Citations de Jorge Luis Borges (1136)
Je crois que la poésie est quelque chose qu'on sent, et si vous ne sentez pas la poésie, la beauté d'un texte, si un récit ne vous donne pas l'envie de savoir ce qui s'est passé ensuite, c'est que l'auteur n'a pas écrit pour vous.
Quand quelqu'un se résout à émigrer dans un pays lointain, il s'impose fatalement l'obligation de percer dans ce pays.
Cuando alguien se resuelve a emigrar a un país lejano, se impone fatalamente la obligación de adelantar en ese país.
(pages 228-229 ; el soborno / le stratagème)
Le surnaturel, s'il se produit deux fois, cesse d'être terrifiant.
Je constate avec une sorte de mélancolie douce-amère que tout au monde me ramène à une citation ou à un livre.
“Las islas del Tigre”, Atlas, 1984
On s’oublie soi- même lorsqu’on s’endort.
Et, au réveil , on se souvient de soi » …
MANUSCRIT TROUVÉ DANS UN LIVRE DE JOSEPH CONRAD
D'une blancheur jouant l'invisibilité,
La lumière est rayon cruel sous la persienne,
Flamboiement sur la plage et fièvre sur la plaine.
Du frémissant pays va s'exhalant l'été.
Mais les antiques nuits sont de profondes jarres
D'eau concave. Le flot s'ouvre à tous les chemins;
Et dans d'oisifs canots, face aux astres lointains,
L'homme compte un temps vague aux cendres des cigares.
La fumée a brouillé les constellations,
La mémoire, les mots. Le monde apparaît comme
Un croisement de tendres imprécisions ;
Et c'est le premier fleuve et c'est le premier homme.
- Trophée
Comme qui parcourt un rivage
émerveillé de la multitude de la mer,
ébloui de lumière et d'espace prodigue,
je fus le spectateur de ta beauté
pendant une longue journée.
Au crépuscule ce fut l'adieu
et en progressive solitude
de retour aux rues où les visages te connaissent encore,
mon bonheur s'assombrit en pensant
que d'une si noble provision de souvenirs
survivraient à peine un ou deux
pour être parure de l'âme
dans l'immortalité de son errance.
p.19
"Ce qui importe ce n'est pas de lire mais de relire." [ Jorge Luis Borges, extrait de "Le livre de sable" ]
Nuages II
Passent dans l’air de placides montagnes
ou de tragiques massifs d’ombres,
offusquant le jour. On les nomme nuages.
Leurs formes sont étranges,
Shakespeare en observa une, qui ressemblait
à un dragon. Ce nuage d’une soirée
étincelle dans sa parole et flambe encore
et nous ne cessons plus de le voir.
Que sont-ils ces nuages? Architecture
du hasard? Dieu, peut-être, les veut ainsi
pour que Son œuvre infinie s’accomplisse.
Ils sont le fil de quelque trame obscure.
Le nuage, peut-être, est aussi vain
que l’homme qui le voit dans le matin.
Le suicidaire
Aucune étoile ne restera dans la nuit
Ni la nuit ne restera.
Je mourrai et avec moi mourra la somme
de l’intolérable univers
J’effacerai les pyramides, les médailles,
les continents, les visages.
J’effacerai l’accumulation du passé.
Je réduirai en poussière l’histoire,
en poussière la poussière.
Je regarde le dernier coucher de soleil.
J’entends le dernier oiseau.
Je lègue le néant à personne.
J'ai longtemps cru que j'avais grandi dans un faubourg de Buenos Aires, un faubourg aux rues hasardeuses, ouvertes sur de visibles couchants.
A force de nous apitoyer sur les malheurs des héros de romans, nous finissons par nous apitoyer trop sur les nôtres.
Le sud
Du fond d'un de tes patios avoir regardé
les antiques étoiles,
d'un banc de l'ombre avoir regardé
ces lumières éparses
que mon ignorance n'a pas appris à nommer
ni à ordonner en constellations,
avoir senti le cercle d'eau
dans la secrète citerne,
l'odeur du jasmin et du chévrefeuille,
le silence de l'oiseau endormi,
la voûte du vestibule, l'humidité
-ces choses , peut-être ,sont le poème.
Oh ! nuits, oh ! tièdes ténèbres partagées, oh ! l'amour qui répand ses flots dans l'ombre comme un fleuve secret, oh ! ce moment d'ivresse où chacun est l'un et l'autre à la fois, oh ! l'innocence et la candeur de l'extase, oh ! l'union où nous nous perdions pour nous perdre ensuite dans le sommeil, oh ! les premières lueurs du jour et moi la contemplant.
Lönnrot évita les yeux de Scharlach. Il regarda les arbres et le ciel subdivisé en losanges confusément jaunes, verts et rouges. Il sentit un peu de froid et une tristesse impersonnelle, presque anonyme. Il faisait déjà nuit; du jardin poussiéreux monta le cri inutile d'un oiseau.
Mort, il ne manquera pas de mains pieuses pour me pousser par-dessus la balustrade: mon tombeau sera l'air insondable; mon corps s'enfoncera longuement, se corrompra, se dissoudra dans le vent engendré par la chute, qui est infinie. Car j'affirme que la Bibliothèque est interminable.
La Bibliothèque de Babel
Nul ne le vit débarquer dans la nuit unanime, nul ne vit le canot de bambou s'enfoncer dans la fange sacrée, mais, quelques jours plus tard, nul n'ignorait que l'homme taciturne venait du Sud et qu'il avait pour patrie un des villages infinis qui sont en amont, sur le flanc violent de la montagne, où la langue zende n'est pas contmainée par le grec et où la lèpre est rare.
La gloire soit à Celui qui ne meurt pas.
Cette idée de frontières et de nations me paraît absurde. La seule chose qui peut nous sauver est d’être des citoyens du monde. (dans un entretien à Paris en avril 1978)
J'appris par la suite que cela ne lui ressemblait pas, mais ce que nous disons ne nous ressemble pas toujours.