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Critiques de Jacques Ellul (46)
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Islam et judéo-christianisme

La lecture de ce petit ouvrage est indispensable à qui veut se débarrasser une bonne fois pour toutes de trois idées fausses qui nous empêchent de voir clair : la première est que "nous sommes tous, Juifs chrétiens et musulmans, des fils d'Abraham" ; la seconde, qu'il existe trois monothéismes égaux en vérité et dignité ; enfin, la fable des "religions du Livre". L'auteur analyse ici ces trois piliers de la propagande islamophile, auxquels adhèrent sans réflexion la plupart des journalistes et des collaborateurs de notre destruction. Il fait observer que les milieux chrétiens oecuméniques ont gobé ces trois concepts coraniques au prix de ce qui fait le corps de la théologie et de la religion chrétiennes.
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Anarchie et christianisme

Jaques Ellul présente dans ce livre un condensé de sa pensée chrétienne avec comme idée centrale que la foi au Christ apporte une liberté face aux autorités et au matérialisme qui rejoint certains idéaux anarchistes. A l'heure où notre société devient de plus en plus sécuritaire, Ellul nous monter que la liberté et l'autonomie sont des constituant essentiels de la dignité humaine telle qu'elle est voulue par Dieu.
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Anarchie et christianisme

Anarchie et christianisme est un essai de Jacques Ellul, écrit dans le but de montrer les similitudes entre ces deux 'idéologies'. l'anarchie, qui prône "Ni Dieu ni maitre", est en fait totalement conciliable au "vrai" christianisme, qui n'admet pas, comme on le pense souvent, un Dieu omniprésent, une entité dirigeante. En effet, Dieu n'existe pas en tant que tel, puisqu'il est présent en chacun de nous. En réalité, chacun contient son propre Dieu en lui, et le démontre de par ses actes. Ainsi Ellul montre qu'un chrétien anarchiste n'est pas une fabulation mais peut réellement exister, et que ces deux termes peuvent se compléter, et ne sont donc pas, comme le pense souvent l'inconscient collectif, antinomiques.
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La subversion du christianisme

"Comment se fait-il que le développement de la société chrétienne et de l'Église ait donné naissance à une civilisation, à une culture en tout inverse de ce que nous lisons dans la Bible ?" cette question qui ne se l'est pas posée ? A la suite de Kierkegaard qui écrivit "Dans la chrétienté, on n'a pas la moindre idée de ce qu'est le christianisme" Ellul traque la compromission, le dévoiement, la trahison, la subversion de l'Église, devenue officielle et victime de son succès. Celle-ci rejettera la liberté de l'Évangile et choisira l'esprit de contrainte et de domination. 247 pages pour comprendre comment la chrétienté est devenu la pire trahison du Christ".
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Le bluff technologique

Un titre de 1988 qui offre un condensé de la pensée de l'auteur sur la technique. En très court, ce dernier à toujours chercher à mettre en évidence le fait que personne ne contrôle la rationalisation technique, et que celle ci ne va pas sans une certaine négation de l'être humain et provoque même un constant renversement par rapport aux buts fixés par la création d'outils. La force du livre provient de la volonté permanente de mettre à mal le discours "techniciste", celui ci faisant toujours mine d'oublier le véritable problème posé, d'où le "bluff", pour proposer une solution rationnelle mais humainement inepte. On est tout à fait dans l'analyse de la prédominance des moyens sur la fin si chère à l'auteur.



Perclus d'exemples, le bouquin n'en est pas plus poussiéreux, car pas un des cas traités ne manquent d'échos dans l'actualité récente et pourront se rappeler au lecteur avec une sorte d'ironie mordante. Les "techniciens" pratiquants pourront également apprécier le pragmatisme des analyses sur leur quotidien, que ce soit sur l'incertitude propre aux systèmes complexes, sur la surprenante non-rationalité d'un ensemble d'éléments rationnels etc...

Certains aspects pourront paraitre contradictoires (par exemple, l'informatique est à la fois présentée comme un gadget mais est également l'élément clé conditionnant le développement total de la société) et le côté fourre-tout n'arrange rien à la clarté de l'ensemble. Il faudra d'ailleurs obligatoirement passer par ses autres livres pour cerner pleinement le texte dans sa profondeur (notamment Métamorphose du Bourgeois qui apparait comme un complément indispensable) et éluder certains passages dispensables (énumération de gadgets divers qui se sont depuis multipliés).



Au bout de cette longue et épuisante superposition de constats, la technique apparait comme un processus total et autonome, déterminant les individus et la société sans qu'aucune opposition ouverte ne se déclare. L'apport par rapport à ses livres précédent vient essentiellement d'une analyse plus fine de la fatalité du développement de cette technique. La nouveauté propres aux années 80 se situe dans la multiplication des situations inextricables par leur dimensions (couts exponentiels, mondialisation) et du raffinement du discours technocratique, manipulant avec sophistication le ressentis de l'individu.

Après ce constat pessimiste, le livre n'apporte pas de solutions, à part une remise en question radicale de ses conditions de vie. Mais quelques responsabilités sont tout de même dressées à la fin !



Ce que l'on retient généralement de cet auteur est bien souvent une focalisation sur son caractère radical plutôt que sur la richesse prodigieuse de sa pensée. Il y a une volonté constante de rester dans le domaine du pratique, de l'expérience, d'éviter de verser dans le spéculatif et surtout de bien traiter le problème à la source. Quel contraste avec le paysage intellectuel Français et les litanies des contraintes économiques ! On comprend bien à la lecture pourquoi ce personnage phare de l'époque contemporaine est prodigieusement ignoré dans notre pays.

Sa lecture est une rencontre décisive qui donne à chacun le moyen de résister aux conformismes de toutes sortes et d'identifier les manifestations d'un règne à venir qui n'a rien d'innocent.
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Le système technicien

Lecture très difficile, par la profusion  des concepts ou plutôt de variantes de concepts, dont les nuances restent difficiles à saisir et à mémoriser, d'autant que l'auteur passe beaucoup de temps à citer et critiquer les propos de ses collègues... Lire une page de ce livre nécessite une attention toute particulière, à moins de prendre une diagonale dès que l'auteur se lance dans des développements compliqués. Et ça fonctionne un peu mieux parce que le précédent lecteur a surligné les phrases importantes !

Les références à d'autres auteurs, supposés connus, rendent la compréhension de certaines positions impossible si on ne les a pas lus (Je pense à Baudrillard, cité toutes les 10 pages).

Jacques Ellul n'était pas un bon vulgarisateur, et si ses thèses se sont avérées globalement justes, ce livre restait trop ardu et le style trop "prise de tête" pour les avoir servi auprès d'un public plus large.

Il manque également une vision tout simplement humaine, qu'elle soit anthropologique, psychologique... pour qu'on s'attache à ce texte.

Enfin, aujourd'hui, beaucoup de sujets sont devenus obsolètes dans le détail, et finalement lire la synthèse de la pensée de l'auteur suffit largement !

