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Critiques de Ivan Jablonka (461)
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Laëtitia

Grâce à un petit mot de Jérôme Garcin, en fin d'émission du Masque, j'ai eu envie de découvrir ce livre.



Vous avez peut- être déjà oublié Laëtitia Perrais, jeune fille placée en famille d'accueil, avec sa jumelle Jessica, après une enfance massacrée- mère dépressive et père affectueux avec ses filles mais brutal avec leur mère, foyer, et....famille d'accueil- ?



Sa route croise, un triste jour de janvier, celle d'un criminel récidiviste, brutal, violent, mais pas encore un assassin. L'alcool, la drogue, la frustration et la haine le font irrésistiblement partir en vrille : il va la tuer, la dépecer, éparpiller son corps martyrisé dans les étangs du pays de Retz



Le pays de Gilles de Retz , le terrible Barbe-Bleue. Tout un programme.



Encore un fait divers, me direz-vous, avec une mine un peu dégoûtée. Ce n'est pas de la littérature !



D'abord, écrit Ivan Jablonka , historien et sociologue plus que romancier et auteur de nombreux ouvrages savants , « un fait divers n'est jamais un simple « fait » et il n'a rien de « divers » ». Il « peut être analysé comme un objet d'histoire » car « il dissimule une profondeur humaine et un certain état de la société : des familles disloquées, des souffrances d'enfant muettes, des jeunes entrés tôt dans la vie active, mais aussi le pays au début du XXIème siècle, la France de la pauvreté, des zones périurbaines, des inégalités sociales. »



Ce n'est donc pas un récit linéaire , c'est encore moins un roman, et c'est beaucoup plus qu'une enquête: c'est une interrogation profonde, pertinente, et décapante sur l'espace de liberté que nos sociétés inégalitaires, machistes et sur-médiatisées laissent aux petites filles pauvres pour se soustraire à un destin tout tracé de victimes, et sur celui qu'elles laissent aux hommes de bonne volonté pour faire l'exacte lumière sur les actes et les êtres, et pour exercer la justice malgré des pressions populistes émanant du pouvoir lui-même.



Ivan Jablonka a voulu rendre justice aux unes et aux autres, redonner une place à ces humbles enfants battues, ballotées et martyrisées, et montrer l' obstination et la farouche indépendance de ces discrets travailleurs de l'ombre, gendarmes, juges d'instruction,avocats, travailleurs sociaux, à l'écoute des drames énormes de ces vies minuscules.



Que de prédateurs dans cet assassinat sordide : l'assassin lui-même, bien sûr, mais aussi le père biologique, histrion alcoolique et sentimental (mais auteur de brutalités conjugales) , le père d'accueil, vrai Tartuffe et s'avérant, après l'affaire et sa sanctification en père idéal par l'Elysée, un prédateur sexuel sans scrupule qui a honteusement abusé de ses nombreuses « filles » de passage, et, pour terminer, le président de la République, Nicolas Sarkozy lui-même, instrumentalisant l'affaire comme à son habitude pour faire monter la mayonnaise sécuritaire et durcir encore la législation pénale. « Un fait divers, une intervention publique. A chaque crime, sa loi. Un meurtre vient « prouver » les failles du système pénal existant ; la loi qui y fait suite doit « couvrir » tous les crimes à venir". Ce président n'hésite pas à accuser la magistrature de laxisme, à fausser les faits, à forcer les rôles, provoquant , en Bretagne et ailleurs, une fronde des juges sans précédent. Pauvre Laëtitia, « démembrée par un barbare, récupérée par un charognard » titrait Charlie Hebdo…



Pour résumer, dit Jablonka, la mort de Laëtitia est un véritable féminicide : une petite jeune fille de 18 ans en butte aux quatre figures du prédateur machiste : le Caïd toxico et dangereux, le Nerveux imbibé, le Père-la-Morale pervers et le Chef qui joue les « puissances invitantes », « quatre cultures, quatre corruptions viriles, quatre manières d'héroïser la violence »





L'auteur va même jusqu'à se mettre lui-même en accusation, conscient qu'il est lui aussi un homme, après tout, et même une sorte de disséqueur de cadavre et que son livre,qui jette en pâture au public la vie trop brève de Laëtitia, pratique lui aussi sur la jeune fille une forme de violence. Il entreprend avec une grande lucidité son autocritique ainsi que celle du fait divers en tant que tel, et dénonce avec vigueur les « couples » écrivain-criminel célèbres, de Genet-Pilorge à Carrère-Romand.



Il faut, dit-il, que toute la fascination provoquée par le fait divers aille cette fois à la victime.



Car cette analyse sociologique et politique n'est pas seulement intelligente et convaincante, elle est aussi tendre, empathique, bouleversante: l'auteur fait revivre la figure timide de la petite serveuse, sa vie ébauchée, son essor interrompu, avec un très grand respect, une infinie douceur, une grande justesse.



Laëtitia recouvre son intégrité, et le fait divers, dans un tel ouvrage, ses lettres de noblesse.



Un livre formidable de profondeur, d'humanité et d'intelligence. Je recommande plus que chaudement !!



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Laëtitia

Et dire je j'ai faillit ne pas le prendre !

La bibliothécaire : t'nez celui-là vient de rentrer. Il est prix machin-chose 2016 !

Mwa : j'aime pas les prix machin-chose (un peu sur le ton de j'aime pas la tarte au concombre).

Mais lorsque j'ai voulu le reposer sur le présentoir, ma main ne l'a pas quitté. Comme ci l'âme de ce livre avait engagé un dialogue avec mon subconscient.

Un fait divers dans la région nantaise au début de l'année 2011. Laëtitia et sa sœur jumelle sont placées chez monsieur et madame Patron, famille d'accueil. Elles viennent d'un milieu défavorisé et violent. Ici elles tentent de se reconstruire espérant trouver un foyer aimant et reconnaissant. Elles viennent juste d'être majeures et suivent des cours, l'une pour être serveuse, l'autre cuisinière. Laëtitia sera enlevée, torturée, rouée de coup, poignardée, étranglée et pour finir démembrée et jetée à l'eau. Son bourreau, un ferrailleur du coin en mal d'amour, lui aussi venant d'un milieu violent.

