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EAN : 9782851940759
56 pages
Fata Morgana (06/10/1978)
4.18/5   14 notes
Résumé :
A propos de sa traduction de ces poèmes, Roger Caillois écrit :
«Les plus récents poèmes de Jorge-Luis Borges font mieux comprendre, il me semble, qu’il tienne le proverbe et l’épopée pour les deux genres permanents et inévitables de toute littérature, premiers et derniers, en quelque sorte. C’est sans doute qu’ils illustrent, l’un la sagesse, l’autre la vaillance, que le poète regarde justement comme les deux nostalgies fondamentales de l’homme. Cette réflex... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
La place de la poésie dans l'oeuvre de Jorge Luis Borges est considérable, tant par sa valeur que par sa signification. Souvent quand je lis le grand écrivain argentin, j'éprouve le rapport particulier, une perception unique, qui va de l'écriture de l'auteur jusqu'à l'attention du lecteur, qui en second, vient comme parachever l'existence du texte et du livre.

Dans ses nouvelles comme dans sa poésie, tout chez Borges apparaît comme une série d'impressions sur le langage et sur l'imagination. Les Treize poèmes (les derniers poèmes que Borges écrira) publiés en 1978 aux éditions Fata Morgana traduits pas Roger Caillois, ne font que confirmer ce sentiment.

Dans ce court recueil en édition bilingue, Borges mêle la sagesse au mystère. Entre histoire et érudition (la mythologie et l'histoire antique y occupent une place importante), l'auteur donne à ses poèmes un fond humanisé, réaliste et dépouillé.
Ainsi, le très beau texte d'Endymion à Latmos, dans lequel Borges reprend le récit mythologique de la rencontre entre Endymion, roi d'Elide représenté ici sous les traits d'un berger, plongé dans un sommeil éternel par Séléné, déesse de la lune, qui ainsi, chaque nuit, vient le rejoindre pour le contempler et l'embrasser à sa guise :


« Je dormais au sommet du mont. Et mon corps
était beau, que les années ont abîmé.
Très haut, dans la forêt hellène, le centaure
retardait sa quadruple course
pour guetter mon sommeil. J'avais plaisir à
dormir pour rêver et pour cet autre
songe – lustral - qui esquive la mémoire
et qui nous purifie de la charge
d'être celui que nous sommes sur la terre.
Diane, la déesse, qui est aussi la lune,
me voyait dormir sur la montagne.
Lentement, elle descendit dans mes bras.
Or et amour dans la nuit incendiée !
Je serrais les paupières mortelles.
Je ne voulais pas voir le beau visage
que profanaient mes lèvres de boue.
J'ai respiré l'odeur de la lune
et sa voix infinie prononça mon nom.
Joues pures qui se cherchent !
Fleuves de l'amour et de la nuit !
Baisers humains et tension de l'arc !
J'ignore combien de temps dura ma félicité.
Il y a des choses que ne mesurent ni la grappe
ni la fleur ni la neige fragile.
Chacun me fuit. Il fait peur,
l'homme qui fut aimé par la lune.
Les années ont passé. Une angoisse
m'épouvante, lorsque je suis éveillé. Je me demande
si ce tumulte d'or sur la montagne
fut véritable ou s'il ne fut qu'un rêve.
Je me répète en vain que le souvenir
d'hier et un songe sont une et même chose.
Ma solitude parcourt les chemins
insipides de la terre ; mais, sans cesse,
je cherche dans l'antique nuit des dieux
l'indifférente lune, fille de Zeus. »


De longueur variable, les autres poèmes du recueil n'entretiennent pas de lien thématique évident entre eux. Parmi ces poèmes, le suicidaire et le remords ou encore le miroir, de forme très dépouillée, empruntent au Je la solitude de l'être livré à lui-même.
Le poème Héraclite, du nom du philosophe grec, solitaire et vieillissant, se promenant le soir le long d'un fleuve à Éphèse « Personne ne descend deux fois dans les eaux du même fleuve », signe d'un temps en perpétuel changement.

