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Critiques de Jean-Michel Maulpoix (43)
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Une histoire de bleu

« le bleu ne fait pas de bruit, c'est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage, ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge… »



Le bleu ensemence élégamment la lumière, poudroie l'âme, teinte la foi, ennoblit le sang, creuse des ombres à la mort, nuance la colère, se fait mots, se fait chair, rassemble sous son aile douce et sereine toutes les autres couleurs. C'est cette histoire-là, celle d'une couleur au-delà de la couleur que Jean-Michel Maulpoix, Goncourt de la Poésie 2022, nous conte. Une histoire du bleu en fines lamelles de prose poétique, courts chapitres pour en savourer toutes les nuances, petites hosties pour diffuser en soi la chair du bleu, ailes irisées et translucides de libellule pour admirer, joliment masqués, la transe du bleu.



Le poète nous fait entrer dans son histoire par le sens premier que nous avons de ce terme, celui qui nous vient spontanément en tête, la couleur, le bleu « dans les rétines du ciel et de la mer », en mille nuances subtiles, palette infinie, depuis le bleu azuré au bleu indigo tirant presque sur le rouge foncé. La porte d'entrée de ce livre, comme un signe rassurant, familier, une intimité retrouvée, ouvre sur des visions picturales sublimes, des tableaux à dominante de bleu avec quelques couleurs autres de ci, de là, des gouttes de rouge, des éclats de jaune, des zestes d'orange, des manteaux de blancs, pour mieux le sertir, en souligner la beauté et la majesté, magnifiant les paysages observés.



« le ciel est de tuiles blanches. La sieste de la mer creuse une longue cicatrice d'encre sur la joue de l'horizon où les voiliers tracent de grandes routes calmes et plantent leur amour d'oiselier d'un blanc très nu ».



Une belle couleur apaisante, a priori froide, chaude en réalité derrière cette apparence timide, que l'on voudrait garder contre soi pour nous enduire le coeur et apaiser nos chagrins... « On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile ou une corbeille d'osier. Disposer le ciel en bouquets, égrener des parfums, tenir quelques heures la beauté contre soir et se réconcilier ».

Les pieds de rosée, les mains de pétales et de sucre dans le verger, quand la saison ramène le bleu…Le bleu rieur de l'enfance quand « on touchait le ciel avec ses doigts ».



Une couleur mystérieuse lorsque le soleil se couche et que « la nuit prend ses appuis », cette fameuse heure bleue, les cheveux noirs alors violets, et leur sel devenu mauve…et « Lentement le mystère se déplace d'un coin de l'horizon à l'autre »…du gris de lin au bleu nuit…



Une couleur qui discrètement poudroie, éclabousse, déborde, une tonalité enveloppante, un climat, une résonance dans l'air même, si présente l'air de rien au point de nous faire entrevoir, au fil des pages, le bleu au-delà du bleu, au-delà de la couleur, le bleu se faisant symbole des origines, vestige atavique de la mer en nous, racine ancestrale et immémoriale de ce berceau de l'humanité, « la mer en nous essaie des phrases » nous laissant médusés devant son spectacle à chercher les mamelles d'un lait primaire, le bleu océan devenu rouge grenat, à rechercher ce qui a eu lieu il y a si longtemps, à explorer nos lointains…



« Nous écoutons monter en nous le chant inépuisable de la mer qui dans nos têtes afflue puis se retire, comme revient puis s'éloigne le curieux désir que nous avons du ciel, de l'amour, et de tout ce que nous ne pourrons jamais toucher des mains ».



Le bleu est émotion, sensation, sentiment, couleur de l'âme et de la pensée, de l'espoir et de l'attente, de la compassion et de la connivence, du pardon, comme le montre le bleu de certains regards noirs. Il est symbole de bonheur profond, la vie devient bleue quand on prend conscience de la diversité des couleurs qui nous assaillent :

« Il nous plait de confondre toutes les couleurs en une. Avec le vent, la mer, la neige, le rose très doux des peaux, le rouge à lèvres des rires, les cernes blancs de l'insomnie autour du vert des yeux, et les dorures fanées des feuilles qui s'écaillent, nous fabriquons du bleu ».



Le bleu est à la fois couleur de la spiritualité, une lumière de vie qui brûle en rhabillant notre misère et purifiant notre âme, mais aussi couleur sous la violence des coups, couleur du corps vieillissant à l'image de ces veines transparentes gorgées de sang bleu sur les mains fatiguées, couleur même de le mort la plus primaire, du regard de verre bleuté des morts à la disparition et l'affaissement de la chair en décomposition, « la couleur même de l'âme après qu'elle s'est déshabillée du corps, après qu'a giclé tout le sang et que ce sont vidées les viscères, les poches de toute sortes ».



Bleue l'encre des mots qui s'arriment à la page en vagues tempétueuses, « floculations de l'encre, peut-être floralies, efflorescences. L'écriture est une effeuilleuse : le bleu de ses yeux coule au petit matin». Bleu l'amour. Ces instants…Mosaïques bleues, ses yeux frôlent de leurs cils mes vitraux d'ébène, s'entremêlent ciel et terre en mille lueurs fondues. Ces instants dans les chambres bleues, ces chambres aux volets fermés lorsque la lumière dehors est vive à « regarder le corps à jamais bleu de la chimère et du désir »…



L'histoire contée par Jean-Michel Maulpoix est si vaste, si belle, si subtile, que j'ai du mal à exprimer correctement la beauté incroyable qui se dégage de ce livre…comme le dit l'auteur : « Ils regardent le bleu, mais ne sauront jamais le dire », c'est bien ce que je ressens moi-même, cette incapacité à dire ce livre, à dire cette poésie. Il touche le bleu le plus intime en nous, le point le plus incandescent : « J'aime allumer une cigarette au milieu de la mer. C'est un minuscule point rouge sur le bleu. Un point d'incandescence, de grésillement et de chaleur ». C'est l'union du bleu au plus proche du rouge, le bleu du coeur, sans doute le coeur du bleu…Bleu lagon, rouge sang...