J'ai lu les conclusions de chaque chapitre, et finalement je pense avoir compris et retenu l'essentiel....
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Le bluff technologique

Je ne suis pas le premier, je ne serai pas le dernier a commenter ce livre. Cela m’a pris un mois pour le parcourir de la première a la quatrième de couverture, d’où je tire que ce fut peut être difficile a lire pour moi. Je me suis perdu de nombreuses fois dans l’énumération des références et détails, des différents sujets dont on parle, car on ne parle bien sur pas que de la technique. 731 pages ou je me suis logé entre références, point de vue d’experts et ainsi de suite. Donner un point de vue constructif sur la technique passe peut-être en utilisant justement une méthode technique pour évaluer les situations. La stratégie du cheval de Troyes peut-être.



Pour moi, il y a une essence intéressante dans ce livre qui vous pousse a continuer le voyage sur certaines des impasses par lesquelles nous sommes passées, par lesquelles nous passerons. J’aurai peut-être arrêté la lecture si une de mes connaissances ne m’avait pas dit a un moment : « un livre des années 80 sur la technique, ce livre n’est plus valable, les techniques ont évolué la société aussi. »



Bref j’ai continué la lecture.



Beaucoup de ressenti a la lecture de ce livre, ca reste une perception. Nous dérapions, nous dérapons vers une idée d’une société technicienne merveilleuse. Et ce qui m’a le plus surpris, c’est que ce livre est structure comme la technique, hypothèses, raisonnement, conclusions, explications d’explications, identification des effets, mettant en perspective les causes possibles.



L’éducation nous oriente de plus en plus vers ce quoi la technique requiert, en apprenant de plus en plus de techniques appliques. Causes qui créent des personnes de moins en moins apte a suivre ce rythme technicien, une sorte de déchets du système dans un monde technique qui s’oriente sur l’efficacité, la productivité, et relativise, pour ne pas dire ignore, les points de vue non experts sur ce système dessiné et géré par des experts.



La technique est ambivalente, il y a un coté pile, souvent positif, et souvent sur le court terme, ou résolvant des problèmes a court terme, et un coté face, souvent plus long terme, souvent moins positif, mais que l’on peut ignorer vu que cela se place dans un plus long terme.



Sur ce point précédent se construit une discussion sur l’imprévisibilité des techniques : imprévisibilités que nous savons évaluer, imprévisibilités qui sont des risques possibles qui risquent de se poser, et les imprévisibilités littéralement inconnu qui ne peuvent pas etre penser au moment de la vérification et de la mise en place de la technique.



L’information, un sujet tres bien évalué dans ce livre, et qui ont trouvé écho dans les questions qui se sont posés après et se posent maintenant.



Alors, une culture technique ? La technique phagocyte son environnement et donc la culture a une étape certaine. Je me répète Un livre point écrit dans les années 80, avant que les questions ne se posent tres clairement dans chacun de nos esprits fin 90 début 2000 et maintenant, j’espère.



Bien sur, ce livre se livre sur une réflexion sur la société de consommation, la création inexorable des déchets, des cycles de produits de plus en plus court, de l’économie technicienne. N’aime t’on pas les graphiques ? On peut y identifier des idées hors du cadre de la technique, parce que cela change la perspective sur les sujets étudiés.



Voila mon résumé, comme je l’ai dit, quand je lis, j’ai du ressenti. C’est un livre technique, tres intéressant. Penser out of the box, out of techniques, notre idée du progrès, une pierre utile. Le livre explique beaucoup causes, effets d’une situation, et je pense que c’est peut être pour donner l’opportunité aux lecteurs de penser sur ce qu’on considère comme progrès, et de faire entrer le subjectif dans un objectif technicien qui le demande.
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Anarchie et christianisme

Ellul a travers une lecture personnelle mais pertinente de la bible hébraïque et des évangiles, montre que leur message essentiel s'est toujours trouvé en marge du pouvoir et des institutions qui l'incarnent. C'est en cela qu'une proximité, voire une authentique intimité, se crée entre le christianisme et l'anarchie.

Très critique à l'égard de l'institutionnalisation du christianisme, Ellul entend mener son lecteur vers la source, et dénoncer la subversion que les églises ont fait subir aux messages des prophètes et ceux du Christ.

Ellul argumente son propos avec une intelligence désarmante et une liberté de ton digne de la plus authentique inspiration…

Ce texte entre en résonance avec les propos tenus par des représentants d'autres traditions spirituelles, notamment les dépositaires de l'enseignement du Bouddha. Certaines paroles de Khrishnamurti sont également très proches de celles d'Ellul.
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L'illusion politique

Jacques Ellul fut l'illustre philosophe politique de l'anarchisme chrétien(-protestant) de la France de l'Après-guerre. Résistant, théologien et historien des institutions, spécialiste de la propagande, pourfendeur de la technocratie, il dénonçait un État de plus en plus hypertrophié à la mesure de la bureaucratisation de ses organes et une politique gestionnaire répondant aux impératifs de l'efficacité économique, dont les valeurs morales étaient évincées. Le véritable politique des idéaux, et surtout la démocratie réelle lui sembleraient en péril, remplacés par un simulacre vide et cependant capable de susciter trois types d'« illusions » autant chez ceux qui exercent le pouvoir que chez les citoyens.

Cet essai remonte à 1965 : l'économie est en pleine croissance, le PCF et les syndicats sont forts en France, la scène internationale est caractérisée par l'omniprésence de la bipolarité Est-Ouest et par le grand mouvement de la décolonisation. On ne parle pas de dépolitisation des citoyens, mais, bien au contraire, de leur « politisation » (intitulé de l'Introduction), car, dans la vie de tous les jours, « tout est politique », au point que « participer à des activités non politiques, mais parfaitement en relation avec notre société, est considéré comme sans valeur » (p. 29). L'État est tout-puissant, non seulement dans le bloc communiste, mais aussi en France, d'après Ellul, au moins sous forme d'aspiration des citoyens à une « religion DE l'État ».

Alors que le néolibéralisme n'a pas encore été imaginé, l'idée même que l'État puisse s'autolimiter voire s'autosaboter devant une superstructure plus puissante, le marché capitaliste globalisé, ne pouvait certes pas venir à l'esprit de quiconque. Pourtant, selon certains, Ellul garde une part d'actualité en ceci qu'il avait prévu le déclin du politique, et précisément en relation avec l'impératif de l'efficacité économique, qui à son époque était celle qui animait la compétition entre les deux blocs.

Au cours de cette lecture qui n'a pas été très probante pour moi sur la question de l'actualité, je me suis néanmoins efforcé de retenir et de citer les notions qui me paraissent susceptibles de conserver une certaine pertinence aujourd'hui. La plupart des démonstrations sont caduques, à la fois celles qui concernent la comparaison (souvent analogique et rarement antinomique) entre les systèmes capitaliste et communiste, et celles qui déplorent l'accroissement monstrueux des attributions et institutions étatiques. Je me suis efforcé de ne pas commettre d'anachronisme capable de susciter l'eurêka des inconditionnels du philosophe qui lui trouvent peut-être trop d'intuitions prémonitoires et sont peut-être trop prêts à transposer vers le néolibéralisme les griefs qu'il exprimait contre l’État.







