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Critiques de Jack Kerouac (552)
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Sur la route

Ceci n'est pas un livre, c'est un état d'esprit. En effet, qu'on se le dise, Jack Kerouac n'a pas écrit une histoire : au début, on est tenté de suivre les péripéties des deux gaillards principaux, Sal Paradise alias Kerouac lui-même et Dean Moriarty alias Neal Cassady (N. B. : dans le rouleau original, Kerouac n'a même pas pris la peine de modifier les noms réels des protagonistes, ainsi Neal Cassady, Allen Ginsberg et autres apparaissent directement sous leur véritable identité).



Mais au bout d'un moment l'histoire semble patiner et nous avec et puis, d'un coup, paf ! On se rend compte que l'histoire n'a absolument aucun intérêt, que la seule chose qui prime, c'est l'état d'esprit, le « Mood » pour reprendre un terme de jazz si propre à l'écriture de Kerouac.



Soit cela prend et c'est magique, soit cela ne prend pas et c'est une cruelle déception pour le lecteur. Vous aurez compris que pour moi, ça a pris, peut-être parce que je l'ai lu moi aussi sur la route, il y a bien longtemps, au volant d'une petite voiture bouffonne, avec Bob Dylan à plein tubes dans les oreilles, dans une pérégrination entre le Cap Nord et le Sahara, sans but et sans mobile comme les deux protagonistes et à peu près au même âge qu'eux.



Quand cela prend, on n'en ressort jamais complètement indemne : il y a un avant et un après Kerouac. La route prend une tout autre signification, car ce livre n'est rien moins qu'une autre manière de voir la vie. Cela devient de la métaphysique, une philosophie de vie à la Hermann Hesse (qui sera développée plus tard dans Les Clochards célestes).



Est-ce moral de fuir ainsi tout le temps, d'abandonner ses enfants et ses compagnes comme le fait Dean ? Est-ce que ça changerait quelque chose, à l'heure du dernier soupir, de ne pas les avoir abandonnés ? Ce livre a le mérite d'exister et de souffler une autre vision de la vie que l'utilitarisme.



Faire des choses qui ne servent à rien, juste pour les vivre, juste pour l'éphémère sensation qu'elles vous procurent. Vivre tout à fond, comme si c'était la dernière fois, expérimenter à tout va, la folle vitesse, les folles drogues, les folles orgies, les folles distances, les folles déprimes, les folles rigolades, les folles relations humaines, explorer des terrains inconnus de l'être, de la société, de la morale, de l'espace, vivre 100 vies en une, bref, accumuler des expériences, des expériences, et encore des expériences, quels qu'en soient la nature et le type, se chercher soi-même en une quête sans cesse réitérée au travers de ce que l'on ne connaît pas.



Voilà, pour moi, sur la route, c'est tout ça. La devise de ces joyeux drilles pourrait être « peu importe le flacon, pour peu qu'il y ait l'ivresse ! »



Le livre sortit en 1957, année mémorable à plus d'un titre, mais en particulier pour l'envoi dans l'espace du fameux satellite artificiel soviétique nommé Spoutnik. Il n'en fallut pas plus à un journaliste pour imaginer le terme de « beatnik » afin de qualifier ces sortes d'électrons libres déguenillés ayant la bougeotte.



Kerouac lui-même expliqua dans une interview que le terme « beat » faisait référence, selon lui, à trois notions combinées : la première provient des populations noires du métro de New York, littéralement les « battus », oubliés du rêve américain, croupissant dans la misère et l'absence de perspective, mais caractérisés par une sorte d'insouciance, une bonne humeur et une fraternité de tous les instants, couplée à une sérieuse tendance à chanter pour un oui pour un non.



La seconde provient de la notion de pulsation, de « battement », terme qui évoque le cœur, mais aussi et surtout la rythmique du jazz, dont la prose spontanée de Kerouac se veut l'équivalent littéraire des improvisations propres à cette musique.



Enfin, n'oublions pas que Kerouac était francophone et que le français était même sa langue maternelle et donc que le terme « beat » fait également écho aux termes français « béat, béatitude » dans leur sens d'émerveillement simple et naturel devant le spectacle de la nature (humaine ou rencontrée sur la route).



Ainsi, l'auteur désigna-t-il sa génération (ceux qui ont fait 39-45 et en sont revenus un peu paumés) comme la « beat generation », clin d'oeil à la non moins fameuse « génération perdue » de 14-18, si bien décrite par D. H. Lawrence dans L'Amant de Lady Chatterley, et dont l'écrivain Ernest Hemingway en est un archétype.



À titre de comparaison, si vous avez l'occasion, lisez cet autre « Sur la route » qu'est Voyage à motocyclette de Che Guevara et vous verrez un tout autre effet du fait de voyager sans but. D'une certaine manière, c'est la même histoire, les mêmes protagonistes, mais le hasard a fait qu'ils n'ont pas croisé la même réalité et qu'elle n'a pas eu les mêmes effets sur eux. Ceci engendre une autre métaphysique qu'il n'est pas inintéressant de confronter.



Enfin, est-il utile de préciser que le « Sur la route » de Kerouac est dans la lignée des romans américains qui tirent leur origine du monument de Herman Melville, Moby Dick. J'en veux pour preuve la première et la dernière page du roman.



Dans la première, le héros ressemble à s'y méprendre au Ishmaël de Melville et dans la dernière, Kerouac compare l'Amérique à un ventre géant et allongé, allusion à peine masquée à la grosse baleine tueuse.



En somme, d'après moi, Sur La Route est un livre qu'il est bon de laisser décanter en nous, pour en saisir le sens profond, lequel sens profond, me concernant, n'était pas forcément dans le projet de l'auteur. Je crois que la phrase, ou du moins l'une des phrases, les plus importantes du roman apparaît dès la première page et est la suivante :



« Avec l'arrivée de Dean Moriarty commença le chapitre de ma vie qu'on pourrait baptiser : Ma vie sur la route. » Ceci implique que, même pour Kerouac, cette période devait être transitoire, qu'elle avait quelque chose d'extraordinaire, de hors du temps, qu'elle ne se reproduira jamais, et qu'elle est fortement liée à la personnalité si atypique de Dean.



D'après moi, en aucun cas, au moment où il écrit Sur la route, il ne songe à en faire un mode de vie qui soit une alternative crédible au système dominant, mais plutôt une relation d'expériences diverses qui sont une initiation, quelque chose comme faire ses armes avant de passer à la vraie vie dans le monde et dans la réalité.



Avant d'en finir, je voudrais encore vous offrir un passage qui me paraît fondamental pour comprendre l'oeuvre dans son entier. (Il s'agit de la traduction de Jacques Houbart datant de 1960, qui ne me semble pas géniale, mais bon, faute de lire le livre en VO, ça aide un peu quand même.)



« Mais alors ils s'en allaient, dansant dans les rues comme des clochedingues, et je traînais derrière eux comme je l'ai fait toute ma vie derrière les gens qui m'intéressent, parce que les seules personnes qui existent pour moi sont les déments, ceux qui ont la démence de vivre, la démence de discourir, la démence d'être sauvés, qui veulent jouir de tout dans un seul instant, ceux qui ne savent pas bâiller ni sortir un lieu commun mais qui brûlent, qui brûlent, pareils aux fabuleux feux jaunes des chandelles romaines explosant comme des poêles à frire à travers les étoiles et, au milieu, on voit éclater le bleu du pétard central et chacun fait : " Aaaah ! " »



« They danced down the streets like dingledodies, and I shambled after as I've been doing all my life after people who interest me, because the only people for me are the mad ones, the ones who are mad to live, mad to talk, mad to be saved, desirous of everything at the same time, the ones who never yawn or say a commonplace thing, but burn, burn, burn like fabulous yellow roman candles exploding like spiders across the stars and in the middle you see the blue centerlight pop and everybody goes " Awww ! " »



Enfin, chers Babelionautes, puisqu'il n'est nullement prescrit la forme et la fonction que doit revêtir une critique sur ce site, j'en termine en vous laissant le fruit d'une expérimentation : je me suis demandée comment rendre, dans une critique, un volatil état d'esprit, restituer un sentiment aussi insaisissable, aussi impalpable que le livre qu'elle représente. Et j'ai accouché de ça, ce truc, sans forme et sans nom :



On vient

Jusqu'à mon jardin

Cueillir le muguet

Sentir le lilas



Et moi

Dans mon gros village

Derrière mon voilage

Je reste plantée là



On vient

Jusqu'à mon jardin

Sentir les fumets

S'évader des plats



Et moi

Dans mon gros village

Derrière mon voilage

On m'embarque pas



Et Dean

Avec une copine

Est passé par là

Et m'a dit comme ça :



Eh toi !

Dans ton gros village

Derrière ton voilage

Faut pas rester là



Eh toi !