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Chutes de pluie fine

« J’ai croisé dans le ciel des îles, traversé des déserts, des montagnes de suie, des banquises, de vieilles lunes et de très vastes mers. J’ai perdu le nord et l’échelle, la perspective, le sens de l’en haut et de l’en bas.

Et j’ai vu quelquefois ce que nul ne verra jamais : comment est fait mon cœur. »



Voyages : un carnet, petit bloc de papier où finiront par s’écraser tous les bavardages et pensées vagabondes, incessant remue-ménage et chutes de tout Amour , constellations de notes noires sur blanc, silence et musique, un peu d’encre fine telle des chutes de pluie tièdes, pour éclairer l’humaine solitude et rafraîchir un peu la mélancolie des jours sans - et recréer parfois la féerie des nuits.



Voyages : les villes s’enchainent, Kyoto, Pékin, Saigon, Shanghai, Beyrouth, Essaouira, Rio, Kiev, Manhattan, Montréal … autant de récits miniatures jetés sur le papier buvard où s’épongent ainsi les bruits et les couleurs du monde.

Du silence au capharnaüm. Du blafard à l’éclatant. Des égarements.



Instantanés parachutés entre deux gares, deux aéroports, deux hôtels :

Maulpoix, observateur « passager », furtif, à l’affût de ce qui frappe l’œil et … titille l’âme.



Insolite le regard !

Ici, pas franchement touristique, non. Accrocheur plutôt, perçant la pauvreté derrière les devantures, s’attardant sur le non attirant, les marbrures de misère, les impudeurs tristes ou insolentes, les ruines ou les poussières de guerre, la saleté des murs, la crasse, la nonchalance et la stupidité humaine.

Là, les yeux éclaircis, qui s’écarquillent sur les silhouettes de femmes, les visages de la rue, les gestes quotidiens, l’œil rehaussant le banal, la beauté simple, les instants sereins posés sur la mer ou sur des ailleurs apaisés.

Autant de flaques d’ombres ou d’ondées de petits bonheurs !

Mais, au fond, partout les mêmes hommes, qui courent - Et ce même temps qui passe - ce même aveuglement.



Insolite l’oreille !

A l’écoute d’autres langues, d’autres boîtes à musiques et d’autres mêmes silences.

L’homme, cet « instrument à cordes » cordes rêches, cordes sèches, « capables de rendre un bruit de pluie ». Et cette même discordance – dans cette même ignorance.



Insolites, les pas du voyageur dont la résonnance s’effrite sur le papier en étrange lassitude.



Maulpoix : une solitude poétique, un cœur en jachère, « refusant ici-bas de défaire ses valises ». Tiens, il y a du Bobin, dans cet homme là, en beaucoup plus lyrique, en beaucoup plus mouvant (tiens, ça me va bien), beaucoup plus « électrique » !

Il a cette encre bleue limpide et chaude qui voudrait des réponses, qui cherche, qui tremble, qui s’use … et qui coule sur la peau du cœur.

Homme, rêveur secoué de fantômes, conquérant de nulle part, recherchant les lointains pour toucher Son plus proche. Ressac des mots, jamais de fin.



Il verse ses ecchymoses au bleu du ciel et au bleu de l’eau à l’encre noire d’amours touchés -- jamais gardés.



La poésie se fait toute seule,

Aimantée par l’œil et l’élan

La force du désir

Ce sont là ses voyages, des histoires d’amour à la pointe de la plume :

« chutes ou poussées de fièvre » noyées dans les escales,

averses de neige dissoutes dans les phrases.

Partir, fuir,

et toujours revenir, et toujours repartir

Poète instable, assoiffé d’ailleurs, où les rêves n’ont pas de portes, les amours pas de cages.

Ecrire c’est exister, se balader en feuillets dans le sac d’une femme …

et ainsi ne jamais mourir.



Restes d’enfance, fouiller,

Mémoires- caresses, toucher,

Devenir

« celui qui dit oui à tout ce qui l’emporte »

Vouloir

le simple bonheur d’être vivant,

Chercher

Un idéal reflet,

particule d’eau salée,

Elle … Toi …

La chambre vide. Son ombre versée sur la page. Papiers froissés.





« Mes villes sont des bateaux à quai, rouillés d’écume et blancs de sel »

Mais,

« Je retournerai dans la ville, où le désespoir fait merveille »





J’ai adoré !





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Portraits d'un éphémère

Lire la poésie de Jean Michel Maulpoix c’est avoir la sensation d’avoir le pouvoir de suspendre le temps. Pas de l’arrêter pour ne plus penser à rien d’autre qu’à sa lecture mais, pour au contraire se retrouver face à soi, face à sa vie, face à la vie.

Portraits d’un éphémère, c’est le pluriel qui nous habite.

Ca a été avant tout pour moi, l’effet mer, même s’il n’occupe que les vingt premières pages. Quelqu’un qui confie ses joies et ses peines, ses espoirs et ses doutes à la mer, quelqu’un qui cherche ses réponses au-delà de l’horizon, ne peut qu’avoir une poésie qui me touche.

Portraits d’un éphémère, c’est « Une histoire de bleu » avant l’heure. Une histoire de bleus à l’âme, une histoire de blues. C’est la vie et l’amor. L’amour à mort, celui qui finit toujours mal, qu’on le veuille ou non.

C’est la fourberie du temps, celui qui passe, perfide et hypocrite, déloyal, celui qui par sa poudre aux yeux se fait oublier, nous fait oublier que le notre est compté, nous fait nous perdre dans des combats d’ego, dans des plaisirs furtifs, celui qui quoi qu’il arrive reste assassin.

Portraits d’un éphémère, c’est vous, c’est moi, si différents et pourtant aux destins semblables. Parcours éloignés ou pas, les sensations sont les mêmes. Les rires francs ou les douleurs profondes n’ont pas non plus de couleur, de sexe, de religion ou de classe sociale.

Portraits d’un éphémère, c’est un état des lieux fait à travers des instantanés, des photos jaunies, qui rappelle aux passagers que nous sommes sur cette terre qu’hier n’est plus et que demain n’existe pas.