Table [avec quelques éléments de synthèse et le renvoi aux cit.]



Introduction – La politisation



Chap. Ier – Le nécessaire et l'éphémère [cit. 1] :

1. Le nécessaire [Diminution du choix des politiques à cause de l'impératif technocratique de l'efficacité]

2. L'éphémère [Action conjointe de la société de consommation et de l'actualité médiatique]



Chap. II – L'autonomie du politique [par rapport à la morale] :

1. Le monopole de la violence [Weber et aujourd'hui]

2. Contestations [cit. 2]



Chap. III – Le politique dans le monde des images [fabrication de l'opinion publique, cf. cit. 3] :

1. Le fait politique [le "fait" et la propagande]

2. L'univers psychopolitique et les problèmes politiques [cit. 4]

3. L'action politique



Chap. IV – L'illusion politique : le contrôle de l’État :

1. La bureaucratie [cit. 5]

2. L'administration et les hommes



Chap. V – L'illusion politique : la participation [cit. 6]



Chap. VI – L'illusion politique : « la solution politique » :

1. La politique comme solution générale [cit. 7]

2. La politique comme accomplissement des valeurs



Chap. VII – Dépolitisation et tensions :

1. Dépolitiser ? [Non, cela n'est pas un "plaidoyer pour l'apolitisme"]

2. La tension [Pour une dialectique de la tension et contre la rhétorique de l'adaptation. Cf. cit. 8]



Chap. VIII – L'homme et la démocratie [Comment la démocratie réelle est-elle possible dans la fiction de l'absence du conflit] :

1. La nouveauté du problème [cit. 9]

2. L'homme démocratique.
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L'illusion politique

Un livre profond et dense, que je relirai. Ellul bouscule, interroge et dérange en se tenant bien au-delà du prêt à penser et du langage creux véhiculé par la politique. Depuis sa parution, les événements ont donné raison à son pronostic. Mais nul n’est prophète en son pays.
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Le système technicien

Une analyse sociologique du système technicien, moins contestataire qu'il pourrait sembler a priori. Il arrive même à Jacques Ellul, chrétien et conservateur, de s'en prendre aux révoltés du genre hippie qui ne comprennent rien à ce système et en sont finalement de purs produits ; ce sont des contestations admises par le système parce qu'elles appellent à toujours plus de technique, elles ne remettent jamais fondamentalement le système en question. Jacques Ellul cherche avant tout à analyser en profondeur ce système pour en prendre conscience, sans la moindre concession mais sans exagérer ni délirer. Il évoque peu les avantages que la technique a donnés à l'humanité, il n'oublie par contre aucun problème. le principal est celui de l'indépendance de la technique en tant que système, l'homme en a tout simplement perdu le contrôle parce qu'il n'a pas conscience que la Technique est devenu un système.

Mais il ne donne jamais véritablement de solution. D'un côté il dit qu'il est devenu impossible d'en sortir : « On ne peut plus « détechniciser ». le système a une telle ampleur que l'on ne peut plus espérer revenir en arrière : tenter une détechnicisation ce serait l'équivalent pour les primitifs de la forêt de mettre le feu à leur milieu natal », et d'un autre côté même la limitation de ce système semble impossible : « le seul acte de maîtrise authentique, vérifiable et concret à l'égard de la technique, serait de fixer des limites à son développement : mais ceci est la contradiction même du système. » le système technicien est une course folle, il n'y a aucun moyen d'y échapper.

Car la politique n'y peut plus rien, elle fait partie du système, tout comme la science et l'économie. Et c'est là que Jacques Ellul prend ses distances avec la vision marxiste et c'est là aussi qu'il me perd. Les marxistes appliquent de vieux schémas à une société qui n'existe plus selon lui. Il n'y a plus de capitalistes et de prolétaires, plus de lutte des classes à mener, il n'y a plus qu'un système gigantesque que même les technocrates ne maîtrisent pas. La Technique ne dépend de personne, elle est autonome en tant que système sans fin qui n'a pas d'autre but que sa propre croissance, tout y est soumis, elle est le facteur déterminant.

J'admets tout cela, mais je n'ai pas l'impression que le système soit précisément technicien. Certes, la technique a connu un essor incroyable au cours du vingtième siècle, on n'a pas fini de s'en étonner et de s'interroger sur l'adaptation de l'homme à ce phénomène, en grande partie par conformisme social, il faut en convenir. Il fait une analyse excellente de la technique, avec parfois une grande clairvoyance, par exemple sur l'importance de l'information et la connexion nécessaire entre ordinateur et télécommunication ou sur le problème des données personnelles, mais il n'a pas inventé tout cela, il n'a jamais été le seul à le penser et il cite toujours les auteurs dans lesquels il a puisé ces idées. En définitive je ne crois pas que la société ait fondamentalement changée au cours du vingtième siècle, je crois que parler de système capitaliste reste beaucoup plus juste que de système technicien, la base de notre société reste la propriété privée et l'économie est toujours prépondérante, c'est elle qui oriente tout.
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Nous sommes des révolutionnaires malgré nous



Comme sur tant d'autres points, Ellul et Charbonneau, même (absence de) combat : ce dernier déclare que le conflit oppose



... les Munichois persuadés qu'on n'aurait pas la guerre si on cédait à Hitler et les Anti-Munichois persuadés qu'il n'y aurait pas de guerre si on était prêts à la faire.



Tandis qu'Ellul considérait que



... Munich aboutirait à laisser les mains libres à Hitler et détruirait la confiance que nos alliés avaient en nous. Mais être anti-Munichois me semblait d'un irréalisme total. Je disais alors : "Pour engager le combat, c'est trop tard ou c'est trop tôt". C'est trop tard parce que, si on avait voulu gagner la guerre contre Hitler, c'est en 1935 qu'il aurait fallu la déclencher lors de l'occupation de la Ruhr. C'est trop tôt parce que, si on veut vraiment faire la guerre à Hitler, il faut s'armer, nous ne sommes plus en mesure de répondre militairement. Je considérais alors que les anti-Munichois étaient des rêveurs idéalistes, pleins de bons sentiments, mais qu'ils ne comprenaient pas que déclarer la guerre à ce moment, c'était aller à la défaite à cause de la disproportion des forces en 1938 : il fallait avoir un délai pour se "sur-armer". En disant cela, je ne me prononçais nullement pour la guerre ni pour un sur-armement.



À rapprocher aussi de Camus écrivant en 1940 :



Les événements vont à une telle allure que la seule attitude sage et courageuse, c'est le silence. On peut utiliser cette guerre pour une sorte de méditation soutenue qui préparera l'avenir.