Quitte ton gros village

Boucle ton paquetage

Et viens dans mes bras



Mais, bien entendu, comme toujours, vous avez compris que tout cela n'est que pure subjectivité, n'est que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Sur la route

Ca y est, j’y suis arrivé, quel voyage, les amis ! La route fut longue mais tellement incroyable, Kerouac nous ballotte d’une contrée, d’un état à l’autre. C’est le genre de livre qui à mon avis, l’on dévore très vite ou qu’on rejette très vite. Heureusement pour moi, c’est la première solution qui m’a guidée. Des kilomètres de bitume ou drogue, alcool, sexe sont les moteurs. Une forme de fuite en avant pour trouver un sens à tout ça. Vivre à fond sans penser à l’avenir. Des rencontres, des questionnements, une vie au jour le jour, une course perpétuelle pour trouver de l’argent, à manger, un toit. Kerouac remplit les pages, avec une frénésie et un style incroyables. Cette route-là avec la naissance de la génération Beatnik est drôlement addictive. Moi, je me suis régalé. On comprend pourquoi les pérégrinations de Kerouac sont devenues de même que son auteur cultes.
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Sur la route

Soixante ans après sa première publication, que reste-t-il de Sur la route, souvent qualifié de roman mythique, de révolution littéraire, et nimbé d’une aura sulfureuse?



On connaît l’histoire éditoriale du roman largement autobiographique, écrit initialement sur un rouleau de 36 mètres de long, et refusé sous sa forme originale car potentiellement inacceptable par l’Amérique puritaine des années 60. Ce qui en subsiste après correction, su le fond et sur la forme est bien pâle, et depuis, les auteurs ont pu faire fi de tous ces préjugés moralistes, y compris aux Etats-unis. Si ce road-trip n’est pas une promenade de santé, il reste très conventionnel. Beaucoup d’alcool (mais des ivresses plus festives que celles d’Hemingway dans Le Soleil se lève aussi), un peu de drogue, un peu de sexe, beaucoup de folie (celle de Dean, démon tentateur, qui entraîne dans ses délires femmes et potes), tout cela est loin de l’image véhiculée par les rumeurs.



Difficile de parler de l’écriture, tant l’écran de la traduction fausse l’appréciation. J ’ai été gênée par l’utilisation du mot fille pour désigner les les petites amies . On se doute qu’il s’agit de girl en anglais, mais cela n’a pas le même sens, » It’s my girl », , ce n’est pas « c’est ma fille » C’est certainement un roman à lire en VO. De même l’utilisation du neutre « on revint auprès de Frankie, », « on décida d’abord de se laver à la station service », un peu redondante.



Reste de sublimes pages sur le jazz, en particulier ce passage sur le « it », qui révèle une passion viscérale pour cette musique.



Donc pour le sulfureux, il faut sans doute se reporter au rouleau original, publié depuis et traduit.



C’est pour moi un mythe démystifié, et une lecture très mitigée, un peu longue et répétitive, et qui a (mal) vieilli.


Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Tristessa

Tristessa est une nouvelle un peu intrigante qui nous livre des réflexions de Kerouac sur plusieurs sujets :



1) L'amour, d'une part, qu'il éprouve pour cette frêle mexicaine et qu'il refuse de rendre physique pour ne pas le dénaturer.



2) La mort, d'autre part, la sienne, celle de Tristessa ou celle de n'importe quel autre toxicomane dont l'œuvre est truffée et que l'on sent toujours prête à surgir et à abréger les souffrances de tous ces drogués.



3) Le temps, ensuite, dilaté ou réduit par l'amnésie (due aux drogues essentiellement) à la notion d'instant à saisir ou à laisser filer car après il sera trop tard. Le temps est aussi lié à la notion de déchéance et de mort.



4) Et enfin, la solitude, grande et implacable dans laquelle évolue l'auteur malgré les foules qui l'entourent, source fréquente de chute dans les abysses de la défonce par l'alcool ou les stupéfiants divers. En ce sens (je parle du poids du temps et de la solitude), Kerouac est, d'après moi, tout à fait dans la même veine littéraire que Maupassant.



Œuvre assez mélancolique à mon goût mais où la poésie de Kerouac s'exprime plus qu'ailleurs, le verbe est beau et les images touchantes. Une sorte de plongée dans le bleu profond des abysses, dont on retiendra soit l'esthétique, soit la mort, ou un peu des deux selon qu'on aura choisi de remonter à la surface pour respirer ou de descendre toujours plus vers le bleu nuit.



Kerouac nous avait habitué à des pérégrinations d'Est en Ouest avec Sur la route, ici, il s'engage timidement dans une translation Nord-Sud, et l'on sent que s'il avait poursuivi encore plus loin vers le Sud, il aurait pu être amené à des réflexions proches de celles d'un autre grand voyageur dans "Voyage à motocyclette : Latinoamericana".



Voilà, je vous ai donné mon triste avis, un parmi tant d'autres, à vous de me donner le vôtre...
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Sur la route

"Rien derrière et tout devant, comme toujours sur la route."



La sortie du roman "Sur la route" (1957) était pour la littérature américaine une sorte de choc thérapeutique bienfaisant. Jack Keroauc (dont le visage mal rasé et agréablement viril regardait suggestivement son lecteur depuis la couverture de la première édition) a transgressé tous les codes littéraires alors en vigueur, en arrivant en trombe à une vitesse non-autorisée, hurlant à pleins poumons l'enthousiasme, la tristesse, la joie et le désespoir, avant de disparaître dans un nuage de poussière quelque part sur la route 66.

Sa prose "spontanée" ne contenait rien de ce qu'on pourrait qualifier de "forme littéraire", mais ce long rouleau sorti de sa machine à écrire mesurait en réalité quelques milliers de kilomètres, et contenait toute l'Amérique.



"Sur la route" est le plus grand manifeste de la liberté.

Non pas à cause de son scénario ; après tout, Sal Paradise et ses amis se déplacent à travers l'Amérique un peu comme une grenouille paumée au fond d'un arrosoir, et peu de lecteurs voudraient être vraiment à leur place. L'important est la façon dont le roman est écrit - comme si de chaque mot, de chaque pas sur le périphérique pluvieux aux alentours de Boston ou de chaque kilomètre sur la route semi-désertique de Denver à Frisco émanait l'amour du pays, des éternels changements et des possibilités sans fin.

Pourtant, je ne saurais dire ce qui génère cette impression positive du roman, qui contient aussi une bonne dose de mélancolie. La seule raison pour être sur la route est la route elle-même ; pour fuir la routine et la façon de vivre des "paddys" américains, étriqués dans leur rêve de prospérité comme une bonne femme dans un corset qui l'empêche de respirer.

L'idée n'était pas nouvelle, on peut penser à Emerson, Thoreau ou Whitman, mais la "beat génération" était la première à annoncer ouvertement que quelque chose cloche dans la société américaine de l'après-guerre. le succès a été immense, mais aussi à double tranchant. Les littéraires et les intellectuels reprochaient aux beatniks leur superficialité, leur flirt dangereux avec la drogue et le zen-bouddhisme, et leur jeu malhonnête à la pauvreté. Les "paddys" ont même réussi à commercialiser le mythe, en organisant des voyages groupés à San Francisco pour que tout le monde puisse admirer les "véritables" beatniks américains : chevelus, sales, ivres et immoraux. La "façon beatnik" est devenue une sorte de mode, le snobisme retourné à l'envers, et Kerouac lui-même a dû plus tard fuir ses fans, et même ses anciens amis.



Les personnages de Kerouac, ses héros et ses vagabonds, rappellent un peu Huck Finn de Twain : lui aussi s'est échappé sur la rivière Mississippi, car il ne voulait pas se laisser "civiliser".

Le livre n'a pas une véritable histoire, il est fait de souvenirs, impressions, et d'un tas de petits croquis de gens rencontrés au hasard : fermiers du Minnesota, chauffeurs de camions, commis voyageurs, flics, intellectuels beatniks... et surtout les vagabonds solitaires, un peu comme Sal Paradise et Dean Moriarty eux-mêmes.

Dean est le moteur surpuissant qui fait avancer le livre. Même si, au début, il demande à Sal de lui apprendre à écrire, on peut dire que c'est lui qui apprendra Sal à vivre. Mais c'est précisément la relation avec Dean, un jeu compliqué de refus et d'acceptations, de l'amitié et de l'égoïsme, d'admiration et de retenue, qui ajoute un étrange côté triste au livre. Sal approche ce monde avec enthousiasme sans jamais s'y identifier complètement et en restant toujours un pas en arrière, en observateur émerveillé.

Peut-on vraiment aimer Dean Moriarty, cet ange flamboyant derrière le volant, qui prend la route avec la même insouciance que la vie, en laissant derrière lui autant de voitures que de coeurs cabossés ? En tout cas, sa philosophie est "ici et maintenant".