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Rue des fleurs



" Un poème est un organisme vivant. Il pousse sur le papier. Il anime le langage, et ranime la curiosité. Il sort les mots de leur torpeur, il les réveille, il les fête ".... Voilà ce qu'écrit en note le poète à la fin du livre. Magnifique, non?



Dans ce dernier recueil, Jean-Michel Maulpoix explique avoir retravaillé des textes plus anciens. Il privilégie souvent la prose mais ici, il a voulu revenir au vers. Comme il l'explique dans un entretien au site" En attendant Nadeau", Il nous offre un bouquet de poèmes, le titre est aussi le nom de la rue dans laquelle il habite, près de Strasbourg, une allusion également aux allees fleuries des cimetières.



La mort est en effet souvent présente dans ces textes assez mélancoliques, par leurs thèmes : l'automne, les pensées dans le silence de la chambre, l'évocation des banlieues pauvres. Cependant, les images sont sensuelles, saisissantes de justesse, expressives:



" Les soieries d'été sont douces au toucher

C'est un crépuscule de corsages entrouverts sur la promenade

Et de baisers volés le long des bassins du jardin public

Où se mirent longuement les filles et les étoiles "



L'auteur aime les citations et s'amuse à introduire dans ses poèmes des vers d'autres poètes, comme dans " Nanterre".



Les textes de la partie" Arrière-saison" m'ont particulierement plu:



" Le vent dans le tilleul

Se dispute avec lui-même

Les feuilles curieusement naïves

Boivent les paroles de la pluie"...



Ce n'est pas un coup de coeur pour moi , il m'a manqué de l'émotion, mais c'est un ressenti tout personnel et le recueil demeure très intéressant à découvrir!

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Une histoire de bleu suivi de L'instinct du..

Je ne connaissais Jean-Michel Maulpoix que par l'analyse remarquable qu'il a faite de l'oeuvre poétique de Philippe Jaccottet, un poète que j'admire et dont je chéris la poésie.



Ce sont les commentaires passionnants de mes amies et amis babeliotes, Hordedu Contrevent, jvermeer et Pasoa qui m'ont amené à lire ce livre dans lequel le recueil Une histoire de bleu est suivi par celui intitulé Un instinct de ciel.



Ce sont deux recueils merveilleux, sublimes, avec une forte dimension métaphysique, dont le fil conducteur est de questionner avec acuité et parfois pessimisme le sens de notre vie humaine.

Il y a, je trouve, filiation avec Baudelaire, le Baudelaire de Spleen et Idéal, de Mort.



Quelques remarques d'abord sur la construction du recueil Une histoire de bleu.

Il comporte des textes plus brefs que l'autre recueil, et rassemblés en 9 chapitres. L'auteur a-t-il choisi ce chiffre sciemment, sachant qu'en numérologie il est associé à la couleur bleu marine, et qu'il symbolise l'idéal, la perfection, la vie et l'amour? Je ne sais pas, mais c'est troublant.

L'ensemble est structuré de manière symétrique autour du cinquième chapitre le grand pavois, le seul intégralement écrit en vers libres, qui représente une sorte de césure dans le recueil, et dont l'objet est une critique du lyrisme de pacotille de la poésie associée au bleu.



Le bleu est le thème sous-jacent, avec ses messagers métaphoriques: la mer, le ciel, l'amour.

Le premier poème annonce tout de suite la « couleur », qui va parcourir tout le recueil, celle de l'insaisissable, et aussi de la finitude de l'être humain.

“ Nous écoutons monter en nous le chant inépuisable de la mer qui dans nos têtes afflue puis se retire, comme revient puis s'éloigne le curieux désir que nous avons du ciel, de l'amour, et de tout ce que nous ne pourrons jamais toucher des mains. »



La mer d'abord, changeante, , « la mer, la mer, toujours recommencée », comme l'a écrit Paul Valéry avec lequel le poète a, je trouve, une parenté. La mer, semblable à la destinée incertaine des êtres humains, mais aussi la mer immuable qui sera toujours là quand nous ne serons plus.



Le ciel comme image de l'idéal, du sacré. Et si Dieu, les dieux, ne sont pour l'auteur qu'une invention humaine, le besoin de sacré est là sans que l'on en comprenne le sens. Il y a d'ailleurs un magnifique poème intitulé Ame, qui questionne son existence:

« Pour cela dont on ne sait rien. Sinon la question sourde. La demande obstinée. …. »

Tout le chapitre « Une incertaine église » développe aussi ce thème. Ainsi:

« Orthodoxie du bleu.

Il va pieds nus derrière le bleu.

Il marchera longtemps vers l'horizon, sous l'abside fortifiée du ciel. Pour le grand sacerdoce de la mer et sa liturgie d'algues sombres. »



L'amour, enfin, amour maternel qui se conjugue au passé, et le poète a des mots bouleversants pour le dire.

Et l'amour de la femme, amour du regard bleu, mais amour impossible à vivre.



A ces trois thèmes, s'ajoute l'acceptation de la mort, de notre finitude. Là encore, des textes beaux et troublants, à lire et relire, à méditer,comme celui-ci:

« La mort est fragile comme l'amour. La mort est en nous l'idée la plus belle, l'idée mère, l'idée douce et sans bornes, la seule idée point trop folle pour laquelle on puisse avoir encore le goût de vivre ».



Le poète interroge aussi le rôle du langage, des mots pour dire cet indicible de la vie et de la mort.



Il y a aussi, entre tous ces poèmes qui questionnent notre relation à l'existence dans cet univers, d'autres qui forment des pauses de temps suspendu, d'une plénitude, d'une beauté solaires.

Tous les textes sont magnifiques, et souvent je me suis pris à relire à voix haute certaines phrases, ou même tout le poème.





Le recueil Un instinct de ciel, référence à une phrase de Mallarmé, est divisé en trois parties, avec, chaque fois, référence à un texte de Stéphane Mallarmé.



Les textes des poèmes sont plus longs, d'une prose poétique fluide.

C'est, tout au long, un questionnement sur le sens de la vie humaine. D'ailleurs, il y a parfois des paragraphes totalement faits de phrases interrogatives.

C'est parfois dur, l'évocation de la mort et de la décomposition des corps bouscule. Les derniers poèmes sont douloureux.