L'affaire fait grand bruit, c'est le calme plat côté médiatique et le président de l'époque et ses acolytes ajoutent de l'huile sur le feu en pointant du doigt le dysfonctionnement de l'appareil judiciaire qui descendra dans la rue en colère pour réclamer plus de moyen. De la à dire qu'il y a un avant et un après l'affaire Laëtitia il n'y a qu'un pas.

Un livre que j'ai pris comme un coup de poing. On se croit à l'abri dans nos habitations confortables et proche de chez vous se passe des scènes dont nous ne sommes même pas conscient. La misère guette les plus faibles de nos congénères, dans ce livre ce sont les femmes qui sont les victimes. Victime de l'égo surdimensionné des hommes de tous poils et de leur taux de testostérone.

Ivan Jablonka a enquêté, interrogeant les uns et les autres : familles et amis de la victime, mais aussi de l'agresseur, avocats, magistrats, enquêteurs pour nous éclairer sur tous les dessous de cette affaire. Il nous livre un bouquin d’un travail remarquable, livre qui se veut factuel, sans parti pris. Pourtant difficile de na pas être emporter pas ses émotions devant un tel déchainement de haine et de violence.

Arrive ce chapitre 54 "fait divers, fait démocratique", une merveille sur l'analyse et le traitement de l'information.

Un livre qui me restera.

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Laëtitia

Laëtitia... Qui aurait pu se douter, qu'un jour, ce prénom porterait le nom d'une affaire ?



Laëtitia Perrais naît dans une famille chaotique : un père peu instruit, alcoolique, violent avec sa femme et ayant fait quelques séjours en prison, une maman dépressive, une situation précaire, une absence de repères. Avec sa soeur jumelle, Jessica, elle sera très vite retirée de ce foyer. D'abord recueillies par leur grand-mère, puis placées en foyer avant d'être admises en famille d'accueil, les soeurs peinent à trouver un équilibre. Chez les Patron, elles semblent pourtant avoir trouver un refuge. Un refuge illusoire ? Elles mènent leur scolarité cahin-caha, sont plutôt dociles, accèdent peu à la culture. Un soir de janvier 2011, Laëtitia sera enlevée. Suivront de courtes mais vaines recherches puisque le coupable, Tony Meilhon, sera arrêté deux jours plus tard. Un homme alcoolique, drogué, voleur ayant effectué plusieurs séjours en prison depuis son adolescence...



Comment expliquer un tel engouement ? Une portée médiatique si importante ? Des unes de journaux et des articles longtemps après ce drame, ce sordide et tragique fait divers ? Comment et pourquoi Laëtitia a-t-elle touchée si profondément le coeur des Français ? C'est ce que tente d'expliquer dans cette enquête l'historien et romancier, Ivan Jablonka. de son enfance à son adolescence malmenées, l'auteur retrace la vie de Laëtitia. Il relate également avec minutie le déroulement de l'enquête et ses retombées judiciaires, politiques et sociales, s'attarde sur le profil non seulement du tueur mais aussi de l'entourage de la jeune fille (père et mère biologiques, père adoptif, Tony Meilhon). Un travail de longue haleine pour lequel Ivan Jablonka a rencontré et s'est entretenu avec Jessica et son avocate, a arpenté le pays de Retz, les lieux du drame, dans le seul but de redonner vie à Laëtitia. Un récit poignant, glaçant parfois. Bien au-delà d'un simple fait divers, une peinture bien sombre de la société française.
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Des hommes justes : Du patriarcat aux nouve..

°°° Rentrée littéraire 2019 #14 °°°



«  Homme, es-tu capable d'être juste ? C'est une femme qui t'en fait la question . » a dit Olympe de Gouges. Là, c'est un homme qui en fait la question, l'historien et écrivain Ivan Jablonka.



L'objectif de cet essai est éminemment respectable après le tournant majeur amorcé par le mouvement #metoo : repenser la masculinité, inventer de nouvelles formes de masculinités pour faire des «  hommes égalitaires, hostiles au patriarcat, épris de respect plus que de pouvoir. Juste des hommes, des hommes justes. »



Cet essai est très ambitieux puisque l'auteur adopte un point de vue global, piochant des exemples du monde entier dans les domaines de l'histoire et de la sociologie. Il se compose de quatre parties :



- « le règne de l'homme » sur les origines de la mise en place du patriarcat et de la domination masculine, depuis le Paléolithique, toutes civilisations et religions comprises



- « la révolution des droits » sur la naissance du féminisme et des conquêtes vers plus d'émancipation féminine



- « les failles du masculin » sur la crise de la masculinité à mesure que les femmes acquièrent visibilité et droits



- « la justice de genre » sur ce vers quoi nos sociétés actuelles devraient tendre pour en finir avec le patriarcat et mettre en place une réelle égalité



Les trois premières parties relèvent d'un énorme travail de documentation très rigoureux afin d'extraire des exemples concrets et précis ainsi que des chiffres irréfutables. Si le propos est clair, pédagogique avec des sous-parties courtes, j'ai trouvé cette accumulation d'informations un poil indigeste ou du moins répétitives. Souvent j'aurais eu envie ou besoin d'un approfondissement pour développer certains points passionnants. Mais ce n'est pas le parti pris d'Ivan Jablonka qui a voulu plutôt un ouvrage exhaustif et il semble l'être.

Il est sans doute pertinent de ne pas lire ces trois parties d'un coup mais d'y revenir pour trouver des informations ponctuelles.



La quatre partie est pavée de bonnes intentions, impossible de réfuter quoi que ce soit concernant la nécessité impérieuse de bouger les lignes, notamment en éduquant mieux nos garçons pour qu'ils deviennent des hommes justes. Beaucoup de lieux communs cependant ou de déclarations d'intention évidentes. Mais cet ouvrage est nécessaire, car, pour amorcer un changement, il faut bien qu'il y est un début. Et Des Hommes justes en est un, qui appellera sans aucun doute d'autres ouvrages peut-être plus profonds ou proposant réellement de vraies solutions innovantes. Il fait réfléchir le lecteur sur cette question de la justice de genre, oblige à penser à ses propres pratiques, à son propre comportement et ça fait du bien que ce soit un homme qui le dise de façon aussi forte.



