Un remarquable essai sur cette France dont on parle peu: celle des villages, des coteaux, des géosynclinaux et des bassins versants. L'histoire sociale du pays vu par le côté géographique de la lorgnette. Remarquable!
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Critique de Sébastien Lapaque pour le Magazine Littéraire
Ce livre, qui rend compte de trente années de réflexions et d'analyses sur l'esprit des villes et leur destin, ne peut pas être placé parmi les récits, les romans et les textes qui ressortent à la fiction. Rien n'est feint dans ce livre écrit en prose. Mais le classer parmi les catalogues d'architectes, les manuels d'urbanistes et les traités de paysagistes serait une erreur, même si Jean-Christophe Bailly, qui enseigne à l'École nationale supérieure de la nature et du paysage de Blois, ne craint pas la confrontation avec les travaux de ses collègues. Auteur de récits sensibles, poète et dramaturge, il témoigne d'un refus possible du divorce entre la littérature et le savoir, « une plaie de notre époque et un aspect caractéristique de la barbarie moderne où, la plupart du temps, on voit des écrivains incultes tourner le dos à des savants qui écrivent en charabia », ainsi que s'en désespérait Simon Leys dans L'Ange et le Cachalot.
Si les observations pratiques et les analyses théoriques de La Phrase urbaine l'imposent parmi les lectures obligatoires des étudiants blésois de Bailly, ce livre qui mêle « l'intervention publique ou critique à la simple caractérisation, voire à la notation et à la rêverie » n'en appartient pas moins à la littérature, c'est-à-dire à une créatrice mise du monde en mots. Sa mélancolie tendue est contenue jusqu'aux « Trois visions » qui le concluent : « [...] un monde meilleur souvent bien sûr j'y ai pensé mais maintenant c'est plutôt à un monde pire, à ce monde-ci empiré que je pense et d'ailleurs c'est facile, il n'y a qu'à suivre le mouvement, la pente où celui-ci (de monde) s'est engagé. »
Qui croira qu'un texte qui remue une matière si sérieuse et si fondamentale puisse être également poétique et sentimental ? À la fois doctes et déliés, les dix-neuf essais qui composent La Phrase urbaine rendent compte de l'histoire d'un amour. Paris, capitale du XIXe siècle de Walter Benjamin est la référence tutélaire de Bailly. C'est en mettant ses pas dans ceux des promeneurs romantiques et de leurs héritiers modernes que l'écrivain s'est pris de passion pour la grande ville. C'était il y a bien longtemps et il n'en est pas revenu. Mais sa passion n'a rien d'éthéré. Charnel, son amour fou s'attache aux passages et aux intérieurs, caresse les structures et les matériaux, jouit des contours ornements. « Il se trouve que, familier des chantiers dès l'enfance (mon père était entrepreneur), j'ai toujours porté aux formes et aux matières du bâti, comme passant et comme voyageur, une attention soutenue », veut-il se souvenir.
C'est donc en connaisseur qu'il passe d'une ville à l'autre, non plus seulement à travers l'Europe, comme ses vénérables prédécesseurs, mais dans le monde entier. Il débarque à Carthagène des Indes, file de New York à Boston, arpente les boulevards populaires de Moscou. Et, s'il lui plaît de rendre compte de la splendeur de Barcelone, il aime tendre l'oreille pour entendre le murmure de Roubaix, « loin de l'histoire monumentale ». Ici la ville dort, là-bas elle claironne. Cette opposition lui permet de comprendre certaines choses. Partout où il passe, le voyageur aux manières de cinéaste en repérage est plutôt placide, mais il lui arrive de faire entendre une colère d'amoureux contrarié par les outrages faits à la chair brûlante des villes : « des maisons qui ne sont pas des maisons, des rues qui ne sont pas des rues, des espaces qui n'ont rien tenté d'autre dans l'espace que son occupation ».