Mais ce n'est jamais morbide. Car, le sens de la vie, comme il le dit dans ces quelques phrases, c'est de continuer son chemin de vie, d'accomplir son être, et d'aller vers les autres :

«Je suis ce fil que je dévide et sur lequel j'avance. Marche et chemin tout à la fois. Et vers qui d'autre que moi-même…..Ai-je rien fait d'autre qu'apprendre à marcher, un peu moins boiteux, un peu mieux capable d'aller et venir, comme d'approcher le coeur d'autrui,…. »

Il y a du Pascal, du Camus, dans ces pages.



Je m'arrête là. Je ne peux, ni ne veux commenter tous les poèmes de ce livre, ni développer tous les autres thèmes qu'il évoque encore.

J'espère vous avoir donné envie de le lire. Pour ce qui me concerne, c'est le genre de livre destiné à être un de mes livres de chevet, tant pour sa beauté formelle que pour la « nourriture métaphysique » qu'il m'apporte.

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Une histoire de bleu

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« Épars dans la lumière du jour, le bleu attend son heure. Il fait le guet, il prend son temps. Jamais il ne perdra patience, car il a tout le temps pour soi. Il mûrit sa couleur en d’interminables aurores. »



Mon ressenti : du très haut niveau ! Cette poésie en prose exprime une maitrise des mots et des phrases proches de la perfection.

La touche divisée… Pour l’amateur de peinture que je suis, la poésie de Jean-Michel Maulpoix est, sans conteste, impressionniste. Tout au long de ma lecture, des toiles de grands peintres du 19e, maîtres d’une nouvelle esthétique, m’apparaissaient : Monet, Renoir, Sisley, Pissarro… ceux qui peignaient sur le motif la lumière changeante, l’instantanéité, la fugacité des choses, les émotions troubles et fragiles, en utilisant des couleurs pures et une touche divisée.

Certains mots reviennent le plus souvent pour qualifier ce style de peinture : sensation, touche, lumière, paysage, éphémère, amour, couleurs. Nous les retrouvons dans la magnifique poésie picturale de l’auteur.



COULEURS : Le maître-mot est le bleu, langage de ce recueil de poésie. Parfois, une pointe de rouge ou de jaune, pour le contraste, se mêle au bleu :

« Les femmes aux yeux noirs ont le regard bleu… Le bleu ne fait pas de bruit, c’est une couleur timide, sans arrière-pensée, présage, ni projet, qui ne se jette pas brusquement sur le regard comme le jaune ou le rouge… Ce bleu n’est guère qu’un signe peint, une minuscule araignée d’encre… L’on regarde le bleu dans les rétines du ciel et de la mer… J’ai allumé une cigarette au milieu de la mer, c’est un minuscule point rouge sur le bleu… L'écriture est une effeuilleuse : le bleu de ses yeux coule au petit matin. »



ÉPHÉMÈRE, FUGACE : L’écriture de l’auteur répond à la nécessité du bref, de l’inconstance, du fugitif. Il suffit de recueillir au passage les mots qui s’assemblent en fragments, bribes, phrases courtes laconiques :

« Je n’écris pas, je note furieusement… Tu prends la mer sur des cahiers à gros carreaux où tu traces des lettres rondes qui font des tâches… Comme un linge, le ciel trempe, il passe au bleu. Le bleu d’ici s’estompe quand la nuit tombe. »



LUMIÈRE :

« Il semble qu’au soleil couchant, le ciel qui se craquelle se reprenne un instant à croire à son bleu… Les beaux jours, le large poudroie… L’azur, certains soirs, a des soins de vieil or. »



PAYSAGE :

« Mais déjà la nuit dépliait ses velours. Des essaims d’abeilles revenaient du large, un peu de bleu collé aux pattes. On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile. »



TOUCHE : les mots du poète claquent parfois par petites touches impressionnistes :

« Chaque fois que ton cœur craque, tu prends ton dé, ta trousse et tes aiguilles : des mots encore des mots, bouts de bois, cabanes d’enfants, excès, accès de ciel, fièvres d’encre, une convoitise de bleu, sa mélancolie de jupes claires ; tu es l’ouvrier de l’amour. »



SENSATION, ATMOSPHÈRE :

« Une rumeur de lilas dégringole vers la mer quand, sur les balcons de bois peint, le cœur des marins s’éclabousse… L’infini nous colle aux paupières et nous fait un visage enfariné de clown… Nous accompagnerons du bout des doigts le temps qui passe… Dans les yeux de tes semblables, l’infini n’est jamais monotone. »



AMOUR

« Le jour venu, l’illusion de l’amour nous fermera les yeux… Celle qui m’aime a les yeux clairs. Elle ne consent à dénouer que ses cheveux, violets, dit-on, comme sont les tresses des muses où les doigts de l’homme restent pris… Elle écarquille son grand œil bleu et te regarde. »



Ce livre est un parcours de vie, celui d’un humaniste. Des flots de plaisir parcourent toutes les phrases. Il faut parfois stopper son regard, et rêver.



« Il te faut écrire comme si tu devais liquider la mer. Les mots sont tout ce qu’il te reste : lance-toi à l’assaut de ce bleu. »



Jean-Michel Maulpoix a reçu le Goncourt de la Poésie en 2022.



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L'hirondelle rouge

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Hirondelle Amour : rouge sur un ciel bleu, des formes, des lignes, des objets, de vagues personnages flottent dans un espace indéfini. L’univers du peintre surréaliste Joan Miro surprend, étonne, séduit : mouvement immobile, battement d’ailes, poésie colorée.



