en ces termes : instruisez l'ouvrier pour le moraliser, dégagez le de la misère où il vit, combattez l'entassement et la promiscuité des faubourgs où l'air s'épaissit et s'empeste, surtout empêchez l'ivrognerie qui décime le peuple en tuant l'intelligence et le corps".
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Il ne comprenait pas la passion de certains pour les mises au point de situations troubles, pour les précisions, pour les explications, pour les aveux... Il redoutait cette franchise imbécile qui, sous prétexte de démêler des responsabilités, ou de consolider des positions acquises, réveille des fiertés, des rancunes endormies, détruit le travail pacificateur du temps. Il préférait les sentiments inexprimés, les rapports incertains, une sage hypocrisie.
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