Citations de Javier Cercas (532)
Chaque fois que je traversais l'Onyar à Gérone ( Girona ), j'avais l'impression de franchir la frontière entre le Bien et le Mal.
D'ailleurs, un vrai écrivain ne cesse jamais de l'être. Même s'il n'écrit pas.
- Que la guerre aille se faire foutre!
" Ne cherche pas à m'adoucir la mort, ô noble Ulysse!
J'aimerais mieux être sur terre domestique d'un paysan,
Fût- il sans patrimoine et presque sans ressources,
Que de régner ici parmi ces ombres consumées . " ........
" Homère"",L'Odyssée " .
Àlvaro prenait son travail au sérieux. Chaque jour, il se levait ponctuellement à huit heures. Il finissait de se réveiller sous une douche d'eau glacée et descendait au supermarché acheter du pain et le journal. De retour chez lui, il préparait du café et des tartines grillées avec du beurre et de la confiture et il petit-déjeunait dans la cuisine, en feuilletant le journal et en écoutant la radio. À neuf heures, il s'asseyait à son bureau, prêt à commencer sa journée de travail.
Alvaro plonge dans son travail. Ses personnages l'accompagnent partout: ils travaillent avec lui, se promènent, dorment, (...) boivent, rêvent, s'assoient devant le poste de télévision, respirent avec lui. (p. 19)
Il y avait surtout du rock et pas mal de Bob Dylan. Notamment Bringing it All Back Home, un disque avec une chanson que je connaissais bien: It's Alright , Ma (I'm Only Bleeding). Le disque dans les mains, je me suis mis à repasser dans ma tête cette chanson sans consolation qui n'avait pourtant jamais cessé de rendre à Rodney la joie intacte de sa jeunesse, et soudain, tandis qu'en attendant Jenny je me souvenais avec la même précision aussi bien de ses paroles que de sa musique, j'ai eu la certitude qu'au fond cette chanson ne parlait que de Rodney, de la vie annulée de Rodney, car elle parlait de mots sans illusion qui aboient comme des balles et de cimetières bourrés de faux dieux et de solitaires qui pleurent et ont peur et vivent dans un puits conscients que tout n'est que mensonge et qu'ils ont compris trop vite qu'il valait mieux ne pas tenter de comprendre, car elle parlait de tout cela et surtout du fait que celui qui n'est pas occupé à mourir est occupé à vivre. "Maintenant, Rodney ne s'occupe qu'à mourir" ai-je pensé. Et aussi : "Moi, pas encore."
La litterature est une forme socialement acceptée de narcissisme.
Voilà, c'est tout ce que je voulais vous raconter : les romans ne servent à rien, sauf à nous sauver la vie.
Il avait subordonné sa vie à la littérature; ses amitiés, ses intérêts, ses ambitions, son avancement professionnel ou l'amélioration de ses finances, ses sorties dans la journée ou la soirée, tout s'était vu relégué au bénéfice de celle-ci. (...)
Il considérait que la littérature est une maîtresse possessive. (p. 9-10)
La première horreur commença en été, raconte Armengol. Au début du mois de septembre, un autobus bondé d'anarchistes arriva en Terra Alta en provenance de Barcelone ; il était peint en noir et orné de têtes de mort blanches, et ses occupants se mirent à assassiner à tour de bras. En peu de temps, ils semèrent la terreur dans la comarque ; dans la comarque, mais aussi à Bajo Aragón, à Ribera d'Ebre, dans toute la zone. Ils faisaient irruption dans les villages, parlaient avec les anarchistes locaux, leur demandaient une liste des personnes de droite et les tuaient toutes.
- Pour que vous vous fassiez une idée, dit le vieil homme, à Gandesa, en une seule nuit ils ont tué vingt-neuf personnes. C'était ça la fameuse révolution espagnole, au début de la guerre : une authentique orgie de sang. Joli, n’est-ce pas ? Et après, on dit que nous, les Mexicains, nous sommes violents. Mais en vérité, en comparaison de vous, nous sommes un peuple pacifiste et compatissant.
L'autre jour, j'ai entendu un ami dire que celui qui ne lit pas finit par avoir des toiles d'araignées dans le cerveau.
Quand il s'agit de politique, tout le monde se gargarise de Machiavel, sans aller chercher plus loin. Je ne dis pas que Machiavel n'est pas bon, mais Montaigne est plus sérieux, plus radical, nettement meilleur.
Cette nuit-là, Álvaro rêva qu’il marchait à travers une prairie verte avec des chevaux blancs. Il allait à la rencontre de quelqu’un ou de quelque chose et il avait l’impression de flotter sur l’herbe fraîche. Il montait par une pente douce une colline sans arbres ni fourrés ni oiseaux. Au sommet, une porte blanche apparut, pourvue d’une poignée d’or. Il ouvrit la porte et, bien qu’il sût que de l’autre côté l’attendait ce qu’il était en train de chercher, quelque chose ou quelqu’un le força à faire demi-tour, à demeurer debout au sommet vert de la colline, tourné vers la prairie, la main gauche sur la poignée d’or, la porte blanche entrouverte.
J'ai eu pour la première fois l'intuition fallacieuse que le passé n'est pas un lieu stable mais changeant, altéré en permanence par l'avenir et que par conséquence rien de ce qui est déjà arrivé n'est irréversible.
-Tu te sens coupable d’avoir eu un oncle facho ?.......
-Hannah Arendt dirait que je ne devrais pas me sentir coupable, mais responsable.
- Tu veux écouter de la musique ? a dit Jenny en entrant dans le salon.
Je lui ai dit que oui, elle a mis l’appareil en marche à la cuisine. J’ai écarté la tentation d’écouter Dylan et j’ai mis Astral Weeks de Van Morrison, et quand Jenny est revenue, avec une bouteille de vin et deux verres, nous nous sommes assis l’un en face de l’autre et avons laissé le disque tourner, tout en conversant avec une fluidité favorisée par l’alcool et la voix rugueuse de Van Morrison.
Comprendre, est-ce justifier ? me demandais-je chaque fois que cette phrase me revenait à l'esprit. Devons-nous nous interdire de comprendre ou sommes-nous plutôt obligés à le faire ?
A première vue, il m'a semblé qu'elle avait à peine changé, sans doute parce que son corps svelte, son jean, sa veste en cuir usée et son sac porté en bandoulière lui conservaient un air jeune ; mais j'ai vite reconnu les marques de l'âge : la peau tirée, les pattes-d'oie et les cernes de fatigue, les commissures des lèvres tombantes, les cheveux grisonnants; seuls ses yeux étaient aussi verts et intenses que vingt ans auparavant, comme si la Tere que j'avais connue avait trouvé là son refuge, indifférente au passage du temps.
- Pour écrire des romans, on n'a pas besoin d'imagination, dit Bolano. Seulement de la mémoire. On écrit des romans en combinant des souvenirs.