Jean-Michel Maulpoix nous parle de ses parents : « Que pourrais-je opposer d’autre à la détresse de l’amour ? ». Il s’est inspiré de la toile du célèbre artiste catalan : « L’hirondelle amour revient avec le printemps ; quelques grammes d’encre au cœur. »

Son père et sa mère ont franchi le seuil : « Il reste des miettes et le son de leurs voix sur la nappe en coton rouge de la salle à manger, longtemps après que les assiettes en ont été débarrassées. »

Comment oublier ? Les souvenirs reviennent par vagues chez l’auteur : « Tends l’oreille vers ces planchers qui craquent au fond de ton enfance. »



Les parents ne sont pas encore mariés par ce jour de grand soleil lorsqu’ils prennent la pose face à l’objectif qui les réunit en noir et blanc sur la photo : « Et voilà que je suis à présent, né de leur bel amour… Quand par la rose de l’appareil photographique, s’échappe le cri d’une hirondelle rouge ! »



« Dans la glace, parfois, le visage de mon père. »

Ce père peignait le dimanche sous les yeux de son fils. Le poète a gardé dans ses écrits le goût du chevalet : « Surtout ne pas remplir, ne pas saturer ; évider et tendre la phrase, y chercher des amorces et des points d’équilibre, des lignes d’envol dans le vide porteur. »



« Elle a rejoint mon père. Les voici de nouveau côte à côte. Confondus dans un même silence. Ils reposent à présent du sommeil de la terre. »

La description de la maison de retraite est magnifique et terrible. Seul un grand poète peut nous restituer de façon aussi réaliste ces lieux de fin de vie qui se ressemblent tous, où la vie s’est arrêtée en entrant, quand la cervelle ne répond plus, que les mots n’arrivent plus.

« À leur arrivée, on offre aux nouvelles pensionnaires un bouquet de fleurs en plastique. Ce sont des fleurs de cimetière. » ; « Vie de cendre où grésille à peine le vieux cœur qui rougeoie. » ; « Au bord de la falaise, elle n’attend plus rien, sinon que l’on vienne la chercher. » ; « Ici, je ne peux rien dire, rien faire, sinon tenir la main de ma mère : aucune musique consolatrice, aucun chant, pas même un mot de compassion. Inapte au poème comme à redire l’amour. »



Ils sont partis et le poète souffre : « Le monde, quand je le touche des yeux, ne rend plus le même son ; à présent, rideaux déchirés, la fenêtre s’ouvre à tout instant sur le silence du vide. »

La colère l’envahit : « Colère de la créature contre sa finitude et son absurdité, colère de fils abandonné, colère d’âme aussi ancienne que les pleurs d’enfant dans la nuit. » ; « Dans le silence ou dans le bruit, je regarde glisser les jours, puisqu’il n’y a désormais plus de poèmes capables de les sauver de l’oubli. »



Le poète tente de résoudre le grand mystère de la vie. Sa propre mort l’interroge : « Tu attends, toi aussi, derrière la porte, l’oreille déjà collée contre le bois. Tu as pris rendez-vous. Ton tour viendra bientôt. Tu ne guériras pas de cet abîme. »



Puis, le poète se ressaisit. « Mais je n’ai à présent d’autres choix que d’écrire… Offrir à l’absence un bouquet de fleurs d’encre. ».

Il retrouve ses mots, se penche sur la langue comme au chevet d’un malade. « Il lui parle doucement, dans le creux de l’oreille. Elle ouvre un œil, se relève, ose un pas. Qui disait qu’elle était perdue ? »



Une femme, le printemps, deux corps qui respirent, le désir d’une lumière d’été, et la vie reprend ses droits : « Dis-moi. Combien de printemps nous reste-t-il ? Le sais-tu, mon amour ? Pour célébrer entre nos draps le grand retour. Ce plaisir d’être nus : nos noces ! Ce frisson d’oiseau qui court sur la peau ! Ces fleurs qui éclosent sous mes doigts, entre tes lèvres, entre nos ailes ! ».



L’hirondelle rouge amour est revenue avec sa vertu d’espérance. Le peintre a ressorti sa palette : « Peindre par petites touches le sans-gêne de l’air. Peindre encore sa joue bleue et ses hanches, sa gorge rouge ou verte, ses battements de ciel ou de cil. Peindre la volupté paisible de son corps nu. »



Pour l’originalité de sa pensée, la qualité de son écriture et de sa poésie, il faut lire et relire Jean-Michel Maulpoix. Il transcende les mots qui sous sa plume changent d’épaisseur.

« Il se peut que trois gouttes de sang suffisent pour emplir un cœur d’oiseau et qu’il se remette à chanter. »



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Une histoire de bleu suivi de L'instinct du..

Il y a dans l'écriture de Jean-Michel Maulpoix, dans ce recueil réunissant entre autres textes Une histoire de bleu et L'instinct du Ciel, une poésie qui dès les premières pages séduit. Par un lyrisme subtil, un rythme tout en retenue, les textes agissent comme une révélation, une recherche d'intimité et d'unité avec soi-même mais aussi avec les autres. Loin de se refermer sur soi, l'intimité est, dans l'écriture de Jean-Michel Maulpoix, un principe d'ouverture à autrui et au monde, l'intuition d'une possible rencontre, d'un moment où se noue la fidélité.

Fidélité à ce que nous sommes chacun mais aussi à ce que nous sommes au regard des autres et du monde. La prose du poète touche par son climat, par la simplicité de ses mots, de ses images ralliant à lui le commun et l'étrange, le présent et l'ailleurs, la douceur et l'âpreté de la vie. Pas de surcroît de sens, pas de style opaque chez Jean-Michel Maulpoix mais un langage essentiel, une intention dévoilée qui affleure la conscience et la sensibilité du lecteur. Une très belle lecture.



"Compose avec ce bleu

Cette histoire t'appartient. Tu ne pourras jamais te défaire de tout le vague qui s'accumule en toi : tu t'y emploieras, c'est assez. Dresse-toi sur tes faiblesses autant que sur tes forces : ne résiste pas à celui que tu es. Sache reconnaître combien le ciel est pauvre tandis que la terre mélange la misère à la beauté. Dans les yeux de tes semblables, l'infini n'est jamais monotone. Tes limites sont certaines : fais en sorte qu'elles soient vraiment tiennes. Ne fais pas de l'oubli un mauvais usage. Garde en réserve de l'espérance pour les heures de disette : il te faudra quelque jour rendre des comptes."

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Le jardin sous la neige

Recueil publié en 2023 au Mercure de France, le Jardin sous la neige de Jean-Michel Maulpoix est, à l'instar de beaucoup de ses recueils, composé de poèmes en prose.