En fait, ce qui m'a le plus touché et intéressé dans cet essai, c'est son épilogue à la première personne. Ivan Jablonka évoque son décalage dès le plus jeune âge avec les us et coutumes de la virilité. Il parle de sa paternité. Et là, le propos universitaire respire, s'incarne : «  Devenir le père de mes filles a été le grand événement de ma vie. Il me reste quelques années auprès d'elle, soucieux de mettre en oeuvre ce que je professe. Avant que je sorte de ce monde, j'aurai peut-être la chance de voir nos fils devenir des hommes justes, et nos filles, des femmes libres.



Important car défricheur.



Lu dans le cadre du jury Grand Prix des Lectrices Elle 2020 ( n°3 )
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En camping-car

Abonnée aux Cox (dont un cabriolet décapotable rouge tomate,  vraiment collector, dont je me suis séparée avec larmes, malgré ses trous au plancher qui faisaient défiler la route plus vite!) , je n'ai jamais connu le plaisir du camping car VW, ce Combi  de légende,  même  si nous en rêvions tous les 5...Un de mes fils a réussi à  concrétiser, à moitié, ce fantasme collectif et familial : un "camion"  est bien sa coquille d'escargot ...mais ce n'est pas le fameux Combi, qui malheureusement n'est plus fabriqué. ..



Alors quand j'ai vu qu'Ivan Jablonka (dont j'avais tant aimé Laetitia et Histoire des grands parents que je n'ai pas eus) avait écrit un livre sur le fameux véhicule, je me suis doutée que ce serait beaucoup plus qu'un bouquin de plus sur un vroum vroum légendaire. ..



La démarche est tout à fait originale et comme toujours chez Jablonka, beaucoup plus complexe, polyphonique,  qu'elle n'en a l'air.



Tout à la fois,



- c'est une sociologie des vacances itinérantes et familiales du début des années 80 jusqu'à la chute du mur;



- un récit d'enfance, une sorte d'autobiographique, de bildungsroman motorisé  dont le voyage et les vacances seraient le mode d'initiation, le médium privilégié;  



- un petit vademecum de la pédagogie active à l'honneur dans les années d'après- guerre, un manifeste pour le droit des enfants à la liberté et au bonheur, le droit à la pause, en dehors de l'école - les vacances itinérantes étant la façon la plus libre, la plus ouverte et la plus parlante d'appréhender la connaissance du monde.

 

- une recherche historique sur la résilience de monsieur  Jablonka- père , un enfant-Shoah, devenu père et  souhaitant transmettre à ses enfants l'originalité douloureuse de ses racines tout en leur permettant, sans trahir leur culture, leur origine, leurs valeurs,  d'être plus heureux que lui, mieux intégrés dans un futur espéré fraternel.



"Soyez heureux!" C'est sur cette injonction  paradoxale,  ce double bind, qui est aussi un cri de colère du père que s'ouvre l'itinéraire de l'enfant Combi . C'est sur elle aussi que se clôt le livre.



Le devoir d'être heureux dépend du  bon usage du voyage (et de celui de son tapis volant mythique,  le Combi) .



Un bonheur à la marge, vadrouilleur, baguenaudant entre culture et nature, un bonheur de tribu- les parents, les potes des parents,  la bande des gosses - , un bonheur d'aventure, de rencontres, d'improvisation, de découvertes.



Le contraire d'un bonheur organisé, balisé, sécurisé, planifié.  Comme les vacances du même tonneau.



Et ce bonheur-là , pas chiche, le livre le dispense généreusement,  à  pleines bouffées.



En ces temps de masques, de gel hydroalcoolique, de "gestes barrières" et de "distanciation sociale", il nous rappelle  notre fraternelle humanité,  pas si loin, pas si caduque, et c'est un bonheur qui fait même un peu mal...
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Laëtitia

Laëtitia n'a pas eu de chance dans la vie, après une enfance chaotique, elle a fini assassinée par un marginal. Un garçon comme elle, privé dès sa naissance de l'affection indispensable à l'équilibre de tout humain, ce qui n'excuse en rien son crime.



Le triste destin de Laëtitia — pour qui l'Etat a déployé de gigantesques moyens pour retrouver le corps supplicié — nous est raconté avec empathie et rigueur par l'historien-sociologue Ivan Jablonka qui dit avoir choisi comme héroïne « une inconnue légère et vacillante qui n'a hérité de rien, sinon d'une histoire qui la dépasse, celle des bébés qu'on rejette, des gamines de l'Assistance qu'on viole, des servantes qu'on rudoie, des passantes qu'on tue après les avoir consommées. »



Un père alcoolique et violent, une mère qui en perd presque la raison. La vie en foyer, puis dans une famille d'accueil faussement bienveillante ; Laëtitia, sa soeur jumelle et d'autres fillettes y subissent des viols. Enfin, un président de la République, chef de bande qui instrumentalise sa mort pour une politique sécuritaire démagogique. La mort de Laëtitia, un fait divers de plus si on ne sépare le sujet de la vérité de son existence, de ses carences affectives, de la violence masculine qu'elle a subie, du milieu et de la société qui furent les siens.



C'est le travail remarquable accompli dans ce livre par Ivan Jablonka qui, permettant de comprendre ce que Laëtitia a fait et ce que les hommes lui ont fait, donne une dimension universelle au fait divers. Laëtitia n'est restée au monde que dix-huit ans mais a semble-t-il vécu des siècles, son histoire, obsédante et bouleversante, rejoignant celle des femmes martyres victimes de tout temps de la violence des hommes.

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Laëtitia

Je lis rarement des ouvrages tirés de "faits divers" mais j'ai lu de nombreuses critiques de celui-ci et me suis lancé.



J'en suis ressorti pétri de sentiments contradictoires.



De la "gêne" d'abord, ce côté voyeur qui m'empêche souvent d'aller vers ce genre de littérature car j'ai du mal avec la réalité. C'est réellement arrivé et ça me bouleverse. Peu-être est ce faire l'autruche, je ne sais pas ...



J'ai également été bien sûr bouleversé par le destin de Laetitia, comme prédestinée au malheur.