"Une fois de plus, nos valises cabossées s'empilaient sur le trottoir on avait du chemin devant nous. Mais qu'importe : la route, c'est la vie."

Le roman de Kerouac est particulièrement salutaire si vous avez besoin d'une injection de spontanéité dans votre système neuronal anémié, ou si vous avez envie de croire que la vie n'est pas une fois pour toutes déterminée par les décisions faites d'avance. On n'a même pas besoin d'être vraiment "sur la route", juste savoir que cette douce possibilité existe pour de bon. Quel que soit le but et la direction, et que ce soit pour aller en Californie, ou à plus de 10km de chez soi. 4/5
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Sur la route

Qu'est-ce qui fait de 'Sur la Route' un livre culte depuis 50 ans pour tant de gens?



Certainement pas le récit au premier degré des voyages de Sal et Dean ! Liste des villes traversées, des moyens de locomotion utilisés, détails fastidieux de qui conduit à quel moment quelle voiture et à quelle vitesse, budget détaillé des 2/5/15€ dépensés ou manquants... Plutôt assommant tout ça !

D'autant plus que, quand ils ne roulent pas, ils sont soit en train de voler du fromage et du pain quelque part (toujours du fromage et du pain !), soit à une station service (où parfois ils volent en même temps du fromage et du pain !), soit en train de dormir au bord de la route (avec des petites variations : dans le sable près de la chaussée, sur le toit, sur la banquette arrière...).

Tout ça en transpirant abondamment (jamais vu autant d'allusions à la sueur dans un livre !) et sans jamais regarder le paysage ou visiter le moindre monument...



Probablement pas non plus leur vie entre les différents voyages...

En général, ils en profitent pour enchainer les beuveries d'alcool, "thé" ou benzedrine avec leurs nombreux amis déjantés; pour prendre un boulot également, si possible bien pourri, afin qu'on puisse à nouveau avoir le détail des 2/5/15€ qu'il leur manque en permanence; et enfin pour se trouver une gentille fille à rendre chèvre (voire, pour Dean, à épouser, mettre enceinte et rendre très malheureuse).

Tout ça en enchainant des élucubrations sans queue ni tête et des théories allumées sur le sens de la vie, et en cassant un maximum de choses (plusieurs voitures notamment, ou le pouce de Dean).

Bref, des bons losers, en plus même pas solidaires entre eux quand l'un ou l'autre va mal !



Non, ce qui rend ce livre culte à mon sens, c'est que Sal et Dean cherchent le 'it', la liberté, le bop. Ils ne veulent pas s'arrêter aux apparences, à la recherche de l'argent et du confort ou au conformisme petit-bourgeois. Ils veulent vivre vraiment, intensément, absolument, follement. Ils représentent les rebelles de ces années d'après-guerre, paumés mais fondamentalement vivants.



Même si je ne vois pas ce qu'il y a d'intense à sillonner le pays en transpirant et en déblatérant, j'ai été sensible à cette quête d'absolu. Elle m'a touchée, alors que les moyens mis en oeuvre ne me parlent pas du tout (suis plutôt sérieuse tendance coincée, moi).

Donc je suis contente d'avoir lu ce livre jusqu'au bout, aussi dérangeant et parfois ennuyeux qu'il ait été pour moi.

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Les Anges vagabonds

Je trouve que le titre français : " Les Anges Vagabonds " est mauvais, certes plus vendeur mais assurément plus mauvais que ce qu’il devrait être et que l’éditeur Denoël a rétabli, à savoir : Anges De La Désolation, traduction beaucoup plus intuitive et fidèle au texte contenu dans l’ouvrage de l’original anglais : Desolation Angels.



Ce livre relate l’hiver 1956-1957 et une bonne partie de l’année 1957. C’est une période charnière pour Jack Kerouac car il est en passe de publier Sur La Route, avec le succès que l’on sait. Cependant, le Kerouac de Sur La Route date de 1947 tandis que le Kerouac actuel, avec dix ans de plus n’est plus du tout le même.



On le suit donc d'abord sur une terrasse de Mexico où viennent le rejoindre Allen Ginsberg, Gregory Corso et toute une bande de joyeux lurons, puis dans le tumulte new yorkais. Pris d'une envie de fuir l'Amérique et son froid hivernal il se jette dans un navire yougoslave en direction de Tanger (qui était une zone libre à l'époque, sorte de Goa nord africain) pour y rejoindre William Burroughs. Mais là encore il a la bougeotte et ne se sent pas à sa place. Il fait un saut de puce jusqu'à Paris, puis à Londres et s'en retourne finalement dans les bras de sa mère. Il lui fait alors sillonner les États-Unis, mais ce n'est pas forcément l'activité la mieux appropriée pour une vieille dame et le voilà donc, lui, une nouvelle fois seul et paumé à chercher une issue juste avant l'assommant succès littéraire de Sur La Route...



Autant il y avait de l’insouciance, autant il y avait de la gaieté et de la camaraderie propres à l’âge des protagonistes (en gros entre 20 et 25 ans) dans Sur La Route, autant il y a un parfum de morgue et de désillusion dans le Jack Kerouac de 35 ans. Beaucoup de ses anciens potes sont casés, ont fondé une famille, ont considérablement ralenti leur rythme de voyage et ont quelque peu calmé leurs ardeurs aux filles et aux stupéfiants.



Jean-Louis Kérouac, lui, est demeuré seul, sans lendemain, il vit encore chez sa mère et se fait d’ailleurs bien charrier par ses copains à ce propos. Les seuls qui ne se soient pas assagis sont ceux qui n’escomptent pas fonder une famille, à savoir essentiellement les homosexuels tels Allen Ginsberg ou William Burroughs ou bien les plus dépravés. Pour retrouver l’esprit intact qu’il avait tant aimé du temps de Sur La Route, il lui faut fréquenter des jeunots et des jeunottes mais dont le manque d’expérience et l’extraction sociale fort différente de la sienne l’empêchent de nouer des liens durables.



C’est donc un Kerouac chaque fois plus mystique, chaque fois plus solitaire, chaque fois plus désespéré, malgré tout nourri des valeurs du catholicisme de sa mère et qui s’accorde peu avec le je-m’en-foutisme des nouveaux beatniks. Il ne se reconnaît pas du tout là-dedans.



Ses voyages et ses errances, tellement grandioses dans Sur La Route, ont désormais le goût amer de la vacuité et du j’ai-passé-l’âge. Les branlettes intellectuelles de ses amis autour de l’art, de la poésie, lui sont désormais plutôt pénibles.



Il n’est plus à sa place nulle part et éprouve pourtant la bougeotte. Il se dit que dans tout ce flot d’idées, de gens, d’excès en tout genre, son seul point de repère, le phare de son existence est sa vieille mère, toujours égale à elle-même, toujours optimiste et courageuse, et qu’il entoure d’un halo semi divin.



Ce roman autobiographique s’inscrit chronologiquement entre l’expérience mystique des Clochards Célestes et la déchéance de Big Sur. Néanmoins, c’est un Kerouac plus lucide que jamais, capable également d’envolées lyriques surprenantes. C’est un Kerouac qui s’interroge sur le sens de la vie en général, sur le sens de sa vie en particulier, qui se sent de plus en plus en butte face au modèle américain, face à la façon qu’ont les Américains de considérer le monde, et lui, en tant qu’Américain ne se sent plus à sa place nulle part.



Il ne fait pas mystère de sa dérive alcoolique, et l’on perçoit bien qu’il y cherche toujours une échappatoire à ses idées noires. On imagine que le suicide a dû le tarauder bien des fois mais son ancrage culturel catholique lui interdit cette issue.



C’est donc un peu de tout ça que vous trouverez dans Les Anges Vagabonds, beaucoup de nostalgie et un tableau assez noir de l’errance sans but menée pendant trop longtemps, au-delà du stade où elle est bénéfique pour l’édification des jeunes gens lors de leurs jeunes années. Un Kerouac touchant en tout cas, à tout le moins c’est mon avis, lui aussi indigent et vagabond, perdu sur un sentier solitaire, c’est-à-dire, pas grand-chose.

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Big Sur

Big Sur est le 3ème récit autobiographique de Jean-Louis Kérouac, dit Jack Kerouac, écrit d'un seul jet sur un unique rouleau de machine à écrire (après Sur La Route et Les Clochards Célestes).

Il me faut tout de suite avouer que je n'y ai pas du tout retrouvé la magie, l'état d'esprit, l'évasion ou encore le pouvoir d'édification que m'avait fait vivre Sur La Route.

Ici, Jack Kerouac nous conte ses mésaventures survenues durant l'été 1960 alors qu'il était en villégiature en Californie, sur la plage de Big Sur, côte assez sauvage (à l'époque) et escarpée proche de San Francisco.