Ce livre vient à la suite de L'Hirondelle rouge, recueil dans lequel le poète évoque la disparition de ses parents, et le Jour venu, livre où il poursuit sa réflexion sur la mort et le deuil.



La saison froide est une métaphore qui revient souvent dans le livre. Saison où la nature semble se défaire, s'abandonner tout entière à une trêve imposée. Empruntée à l'hiver, la saison froide est pour Jean-Michel Maulpoix le motif choisi pour évoquer encore la vieillesse, la fin de vie mais aussi, la confession d'une tristesse, d'une écriture qui semble être arrivée au bout de son chemin.



Dans plusieurs chapitres, Maulpoix interroge par diverses approches son rapport personnel au vieillissement, à la mort. le visage changé de l'autre, son corps fatigué, ses mouvements lents et puis sa disparition, tout est observé de près ou avec retrait. Son écriture fait apparaître le sentiment aigu de la finitude de l'être, une sensation saisissante qui va de la peur vers le doute, de la douleur jusqu'à la résignation :





« Je ne suis qu'un long crépuscule, déjà un tas d'os qui grince et peine à se déplacer seul, un paquet de ténèbres tout près de choir, un défaut d'astre, ce très peu de lueur qu'il reste d'une ancienne espérance. »



Dans une prose métaphysique et très personnelle, Jean-Michel Maulpoix mène une réflexion sur le rôle de la pensée, de la poésie, sur notre rapport au langage et aux livres, mettant en contraste ce qu'ils sont aujourd'hui et ce qu'il en restera demain, dans les derniers moments. Des résidus de paroles, de pensées… autre chose, peut-être.





« […] Parvenu à un certain point, il n'est plus que la nuit pour éclairer la nuit.

Pourtant, il est heureux, n'est-ce pas, que des poèmes soient en nous et qu'ils aient trouvé place dans notre mémoire au côté de nos souvenirs les plus obscurs, les plus lointains, les plus perdus : voilà qu'ils les éclairent, de côté, comme des soleils couchants, et ils les dorent parfois d'une belle lumière qui les rend plus précieux. Enveloppés de leur parole, ils se tiennent ainsi très proches et légèrement brillants dans cette nuit qui est la nôtre. »



L'ombre de Stéphane Mallarmé apparaît dans de nombreuses pages du recueil. Portrait de l'homme vieillissant dans son appartement parisien de la rue de Rome, réhaussé par l'évocation de quelques-uns de ses poèmes (je songe au magnifique Éventail de Méry Laurent). En se rappelant du grand poète, l'écriture de Maulpoix se fait plus desserrée, plus nuancée. Un moyen pour lui, peut-être, de tenir la vieillesse et la mort à distance, de l'objectiver.



Le livre se clôt par un chapitre qui donne son titre au recueil : le Jardin sous la neige. Après l'expression de la douleur, le portrait de Stéphane Mallarmé, advient une écriture plus apaisée, presque méditative.



À la couleur noire de la terre, à celle de la nuit qui engloutit tout, à celle de l'encre qui couche les mots sur la page, Maulpoix y oppose la blancheur de la neige, souveraine et fragile. Au creux de la saison froide, la neige recouvre la nature environnante, protège l'existence passée. Sur le paysage, elle dépose un silence étrange et particulier, elle amortit le tumulte et la rumeur, nous fait prendre conscience de notre intime présence au monde. Elle fait soudain espérer la promesse d'un nouveau printemps, celle de la vie qui se perpétue.



Dans ce recueil qui m'a beaucoup touché, Jean-Michel Maulpoix évoque avec trouble et émotion, avec maîtrise aussi, un sujet difficile. Sans affectation mais avec lucidité et humilité, il s'en remet à la poésie, à toute la réserve des mots pour dire l'inconcevable tragédie de la vie, le souvenir aussi de tout ce qu'elle nous aura offert.





« Je suis venu ici pour accepter l'inacceptable ! Pourquoi m'a-t-il fallu autant d'années, autant de phrases, pour le comprendre ? Des mots, voilà tout ce que j'ai pu trouver pour faire mine de donner un sens à ce qui n'en avait pas. Je sais que j'ai fait fausse route. D'autres l'avaient compris : la charité était la clef. »





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Rue des fleurs

*****



« Je suis un explorateur du langage, un géographe. Je suis plus intéressé par les mots que par les histoires. »



Quel plaisir de retrouver Jean-Michel Maulpoix et sa poésie envoutante ! le jury Goncourt l’a récompensé, après la publication de « Rue des fleurs » et pour l’ensemble de son œuvre, du Goncourt de la poésie 2022.



Une beauté simple. Inutile de relire plusieurs fois les poèmes, une clarté d’expression se dégage immédiatement. Un calme feutré m’envahit, le sens des mots s’impose directement. Je suis bien. Tout un univers poétique m’est offert, composé d’une multitude de photographies, tableaux instantanés, couleurs.



Ayant récemment publié une biographie du couple Camille et Claude Monet dans les débuts de l’impressionnisme, je ne peux m’empêcher de rapprocher l’art de Jean-Michel Maulpoix de celui du peintre. Le poète aurait pu s’inspirer de la pensée de Claude Monet décrivant sa peinture : « Examine les contrastes d’ombre et de lumière, ils se répartissent à ravir. Les couleurs soucieuses les unes des autres vibrent intensément : un vert et un rose, côte à côte, se font valoir l’un l’autre. Un tableau doit reproduire tes émotions, ta scène intérieure, ton ressenti visuel face au spectacle qui s’offre à toi. »

N’est-ce pas ce que nous propose le poète dans son univers en clair-obscur ?



La couleur préférée de l’auteur, le bleu, s’imposait dans son recueil « Une histoire de bleu ». Elle revient.

« Petit jour »

« Ceux qui n’ont pas de visage

Balbutient dans la nuit

Ils mâchent quelques miettes de pain bleu

Tombées d’un ciel vide. »



« Au centre aéré »

« L’écolière bleue traverse la route en sautillant sur les clous blancs »



Maulpoix n’oublie jamais la note discordante, le point de couleur, que connaissent bien les peintres, qu’il glisse au bon moment dans ses phrases, pétale de couleur éclairant la scène. Je repense à son recueil « L’hirondelle rouge » parlant de ses parents décédés. Il s’inspirait d’un tableau du peintre catalan Joan Miro « L’hirondelle amour revient avec le printemps ».