C'est remarquablement documenté et donne la part belle à une réflexion sur notre justice ou sur notre société car derrière l'horreur des faits, l'auteur nous brosse aussi le tableau juridique, social et moral de notre pays.



Ce livre m'a beaucoup beaucoup fait réfléchir mais reste une expérience douloureuse.



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En camping-car

parfois, les titres des romans sont trompeurs. Avec En camping car, on n'est pas pris en traitre. L'auteur revient sur sa jeunesse et notamment ses vacances en...camping car.

Alors , comme ça , ça ne vend que moyennement du rêve. Et j'avoue que les premières pages ne m'ont pas envouté. Et puis....



Et puis , l'auteur sort sa plus belle plume , et philosophe autour des combis , des spots, de la liberté , de la famille, des amis . Et c'est rudement bien fait, ramenant chacun à l'expérience personnelle de sa jeunesse.

L'auteur nous vend du rêve avec ses traversées d'Europe où la naturisme côtoie l'antiquité , les barbecues succèdent aux longues routes désertes surchauffées. C'est une autre époque , celle d'une liberté accessible et non réprimée,mais aussi du 'communisme dans ce qu'il avait de meilleur" et la nostalgie de ces moments à jamais perdus affleure à chaque page.

Alors , au delà de cette biographie qui a du émouvoir intensément tous les protagonistes , il y a ces réflexions autour du mythe et de la symbolique du combi VW et de tout ce que représente ce véhicule.

La marque d'une époque d'insouciance que les parents d'Ivan ont magnifié pour apporter à leurs enfants le plus beau des cadeaux, le bonheur.



Une très belle lecture qui monte en puissance au fil des pages.
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En camping-car

Lu fin janvier 2018-----



"Nos vacances n'avaient aucun nom, aucune justification, elles ne correspondaient à rien de connu. Cette manie ambulatoire était suspecte. Elle inquiétait les conformistes de masse par son côté excentrique ; elle paraissait grossière et rebutante aux enfants de l'élite. Nous bougions

tout le temps, nous étions des SDF de l'été. Instables. Nomades. Nous avions des choses en commun avec les gens du voyage. Bref, quelque chose ne tournait pas rond dans ma famille."



De prime abord... ce récit n'était pas spécialement dans mes centres d'attraction !!

Je n'ai jamais eu la moindre attirance ni pour le camping ni pour le

camping-car ...mais ce texte personnel avait le mérite double d'offrir les

souvenirs "croquinolesques" de la jeunesse de l'auteur , tout en analysant

un phénomène socio-culturel de sa jeunesse...dans les années 80 !



A travers une période et un pays donnés (La France) , on aborde à la

fois les souvenirs d'adolescence, les rapports familiaux de l'écrivain,

accompagné du regard contrasté, perplexe de ses camarades de classe,

qui ressentent autant de fascination qu'une certaine condescendance,

envers ses échappées estivales en camping-car, de leur copain ...!!



Par contre pour le père de Ivan Jablonka, comme pour le fils...ces voyages

en camping-car étaient une vraie philosophie de vie ainsi qu'une façon

des plus amusantes de se cultiver , tout autant qu'un fort désir paternel

de rendre heureux ses fils...!!:



"Mon père n'était pas un "baba-cool cradoque", mais il acceptait, il voulait que ses enfants dorment sous une tente, mangent par terre, courent dépenaillés sur les dunes, pissent dehors, se lavent un jour sur trois, ignorent les conventions, oublient d'être déférents avec leurs parents. Il professait qu'un enfant n'a pas à respecter son père et, d'ailleurs, le fait de voyager, d'être quotidiennement dépaysé, était un défi à toute autorité. Lui qui avait grandi sans père, il avait choisi de garder le meilleur de la

paternité. "(p. 116)





"Grâce au camping-car, j'ai pu découvrir le monde, la lecture, mais aussi l'histoire, c'est-à-dire le raisonnement historique : étonnement, question, collecte, expériences, déplacements, rencontres, écriture. L'histoire de notre enfance, mais aussi celle de nos étés, avec sa morale d'oisiveté, sa révocation des emplois du temps, sa dynamique des corps offerts à la nature. Une histoire à pleins poumons; des sciences sociales ressourcées au contact d'Hérodote. Et cela, ce n'est certainement pas en khâgne qu'on l'apprend. "(p. 147)



Lorsque je regarde plus avant les autres écrits de cet historien-sociologue- éditeur, ces échappées nomades familiales ont dû être un terreau infini d'observations et d'apprentissages... qui , sans doute, préparaient, alimentaient les curiosités présentes et à venir de l'observateur et "futur chercheur" !!



© Soazic Boucard- Janvier 2019
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En camping-car

« Ce livre est né de la confrontation de deux événements qui se sont produits à 40 ans d’intervalle: la guerre et mes vacances. » Dans ce court essai, qui se présente comme le souvenir émerveillé des vacances en camping-car de l’auteur, Jablonka prétend réfléchir à l’influence que ces vacances ont eu sur la construction de sa personnalité mais surtout à ce qu’elles révèlent de son époque. Enfant de survivant, il intitule son premier chapitre « Soyez heureux! », « Soyez heureux! » comme le cri de guerre du père pour qui les Nazis ont forcément gagné s’il a l’impression que ses enfants s’ennuient. C’est aussi la Shoah, pense-t-il, qui explique le choix du combi Volkswagen dans lequel ses parents lui firent découvrir le monde: un camping-car pour être toujours en route (car l’expérience a prouvé qu’un Juif qui s’avise de ne plus être errant finit toujours débusqué par les Barbares), et de marque Volkswagen car comment résister à la rationalité allemande dès lors qu’elle optimise les rangements plutôt que la solution finale?

Jablonka est aussi un enfant des Trente Glorieuses et je trouve très jolie son analyse des vacances de riches qui jouent aux pauvres que furent ses pérégrinations minimalistes dans toute l’Europe et au-delà: assez aristocratiques pour être associées au « grand tour » des fils de bonne famille du XIX° siècle mais assez bohèmes pour susciter le mépris des bourgeois fidèles à leur résidence secondaire, elles permirent aux enfants de prolos de rester fidèles à leurs origines et de bénéficier de l’ascenseur social sans se sentir transfuges de classe.