Kerouac nous y fait l'éloge de cette nature rédemptrice, mais aussi et surtout la description de son naufrage dans la démence, la paranoïa, l'hallucination et le cauchemar, en grande partie dû aux effets combinés de l'alcool et de la dépression (il vit mal sa notoriété nouvelle acquise suite au succès de Sur La Route et cherche donc à fuir les mille sollicitations de New York).

L'auteur nous y parle également des premiers beatniks du " mouvement beatnik " et vis-à-vis duquel il n'éprouve ni sympathie ni communauté de vision. Il regarde avec beaucoup de réserve et peu d'espoir cette mode (naissante en 1960) qui trouvera sa quintessence un peu partout dans le monde autour de 1968.

Selon lui, le manque de respect de certaines valeurs classiques indispensables, l'absence de poésie et l'égocentrisme de ces jeunes gens n'a pas grand chose à voir avec ce qu'il avait tenté d'exprimer dans Sur La Route. Kerouac a ailleurs défini lui-même ce qu'il entendait par " beat ", terme qui désignait à la base les noirs inféodés au métro de la côte Est, vivant dans un dénuement absolu mais continuellement animés d'une joie de vivre et d'un positivisme, " beat " se référait aussi à la notion de rythme, propre aux musiques (notamment noires) comme le jazz, et enfin, " beat " fait référence à la béatitude (n'oublions pas que Kerouac est francophone de naissance), c'est-à-dire au volet mystique, à l'émerveillement devant la beauté naturelle, des âmes ou de la nature. Rien à voir donc avec les jeunes intellos fils de famille (on dirait aujourd'hui " bobo " qui se sont appropriés le terme par la suite) qui n'ont rien de " beat " au sens " battu " par opposition au " success ", la réussite sociale à laquelle ils sont appelés.

Jack Kerouac et Neal Cassady ne recherchaient pas le succès financier comme tous les américains de leur génération mais expérimentaient au contraire une autre voie, une sorte de succès spirituel.

En ce qui concerne l'intérêt propre de l'œuvre, comme je l'ai déjà dit plus haut, je suis beaucoup plus mesurée. On est loin du magnétisme que pouvait susciter Sur La Route et on ne peut que trouver pathétique cet ivrogne triste aux prises avec ses démons, crépusculaire à la manière d'un Malcolm Lowry dans Sous Le Volcan.

Vous y retrouverez donc Neal Cassady alias Cody Pomeray (l'ex Dean Moriarty de Sur La Route) devenu un père de famille, bien changé par rapport à ce qu'on l'a connu dans Sur La Route, presque rangé, qui n'a plus grand chose à nous dire, un peu comme Kerouac d'ailleurs.

Un livre, à mon avis, pas indispensable, sauf pour les inconditionnels qui souhaitent tout connaître de Jack Kerouac, mais ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Sur la route

A l'ombre des séquoias géants, dans les pas de Kerouac et Moriarty, sans attache ni lien, je laisse derrière moi la grisaille et le froid: direction la Californie.

Big Sur est pour moi la finalité de mon voyage.

L'océan que l'on dit pacifique a modelé pour toujours falaises et plages afin de ne pas oublier la supériorité des éléments face à la médiocrité des hommes.

Ce soir la lune est pleine, moi clochard céleste la tête dans les étoiles je m'en vais heureux vers l'ouest. Des villes au prénom de femme résonne dans ma tête Santa Monica, Santa Lucia, Santa Barbara.

un petit hommage au grand Kerouac, qui m'a donné le gout des grands espaces .

pour Croquignolle ma muse
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Sur la route

Au Panthéon des œuvres mythiques de la littérature, on trouve "Sur la route" de Jack Kerouac et comme la plupart des livres qui trônent dans la grandeur de cet olympe, celui-ci fait généralement peur aux lecteurs. Je n'échappe pas à cette règle et "Sur la route" a traîné bien longtemps dans ma PAL avant qu'une lecture commune ne l'en exhume.



Je m'en félicite car j'ai vraiment beaucoup apprécié cette expérience, ce road trip tous azimuts qui se fait dans un délire halluciné, sur lequel souffle le vent de la libre-pensée, de la remise en question des acquis sociétaux, et draine dans son sillage de folles espérances et de déraisonnables utopies.



J'ai lu le "rouleau original" où les protagonistes portent leurs vrais noms et non des avatars. Neal Cassady, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, William Burroughs et quelques autres parmi les écrivains de la "beat generation". Déconcertant et instructif, aussi excessif que transgressif, le lecteur est entraîné dans une ronde d'alcool, de drogues, de fumettes, de débauches mais aussi de fulgurances géniales et de musique.



"Sur la route" est sans doute le premier roman avec playlist intégrée et qu'il faut écouter avec du jazz, du bebop et du mambo dans les oreilles. Ce roman ne ressemble à aucun autre et je vais y aller de mon petit lieu-commun en disant que la Route est bien sûr le personnage principal, avant l'auteur-narrateur ; les deux traversées aller-retour d'Est en Ouest et la traversée aller-retour d'Est au Sud que nous proposent Kerouac, avec pour point névralgique Denver, Colorado, nous font découvrir une Amérique de l'errance, des grands espaces, des villes en ébullition, et nous mettent en contact intime avec une jeunesse en roues libres.



De mon point de vue, Jack Kerouac, bien que narrateur, n'est pas le pivot du roman ; ce rôle revient à Neal Cassady, le poète fou, le chat aux neuf vies, le sybarite fauché, le jouisseur éternel, le cauchemar des bonnes gens, l'antithèse du gendre idéal. Mais il est aussi prétexte à une démonstration inouïe de la fidélité en amitié, de la quête absolue d'un idéal, de la quête de racines et du rejet de l'ordre établi. C'est un personnage effrayant et fascinant qui, en quelque sorte, cloue notre propre existence au pilori.



On aurait tort de croire que "Sur la route" par dans tous les sens ; la Route constitue une trame, un fil d'Ariane fait de milliers de kilomètres qui se déroulent dans un ruban infini à travers déserts, jungles, montagnes, littoraux, villes. Il est inutile d'y voir une quête, le plus souvent Jack Kerouac ne cherche pas à atteindre une destination mais il suit un instinct de survie constitué de quêtes diverses, de fuites, d'égarements, de retrouvailles, de réunions, de séparations, de rendez-vous manqués... Le rythme est effréné, endiablé, d'autant que le style oral, sans paragraphes ni chapitres, peut clairement déstabiliser le lecteur.



Ce voyage parfois éprouvant m'a emballée, dépaysée, interrogée, chahutée mais si vous êtes un lecteur qui n'aime pas se perdre en chemin, alors suivez mon conseil, restez prudemment au bord de la Route.





Challenge BBC

Challenge MULTI-DEFIS 2022

Challenge ABC 2021/2022

Challenge USA

Challenge XXème siècle 2022
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Sur la route

Ce roman peut-il être comparé à une œuvre d’art sous la forme d’un premier jet griffonné en quelques semaines qui deviendra page après page, un rouleau de papier, le fameux « original scroll », qui ne se contente pas de décrire une route, mais qui cherche à la représenter ?



En ce cas comme toute œuvre d’art qui se respecte elle sera saluée et admirée, par le lecteur… Ou contestée, et de toute façon, fera couler de l’encre.



Pour ma part, je suis parvenue au bout de ce roman autobiographique et je m’en félicite parce que ce n’est pas du tout mon style de lecture, j’ai besoin dans le récit, d’un problème, et de sa résolution pour arriver à une situation finale, d’ailleurs, doit-on qualifier cet écrit de récit ? Je n'en suis pas certaine : si je résume ce qui me reste de cette lecture, et je pense tenir quelques lignes, j’écrirais que nous sommes face à une bande dont les têtes pensantes vivent au jour le jour, choisissent des itinéraires, se déplacent comme ils le peuvent (voitures volées, petits boulots, transports en tous genres avec qui veut bien les faire avancer sur leur chemin), boivent, s’envoient en l’air, se droguent, se marient parfois, se séparent, se raccommodent. Et ces situations se succèdent, En sautant quelques pages, on retrouve toujours des scènes du même type.



Chemin oui ! … Cheminement ? Pas perceptible en tout cas. Donc, début, milieu fin ? Pas vraiment. évolution des personnages alors ? Je ne l'ai pas ressenti.



Cette lecture fut laborieuse et l’abondance de détails et de personnages ont provoqué un certain ennui chez moi.



Ce livre ne répond donc pas à mes besoins de lecteur, certains passages m’ont d’ailleurs franchement agacée.



Le seul point qui m’a intéressée, c’est que je me suis munie d’une carte des Etats-Unis pour suivre leur pérégrination, c’est toujours cela ! Certains épisodes m’ont franchement agacée, probablement parce qu’ils ne correspondent pas exactement à ma propre vision de la vie. La Beat Generation, ce n'est pas pour moi.