Sûr de son fait, l'écrivain ne goûte ni les concepts « fourre-tout » ni les idées trop usées. Avec « la vulgate de la dérive et de l'errance », il révoque Guy Debord, qui n'est pas son genre. Et, s'il observe la « dépossession généralisée », il ne s'attarde guère à commenter la notion de « non-lieu » forgée par Marc Augé. Son corpus ne doit rien à l'air du temps et tout à de longues décennies occupées à se glisser seul dans les plis sinueux des vieilles capitales. L'écrivain revendique les privilèges de cet « échange solitaire ». Prêtant le bras à « tous les passants singuliers des villes innombrables : Baudelaire, Poe et De Quincey, Nerval et Apollinaire, Benjamin et Kafka, Joyce et Pessoa, Musil et Boulgakov, Harms et Svevo, Onetti et Chandler », le lecteur de La Phrase urbaine est invité à devenir à son tour un promeneur libéré « de la simple routine ou des pratiques du tourisme ». Il apprendra à connaître la forme d'une ville, à savoir retrouver les contours de sa symphonie derrière les cris des hommes et les bruits de la vie, ainsi que le suggère le texte qui donne son titre au livre. « La ville, ce serait d'abord, quant aux bruits, une rumeur constante, une sorte d'épaisseur où, bien sûr, le strident ou le très bruyant se détachent, mais où tout semble malgré tout noyé dans un bain unificateur aux mouvements aléatoires mais permanents. »
Tendrement, sans lenteur, Bailly nous permet de comprendre qu'il n'y a pas seulement de la ville dans une ville : « L'espace urbain contient de la ville et aussi quelque chose d'autre qui n'en est pas. » L'art de la ville n'est pas un art perdu : « Si une telle idée est vérifiée par les manques les plus criants de l'urbanisme, elle comporte pourtant quelque chose de facile, de hautain et de passéiste. » De ce point de vue, son approche est autant politique que littéraire. Malgré les malédictions divines recensées par Jacques Ellul dans Sans feu ni lieu. Signification biblique de la Grande Ville - équilibrées par la promesse d'une nouvelle Jérusalem dont l'édification est promise « sur la terre comme au ciel » -, la cité a été imaginée par les hommes pour trouver des raisons de vivre ensemble. Partant, l'architecture urbaine est « celui des arts pour lequel [la] relation au politique est la plus directe et la plus contraignante ». Cela dit, Bailly n'a pas envie de regarder la ville dans le rétroviseur, persuadé qu'elle se réinvente sans fin depuis la nuit des temps. Son amour de la grande ville n'a rien d'une nostalgie, c'est un bonheur en actes : quitter sa chambre, retrouver la rue et mettre un pas devant l'autre.
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9 textes sur "Poésie et politique" incluant 2 excellents essais historico-critiques, et 3 bombes littéraires.
Cette récente livraison des précieuses éditions La Fabrique rassemble 9 textes, allant chacun d'une dizaine à une trentaine de pages, et ainsi 9 manières d'aborder le lien entre poésie et politique.
"Ce livre, où il est question de poésie, réunit des écrivains qui ont en commun de ne pas trop aimer qu'on les traite de poètes. Elles et ils ne tiennent pas non plus à ce que leur travail d'écriture soit qualifié de poésie. (...) Dans une grande diversité - dont ce livre rend compte -, leur écriture est hantée par la politique, bien que celle-ci soit rarement le thème dominant de leur travail. (...) La poésie telle qu'ils l'envisagent est une opération pratique, concrète, où l'on ne se raconte pas d'histoires et où l'on pense l'art comme un acte - individuel, certes - mais aussi comme un lieu public, une scène ouverte."
Avec "L'action solitaire du poème", Jean-Christophe Bailly propose un remarquable texte théorique, où l'on parcourt Mallarmé, Rimbaud, Goethe, Celan, Pound, ou encore Mahmoud Darwich, bien sûr. "Le poème qui laisse entrer en lui la rumeur de l'Histoire ne peut jamais le faire gratuitement et sans risque".
Avec "Opacité critique", Jean-Marie Gleize nous convie à un tour d'horizon de la manière dont les successeurs des poètes engagés de la génération 1970 travaillent aujourd'hui. "Une certaine négation de la politique par la poésie est politique. Surtout si l'on veut bien admettre par ailleurs cette pratique de l'écriture de poésie comme négation endurante de "la" poésie : aucun message achevé, refus de la revendication, maintien à hauteur d'énigme, réalisme radical."
Avec "Actions politiques / Actions littéraires", Christophe Hanna décortique magistralement les implications de la métaphore d'une "bombe littéraire", tandis qu'avec "De quelques points d'intersection", Yves Pagès décrypte le rôle de la mémoire des mots dans la construction d'une identité politique, que Véronique Pittolo, dans "POPOPA - Poésie, politique & Sarah Palin", convoquant Robespierre et Spinoza, relit le storytelling des acteurs politiques contemporains à l'aune de leur poésie absente, et qu'enfin Manuel Joseph, avec "Corps de grève", lie habilement les pieds écrasés d'un ouvrier accidenté du travail aux morts en prison de prisonniers politiques.
Moins théoriques mais extrêmement percutants, les trois textes les plus enthousiasmants du recueil sont "Astronomiques assertions" de Nathalie Quintane, splendide échafaudage sur une relecture moderne des prophéties de Nostradamus, "Toi aussi, tu as des armes, essaie de t'en souvenir" de Hugues Jallon, fantastique reconstruction du parcours de Michel Frois, gourou militaire contre-insurrectionnel puis patronal, et enfin, "Toi aussi, tu as (encore) des armes ?" de Jacques-Henri Michot, qui tente une passionnante élucidation de la phrase du "Journal" de Kafka qui sert de titre à l'ensemble de ce recueil, grâce notamment à une lecture rusée de Harold Pinter, Leslie Kaplan ou Roland Barthes.
"1.5.8. Écrire ne me semble pas être noter, sous figure plus ou moins nubileuse, un genre de Weltanschauung.
1.5.9. Oui mais à la longue, dit-on, cela fait un genre de nuage, qui fait un genre de Weltanschauung (ou alors comme pour Françoise Sagan : une petite musique).