La référence à Proust parlant de la « Vue de Delft » de Vermeer apporte cette note colorée.

« Un pan de mur jaune »

« On entend le soir des musiques aux portes

Et toutes les fenêtres sont bleues à partir de huit heures

On écoute on regarde on n’a rien à se raconter

Mais on cherche toujours un petit pan de mur jaune. »



Au long des pages, l’humaniste Jean-Michel Maulpoix nous décrit ses semblables, leur existence quotidienne : émigrés, travailleurs, malades, prostituées, enfants. Morceaux de vie…



« À l’hôpital »

« Deux infirmières roses

À demi nues sous leur blouse de nylon

Roulent le fauteuil d’un unijambiste »



« Émigrés »

Ils ne disent rien ne vont nulle part

Ils ont inscrit leur nom sur un bout de carton

Ils s’asseyent ou restent debout au coin de la rue

Serrés les uns contre les autres. »



« La poésie est un chemin, un cheminement où rien n'est gratuit. Elle n'est pas là pour faire beau. », nous dit le poète. Il nous parle de sa « Rue des fleurs » :

« C'est une très petite rue

Qui va de la chambre à la ville

En traversant de longs couloirs

Où s'empilent cahiers et livres

Elle a pour nom la rue des fleurs

C'est par là qu'ont plié bagage

Les mots échappés de mes pages. »



Parfois, le poète ressent le fardeau de l’existence et sa fragilité.

« Je n’irai plus très loin

Avec cette encre-là

D’une couleur si pauvre

Qu’elle n’éclaire plus rien

Et il n’est pas certain qu’en parler soit utile. »



Je reste admiratif devant la qualité de ce grand poète contemporain qui nous séduit et nous émeut depuis plus de quarante ans. À la fin du livre, il ajoute un « Post-scriptum » fleuri :

« Il resterait à raconter

La tendre amitié du myosotis et de l’orchidée

L’affection que le tournesol porte à la pensée

La passion de la marguerite et du coquelicot

La jalousie des boutons d’or et des bleuets

Dire l’exacte couleur des bouquets de juillet. »



***
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Portraits d'un éphémère

C’est avec Une histoire de bleu et Pas sur la Neige que j’ai fait la connaissance de l’œuvre poétique de Jean-Michel Maulpoix. Depuis, j’ai toujours conservé pour cet auteur et son œuvre une affinité particulière.

Je le retrouve aujourd’hui au travers de Portraits d’un Éphémère, recueil édité en 1990 chez Mercure de France.



Dans de courts textes en prose, Jean-Michel Maulpoix interroge le rapport de l’individu à la réalité du monde extérieur, à sa manière d’être au monde, d’être présent à lui-même en utilisant comme les variations du temps et de l’espace.



Dans une écriture toujours aussi dépouillée, Maulpoix emprunte les pas et les pensées d’un personnage fictif, qu’il désigne par « il », pour décrire tout ce qui advient (présent), ce qui va durer ((imaginaire) et ce qui ne saurait se prolonger (réalisme).

Des voyages, des gares, des villes, des salles de concert, des paysages, des bords de mer, des rencontres de hasard, ou encore un appartement,... autant de lieux qui sont sont des prétextes pour intégrer ce que l’on croit être unique en soi mais dans lequel se niche la finitude de l’être, le temps qui le traverse et une réalité qui ne saurait être tout à fait la sienne.



« Chacun voudrait se croire unique, pour se consoler du peu de poids que pèse sa vie quand elle se cogne par hasard contre une autre vie, et ne pas entendre le peu de silence qui se fera sur terre le jour où son cœur cessera de battre. »*



Par le biais des mots, tous les voyages, toutes les rencontres, tous les hasards sont possibles. L’écriture chez Jean-Michel Maulpoix devient un examen de ce chemin-là, de l’imaginaire qui se confond avec la réalité et qui s’en sépare aussi. Destin de l’être en mouvement dans sa dimension existentielle mais aussi sociale, culturelle et... éphémère.



« Dans les mots, il dispose de tout, et tout lui demeure interdit. Il peut, sa guise, entreprendre les plus lointains voyages, ou investir à l'improviste le cœur de n'importe quelle créature, mais ce n'est jamais là qu'un geste, une intention ou une esquisse, comme on ébauche en pensée le mouvement de retenir quelqu'un qui va partir. C'est la manière la plus fervente et la plus désespérée qu'il connaît de se tenir seul sur la terre, étranger à tout, quoique gardant tout à portée de main, faisant sans cesse valoir la beauté éphémère des visages et des choses qu'il aime, les présentant toujours dans leur plus bel éclat, pour plus de douleur et de solitude encore. »**



Dernier chapitre du recueil - sans doute le plus touchant -, « Sous un couvercle de bois clair » évoque l’expérience douloureuse de la vieillesse, celle d’un homme arrivé au seuil de sa vie, comme rendu à lui-même. Maulpoix décrit avec une justesse, une pudeur saisissante le regard, les gestes, les paroles adressées au vieil homme - là encore le personnage n’est pas nommé -, tout ce qui le rattache encore au monde.

L’écriture de Maulpoix se veut celle d’une conscience lucide et poétique, celle d’un rapport sans faille à la vie.



« Ce pourrait aussi bien avoir lieu dans une chambre, à la campagne, après les pluies grises de l'hiver, quand déjà le soleil réveille les arbres.



Un vieillard fatigué vivrait ses derniers jours dans la maison de sa naissance.



Il ne se lève plus : son existence s'achève entre le lit.



chromé et le fauteuil que l'on roule près de la fenêtre.



Il regarde la campagne comme si c'était la mer. Immobile, les yeux fixes, on croirait qu'il se noie dans le paysage, ou qu'il s'y retient de mourir. On ne sait rien de ce qu'il pense.