Comme ont pu le dire certains chroniqueurs, ce livre passe ou casse, hé bien pour moi, ça casse. Il s’agit là d’un avis personnel, et les critiques positives de ce livre, je les juge tout à fait recevables et je les admire, moi qui aurais été incapable de les écrire.



Challenge MULTI-DEFIS

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Sur la route

Sal Paradise, le narrateur, rencontre un jour Dean Moriarty. Ces deux jeunes gens, « les deux anges déchus de la nuit de l’Ouest » (p. 270), ont une passion commune pour le voyage. Sillonner l’Amérique les tenaille et l’appel de la route est insistant. « Quelque part sur le chemin, je savais qu’il y aurait des filles, des visions, tout, quoi ; quelque part sur le chemin, on me tendrait la perle rare ». (p. 25) S’engage alors une nouvelle conquête de l’Ouest, plus intime et plus furieuse. L’urgence est la même que celle qui animait les colons, mais la finalité est différente : les terres que Dean et Sal veulent gagner ne sont pas faites de poussière, mais de rêves. Finalement, c’est peut-être la même chose.



Sal et Dean sont deux jeunes hommes un peu perdus. Le premier est un vétéran, étudiant peu assidu et auteur qui peine sur un premier roman. Le second sort de prison et est tenaillé par l’envie d’écrire et de bouger. Cette jeunesse exaltée a la fureur de vivre et d’expérimenter. « Il en vint à m’enseigner autant de choses que probablement je pouvais lui en apprendre. » (p. 19) Pour eux, l’initiation passe par le bitume, quoi qu’il en coûte. Sur la route et dans toutes les villes qu’ils traversent, Sal et Dean croisent de nombreux jeunes gens avec lesquels ils partagent de longues et fiévreuses conversations. Sal se met souvent en retrait : « Si vous continuez ce petit jeu, vous allez tous les deux devenir dingues, mais tenez-moi au courant aussi longtemps que vous continuerez. » (p. 79) Rapidement se dessine la folie de Dean Moriarty : ce mordu de la route est instable, presque dangereux, au moins pour lui et peut-être aussi pour Sal. « La mouche m’avait piqué de nouveau et le nom de la mouche, c’était Dean Moriarty et j’étais bon pour un nouveau galop sur la route. » (p. 164) Le départ, ça les prend comme une fièvre, c’est un ressort superbe qui se détend et qui relance la machine.



De l’Est vers l’Ouest, de New York à San Francisco en passant par Denver, Houston, ou Los Angeles, Sal et Dean se cognent aux frontières de l’Amérique. « Voici que j’étais au bout de l’Amérique, au bout de la terre, et maintenant il n’y avait nulle part où aller, sinon revenir. Je résolus du moins d’adopter un périple circulaire. » (p. 115) Sal appartient à New York et Dean ne tend que vers San Francisco. Toujours, il leur faut reprendre la marche, revenir aux sources, puis repartir. La route prend la forme d’un monstrueux jokari : elle permet des envolées et des échappées superbes, mais elle ne laisse personne s’écarter ou s’immobiliser. Grâce à la route, l’Amérique est un territoire unifié à conquérir et à explorer. Les jeunes hommes veulent laisser la trace de leurs godasses sur le sol de toutes les villes qu’ils foulent. Pour cela, il faut une voiture : mettez un volant entre les mains de Dean Moriarty et il ira partout. « Toi et moi, Sal, on savourerait le monde entier avec une voiture comme ça, parce que, mon pote, la route doit en fin de compte mener dans le monde entier. Il n’y a pas un coin où elle ne puisse aller, hein ? » (p. 326) Et voilà comment la voiture devient partie prenante du récit, personnage secondaire essentiel, adjuvant obligatoire.



Entre alcool, drogue et sexualité, les périples automobiles sont riches en expériences très diverses. Chacun court après quelques dollars pour faire un plein d’essence ou manger. Il faut alors chaparder, escroquer. Aucun problème, la route vous le rendra ! De même, les amours sont furtives, mais intenses et sincères. « Nous nous retournâmes au douzième pas, puisque l’amour est un duel et on se regarda l’un l’autre pour la dernière fois. » (p. 146) Sauf pour Dean Moriarty qui balance entre Marylou et Camille. De l’une à l’autre, il s’épuise et se trahit. S’asseoir et s’attacher, c’est mourir. Mais n’est-ce pas partir qui est mourir, un peu ? Peut-être, mais rester semble tellement pire ! « Quel est ce sentiment qui vous étreint quand vous quittez des gens en bagnole et que vous les voyez rapetisser dans la plaine jusqu’à, finalement, disparaître ? C’est le monde trop vaste qui nous pèse et c’est l’adieu. Pourtant nous allons tête baissée au-devant d’une nouvelle et folle aventure sous le ciel. » (p. 220)



Sal Paradise n’est pas moins perturbé ou incertain : « J’ai du goût pour trop de choses que je mélange, m’attardant à courir d’une étoile filante à une autre jusqu’à temps que je me casse la figure. Voilà ce que c’est que de vivre dans la nuit, voilà ce que ça fait de vous. Je n’avais rien à offrir à personne que ma propre confusion. » (p. 178) À force d’être partout et de ne rester nulle part, Sal s’étourdit et perd pied. Mais pas question de raccrocher les souliers : la route ne se referme pas, on ne lui tourne pas le dos.



Avec Marylou et Dean, l’odyssée américaine prend des airs de revendication, de bravade. « C’était trois enfants de la nuit de la terre qui voulaient affirmer leur liberté et les siècles passés, de tout leur poids, les écrasaient dans les ténèbres. » (p. 187) Les trois jeunes gens se révoltent, sans vraiment en parler, contre une Amérique bureaucratique, policière et suspicieuse. Animés d’un romantisme crasseux et sublime, ils mènent un train d’enfer sur les routes mythiques de l’Amérique. Ils fuient leurs tourments et la vacuité de l’existence, avant de comprendre au terme d’un énième voyage que rien ne s’abandonne, que la route ne peut rien effacer.



« Un gars de l’Ouest, de la race solaire, tel était Dean. » (p. 25) Dean Moriarty attire et fascine, mais il est dangereux, décidément néfaste. « Tu n’as absolument aucun égard pour personne sinon pour toi-même et tes sacrés plaisirs de cinglé. Tu ne penses à rien d’autre qu’à ce qui te pend entre les jambes et au fric ou à l’amusement que tu peux tirer des gens et puis tu les envoies paître. Sans compter que dans tout ça tu te conduis stupidement. Il ne t’est jamais venu à l’esprit que la vie est une chose sérieuse et qu’il y a des gens qui s’efforcent d’en user honnêtement au lieu de glander à longueur de temps. Voilà ce que Dean était le GLANDEUR MYSTIQUE. » (p. 275) Le héros solaire est plutôt sombre, comme un phare de naufrageurs : qui s’y frotte risque d’y perdre ses ailes. Et pourtant, quand il n’est pas là, il manque. Sal s’y réfère, s’en rappelle et, à sa façon, l’honore.



Voilà quelques mots sur cette lecture époustouflante. Que ce roman soit le manifeste de la beat generation, c’est une évidence. Qu’il soit devenu le vademecum de plusieurs générations de jeunes gens, c’est encore plus évident. Je repose le roman, mais je vais le garder à porter de main, relire certains passages et rêver de prendre la route, de mettre mes pompes dans les pas de Dean Moriarty et de Sal Paradise, et de me couler un instant dans l’esprit un peu foutraque de Jack Kerouac. Je vais poursuivre cette lecture sublime par la visite de l’exposition Kerouac au Musée des lettres et manuscrits et par une séance de cinéma que j’espère à la hauteur du roman.

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Sur la route

Je venais juste de m’installer à ma place et de sortir mon bouquin quand un jeune homme qui cherchait son siège s’est arrêté près de moi : « Ah, je viens juste de le finir. Vous verrez, c’est génial, mais ça ne vaut pas « Les Clochards célestes »

Quatre préfaces, un rouleau et un appendice plus tard, j’ai pensé que cette rencontre fortuite était un parfait avant-goût du livre: il n’est pas de plaisir qui ne soit imparfait, ni de voyage ou de lecture qui n’engage à repartir pour trouver toujours mieux.

« J’ai un roman en tête, Sur la route, qui parlerait de deux gars qui font de l’auto-stop jusqu’en Californie à la recherche de quelque chose qu’ils ne trouvent pas vraiment,  qui se perdent en chemin et qui retournent d’où ils viennent à la recherche de quelque chose d’autre. »

Car si je pensais lire une ode à la vie libre et débridée, à l’exaltation de la jeunesse, et au voyage sans but ni destination, rien ne m’avait préparée à la désillusion et au chagrin qui imprègnent tout le livre. Aucune fête, aucune griserie, aucune envolée qui ne soit suivie d’une descente amère ou d’une trahison : le voyage comme drogue, désinhibition, euphorie, dépression. Post itinera, animal triste.