1.5.9.1. I am not Françoise Sagan."
(Nathalie Quintane)
"la Biennale de l'équipement électrique, porte de Versailles
paralysée par la grève générale
la France se désagrège, dit-il
le pays tourne à l'envers, répète-t-il
enrageant du silence patronal
qui n'arrive pas à se faire entendre
(force muette, dans l'adversité ne préférant pas, vraiment pas, dépêchant ses miliciens équipés de barre de fer à la sortie des usines)"
(Hugues Jallon)
Un recueil précieux sur un thème ô combien passionnant.
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L'approche partielle de l’histoire d'un refuge pour enfants juifs durant l’Occupation devenu lieu de mémoire à travers des photographies prises par certains enfants et adultes durant la période de son activité entre 1943 et 1944. En 2002 les survivants, venus de divers points de l’hexagone, d’Israël et de l’Amérique du nord sont réunis et identifient les enfants sur les photographies et les commentent. L’essentiel du livre est consacré à présenter ces photos et à proposer des informations sur les jeunes et personnes majeurs liés à ces évènements. Une chronologie partant de 1925 à 2002 situe des faits individuels et collectifs qui ont pesé sur cette histoire. Jean-Christophe Bailly explique dans un long texte que c’est le sentiment d’absence qui l’a marqué lors de la visite de la Maison d’Izieu. La Maison d’Izieu située dans l’Ain a connu une rafle conduite par Klaus Barbie.
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Par la compilation de souvenirs de voyages en France, Jean-Christophe Bailly cherche à définir ce qu'est la France. A chaque lieu visité correspond un texte. Le tout crée un ensemble décousu, où Jean-Christophe Bailly accumule les poncifs. Sauf si vous connaissez une maison ou une rue décrite vous serez intéressé par quelques pages de ce livre, sinon le reste est d'un ennui mortel !
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neuf auteurs, Jean-Christophe Bailly, Jean-Marie Gleize, Christophe Hanna, Hugues Jallon, Manuel Joseph, Jacques-Henri Michot, Yves Pagès, Véronique Pittolo et Nathalie Quintane (et voilà que je réalise que les deux femmes sont renvoyées à la fin, veux croire que c'est un hasard ou un honneur) - neuf parcours différents - neufs façons différentes, très, d'aborder le thème.
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Voir les endroits dévitalisés, ne pas laisser venir la nostalgie repliée, la cocarde, le nationalisme, l'imagerie touristique, mais chercher ce qui fait qu'un paysage, que des mots, qu'une évocation nous donne le sentiment d'être français, sans aucune fermeture, comme une petite note perçue, dans son cas, comme souvent, lorsque l'on est plongé dans une ville étrangère.
Texte fait de voyages et rencontres motivés par l'écriture de ce livre, et de la reprise d'articles, livrets pré-existants.
Texte qui n'évite pas les lieux emblématiques mais sans en faire marquage. Texte circulant comme au hasard à travers le territoire, cherchant ou trouvant sans le chercher le tissage, les correspondances, les noeuds. Texte guidé aussi par les rivières, par amour pour elles, et pour cr qu'elles sont : circulation, fluidité des passages.
Langue nourrie de classicisme et qui sait se faire d'un lyrisme tranquille. Une promenade intelligente. Des notations salubres, un refus de ce qui s'oppose à ce sentiment d'être français : l'affichage d'une identité française, figée, excluante.
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C'est par hasard, sur le site Mediapart, que j'ai découvert ce livre et cet auteur. Écrivain, poète, enseignant à l'école de paysage de Blois, Jean-Christophe Bailly s'intéresse aux liens qui se nouent entre les lieux et les hommes, les décrypte sans toujours vouloir apporter toutes les réponses. Dans "Le dépaysement : voyages en France", il nous propose un périple "ordinaire" à l'intérieur de nos frontières dans des lieux banals ou chargés d'histoire et de symboles. De Gentilly à la Cité universitaire, du Pont du Gard à Nîmes en passant par Guise et son phalanstère jusqu'aux sources de la Loue peintes par Gustave Courbet .... que disent les lieux que nous aimons ou qui nous indiffèrent, de notre identité, de notre individualité ? Qu'en est-il des passages d'un univers à l'autre, des frontières ? Que disent les mots, comment faire une approche sensible de ces références géographiques et humaines ? La lecture de cet ouvrage est à la fois prenante et exigeante. J.C. Bailly aime les mots précieux, les références subtiles, les relations incertaines. Ce livre est d'abord un questionnement. C'est ce qui en fait toute la richesse.
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Un livre qui ne m' a guère enthousiasmée... La petite préface traduite également en allemand et en anglais montre l' importande de la main, ses différentes fonctions, la valeur que certaines sociétés lui confèrent et la difficulté pour les artistes de la représenter sous toutes ses formes... Je m' attendais à trouver des explications, des exemples de croquis plus schématiques pour apprendre à dessiner les mains en particulier, puisque c' était le sujet.
Je n' ai trouvé que des dessins certes jolis à regarder, mais au final cela ne m' a rien apporté de plus...
Heureusement qu' il m' a été offert, j' en suis bien déçue...
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