Alors sans doute ce livre plaira-t-il surtout à ceux dont l’enfance s’est déroulée au XX° siècle, dont l’enfance, par conséquent, n’est que pure négativité puisque « caractérisée par l’absence d’objets qui nous sont devenus indispensables: pas d'ordinateur, pas d'imprimante, pas d'Internet ni de mail, pas d'appareil photo numérique ni de téléphone portable, pas de compte Facebook pour poster en temps réel ses photos de vacances, pas de hashtag #VanLife pour dire sur Instagram la jubilation de la vie en camping-car, pas de siège-auto pour les enfants, pas d'airbags, pas de freinage ABS ni de guidage GPS. »

… Donc à tous ceux qui ont déjà monté une tente canadienne, pissé dans les bois, lu à la lampe de poche, joué aux cow-boys et aux Indiens et pris des douches exclusivement à l’eau froide pendant leurs vacances.

… Et finalement à tous ceux qui ne voudraient pour rien au monde passer pour d’affreux réactionnaires nostalgiques et qui remercient infiniment M. Jablonka d’avoir fourni la caution intellectuelle de cette délectable madeleine.
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Goldman

Chez les 17 à 87 ans, qui peut prétendre n'avoir jamais entendu le nom de Jean-Jacques Goldman et n'avoir jamais fredonné une de ses nombreuses chansons à succès ?



Un chanteur pop à la croisée de la chanson française (Brel, Brasses, Ferré ou Ferrat), du blues et du rock, ses premières influences, héritier du yéyé (J. Halliday), qui connut 20 années de succès fulgurants tout autant qu'étonnants...



Fils de juifs polonais et allemands émigrés en France dans les années 1930 et tenant un magasin de sport dans la banlieue sud de Paris, demi-frère d'un révolutionnaire gauchiste assassiné à Paris en 1979, biberonné aux idéaux communistes anti staliniens, là sont les sources spirituelles de J.J. Goldman.



Il ne se rêve pas en star ; il ne comprend pas qu'on l'adule. Il s'efface derrière le groupe.



Il est empathie, générosité, solidarité, au service des autres. Comme quand il se met à la disposition des Restaurants du Cœur.



Tout son parcours est marqué par ses origines : ses parents sont juifs ; ils se sont intégrés. Il prônera l'intégration, pas l'affrontement culturel.



Qu'on ne s'y trompe pas : ce livre se lit comme un roman mais est un vrai travail d'historien. Historien doublé d'un sociologue, quand il cherche à comprendre ce qui a fait de J.J. Goldman ce qu'il est devenu.



Un excellent portrait qui est est le roman d'une vie de star avant d'être son histoire.
Lien : http://michelgiraud.fr/2024/..
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En camping-car

Sans doute influencé par la couverture, en ouvrant ce livre je m’attendais à trouver une ribambelle de références aux plaisirs modestes du camping-car et que ça.



J’étais loin du compte.



Ivan Jablonka, que je découvre ici, avec son style clair et sincère, donc agréable, nous évoque bien l’histoire du camping-car, ce paradoxe ambulant, à la fois bourgeois à cause de son prix et bohème à cause du mode de vie qu’il nécessite ; Bobo en somme.

Il évoque aussi ces plaisirs uniques: liberté, spots, proximité de la nature, oubli des contraintes, suspension du temps, éloge de la parcimonie



Mais « En camping-car » est surtout un ouvrage à tiroirs et nous plongeons dans une introspection, une autobiographie, une quête du père, une sorte de thérapie sans pathos profond, une compréhension chargée de doux reproches et, finalement, un remerciement énorme à ses parents de lui avoir donné une enfance heureuse en partie faite de quelques semaines de vacances en camping-car qui comblaient la rigueur du reste de l’année.



J’ai été très sensible à cette liberté qui inonde l’enfance d’Ivan.

« Ma liberté n’était pas licence, anarchie, dissidence, fugue, mutinerie, impulsion, arbitraire, caprice, paresse, ni même intelligence, car mon esprit, lent à la compréhension, peinait déjà à se mouvoir ; j’avais si bien intégré les règles qu’elles pouvaient être suspendues sans que je songe à les transgresser. Non, la liberté que le camping-car a engendré état plutôt émerveillement, disponibilité, allergie à toute forme de servitude et de fixité – une sorte de dérive insouciante ».



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En camping-car

Les vacances de globetrotteurs.



Faut-il avoir connu ces transhumances estivales pour se projeter dans les souvenirs de Ivan Jablonka? Je suppose que ça aide, même si pour moi, elles étaient plutôt «toile de tente, piquets et sardines».



J'ai donc lu amusée et un brin nostalgique, retrouvant ces sensations grisantes de découvertes et de liberté. Il est pourtant une blague familiale régulièrement évoquée concernant mon antipathie solide envers les camping-cars (pour des raisons qui n'ont pas d'intérêt ici). Quand mon entourage m'a vue plongée dans ce livre pour un jury, l'incompréhension a été goguenarde.



Le concept des vacances de l'auteur est teinté de contre-culture, de bonheur populaire, écolo avant l'heure. On est naturiste, on cherche les endroits cachés et sans tourisme, on apprend sur tout en s'amusant d'un rien. On vit serrés et en communauté dans des combis Volkswagen, véhicule emblématique, baba cool et farfelu, métaphore d'une maison qu'on transporte avec soi, tel le Juif Errant.



C'est toute une époque qui se dessine où l'autonomie estivale devient possible, Guide du Routard en poche, alliant découvertes géographiques et historiques, esprit sain dans un corps sain, et des figures parentales jeunes, sportifs et dynamiques comme des grands adolescents, aux valeurs «socle» pour l'adulte en devenir.



« Soyez Heureux »! Étonnant commandement d'un père, qui indique la voie vers l'essentiel.



Sympathique lecture, cette chronique familiale teintée de philosophie et d'histoire sociale.