Encore plus intéressante est la critique par Charbonneau du pacifisime intégral (qu'on appelait aussi à l'époque pacifisme sociologieu), rejet que je trouve toujours difficile à argumenter face à l'irénisme des membres de l'Union Pacifiste, par ailleurs très sympathiques mais dont les impératifs catégoriques vont à l'encontre d'un Manouchian (à plus forte raison d'un poseur de bombes libertaire tuant un élu de la République !) : il reproche par exemple à Jean Giono ou Romain Rolland leur idéalisation de la nature humaine, censée être dominée par un élan d'amour et de paix, idéal que Charbonneau voit comme un horizon à atteindre par chacun (donc une sorte d'utopie individuelle) au prix d'un conflit _avec soi-même_ et non avec autrui :



L'erreur du pacifisme c'est en quelque sorte l'"isme", de former un système qui élimine la contradiction de l'impératif spirituel et du donné. Certes il ne se trompe pas sur l'essentiel : le refus de tuer, de la guerre. Mais c'est un impératif spirituel et moral propre à l'espèce humaine - au moins au christianisme et à quelques grandes religions, qui ont éveillé le désir d'un univers où la loi d'amour succéderait au rapport de force. Et ce désir ne peut être vivant que dans chaque homme. Les pacifistes n'ont donc pas tort, ils ont seulement celui de fuir l'angoisse et l'effort désespérant qu'impose l'obligation de faire passer l'idéal dans une réalité naturelle et sociale qui lui résiste. Ils se refusent à admettre qu'ils défient la nécessité. En ceci, ils s'apparentent aux bellicistes qui, tout en se disant, non sans satisfaction, "il y aura toujours des guerres", en font volontiers la source de la morale et de la religion.

(L'Adieu aux armes. Méditation sur la guerre)



Il décrit la nouvelle forme de la guerre, une "guerre totale", caractérisée par la dé-personnalisation engendrée par cette "lutte de brute", dans laquelle



[...] pour le civil comme pour le militaire, la guerre signifie : beaucoup de chances d'être tué et toutes les chances d'être pris.



Ce en quoi les guerres modernes lui donnent tort concernant les militaires : seuls les civils sont menacés dans nos guerres asymétriques, de part et d'autre !



La "guerre totale" aboutit aussi à imposer une forme de dictature dans tout Etat qui y participe :



La défaite aide les démocraties à se plonger dans la guerre totale. L'urgence du péril leur impose la dictature, élimine ce qui pouvait subsister en elles de scrupules.



Il prône "le silence et la réflexion d'un individuel", par opposition à "la communication et l'action avec autrui", comme facteurs de paix, disant qu'ainsi :



La violence qui pousse [notre espèce] à s'enchaîner et s'entredétruire sera sublimée en violence spirituelle. "Si vis pacem, para bellum". C'est d'abord en faisant la guerre à soi-même que l'on conquiert la paix.

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Anarchie et christianisme

Je ne suis pas ce qu'on pourrait appeler un bon croyant. Métallo, gauchiste et grand amateur de littérature de genre (ainsi que de chansons grivoises), ma foi est davantage la condition de différents facteurs sociologiques que d'une réflexion profonde ou basée sur la raison : famille, église, relative ignorance des principes scientifiques...

Pourtant, il serait faux d'affirmer que le christianisme n'a jamais influencé mes choix de vie. C'est avec son désir de justice et d'entraide que je me suis tourné vers la gauche (et même l'extrême-gauche, raison pour laquelle cette critique un peu trop personnelle ne paraîtra pas sur mon blog) ; comme pas mal de chrétiens jusque dans les années 80, je me suis tourné vers le communisme assez tôt, avec tout de même nombre de critiques (aussi bien théoriques qu'historiques) qui m'ont poussé à me rapprocher des libertaires. Être anarchiste, pourquoi pas ? Seulement, la Bible ne s'y prête pas vraiment : entre se prosterner devant le Roi des Rois et l'idée qu'il faille être un minimum soumis aux autorités malgré une critique féroce et une détestation profonde, il faut encore compter les innombrables injonctions à la soumission et à la discipline (les lettres de Paul sont sans doute ce qui me donne le plus envie de devenir athée).

Arrive Jacques Ellul, auréolé d'une multitude de critiques élogieuses venant aussi bien du christianisme que de la gauche radicale. Anticommuniste (ou tout du moins critique de Marx), il possède pourtant nombre d'idées en commun avec les Rouges et considère que la Bible est en fait majoritairement favorable à l'anarchisme. Dans ce court livre, dense et passionnant, il revient donc sur différents versets prônant les idées libertaires, et dont j'avais moi-même parfois pu constater la portée. La plume est vive, très ponctuée et pleine de digressions, mais se rapprochant de l'oralité d'un cours magistral et donc loin d'être gênante ; les raisonnements sont courts, simples, souvent érudits mais jamais pédants. Dieu n'a-t-il pas désiré laisser le choix aux êtres humains ? Jésus ne s'est-il pas dressé contre toutes les autorités, y compris religieuses ?

Pourtant, force est de constater que beaucoup de doutes subsistent à la fin de la lecture. Je sais qu'il y en a quelques-uns qui m'attendent au tournant sur les vaccins, mais n'ayant pas de documentation sur celui dont il est question dans une des anecdotes, je m'abstiendrai de tout jugement. Pour ce qui est du reste, je me contenterai de soulever quelques points :

- L'islam serait la religion la plus intégriste... Mais l'immense majorité des musulmans me semble bien moins à craindre que les prêtres mayas ou aztèques ;

- Quid de l'histoire du recensement, où Dieu punit explicitement David en lui envoyant la peste ? ;

- Il n'est pas si étonnant que les textes bibliques historiques aient été si critiques envers les rois d'Israël, la plupart ayant été rédigés durant la déportation de Babylone, quand d'autres rois étaient au pouvoir ;

- Il me paraît important de préciser que le droit romain était sur différents points très contestable, comme l'idée de légitimer une guerre d'invasion ;

- Il n'y aurait pas de hiérarchie entre l'humain et Dieu... pourtant, l'Homme n'est-il pas "de peu inférieur à l'ange" ? ;

- Les guerres de l'Ancien Testament, franchement incompatibles avec l'idée de non-violence, sont qualifiées d'"embarrassantes" puis balayées d'un revers de main. Il y aurait pourtant des manières de les justifier : 1/ par pragmatisme, ce sur quoi Ellul n'est pas spécialement porté, 2/ parce que Dieu serait le seul à posséder le monopole de la violence légitime, mais ce serait contredire l'idée qu'il n'y a pas de hiérarchie entre les êtres, même avec le divin.

Il faut enfin y ajouter que la vision anarchiste présentée ici reste anthropocentrée, et même masculocentrée. L'Homme (et pas la Femme, même si c'est vrai que pour une fois, on ne l'accuse pas) ayant causé le péché, c'est toute la création qui a sombré dans le chaos : ainsi si les autres animaux se dévorent entre eux, si nous subissons les séismes ou les éruptions volcaniques, et si un jour nos descendants subiront les rayons gamma ou les trous noirs, c'est entièrement de notre faute. Pas un mot sur la possibilité que nous ne soyons pas les seuls dans l'Univers, ni sur une possible âme toute aussi tangible que la nôtre chez les animaux ; pas un mot non plus sur les nombreux versets controversés de Paul à l'égard des femmes et des LGBTQ+.