Mais après quoi courent ces enfants de l’après-guerre, dans une Amérique raciste et puritaine, encore marquée par la crise économique, et qui ne propose d’autre idéal que la grande fête du consumérisme wasp?

Certains commentateurs ont fait le parallèle entre Kerouac et Proust, incités d’ailleurs par Kerouac lui-même. L’un comme l’autre choisissent les marges au rebours de l’hypocrisie mondaine, l’un et l’autre font de l’amour la grande affaire de l’existence, l’un et l’autre tentent d’abolir la linéarité temporelle par l’écriture, l’un et l’autre construisent une œuvre dont ils espèrent qu’elle les contient tout entiers. Si Kerouac fait à un certain moment un parallèle explicite entre ses pérégrinations vers l’ouest et une projection vers l’avenir c’est pourtant pour rompre avec le temps qu’il ne cesse de courir et de rouler, fou de vitesse, cherchant moins à voyager qu’à se déplacer. Jack et Neal sont deux enfants déracinés qui n’ont plus de père. Si Neal cherche le sien, Jack espère en l’Amérique pour trouver un foyer. Mais une Amérique mythique, anhistorique, où les Noirs qui cueillent le coton sont tels les pionniers amoureux de leur terre, où la voiture exaltée par les usines Ford embarque des Indiens pleins de sagesse hilare.

Dans cette ruée vers l’Ouest qui peut à l’occasion être un Est ou un Sud, l’Amérique est l’espace de tous les possibles, de tous les recommencements et si nul ne peut échapper aux « guenilles solitaires de la vieillesse qui vient », le rouleau se termine sur une triple répétition : « je pense à Neal Cassady », qui sonne comme le talisman de l’éternelle jeunesse, comme un pied-de-nez à la mort.

Étonnamment, c’est pourtant moins à Proust qu’à l’abbé Prévost que ce livre m’a fait penser. Dean, le solaire, si plein d’un féroce désir de vivre, préférant d’ailleurs la vie à tout, aux conventions, aux amours, aux amis, Dean qui abandonne ceux qui pourraient l’encombrer, les épouses, les marmots, les malades et auquel on pardonne tout, que l’on rejoint parce qu’il est irrésistible : c’est Manon Lescaut ! Et Kerouac est le malheureux Des Grieux et aussi ce cher abbé, le roman ayant beaucoup à voir avec la vie de son auteur. Et, comme le disait Montesquieu, « Je ne suis pas étonné que ce roman, dont le héros est un fripon et l'héroïne une catin qui est menée à la Salpêtrière, plaise, parce que toutes actions du héros, le chevalier des Grieux, ont pour motif l'amour, qui est toujours un motif noble, quoique la conduite soit basse. »

Oui, « Sur la route » est un roman d’amour et d’attraction, amour de la vie mêlé au désespoir de n’en avoir qu’une, parce qu’il faut bien qu’un jour le rouleau s’arrête.
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Sur la route

1995, 18 ans, je découvre Sur la Route par la voix mélancolique d'une prof de lettres d'une soixantaine d'années. Sal Paradise sur la remorque aux côtés de Old Slim et Mississippi Gene, chaussures trouées, route qui défile sous les roues.

Je continue la lecture seule, et je me revois encore dans ma chambre découvrir ce livre pendant mes vacances scolaires, étant dans l'incapacité physique de le poser un instant pour aller manger, prendre l'air au soleil mais obligée de le lire debout et non allongée, soupirant régulièrement de l'envie de PARTIR. Ce livre m'a littéralement mise en transe, je sentais mes nerfs palpiter quand je le lisais, et prise du nerveux désir, besoin, d'aller tout de suite, comme Sal Paradise et ses copains, n'importe où, sur la route.

Et cette route, je l'ai prise par la suite. Parce que cette route, c'est bien sûr celle qui passe au-dessus du Mississippi, traverse le midwest, comme je l'ai fait version originale à la main, mais finalement c'est une route universelle, et j'ai aussi retrouvé Kerouac dans des endroits plus improbables comme en Irlande, Ecosse, Espagne, Suède, où ses mots, ses onomatopées devenaient miens et me transportaient.

Kerouac m'envoûte depuis ce temps-là, et il représente pour moi, avant tout, la quête, la recherche de soi, de son identité, la fuite du temps, et l'inatteignable Absolu.



Vingt ans après, j'ouvre enfin la version du rouleau original, traduit cette fois-ci par Josée Kamoun, et la magie opère à nouveau: je ne peux pas le lâcher, j'y pense en marchant, la ville se métamorphose à nouveau sous mes yeux. Oui, je suis maintenant plus vieille que Kerouac quand il l'a écrit - j'étais beaucoup plus jeune à mes premières lectures! - et oui, je souris parfois à la jeunesse des protagonistes, parfois encore un peu innocents, spontanés, excités par la vie qui les attend, mais je me laisse emporter à la fois par la mélancolie parfois de Kerouac et par ce roman qui transpire par tous les pores les odeurs des nuits, des villes, de la chaleur, du Mexique, des clubs, des trains, de l'asphalte, et tous les sons, le moindre soupir, le ronflement d'une voiture, car la prose de Kerouac embrasse absolument tout ce qui est sensation et émotion, observateur méticuleux du moindre frémissement.



Dans cette version, sans retour à la ligne, sans chapitres, mais aussi grâce à une traduction plus moderne et un peu moins près du texte mais plus proche du sens, j'ai trouvé une nouvelle vitalité, une authentique jeunesse. Et encore une fois, la dernière ligne lue - et les quatre préfaces - il m'a fallu un temps pour m'en remettre.



(Petite anecdote: aux Etats-Unis, il serait souvent rangé derrière le comptoir dans les librairies car ce serait le livre le plus volé!)

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Et les hippopotames ont bouilli vifs dans l..

« Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines »…Sous ce drôle de titre à rallonge, se cache un texte écrit à quatre mains par deux des plus célèbres auteurs américains du XXème siècle, précurseurs du mouvement culturel Beat, Jack Kerouac et Williams S. Burroughs.



A l’époque de son écriture en 1945, nos deux comparses n’étaient pas encore connus, encore moins reconnus. Il faudra encore attendre près d’une décennie avant que Jack Kerouac ne défraie la chronique avec son « Sur la route » et que Williams S. Burroughs ne choque les âmes puritaines avec « Le festin nu ».

Pour autant, on peut déjà déceler dans ce petit ouvrage, les thèmes et les inspirations qui alimenteront l’univers littéraire des auteurs : cette façon d’échafauder leurs écrits sur la base de leur propre existence et de leurs expériences personnelles, cette volonté de décrire la jeunesse marginale de leur temps, la stimulation de leurs pouvoirs créatifs par la narration de choses parfaitement avérées et vécues…

Autant de faits, d’initiatives littéraires qui les conduiront, dans les années 1950, à devenir les « fondateurs » de la Beat Génération au côté d’Allen Ginsberg ou Neal Cassady, se donnant pour mission de rechercher dans l’écriture l’essence même de la vie et de puiser dans les expériences existentielles la matière première à toute création.



Ainsi donc « Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines », bien que se déroulant dans les années 1940, avant même le phénomène Beat, est finalement bien représentatif et certainement annonciateur de ce courant artistique, comportemental et générationnel qui offrit à Kerouac et Burroughs un billet pour la postérité.

Ici, la matière première servant à l’élaboration de cette histoire autobiographique, s’avère être le meurtre d’un de leurs camarades par un autre de leurs amis intimes au sein d’une petite bande de jeunes marginaux new-yorkais vivant d’expédients au rythme des beuveries journalières, des discussions, des délires et des folies.

A l’époque, en Août 1944, l’affaire Lucien Carr / Dave Kammerer fait grand bruit ; Kerouac et Burroughs sont même un temps inquiétés par la police et entendus comme témoin. Une histoire qui affecte suffisamment les deux écrivains pour que ceux-ci décident d’en composer un manuscrit, écrit tour à tour, et relatant les évènements qui se sont déroulés une semaine avant l’acte fatal de leur ami Lucien sur la personne de Dave Kammerer.



Bien sûr, pour préserver l’intimité de chacun et notamment celle du jeune criminel, devenu par la suite un grand ténor de la presse américaine, les noms des personnages qui viennent traîner dans « Les hippopotames… » ont été changés, Lucien devenant le jeune turc Philip Tourian, Dave Kammerer - qui ne cessait de le poursuivre de ses assiduités - s’incarnant sous les traits du quarantenaire Ramsay Allen, tandis que nos deux écrivains se matérialisent respectivement sous le jeune matelot Mike Ryko pour Kerouac, et le barman / détective Will Dennyson pour Burroughs.