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Laëtitia

Le fait divers passionne l'opinion publique. La voilà indignée par un crime, émue par une victime, fascinée par un meurtrier. Elle suit chaque jour les avancées de l'enquête et veut tout connaître des détails de l'horreur. Une fois le sensationnalisme évacué, l'analyse du fait divers nous apprend beaucoup de choses sur notre corps social. Ainsi l'historien Ivan Jablonka choisit-il d'étudier l'affaire Laetitia Perrais en utilisant les outils des sciences sociales pour comprendre ce qui a rendu possible cette tragédie et pour obtenir un éclairage en retour sur l'état de notre société. Il dissèque et interprète quand les faits manquent. Sa démarche est originale puisque ce n'est ni un livre d'histoire, ni une enquête journalistique. Il n'hésite pas à associer à la rigueur de son étude des passages personnels à la limite du lyrisme. Il s'attache plus à Laetitia qu'à son assassin car il souhaite l'arracher à son statut de victime. Elle ne doit pas être réduite à sa mort mais rendue à son existence joyeuse et tourmentée. Il faut dire que Laetitia a vécu dix-huit années bien chaotiques… L'affaire a eu un écho médiatique important qui a vite été récupéré par un Président au programme sécuritaire. L'auteur s'attache donc à déconstruire son discours et à décortiquer le fonctionnement des services de justice. J'ai été parfois surpris par la manière dont le narrateur se mettait en scène et j'ai été gêné par certaines répétitions. Mais « Laetitia » n'en reste pas moins un livre à l'approche globale, érudite et documentée
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Le corps des autres

Une courte enquête très intéressante, sur le métier d'esthéticienne en France.

Un métier souvent méprisé, alors qu'il est dans le care, dans le service, tourné vers les autres, leur bien-être, leur beauté.

Méprisé parce que souvent exercé par des femmes, pour embellir les femmes, et les questions de domination masculine ne sont pas loin. Pour ou contre l'épilation intégrale ? pour ou contre les cures minceur ? pour ou contre les traitements anti-âge ?

Méprisé parce que c'est un métier manuel, non médical (par exemple, les esthéticiennes ont le droit de vous traiter par lumière pulsée, mais seul le dermatologue a le droit en France de faire une épilation définitive par laser).

Méprisé parce que de nombreuses personnes croient à tort que c'est un métier de "petite main", dans lequel on est orientée, métier qu'on ne choisirait pas, ou par défaut. L'auteur démonte cette idée reçue comme bien d'autres. La plupart des esthéticiennes évoquent la passion de leur métier, la technicité, le savoir-faire, les études dans des écoles d'esthétique assez chères, parfois après d'autres études, le début dans la vie professionnelle dans un autre métier (proche ou non) et le choix volontaire de reconversion dans l'esthétique.

Un métier injustement méprisé donc, et que cette courte enquête nous permet de mieux cerner.
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Histoire des grands-parents que je n'ai pas..

Une fois encore, Ivan Jablonka m’a captivée par la recherche pointilleuse, exigeante, tâtillonne, presque, qui le caractérise – sa rigoureuse méthode d’historien ! - …et il m’a cueillie au débotté, touchée en plein cœur par la sincérité de l’aveu d’impuissance, le sentiment d’échec qu’il confesse au terme de cet immense travail.



Il est douloureux de se faire l’historien d’une période en même temps que celui de son histoire familiale.



Non que la lucidité, l’objectivité en souffre plus que si le sujet n’était pas aussi intime : quand on est, comme Ivan Jablonka, un éminent historien, on sait quelle est la bonne distance à maintenir, et on sait bien, aussi, que, si l’objectivité absolue en histoire est impossible, on se doit d’éviter tout récit arrangé, tout pathos, toute irruption de l’émotion qui viendrait fausser les perspectives de la recherche.



Mais tenter de retracer l’histoire des deux jeunes disparus- que même le père d’Ivan Jablonka a à peine connus, lui qui fut orphelin à deux ans,- c’est être amené à trahir au nom de l’universel ce que ces deux existences avaient de particulier, tant la tourmente qui les a emportés a été sans pitié et leur passage presque sans traces.



Les recherches dans les archives, longues, fastidieuses, difficiles- la Pologne d’aujourd’hui semble avoir escamoté les traces de son immense population juive d’avant-guerre, avec la même constance qu’elle a mise à la persécuter , avant l’arrivée des nazis …



La famille Jablonka a subi comme tant d’autres familles juives d’origine polonaise une diaspora sévère : il a fallu retrouver les témoins survivants en Amérique du Sud, en Israël, en France…Les voisins du XXè arrondissement parisien, tous plus en moins clandestins, en fuite, en séjour illicite dans ces temps troublés ont dû être recherchés, retrouvés , de même que les quelques Justes qui les ont aidés, protégés, avertis des rafles et qui ont recueilli et sauvé leurs enfants.



Ce lent et passionnant travail de compilation, de recoupements des sources et des témoignages fait revivre la noble figure de Matès, le bourrelier-gantier, leader marxiste et forte tête, éternel rebelle, actif et follement courageux, et de sa belle Idesa, militante elle aussi, vive, rapide, tendre et pleine de fermeté, dans la tourmente qui déferle sur elle, son jeune mari et ses deux petits enfants.



Avec l’obstination de l’amour doublée de celle du chercheur, Ivan Jablonka les suit pas à pas, dans la trentaine d’années – même pas- qu’ils ont passée sur terre.





Matès et Idesa Jablonka, communistes militants, polonais, échappent aux geôles de Pilsudski; juifs laïques et athées , ils se dérobent à l’antisémitisme ambiant, à l’ embrigadement sioniste, refusent l’alyah en Israël ou l’exil en Amérique, et courent se jeter dans la gueule du loup d’une France , ex- patrie des droits de l’homme où, sous Daladier, et avant Pétain, les circulaires contre les étrangers préparent déjà le terrain à ce qui deviendra la collaboration avec l’Allemagne nazie.



Clandestinité, prison, camps d’internement- mais bientôt la guerre : une opportunité de gagner –chèrement-ses galons de Français en s’engageant dans les régiments étrangers ? Point du tout ! Une expérience traumatisante du feu, puis c’est la démobilisation et à nouveau, la misère, la clandestinité, - les luttes politiques, toujours, mais un peu plus prudentes ! Jusqu’à la dernière rafle, celle de février 1943, qui les interne à Drancy avant de les envoyer dans le même convoi, le convoi 49, à Auschwitz.



On suit aussi, bien sûr, le parcours cahotique mais finalement salvateur, des deux enfants, que l’amour de leurs parents avait mis à l’abri , chaque nuit, chez un voisin de palier polonais mais goy.