C'est un crève-cœur que de ne donner que quatre étoiles à "Anarchie et christianisme". La richesse et la vivacité d'esprit de cet opuscule lui en auraient bien donné cinq. Mais les raccourcis, oublis et simplifications me forcent un minimum à réfréner mon enthousiasme. Pour autant, on est sur de la bien plus haute théologie que le tout-venant évangélique baignant dans une culture de l'excuse très à droite ; et n'importe comment, pour un coco à la foi tourmentée mâtinée d'influences kantiennes, se dire qu'il n'y a pas qu'une manière unique de faire le Bien mais que Dieu nous veut avant tout libres (y compris d'être imparfaits ou de nous planter), ça fait franchement du bien.
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Métamorphose du bourgeois

Évitant la stérilité d'une vision cantonnée aux canons propres à la discipline sociologique, Jacques Ellul livre son ressenti et ose avec un grand bonheur d'écriture un ouvrage transverse qui aurait tout à voir avec de la grande littérature, ou bien même avec de l'entomologie.

Le bourgeois, c'était hier ce personnage bien identifié qui tirait profit de l'activité économique. Aujourd'hui pourtant, tous le monde a adopté le mode de vie de celui-ci sans pour autant être capitaine d'entreprise. Force est donc d'admettre que le régime de propriété privée ne suffisait pas à le caractériser totalement.



Ce qui est bien déterminant ce serait plus des attitudes fondamentales envers la vie. Ses traits dominants, le bonheur érigé comme but absolu, l'adaptation rapide à toute situation nouvelle, l'assimilation -après neutralisation- de toute chose étrangère, sa passion pour la conquête et la réalisation ("le faire") plutôt que pour l'avoir et l'être...



En relation avec cette espèce ainsi définie, Ellul explicite différentes tendances de la société des années 60 (- déja -, serait-on tenté d'ajouter) qui serait l'écosystème particulier généré par ces attitudes. En particulier, Il pointe sous le terme d'imposture ce que l'on tente péniblement de définir aujourd'hui sous les termes de "confusionnisme" et de "post-vérité" :



"Imposture de prétendre tenir dans un même faisceau des faits contradictoires (ainsi le Bonheur et la Liberté) parce que le confusionnisme verbal a permis l'accouplement de la fumée avec le vent. Imposture des réalisations sociales qui portent toujours sur des drames et misères passés, dépassés, conclus et qu'avec grand bonheur on résout enfin aujourd'hui au milieu des flashs et fanfares - mais en se gardant soigneusement de considérer les nouvelles misères, les drames de maintenant, qui manifestement sont insolubles"



Surtout, il présente les nouveaux costumes endossés après leur grande mue par nos bourgeois d'antan. Quels seraient les propagandistes des valeurs bourgeoises dès-lors ? Surprise (pour l'époque !), ce serait les gauchistes, les ouvriers, les artistes, l'église, les élites des pays colonisés etc. qui serait au firmament de la tendance bourgeoise. Il y a plus, il y a évidemment le "cadre". Mais attention, distinction importante, on parle du cadre non pas sous sa casquette de manager, mais plutôt sous le manteau du "technicien" :



"La technicisation de la société produit le résultat recherché par la bourgeoisie : arriver à faire servir, à rendre concrètement utilisable toutes les forces, tous les facteurs pour qu'il n'y ait plus de temps morts, de valeurs inutiles, de rêves inexploités, de gratuité, d'individu."



Le monde contemporain sous agitation des Zuckerberg & co donne un caractère prophétique aux sentences d'Ellul tant le grand dessein d'Internet semble maintenant de faire de tout à chacun le parfait modèle du bourgeois du XIXeme siècle. Jonction est alors faites avec la grande préoccupation du penseur, la technique, présentée dans l'ouvrage culte "Le système Technicien". L'efficacité serait bel et bien une valeur du projet bourgeois.



L'autre grand thème traité est celui du bonheur. Idéalisé sous la forme du confort par la société de consommation, il préexistait chez le bourgeois comme idéal de vie. L'importance de cette notion pour l'homme serait récente - deux siècles environ - et ne se laisserait même pas définir auparavant. Voilà qui posera bien des problèmes chez le lecteur ! Il faut dire que l'auteur est habitué aux prises de positions radicales et ne déroge pas à son habitude dans ce livre qui ne manque pas de sorties, parfois déplacées, d'une grande violence.



Difficile de trouver un ouvrage plus profond et plus iconoclaste que celui ci pour juger de notre société, tant la remise en cause d'attitudes érigées en évidences intemporelles y est prégnante. Et forcement lecture d'une grande difficulté puisque l'on est bien prié de laisser son conditionnement à l'entrée. Un livre d'une importance majeure, voir fondamental !

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La Raison d'être. Méditation sur l'Ecclésiaste

Voici cinq traductions de ce verset, toutes également sérieuses,

dans l'ordre: la traduction oecuménique de la Bible, La Bible de Jérusalem, La King James Bible, la Bible Segond et la Bible du rabbinat.



Tous les mots sont usés, on ne peut plus les dire, l'oeil ne se contente pas de ce qu'il voit, et l'oreille ne se remplit pas de ce qu'elle entend.

Toute parole est lassante ! Personne ne peut dire que l'oeil n'est pas rassasié de voir, et l'oreille saturée par ce qu'elle a entendu.

All things are full of labour; man cannot utter it: the eye is not satisfied with seeing, nor the ear filled with hearing.

Toutes choses sont en travail au- delà de ce qu'on peut dire; l'oeil ne se rassasie pas de voir, et l'oreille ne se lasse pas d'entendre

Toutes choses sont toujours en mouvement; personne n'est capable d'en rendre compte. L'oeil n'en a jamais assez de voir, ni l'oreille ne se lasse d'entendre



Je souhaite n'examiner que le début du verset, les quatre à six premiers mots;

deux axes de traduction: le mot hébreu Debarim דְּבָרִים a plusieurs sens - outre qu'il est le nom donné au cinquième livre de la Torah (le deutéronome dans les bibles chrétiennes) – il signifie la parole/le mot ou la chose.

Dans un cas comme celui-ci, que pouvons- nous faire, nous, lecteurs déconcertés ?

Nous irons consulter le Targoum de Qohélet et le Zohar, pour ne rien trouver qui nous éclaire sur ce point,

nous nous réfèrerons alors aux controverses entre confucianistes et taoïstes – à peu près aux mêmes époques – qui se disputaient pour établir la relation entre le terme qui désigne la chose et la chose elle-même;

toujours sur notre faim, nous nous laisserons enfin guider par notre analyse de la phrase, on nous parle de l'oeil puis de l'oreille, il semble clair qu'ici l'auteur a voulu placer la parole (de la bouche) et nous y ajouterons la beauté des mots,

pour moi : ‘tous les mots sont usés…'



J'emploie ce mot de beauté des mots à dessein; en effet, l'Ecclésiaste (comme le Cantique des Cantiques) a rencontré des obstacles avant d'être admis dans le canon des livres de la bible et leur présence a longtemps été contestée.