Il regarde par la fenêtre. Il ne sait rien faire d'autre. Sa vie s'en va toute seule. »***







(*) extrait de « Au café ou dans le parc », page 57

(**) extrait de « Parmi les mots du dictionnaire », page 102

(***) extrait de « Sous un couvercle de bois clair », page 123

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Une histoire de bleu suivi de L'instinct du..

Le bleu de l'encre de Jean Michel Maulpoix se déverse, plonge dans nos espaces. Dans le ciel, dans les mers, dans les larmes de nos fenêtres, le long des vitres des taxis.

Il est le mouvement d'une robe, il est la note du saxophone. Il est dans le froissement des songes. Il y prend forme.

Maulpoix ne rêve pas en bleu, il le perçoit si fort qu'il n'en reviendra pas. C'est la couleur de l'exode, des retours, du premier jour.

La poésie de Maulpoix : Tant bleu dans nos âmes méritait bien cette histoire.

A lire, relire, prendre et reprendre.

Astrid SHRIQUI GARAIN
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Cahier de nuit

Dernière œuvre de Jean-Michel Maulpoix.

Oui, le poète- non excusable - à des démêlés judiciaires pour des faits de violence conjugale, triste fin de route d un couple déchiré, aux torts visiblement partagés. Il en entrouve la porte d ailleurs dans quelques unes de ses pages.

Mais il reste un poète à part qui semble faire une introspection de lui même et de cette vieillesse qui l entoure. Elle et sa nouvelle solitude.

Ses écrits, moins poétiques et moins pertinents, vont vers l essentiel, la phrase simplifiée aux pointes déposées sans détours, comme s'il cherchait à se comprendre mieux lui-même. Nous ne sommes plus dans l éblouissement d une lumière mais dans la protection d une flamme affaiblie, regrets et nostalgie pour unique chaleur.

L histoire d un bout de route usée qui ne laisse plus que le murmure intimiste d une poésie, celle qui donne envie d être partagée.

Des carnets d enfant que tout le monde un jour a créé - au moins - dans sa mémoire.



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Le jardin sous la neige

Un style mélangé entre poésie et nouvelles, qui ouvre la porte sur le mois de Novembre. Avec la Toussaint, la fête des morts, la pluie, qui nous emmène enfin sur decembre et la neige. Le silence du paysage. C'est plutôt agréable à lire et court. La mort est un peu trop présente sous différentes comparaisons et métaphores.
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Une histoire de bleu

Je ne lis pas souvent - et probablement pas assez -de poésie ; mais ce recueil m'a transportée dans un voyage sous l'égide de la couleur bleu . Tandis que je lisais je pensais simplement : "c'est beau".
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Une histoire de bleu suivi de L'instinct du..

Lecture lente, quelques pages par nuit.
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Une histoire de bleu suivi de L'instinct du..

Ceci est une critique.

Le livre m ouvre des sensations.

Comment pourrais je vous convaincre de vous y arrêter un instant ?



Il a cette force de supprimer les mots habituels pour en placer d autres, plus beaux, et soudain, l image se colorise et devient plus encore une réalité.



Il a cette force de décrire un ressenti par des allégories vivantes, mots assemblés qui s infiltrent et se mélangent dans notre conscience pour devenir devant nos yeux un vrai tableau que l on ne se lasse pas de lire et relire.



Il a cette force de faire de la poésie un petit chemin à côté de la route altérée par l habitude. Et l on s y promène dessus, effaré par tant de beautés.



Il a cette force de tout nous dire par l invisibilité des mots, encre étrange qui trouve petit à petit sa couleur.



Il a cette force de rendre humaine la mort et de matérialiser son ombre et son odeur, frisson derrière l échine.



Il a cette force religieuse de ne plus croire, et d absoudre l église dans sa croyance déçue.



Il a cette force de jouer avec les couleurs comme on jouerait avec les douleurs.



Il a cette force de faire de l insondable une terre fertile sur laquelle s étend notre regard.



Il a cette force, par sa fièvre créatrice et des phrases parfois compliquées , de rendre simple la poésie, doigts géniaux qui caressent notre compréhension.



Il a cette force de poser un baiser sur le front de la nostalgie.



Il a eu cette force de faire de mon cœur subjugué le créateur de chacune de ses phrases.



J ai écrit ces mots directement dans son livre, griffés au bout de chaque lecture, un peu ma manière à moi de le remercier.



Lisez ce poète. Lisez ce poète. Lisez ce poète.

C est finalement mon seul résumé.



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Par quatre chemins

L'admiration que j'ai pour "Une histoire de bleu" et pour d'autres poèmes, m'a fait lire cet essai au titre bien trouvé. Il sera très utile à ceux qui veulent s'initier facilement à la poésie du XX°s, difficile d'accès et de lecture. Jean-Michel Maulpoix sait parler clairement, avec compétence et justesse, des quatre poètes majeurs de cette période, et éclaire de citations les oeuvres de ces poètes. Toutefois ... connaissant l'auteur, je m'attendais à un essai moins sage, moins scolaire, moins utile, somme toute plus surprenant. J'en suis pour mes frais, mais je reconnais à ce court livre une grande valeur initiatrice et pédagogique.
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Une histoire de bleu suivi de L'instinct du..

Comme tous les poètes, Jean-Michel Maulpoix est un être tourmenté, hanté par un questionnement sur sa propre vie. Amoureux du bleu, de la mer, des grands espaces et de "l'instinct de ciel", il aspire à autre chose. Sa poésie est simple, belle, limpide. On y découvre sa vie en filigrane et on l'imagine. J'ai découvert Maulpoix à la fac, où il était mon prof de poésie en prose et je dois dire que j'ai été surprise de la qualité de ses oeuvres. Une poésie moderne, qui n'a rien d'obscur.
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Le jardin sous la neige

Je n'ai lu que 2 livres de cet auteur - Une histoire de bleu et Le jardin sous la neige. Il a un talent particulier. C'est un maître des mots. Hier soir, alors que j'avais encore quelques lignes pour terminer le livre, j'ai découvert avec étonnement qu'il était aussi un criminel. Un combat de femmes. Un maître d'un Auschwitz entre quatre murs. Le prix Gouncourt doit être retiré. La littérature est une valeur, elle concerne la création de la vie, et non celle des criminels glorifiés.
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