Toutefois, opiniâtre et terrassé d’horreur, le petit-fils- historien reprend la piste de Matès et Idesa jusque dans l’enfer d’Auschwitz.



Et c’est le pire des récits que j’aie jamais eu à lire sur le sujet. Sans doute parce que, progressivement, ces grands-parents inconnus ont peu à peu pris corps, et que justement quand on croit les avoir un peu mieux cernés, un peu mieux compris, on les perd dans l’enfer de l’Enfer que sont les SonderKommandos.



Les ingénieurs nazis sont en train d’ organiser scientifiquement l’élimination massive des convois : nouvelles chambres à gaz pour Birkenau, nouveaux incinérateurs. Il y faut une main d’œuvre consacrée, elle existe déjà, mais on doit la multiplier : les SonderKommandos. Tandis que les constructeurs s’activent et expérimentent, une centaine d’hommes sélectionnés du convoi 49 sont désignés pour les SonderKommandos. Dont Matès. Et 19 femmes. Dont peut-être Idesa.



Mais dans le feu et l’horreur de la géhenne, les traces définitivement se perdent. Les réponses aussi. Sur les papiers officiels il ne sera marqué que « mort à Drancy, Seine ».



Ce n’est pas seulement le sort atroce de ces grands-parents éternellement jeunes qui noue la gorge du lecteur, ni qui arrache à l’écrivain l’aveu désolé d’impuissance et d’échec dont je parlais plus haut : c’est aussi de ne pas trouver une réponse qui puisse donner un sens, une certitude qui puisse fermer le récit, une parole qui se fasse le digne tombeau de tant de lutte et de courage.



Auschwitz, c’est une arithmétique, une entreprise démentielle du crime de masse.

Les SonderKommandos c’est le fin fond de cette horreur-là, qui fait des victimes les assistants contre leur gré, les aides asservis du génocide.



Aucun récit, aucune recherche, aucun amour filial ne peut accompagner ces morts-là jusqu’au bout.



« Leur mort n’appartient qu’aux disparus. » conclut sobrement Jablonka.

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Laëtitia

Refermer le dernier roman d’Ivan Jablonka "Laëtitia" est une chose, se détacher de son contenu et l’oublier en est une autre. Laëtita, qui ne se souvient pas de cette histoire abominable, de ce crime odieux et de la vague médiatique qui s’en suivit ? Personnellement, je n’ai rien oublié de ce que l’on nomme un "fait divers". C’est peut-être parce que je connais les lieux, parce que je suis originaire de cette région, parce que je suis une maman, parce que je suis, ou plutôt, j’ai été une enseignante et qu’au fond je le suis restée, et que tout ce qui touche aux jeunes m’est important. Alors, non, je n’ai rien oublié de cette horreur.

Mais se plonger dans ce "Laëtitia" là, c’est tout revivre au centuple. Aux confins du roman policier, de l’étude sociologique, de l’oraison funèbre, du récit historique, du devoir de mémoire, sans être rien de tout ça, l’ouvrage est d’une qualité exceptionnelle d’humanité. L’écrivain écrit, certes, mais derrière les mots on entend l’homme, le père.

Ivan Jablonka est un historien et un sociologue et on le sent. Alternant les chapitres techniques, historiques et politiques à la fois et ceux qui racontent la vie de la victime, il nous entraîne dans un compte-rendu précis, détaillé, un point de vue humain. Il rend ainsi un hommage à la victime mais recherche également la justice et la vérité. Il va essayer, tout au long du livre, sans porter de jugement et tout en retenue, d’analyser, de comprendre, d’argumenter, de rechercher les tenants et les aboutissants d’une mort que l’on peut presque croire annoncée.

Ce récit est foisonnant qui est à la fois une étude sur l’inégalité des chances et une observation de l’instrumentalisation de ce type de drame par les politiques. C’est aussi l’occasion de pointer du doigt les manques de moyens de la justice, des instances de réinsertion, les dangers de la prison, les récidives.

En lisant ce document d’une richesse incomparable, j’ai, en effet, du mal à croire à l’égalité des chances. Laëtitia semblait s’être sortie de sa condition d’enfant en souffrance et pourtant. Réussit-on à se relever d’une enfance cabossée ? Et les questions lancinantes… pouvait-on faire quelque chose, était-elle au mauvais moment, au mauvais endroit ou inconsciemment est-elle allée vers ce qu’elle pensait être son destin ?

Ivan Jablonka a réalisé un travail de fourmi pour ressortir cette histoire des cartons et il livre un hommage magnifique à cette jeune Laëtitia à laquelle il redonne toute sa dignité.

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Histoire des grands-parents que je n'ai pas..



Je viens de m’apercevoir que c’est aujourd’hui le 77 ème anniversaire de la libération du camp d’extermination des juifs d’Auschwitz-Birkenau, alors que je viens de terminer, bouleversé, ce formidable livre.

Je découvre sur France TVinfo l’interview d’une adolescente de terminale retenue pour se déplacer aujourd’hui à Auschwitz (au sein d’une délégation menée par notre premier ministre), et avec d’autres élèves de sa classe qui effectuent depuis la classe de seconde un travail sur le thème du sort des juifs durant la seconde guerre mondiale. Elle dit: « je crois que cette visite sera un choc pour moi, mais ce n’est rien à côté des atrocités subies par toutes celles et tous ceux qui ont été dans ce camp. »

Oui, c’est aussi ce que l’on ressent à la fin de la lecture de ce livre.



Ivan Jablonka, universitaire brillant, sorti de Normale Sup, rédacteur en chef de La République des idées, a écrit ce livre pour rendre hommage et sortir de l’anonymat ses grand-parents, Mates et Idesa Jablonka, exterminés à Auschwitz-Birkenau. Et par là, je trouve qu’il donne vie à ces six millions de juifs dont la vie fut détruite au nom d’une idéologie mortifère.



C’est un livre exceptionnel.

L’auteur écrit: « Je suis parti, en historien, sur les traces des grands-parents que je n’ai pas eus. »

Et c’est ce qui fait l’originalité et la force de ce livre.