Il fallait beaucoup de courage aux gardiens de la tradition biblique pour admettre un texte (Qohélet) qui fait fi de toute idée de rétribution et un autre (Le Cantique des Cantiques) que seules des acrobaties intellectuelles et vertueuses ressassées depuis une vingtaine de siècles peuvent faire passer pour autre chose qu'un chant d'amour sensuel – et en ce qui me concerne je pense pour partie écrit par une femme – quelque fois sur la marge étroite de l' érotisme le plus cru (5.4).



Je reviens à la force de la beauté des mots, Qohélet et le Cantique sont des oeuvres littéraires d'une qualité si peu partagée dans l'histoire des mots que je crois que cela a été ressenti par les hommes chargés de veiller à la conformité et que pour cette raison ils les ont acceptés dans le canon, tout en faisant de très nombreux commentaires (lisez les targoums et les commentaires haggadiques – passionnants en ce qui concerne l'Ecclésiaste) voire des rajouts : les versets huit à quatorze du chapitre douze ont été ajouté pour favoriser cette adoption (peut être le verset treize de ce même chapitre est-il de la main de l'auteur de Qohélet – je parle ici de celui qui a cet immense talent, du principal, celui qui a écrit tout le début jusqu'au septième verset du quatrième chapitre )



J'ai fait allusion aux controverses entre confucianistes et Taoïstes là où j'aurais pu évoquer celles entre philosophes à Athènes, mais j'ai commencé avec Lao Tseu, alors j'ai continué, par paresse.
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Anarchie et christianisme

Dans ce cours essai d’environ 150 pages, Jacques ELLUL – professeur en Histoire du Droit, chrétien protestant et théologien, ou encore auteur connu pour sa critique de la « Technique » – entreprend de créer du lien entre deux choses que tout semble opposer : l’Anarchisme et le Christianisme.



Toutefois, il le précise d’emblée : il n’est pas question de convertir les anarchistes aux Christianisme, ni les chrétiens à l’Anarchisme. Le propos est bien pour Ellul de montrer ce qui selon lui rapproche la philosophie anarchiste et la foi chrétienne. Pour ce faire, il choisit d’observer l’une sous le prisme de l’autre ; ainsi le premier chapitre abordera « L’Anarchie du point de vue d’un chrétien » et le second quant à lui traitera de « La Bible, source d’Anarchie ».



Dans un premier temps, Ellul s’attache à décrire sa propre vision de l’Anarchisme, en insistant notamment sur la non-violence et ce faisant – malheureusement – ravive inutilement les clichés éculés émaillant ce courant de pensée sans oublier de saupoudrer son argumentaire des légendaires M.L.K. ou Ghandi, par prétérition. Ceci permet d’amener la discussion sur la question de la coercition et du Pouvoir, qu’Ellul, inspiré par Marx bien que critique du Marxisme, connait bien.

Il est clair que, pour lui, toute domination doit être combattue. Cependant il ne manque pas de préciser qu’il estime que l’idéal anarchiste est un objectif inatteignable : « le combat anarchiste, la lutte en direction d’une société anarchiste sont essentiels, mais […] la réalisation de cette société est impossible ». Pour appuyer sa position, Ellul a malheureusement recours à un homme-de-paille dont il critique la double-conviction que « l’Homme naturellement bon, et que c’est la société qui le corrompt ». La superficialité de l’argumentation nuit au débat de fond pourtant intéressant – à savoir : le caractère asymptotique de l’idéal Anarchiste – et se clos sur l’exemple du centre d’Amsterdam « horrible concentré de drogués » après que le gouvernement Hollandais ait décidé de tolérer la consommation de certaines drogues. Dommage…car dans le fond, on cerne bien l’idée de l’auteur. Mais l’exemple laisse vraiment à désirer : c’est un peu grossier et les clichés n’aident pas à donner à Ellul l’objectivité que ses thèses et son ambition pour cet ouvrage mériteraient.

Malgré son discours ouvertement critique, il conclut à juste titre – en regard de la « montée » des logiques de consommations (le livre est de 1988, elles sont désormais bien établies) et des dérives de l’État – que « [l]es églises ont une fois de plus trahi leur mission. Les partis se livrent à des jeux de théâtre qui datent d’un siècle. Et c’est dans ces conditions que je considère l’anarchie, comme, à la fois, la seule mise en question sérieuse et le moyen d’une prise de conscience, premier pas de l’action. » et nous invite à combattre ces tendances mortifères sans pour autant déserter la société, faire sécession, en appelant évidemment à s’extraire des logiques de la domination : « […] on peut lutter, on peut mettre en question, on peut s’organiser en marge, on peut dénoncer (non pas les abus de pouvoir, mais le pouvoir lui-même !). Et cela, seule, l’anarchie le déclare et le veut. ».



En seconde partie de ce premier chapitre, Ellul se penche sur « Les griefs de l’anarchie contre le christianisme ». D’entrée de jeu il déclare : « La première constatation fondamentale, c’est que toutes les religions quelles qu’elles soient sont à l’origine de guerre, de conflits […]. [D]ans ces guerres provoquées par la « Religion » c’est la question de la vérité qui est devenue centrale […] » et ceci vaut « aussi pour les religions nouvelles qui les ont remplacé : la Religion de la Patrie, la Religion du Communisme, la Religion de l’Argent, par exemple. » et montre qu’il ne sera pas plus transigeant envers la Religion qu’il ne l’a été vis-à-vis de l’Anarchisme. Il critique abondamment les institutions religieuses soumises au pouvoir, qu’il écorchait déjà en introduction en les condamnant sévèrement (et fort légitimement) : « Toutes les églises ont scrupuleusement respecté et souvent soutenu les autorités de l’État, elles ont fait du conformisme une vertu majeure, elles ont toléré l’injustice sociale et l’exploitation de l’homme par l’homme (en expliquant pour les uns que la volonté de Dieu était qu’il y ait des maîtres et des serviteurs, et pour les autres que la réussite socio-économique était le signe extérieur de la bénédiction de Dieu !) » et soulignant l’incohérence d’une hiérarchie religieuse « alors que Jésus n’a évidemment jamais crée de hiérarchie […] ».

Spécialiste du Droit romain en complément de ses connaissances théologiques, Ellul retrace brièvement l’Histoire du développement du Christianisme à l’aube du premier millénaire, au moment où la Religion chrétienne est loin d’avoir l’ampleur qu’on lui connait aujourd’hui, en évoquant abondamment les textes. Cela lui permet d’esquisser comment le Christianisme a peu à peu été corrompu et phagocyté par le pouvoir, allant jusqu’à renier ses plus fondamentaux principes. A ce sujet il précise que « L’alliance du Trône et de l’Autel ne date pas de la Restauration mais du Vème siècle ».