Fort de ces informations sur la trame véridique de l’ouvrage, l’on déambule sympathiquement avec ces jeunes paumés dans les rues de New-York, de bar en bar, de cinémas en restaurants, au gré de cuites mémorables et de divagations, de blagues de potaches et de soirées amicales chez les uns ou les autres.

De cette petite bande de jeunes soulards, émerge la figure, pas toujours très sympathique, de Philip Tourian, jeune turc beau comme un adonis, poursuivi par l’amour gauche, débordant et étouffant de l’homosexuel Ramsay Allen, à la fois esclave et mentor du jeune homme. Celui-ci, pour fuir cette passion que lui voue Allen, décide de devenir matelot comme Mike Ryko. Les deux garçons en quête d’aventures, vont donc essayer d’embarquer sur un navire en partance pour Paris bien que leurs gueules de bois régulières les contraignent bien plus souvent à rester à quai….



Il aura fallu près de 70 ans et la mort des différents protagonistes, aisément indentifiables, avant que l’ouvrage ne quitte « les lames du parquet » où il s’empoussiérait et ne soit enfin édité.

Œuvre de jeunesse, « Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines » comporte les défauts de ses qualités : bien qu’encore un peu maladroite à certains égards, elle est empreinte de l’énergie vitale et la fraîcheur de la jeunesse, et fait montre d’une belle honnêteté dans sa volonté de brosser le portrait de la « frange paumée » d’une génération.

La lecture prend réellement de l’envergure et de l’intérêt si le lecteur ne perd pas de vue les dessous véridiques de l’histoire. Lu sans les informations préalables, le texte bien qu’agréable, drôle et relevé, n’est pas d’une indéniable portée littéraire. Il le devient néanmoins quand on arrive à le replacer dans son contexte social et historique. A ce titre, la très enrichissante postface de James Grauerholz nous offre un éclairage absolument primordial sur l’ambiance de l’époque d’après-guerre, sur l’environnement des deux auteurs et sur les histoires personnelles de cette joyeuse bande d’allumés que l’excès d’alcool va mener à un acte inconsidéré, aussi stupide que funeste.

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Les clochards célestes

Quel beau titre onirique pour qualifier ces Fous du Zen, sur un fond de « Everybody's Got A Home But Me », de Roy Hamilton ! C'est l'histoire de ces jeunes adultes marginaux de l'Amérique des années 1950, un peu « artistes », qui ne se retrouvent pas dans l'american way of life du « toujours plus de travail pour avoir une maison avec télé et famille ». Ils partent du constat que les travailleurs ne profitent pas de ce qu'ils ont amassés, tant l'abrutissement du travail les occupe sur le moment et les fatigue pour leur temps libre, les enfermant dans une prison d'obligations et de pensées, parfois dorée, ou parfois même pas.





Ces jeunes rêvent de liberté, même si elle est synonyme de moins de confort et de conformisme. Ils la cherchent d'abord dans leur tête, puis dans leur corps, l'un n'allant pas sans l'autre. Ils pratiquent la méditation pour la première, les voyages ou le vagabondage pour la seconde. Sensible à la poésie japonaise, qu'ils étudient, ils s'instruisent aussi de préceptes bouddhistes qu'ils adaptent et appliquent à leur vie, tentant d'atteindre le Nirvana.





Parfois incompris de leurs familles, souvent admirés des étudiants et des artistes pour leur vie hors norme et leur absence de cadre, ces vagabonds bohèmes préfèrent barouder sur les routes, auto-stoppeurs ou clandestins d'un train de marchandises, cherchant des enseignements dans l'aventure, s'installant chez les uns ou les autres rencontrés au gré de leurs périples ; distillant leur philosophies entre eux, ou à toute cantonade qui veut bien les écouter un instant, entre deux petits boulots alimentaires, ou des nuits d'ivresse et d'orgie destinées à se libérer des conventions.

Plus ou moins méditatifs, plus ou moins actifs, ils pensent parfois à tout plaquer pour s'installer, avoir un chez soi stable et confortable ; Mais toujours cette nostalgie de la solitude disparaît face au couperet des chaînes du conformisme, et à leur recherche d'un sens à la Vie.





***



L'idée et les personnages sont intéressants. Mais ils auraient pu l'être beaucoup plus si l'auteur avait fait l'effort d'initier son lecteur à leur philosophie. Au lieu de ça, nous prenons l'histoire de Ray littéralement en cours de route (sur un train de marchandise), entre deux auto-stop : Il a déjà acquis son style de philosophie et de méditation, qui consiste à dire que de toute façon, tout est « vide ». Ce concept sera survolé, mais jamais vraiment expliqué. Aussi je n'ai jamais pu vraiment intégrer la psychologie du personnage. Son discours et sa quête spirituelle me sont demeurés abstraits, étrangers voire artificiels et, pour le coup, vide… de sens. « Tout est vide », oui, certes. Mais ce vide a fait manqué d'épaisseur à ma lecture, il m'a laissé à la surface, dans un flou plus superficiel qu'artistique.





Je voulais me nourrir de sa spiritualité, ou en tout cas de sa recherche. Je me suis sentie flouée, apercevant où l'on allait, sans jamais pouvoir réellement comprendre en profondeur le propos, ni donc le vivre avec le personnage. Je suis restée à l'extérieur. Et pour un lecteur, ce n'est pas une sensation agréable. Au lieu de pénétrer profondément les pensées ou la méditation du personnage, comme dans d'autres lectures, j'ai eu l'impression que l'auteur m'abandonnait en bord de route, moi aussi ; Mais pas comme s'il voulait que j'apprenne par moi-même, plutôt comme si lui-même ne savait pas décrire l'état de son personnage, et donc peut-être racontait quelque chose qu'il n'avait pas lui-même approché d'assez près. Alors qu'en réalité, il semble avoir baigné dans ce milieu.





Par son récit, Kerouac m'aura au moins fait toucher du doigt l'existence de cette « beat generation » : pauvre mais joyeuse, dont il a fait partie intégrante, et qu'il nous livre à travers : ses questionnements de la société de consommation, son inspiration des grands espaces, sa quête de spiritualité presque chamanique. Tous les prémices de mai 68 sont là, la liberté sexuelle est déjà sous-jacente. L'écriture est fluide et les personnages originaux, attachants malgré tout. Je regrette d'être passée un peu à côté de ce qui aurait pu être une belle aventure. Mais je repartirai quand même bientôt « Sur la route » avec Kerouac, par curiosité et pour être sûre de ce à côté de quoi je suis passée. Bien à vous, beat babéliotes !
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Les clochards célestes

Les clochards célestes m’a réconcilié (un peu) avec Jack Kerouac. Il y a quelques années, j’ai lu Sur la route et j’en avais été extrêmemnt déçu. Quoi ? Toute cette histoire avec un type qui passe son temps à traverser l’immensité des Etats-Unis pour de disputer et se remettre de ses cuites ? Quand l’argent vient à manquer, on retourne chez les siens de la côte est ; quand l’ennui devient trop pesant, on donne rendez-vous à ses amis en Californie. Et on recommence ! Encore et encore !



Les clochards célestes, ce n’est pas la grande révélation non plus, mais il offre quelque chose de plus, une dimension spirituelle qui manquait terriblement dans d’autres romans de Kerouac. D’abord, ses voyages périlleux sur les trains, ses rencontres avec d’autres aventuriers, des clochards comme le petit vieux de sainte Thérèse, oui, mais aussi de jeunes paumés qui cherchent une façon économique de découvrir le monde et des maitres spirituels. Par exemple, Japhy Ryder, le maitre à penser du narrateur. Grand orientaliste, érudit, spécialiste en anthropologie et en mythologie indienne, professeur de chinois et de japonais et, surtout, adepte de bouddhisme zen. Ouf ! La sagesse incarnée ? Surtout qu’il délaisse le monde matériel pour vivre dans une petite cahute.



Ensemble, et parfois avec d’autres amis, ils se promènent en Californie, font des randonnées en montagne jusqu’en Oregon et dans l’état de Washington. « […] le cran, l’endurance, la sueur et maintenant ce chant d’un humanité déboussolée c’était comme de la crème fouettée sur une pièce montée. » (p. 131) Voir Kerouac parler de karma au lieu de beuveries et d’errements était effectivement déboussolant mais agréable. Mais il ne faut pas croire qu’on lit un roman initiatique, trop philosophique et ésotérique, à saveur orientale. On croise des gens ordinaire, comme la jolie Rosie, le menuisier Sean Monahan et d’autres jeunes amis.