Avec la méthode de l’historien de l’histoire contemporaine, faite, de ce que j’ai compris, de deux approches, la première de la recherche au sein des documents: archives, livres, lettres, etc…, la seconde de l’interrogation des témoins, directs si possible, ou à défaut indirects, Ivan Jablonka nous retrace minutieusement le parcours de vie, avec ses zones d’incertitude, de ses grands-parents depuis leur naissance en Pologne jusqu’à leur mort à Auschwitz.

Et il le fait avec tout d’autant d’humanité émouvante et d’empathie, que de précision et d’honnêteté.



Que de choses m’a appris ou rappelées ce livre!

Mais par dessus tout, j’en ai retenu la solidarité, qui est le corollaire de l’humanité, de la reconnaissance de l’autre comme moi-même.

Que ce soit dans le shterl, cette petite bourgade juive, de Parcew, où naît Matès Jablonka, que ce soit l’accueil et l’entraide reçues de tous ces gens modestes, juifs ou non-juifs, lors de son arrivée en France puis de son installation avec Idesa, qu’il s’agisse du courage et de la fraternité de toutes celles et ceux qui les ont aidés pour se cacher, car ils étant immigrants et « sans papier », qu’il s’agisse enfin de celles et ceux qui ont sauvé les deux enfants de Matès et Idesa, Suzanne et Marcel (le père de l’auteur), de tous ces gens qui l’ont fait par simple humanité, sans se croire héroïques,

tels Constant et Annette, ces voisins et amis qui vont trouver un couple de vieux agriculteurs bretons, les Courtoux, qui accepteront de cacher les enfants durant toute la guerre, puis ces même Constant et Annette qui les élèveront après la guerre comme s’il s’agissait de leurs propres enfants.

Oui, tous ces gens simples, qui, sans être des résistants, furent simplement humains, et dont l’action contribua à ce que les 3/4 des juifs de France échappèrent au massacre. Et qui, au passage, et à la différence de Pétain, ont, eux, sauvé des juifs.

Et tout cela vaut bien mieux que toutes celles et tous ceux, qui, au delà de l’horreur absolue du régime nazi, n’ont pas voulu reconnaître dans le juif, dans l’immigré, un être humain.

Évidemment, dans notre France actuelle, enfin celle de Zemmour et celle du RN, cela me parle.



En conclusion, je suis admiratif et ému du travail fait par Mr Jablonka. Ce livre d’historien est aussi un livre d’une grande humanité et, on le sent, marqué par beaucoup de tendresse.

Voilà aussi, je trouve, un livre que les enseignants de lycée devraient absolument proposer à leurs élèves.
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Laëtitia

en poche chez POINTS, "Laëtitia ou la Fin des hommes», enquête historique sur un fait-divers datant de 2011, a obtenu le prix Médicis 2016.



Avec une méticulosité extrême, Ivan Jablonka historien et écrivain, .retrace la vie de cette jeune femme, abîmée par la vie, qui va faire une rencontre malheureuse.



Ce fait divers horrible a ému toute la France, de part ses rebondissements multiples mais également à cause de la récupération politique de cet événement par le président de l'époque , Nicolas Sarkozy.



L'auteur réussit à faire revivre Laetitia à travers les pages, à lui rendre son humanité dans un livre exceptionnel à mi chemi entre la réflexion sociologique et le récit d'une vie brisée. l'auteur rend hommage à Lætitia, en la racontant elle et non pas uniquement le fait divers ou l'étude sociologique.

Un récit émouvant et juste qui redonne toute sa dignité à cette jeune fille.
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Goldman

Jablonska publie un essai sur l'auteur - compositeur Jean Jacques Goldman, aujourd'hui retiré, en présentant sa démarche comme celle d'un historien des années 80-90, analysant le succès du chanteur comme symptomatique des attentes d'une époque et d'un parcours social.



Il reprend la jeunesse de Goldman, ses premiers goûts musicaux, et rappelle ainsi qu'avant d'obtenir un succès considérable dans les années 80, le chanteur a traversé les années 70 en vendeur d'articles de sport, et plus accessoirement comme membre de divers groupes rock à la notoriété modeste, y compris Taï Phong. Le basculement vers le succès va intervenir en peu de temps et de façon inattendue, même pour le principal intéressé.



Rien à dire sur cette présentation « biographique ». Par contre, l'auteur va identifier le parcours de Goldman, comme le ferait un fan (rien à redire à cela), mais aussi au regard de ses propres projections de pensées. Il consacre de longs passages aux origines familiales (qui ont certainement influencé ses chansons, mais ne sont pas pour autant l'explication à tout, contrairement à ce qui ressort en continu dans l'ouvrage de Jablonska, et finit par être des plus pesants), et oppose le chanteur à son demi-frère Pierre, dont l'engagement politique est présenté là d'une façon quasi-romantique. D'un côté un politique en rupture avec la société, de l'autre le chanteur qui aurait choisi au contraire un profil lisse, sans accroc, alors que dans le même temps Jablonska a rappelé que tout ce qui comptait pour le jeune Jean-Jacques Goldman, c'était sa guitare, la musique, point.



L'auteur multiplie les comparaisons entre le chanteur et lui, se trouve des références communes, et parle d'une façon nombriliste pas mal de lui. Au final, entre quelques tableaux de présentation façon sociologie appliquée, quelques envolées lyriques sur une époque où certains croyaient encore changer le monde (et assassinaient froidement lors d'un hold-up), une chronologie des albums solo ou du trio Fredericks – Goldman – Jones, et beaucoup de rappels de la vie politique de l'époque, l'ouvrage part dans tous les sens et par moments semble bien loin de son sujet.



Précédé d'une intense campagne de communication, avec interviews dans des magazines et à la radio, ce livre intervient alors que l'activité médiatique de Jean-Jacques Goldman est comme les années précédentes : nulle. Cette absence d'actualité autour de celui qui reste l'une des personnalités préférées des Français ne peut qu'amplifier l'intérêt sur le livre, et par voie de conséquence les ventes.

Si l'essai de Jablonska apportait quelque chose à la compréhension de l'individu ou de l'époque dans laquelle il a connu ses succès, ce fort contexte de stratégie éditoriale serait secondaire. Mais ce n'est guère le cas.

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