S’ensuit, historiquement, une longue complicité entre l’Eglise et le Pouvoir : la première étant garante de la propagande envers les masses, en légitimant notamment l’autorité du second (prétendument acquise de droit divin…), tandis que le second se gardait en retour de trop s’immiscer dans les affaires politique de la première. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas pour rien, nous cite Ellul, que « Napoléon a dit : "Les curés tiennent le peuple, les évêques tiennent les curés, et moi je tiens les évêques". On ne pouvait pas mieux déclarer, ce qui fut toujours, que l’Église est en définitive l’agent de propagande de l’État ». N’importe qui ayant un minimum de recul critique vis-à-vis de l’Histoire et du Christianisme arriverait aux mêmes conclusions qu’Ellul : une collusion flagrante et lucrative pendant des siècles ont permis aux deux partis l’expansion de leur emprise respective (au prix de nombreuses tragédies). La critique d’Ellul – bien qu’entendue – est toutefois la bienvenue car indispensable dans cet ouvrage : elle montre à quel point l’auteur se distancie de la Religion chrétienne institutionalisée, au profit de sa propre foi et de son interprétation personnelle des textes bibliques à l’aune de son accointance avec les idéaux libertaires.



Dans le second chapitre de l’ouvrage, l’auteur renverse la grille de lecture en s’attelant cette fois à analyser certains textes sacrés afin d’en montrer la portée anarchiste. Pour commencer, comme c’est souvent le cas dans les livres traitant d’Anarchisme, Ellul s’attarde à en formuler une définition succincte en évoquant l’étymologique « an-arkhê », sans omettre bien sûr de récuser la solide réputation de désordre que traine ce courant de pensée et qui, selon lui (comme beaucoup d’autres), « vient de ce que l’homme occidental est tellement persuadé que l’ordre dans la société ne peut être établi que par un pouvoir central fort (police, armée, propagande) que, sitôt que l’on met ces pouvoirs en discussion, on ne peut envisager que du désordre ! ». Et je ne vais certainement pas le contredire… Même si le résumer sous ses traits est un peu trop réducteur à mon goût.

Ellul articule son développement en cinq parties, respectivement autour de : « La Bible Hébraïque », « Jésus », « L’Apocalypse » (qui évoque dans les écrits la « Révélation » et non une horrible catastrophe), « Une incidence - l’Epitre de Paul » et « Pierre ». Seulement, mes séances de catéchisme ayant plus de 25 ans et n’ayant jamais ouvert une Bible (ni alors, ni depuis) je m’attarderai moins dessus, ne maitrisant pas suffisamment les textes évoqués.

C’est justement ce qui a été un souci en ce qui me concerne : même si Ellul cite explicitement des passages, des anecdotes ou des paroles attribuées à Jésus ou à d’autres (et sans même discuter de leur véracité) on est fondamentalement contraint de faire confiance à l’auteur quant aux contextualisations et interprétations qu’il avance. Non pas que ce qu’il dise soit insensé – au contraire, cela fait souvent sens, pour peu qu’on appréhende correctement le prisme anarchiste – mais à l’instar du premier chapitre, je reste un peu sur ma faim.



Faisant suite à ce second chapitre se trouvent des annexes présentant deux interprétations d’un texte (Romains, XIII 1-2) respectivement par K. Barth et A. Maillot ainsi qu’un court texte : « Les objecteurs de conscience », sur lesquels j’ai fait l’impasse (en fin de lecture je saturais des références bibliques, pour être honnête). En revanche, j’ai énormément apprécié la petite dizaine de pages du témoignage d’Adrien DUCHOSAL : « Être prêtre catholique et anarchiste ». C’est de loin ce que j’ai préféré dans ce livre pour le naturel, la simplicité et la profonde sincérité qui se dégage des anecdotes et des valeurs dépeintes dans ces quelques lignes.



En résumé, Ellul nous présente sa vision de l’Anarchisme et son exégèse libertaire des textes sacrés du Christianisme tout en nous entrainant malgré lui dans de profondes questions d’herméneutique. Il m’a été difficile de faire confiance à l’auteur en dépit de sa qualité reconnue de théologien. D’abord le premier chapitre traitant du courant anarchiste m’a paru un peu superficiel, accumulant quelques clichés au passage, au détriment de questions pourtant pertinentes ; puis au second il explore avec détails différents récits bibliques et paroles attribuées à Jésus dont il nous expose son interprétation avec méticulosité… La cohésion entre ces deux chapitres tient globalement aux seuls enthousiasme qui émane de l’auteur et à sa foi inébranlable qui – à mon sens – parasitent un peu trop la rigueur argumentaire de l’essai.



A la fin du premier chapitre, l’auteur écrit : « Tout ceci dit, je ne prétends nullement avoir convaincu le lecteur ». Bien que sur le moment je me sois dit « heureusement ! », je me suis rappelé que dès l’introduction Ellul avait exposé ses ambitions pour cet essai et que le prosélytisme y était absent, ce qui est effectivement le cas.

Au final, j’ai quand même apprécié cette lecture. Elle offre à voir le regard intéressant d’un penseur peu ordinaire ainsi qu’une relecture particulièrement subversive des écrits bibliques en proposant une vision du Christianisme sous le prisme de l’Anarchisme sur un ton assez léger et accessible.



Tout au long de cette lecture j’ai eu en tête l’image « Jesus was an Anarchist », et l’idée m’a bien fait sourire !
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Histoire des institutions, tome 3 : Le Moye..

Un véritable ouvrage de référence dans le domaine et une bible pour les étudiants en droit
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Le système technicien

Le système technicien est une œuvre majeure de Jacques Ellul écrite en 1977. Il y fait la synthèse de ses réflexions sur l'impact du progrès technique dans la société.



Il a probablement lu tout ce qui s'était écrit sur le sujet à son époque, depuis les plus fervents soutiens à la technique jusqu'aux plus grands contempteurs, en passant par les transcriptions de colloque internationaux.



Grand connaisseur de la théorie marxiste, bien que très critique, il estime que celle-ci ne parvient plus à rendre compte, à son époque, de la marche du monde.



Ellul estime que ce qu'il appelle « le système technicien » en est devenu le facteur déterminant. Il montre que, à terme, ce n'est rien moins que la raison et la liberté de l'homme qui sont menacées par ce système, mais pas forcément pour les raisons qu'on pourrait croire.





La technique comme facteur déterminant



Lorsque Marx déclarait que l'économie était le facteur déterminant de l'histoire, il donnait une grille de lecture efficace pour lire le monde. Ellul estime que si Marx avait vécu à son époque, il aurait probablement considéré la technique comme nouveau facteur déterminant 1.



Le concept de facteur déterminant a été beaucoup critiqué en sociologie comme en histoire. Ellul reconnaît le danger qu'il y a à vouloir ramener à un seul facteur déterminant les multiples phénomènes ou problèmes d'une société globale. Toutefois, il ne lui semble pas impossible de discerner, parmi un ensemble de facteurs à conserver comme explicatifs, un facteur qui sera plus effectif, plus contraignant.