Mais on est de la Beat Generation ou on ne l’est pas. Et Kerouac l’est. Entre ses escapades avec Japhy, le narrateur retrouve ses amis, la musique, la danse, les divertissements. Cette vie parfois vide de sens (ou en quête de sens) était constamment entrecoupée de questions parfois existencielles, oui, mais parfois plus simple. La recherche du bonheur ne devrait être réservée à une seule bande de mystiques, d’élus illuminés. Donc, cette fois-ci, j’étais capable de supporter Kerouac. Suis-je en train de peut-être commencer à l’apprécier à sa juste valeur ? À suivre…
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Sur la route

«L’histoire c’est toi et moi et la route»



On a beaucoup écrit et commenté Sur la route de Jack Kerouac, parlé de la Beat generation, des légendes autour du manuscrit et de son auteur. Ne serait-il pas mieux de le (re)lire?



Quelques mots sur la forme avant d’en venir sur le fond, car cette dernière fait partie intégrante du mythe. L’histoire, ou la légende colportée par Jack Kerouac lui-même, veut que ce livre ait été écrit en trois semaines sur un rouleau d’une longueur de quelque 40 mètres, comme une très longue lettre adressée à son ami Neal Cassady, à San Francisco. «Je l’ai fait passer dans la machine à écrire et donc pas de paragraphes... l’ai déroulé sur le plancher et il ressemble à la route.» écrira-t-il.

Howard Cunnell, dans sa préface, explique qu’il «s’était mis au clavier, avec du bop à la radio, et il avait craché son texte, plein d’anecdotes prises sur le vif, au mot près; leur sujet: la route avec Dean, son cinglé de pote, le jazz, l’alcool, les filles, la drogue, la liberté.»

Si la vérité est sans doute plus proche d’une retranscription de notes prises en route, le rouleau original n’en existe pas moins et donne une idée des problèmes rencontrés par l’éditeur au moment de le publier. Il n’est donc guère étonnant que les refus aient été nombreux. Fort heureusement, Viking Press a donné son accord après sept années de tergiversations et après que Kerouac ait retravaillé son manuscrit. Depuis on ne compte plus les rééditions et traductions dans le monde entier.

L’histoire raconte plusieurs voyages et donne une bonne idée de ce qu’était l’Amérique au tournant des années 1940-1950. Le narrateur, Sal Paradise, vient de divorcer. À New York, en errant dans les rues, il rencontre Dean Moriarty. Ensemble, ils décident de partir vers la côte ouest, de rejoindre la Californie. Mais comme c’est bien plus le voyage que la destination qui leur plaît, ils vont reprendre la route vers l’Est puis le Sud, faisant à chaque fois de nouvelles rencontres, de nouvelles expériences. Ils démontrent aussi – au moins à cette époque – que pratiquement sans un sou, il est assez facile de s’en sortir et même de faire la fête. Car l’alcool et la drogue sont omniprésents durant toute leur épopée. Quelques petits boulots ici ou là, les cadeaux d’amis plus chanceux rencontrés en chemin, le partage et une certaine insouciance président à leur destinée.

Car si un thème majeur se cristallise au fil des pages, c’est bien celui d’une recherche permanente du plaisir – artificiel ou réel – et de la liberté. Et comme ce but est partagé par de nombreux ami(e)s, il va faire émerger ce qu’on appellera plus tard la Beat generation qu’incarneront aussi Allen Ginsberg et William Burroughs, et que l’on retrouve dans le livre sous les traits de Carlo Max et Old Bull Lee. Le groupe de «Ceux qui ont la fureur de vivre, de parler, qui veulent jouir de tout. Qui jamais ne baillent, ni ne disent une banalité. Mais qui brûlent, brûlent, brûlent, comme une chandelle dans la nuit» va souvent dépasser les limites, chercher jusqu’où aller trop loin. Cela vaut en particulier pour Dean, attiré par le côté obscur.

Et si les amateurs de voyages trouveront ici un itinéraire et des descriptions de lieux (voir à ce propos la carte Détaillée réalisée par un étudiant allemand), j’aimerais souligner un autre aspect tout aussi intéressant à mes yeux: la bande-son.

Si Kerouac affirmait avoir écrit sur un rythme de jazz et de Be Bop, il a truffé son récit de références et fait de Miles Davis, Charlie Parker ou encore Lionel Hampton, pour n’en citer que trois, ses compagnons de route aussi indispensables que les filles. Car bien entendu, s’il est question d’amour de la musique, il est aussi question d’amour et de relations qui ne sont du reste pas aussi éphémères qu’on peut le penser à première vue. Marylou, le première épouse de Dean, sera de plusieurs voyages. Sal vivra avec La Môme, une mexicaine avec laquelle il travaillera dans les champs de coton, une vraie passion.

Et si cette histoire, comme l’expérience contée dans le livre, finira mal, on retiendra d’abord ce souffle, cette envie, ce désir fou de vivre intensément. Jusqu’à se brûler. Et s’agissant de Jack Kerouac, l’ambition de retranscrire cette intensité à travers un style, une écriture. Comme l’écrit William Burroughs, «il passait sa vie à écrire, il ne pensait qu’à écrire, il ne voulait rien faire d’autre.»


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L'océan est mon frère

Il s'agit du premier roman écrit par mon beau Jack (oui, c'est ainsi que je pense à lui) en 1943, mais qui n'a été publié en France qu'en 2022.

Kerouac y raconte Wesley, un marin à terre dans la chaleur de l'été 42 à New York. Un soir de beuverie, il rencontre un groupe de jeunes zazous américains, et l'un d'eux, Bill, décide de quitter son poste de professeur de littérature à Columbia pour embarquer avec lui sur un cargo à destination du Groenland, ou de l'URSS peut-être.



J'avoue : ça a mal commencé. J'ai trouvé l'écriture lourde et gourde pendant la première partie du récit (à terre). Certains effets de style sont prétentieux et tombent à plat. Mais Jack avait alors 21 ans lorsqu'il a écrit ce roman, donc il mérite l'indulgence, même si ses personnages sont poussifs , bavards, et d'une exubérance épuisante.

Dans la deuxième partie (sur mer), ça s'améliore. Comme si Kerouac se retrouvait dans son élément et libérait son écriture (ce livre a d'ailleurs été rédigé sur un navire, alors qu'il était marin). J'ai retrouvé avec émotion les doutes et interrogations existentiels qui le traversaient déjà, sa poésie éthérée et son sentimentalisme un peu farouche, sa fascination pour l'évasion, la liberté, les expériences nouvelles. Mais j'ai également été surprise de découvrir autant d'évocations politiques et une telle apologie de la solidarité ; je n'ai pas souvenir qu'il aborde ces thématiques dans ses romans suivants.

Kerouac n'était pas satisfait de ce récit, qu'il n'a jamais achevé -ni publié, donc. Pourtant, je le trouve finalement bien. Il a une forme de candeur et une générosité rafraichissantes et touchantes. Il écrit déjà avec son coeur -et ça me fait fondre, malgré ses maladresses de débutant.



C'est donc une lecture étonnante et attachante pour les fans du beau Jack, à ne pas rater pour apprécier l'évolution de son style et de sa maîtrise narrative.

Même quand il est moins bon, il reste admirable... (soupir)
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Sur la route

Il est bientôt trois heures du matin et je ne parviens toujours pas à dormir ni à lire. J'ouvre alors ma tablette et vais voir vers les livres que je n'ai pas encore critiqués. « Sur la route » en fait partie. Je me souviens de la visite du petit musée qui lui est consacré à San Francisco. On y trouve tout ce qui fait le « monde » de Kerouac. Je retiens son refus de tout conformisme. Un bric à brac d'objets rappelant sa vie, sa pensée… plusieurs exemplaires de « Sur la route » s'y trouvent dans plusieurs éditions et différentes langues. Laissant les autres oeuvres un peu en retrait. C'est pourtant celles-là que je préfère, comme « Big Sur » ou « Les clochards célestes ». «Sur la route » me laisse un peu sur ma faim. Je sais que c'est quasiment l'acte fondateur de la «Beat generation », mais je trouve le roman un peu long avec des situations très redondantes. On comprend à travers ces va-et-vient avec ses amis d'un bout à l'autre des États-Unis, jusqu'au Mexique que Kerouac refuse le conformisme et nous démontre sa volonté de se démarquer. Ce petits groupes de jeunes se cherchent mais ne trouvent rien à quoi se raccrocher en dehors de l'alcool, les drogues et le sexe. J'ai eu de longues discussions avec mon fils qui m'accompagnait dans ce voyage en Californie. Lui, à peu près la vingtaine à l'époque était subjugué par le personnage et l'oeuvre. Question de générations ? Je ne crois pas. Tant je me sens proche des autres livres et auteurs de la Beat generation. Juste, je crois, une construction du récit qui ne me convient pas. On pourrait tracer des lignes reliant sur une carte des États-Unis les parcours et les relier entre elles. Il y a volontairement des répétitions dans les actions et les trajets. Il n'en reste pas moins que c'est un livre à lire pour comprendre le mouvement de la Beat generation et le conformisme puritain de cette époque aux USA.

Bon, je vais me recoucher et essayer de dormir un peu...
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