Si Ellul reconnaît à Marx d'avoir su isoler le facteur déterminant de la société capitaliste, il lui reproche d'avoir voulu le généraliser à toutes les sociétés et à toutes les périodes historiques. Pour Ellul, depuis les années 1950 la technique a supplanté l'infrastructure économique en tant que facteur déterminant.





L'autonomie



Le domaine de la technique se caractérise par une forme d'autonomie par rapport aux autres sphères :



Autonomie envers l'infrastructure économique

Quelque soit le système économique, la technique engendre les mêmes dérives, les mêmes risques. Que ce soit l'URSS communiste ou le monde occidental, les menaces pour l'humanité y sont tout aussi considérables. Le régime économique n'impacte donc nullement la sphère technicienne.



Autonomie envers la science

Généralement, on considère que la science est libre, neutre ; qu'elle se sert de la technique pour progresser. Ellul récuse ces vues simplistes : l'interpénétration Science/Technique a signé « la fin de l'innocence scientifique ». Sciences et techniques sont trop imbriquées pour que la première puisse donner objectivement des directives à la seconde.



Autonomie envers le champ politique

Ellul rejette cette vue superficielle des politiciens, philosophes 2 ou autres idéologues qui se résume à croire que l'État décide, la Technique obéit. Dès lors, il suffirait que le politicien fasse le bon choix et tout irait pour le mieux... En réalité, il n'y a pas un bon et un mauvais usage de la Science ou de la Technique. Si la technique le permet (ex. : la bombe atomique), la politique s'en emparera très certainement.



Ellul ne nie pas la prise de décision politique au sujet de la Technique. L'État n'est pas indifférent à la technique. Tout au contraire ! Car la technique lui permet d'augmenter son domaine d'intervention.



Il met d'ailleurs en lumière ce paradoxe moderne qu'on assiste tout à la fois à une forte croissance de l'État et une décroissance inquiétante de la fonction politique. L’État tend en effet à étendre son domaine de compétence, ce que lui permet la technique (surveillance, etc.). Mais ces décisions, pour cette raison, sont le plus souvent d'ordre technique et de moins en moins d'ordre politique.



C'est donc bien en raison de la complexification technique que l'homme politique dépend de plus en plus étroitement des bureaux d'études, des experts qui préparent les dossiers.



Et de surcroît, nous dit Ellul, on observe « une remarquable conjonction : l'État est assorti de plus grands moyens de puissance par la technique, or l'État est lui-même un organisme de puissance, il ne peut donc aller que dans le sens de la croissance »



Autonomie envers le champ intellectuel

C'est une pensée forte chez Ellul : c'est être totalement naïf que de croire que l'homme maîtrise la Technique. « L'homme dans son orgueil, l'intellectuel surtout, croit encore que sa pensée maîtrise la technique, qu'il peut lui imposer telle valeur, tel sens, et les philosophes sont à la pointe de cette vanité. »





La technique comme milieu



La technique se présente à l'homme comme un milieu. Dès notre naissance, nous baignons dans un environnement technique. Les moyens techniques sont une médiation entre l'homme et le milieu naturel (Simondon). L'une des caractéristiques majeures de cette médiation, selon Ellul, est d'être exclusive. Il n'y a plus de rapport de l'homme à la nature, « tout cet ensemble de liens complexes et fragiles que l'homme avait patiemment tissé, poétique, magique, mythique, symbolique disparaît : il n'y a plus que la médiation technique qui s'impose et devient totale ».



Non seulement elle est la médiatrice entre l'homme et le milieu naturel, mais elle est aussi médiatrice entre les hommes : ceux-ci entrent de plus en plus en contact les uns avec les autres au moyen d'instruments techniques, de techniques psychologiques, etc. Rappelons qu'Ellul écrit cela en 1977. Le smartphone et les ''réseaux sociaux'' n'existent pas encore !



C'est cette médiatisation technique de la relation humaine qui produit le phénomène sur lequel on ne cesse de s'étonner, le sentiment croissant de solitude individuelle dans un monde de communications généralisées.





La technique comme système



« La technique ne se contente pas d'être, et, dans notre monde, d'être le facteur principal ou déterminant, elle est devenue système. »



Ellul fait ici un long développement sur l'ordinateur et son rôle dans notre société. Sa thèse affirme que : « C'est l'ordinateur qui permet au système technicien de s'instituer définitivement en système ».



Jusqu'ici les grands ensembles techniques n'avaient que peu de relations entre eux. Les secteurs devenant de plus en plus spécialisés, l'ensemble tendait à devenir incohérent. Réunifier tout cela, aucun homme, aucun groupement humain ne pouvait le faire. Seul l'ordinateur pouvait y répondre. Ce n'est pas tant que l'ordinateur remplace l'homme comme dans les films de science fiction aux scénarios volontairement pessimistes. L'ordinateur remplit en réalité une tâche purement technique inaccessible à l'homme.



Il n'y a aucunement concurrence entre l'homme et l'ordinateur. Ellul persifle tous ces discours anthropomorphes qui font de l'informatique aussi bien un démon tout puissant qu'un robot serviteur et docile. Il rejette de même le discours selon lequel l'ordinateur sera un atout pour la démocratie ou une aubaine pour la dictature selon les choix humains : « Tout ce discours est absurde : la seule fonction de l'ensemble informatique est de permettre la jonction, souple, informelle, purement technique, immédiate et universelle entre les sous-systèmes techniques. C'est donc un nouvel ensemble de fonctions nouvelles, d'où l'homme est exclu, non par concurrence mais parce que personne jusqu'ici ne les a remplies. Bien entendu, cela ne veut pas dire que l'ordinateur échappe à l'homme, mais que se met en place un ensemble qui est strictement non humain. »



Premier pas vers l'exclusion de l'homme.



La suite sur le Blog Philo-Analysis :
Lien : http://philo-analysis.over-b..
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Anarchie et christianisme

incontournable pour tout Humain normalement constitué

croyant ou non..l'auteur remet en perspective une épopée

d'un juste cruxsifié par la foule sur le silence de Ponce Pilate se lavant les mains de blanchir cet Homme dénonçant les gens du temple et réclamant une Humanité même pour les Femmes adultères..
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«Je suis sincère avec moi-même» et autres lieux..

On assiste à une remise en question assez radicale de l'humanisme. L'homme va t-il échapper à la philosophie? Face à la science, sous l'influence conjuguée de la psychanalyse, de la sociologie, sans oublier les progrès de la biologie, il semble qu'on ne sache plus très bien ce qu'est l'homme. Le sujet humain s'est vu déchiffré, décodé dans son inconscient et son langage, dans son rapport à autrui. Il ne correspond plus à l'étude traditionnelle qu'en faisait la pensée philosophique en terme de conscience, de sujet et d'objet. Cette crise, issue de ceux qu'on a appelé Les grands maîtres du soupçon...
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