Les poèmes Métaphores des Mille et une nuits et Alexandrie, 641 a.d. s'inspirent de faits plus historiques. de l'influence du grand conte arabe à la destruction de la magnifique bibliothèque d'Alexandrie, Borges trouve un moyen d'expliciter son rapport étroit à la littérature et l'édification de l'individu par le savoir, choses éminemment importantes dans toute son oeuvre.

Une longue histoire commune et personnelle, qui va d'un passé lointain à un présent sans cesse en mouvement, c'est peut-être dans le poème Les Causes que se résume le mieux la poésie de Jorge Luis Borges :


« Les couchants et les générations.
Les jours, dont aucun ne fut le premier.
La fraîcheur de l'eau dans la gorge
d'Adam. L'exact Paradis.
L'oeil qui déchiffre les couleurs.
La parole. L'hexamètre. le miroir.
L'amour des loups aux heures de l'aube.
La Tour de Babel et l'orgueil.
Le soleil comme un lion sur le sable,
Les sables innombrables du Gange.
Tchouang-tsé et le papillon qui le rêve.
Les pommes d'or des îles.
Les pas du labyrinthe errant.
Le tissage infini de Pénélope.
Le temps circulaire des Stoïciens.
La monnaie dans la bouche de qui est mort.
Le poids du glaive dans la balance.
Chaque goutte d'eau de la clepsydre.
César au matin de Pharsale.
Les fastes, les trophées, les armées.
L'ombre des croix sur la terre.
Les traces des longues migrations.
Les échecs et l'algèbre du Persan.
La conquête de royaumes par l'épée.
L'incessante boussole. La haute mer.
Le roi exécuté à la hache.
Le chant du rossignol au Danemark.
Le tracé scrupuleux du calligraphe.
La face du suicidé dans le miroir.
La carte du tricheur. L'or avide.
Les formes des nuages dans le désert.
Chaque remords, chaque larme.
Toutes choses qui furent nécessaires
pour que nos mains se rencontrent. »


.
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J'ai beaucoup lu (et apprécié) la prose de J.-L. Borges et j'ai voulu avoir un petit aperçu sur son oeuvre poétique. J'ai donc emprunté à la bibliothèque ces "Treize poèmes" en version bilingue et je les ai vite lus, car l'auteur est toujours concis. J'ai apprécié ces diverses pièces d'une manière variée. Elles sont le plus souvent délicates, rêveuses ou cruelles. Mes préférés sont "La lune", "Le remords" et "Héraclite". Dans cette dernière poésie, Borges nous met dans une ambiance caractéristique, tout à fait analogue à celle qu'il sait créer dans sa prose (notamment dans "Fictions"). Un autre poème, "La clé", semble être plus proche du surréalisme. D'autres poésies m'ont laissé plus indifférent. Une curiosité à découvrir pour les fanatiques de J.-L. Borges, qui fut aussi un grand poète.
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Une petite merveille d'édition sous le sceau de "La Fata Morgana". La traduction de Roger Caillois est remarquable et la lecture des textes en espagnol et en français, juxtaposés, fait entendre deux musiques différentes et singulières sans que celle émanant de la traduction n'affadisse la beauté de l'original. Je ne suis pas accoutumé et friand, je l'avoue, de poésie, mais je dois dire qu'à cette lecture, l'appétit d'en consommer s'en est trouvé stimulé.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
LA LUNE

La silencieuse amitié de la lune
(je cite mal Virgile) t'accompagne
depuis cette -engloutie aujourd'hui dans le temps-
nuit ou soirée, où tes yeux
distraits la déchiffrèrent pour toujours
dans un jardin ou un patio qui sont poussière.
Pour toujours? Je sais que quelqu'un, un jour
pourra te dire en toute vérité:
"Tu ne reverras pas la brillante lune,
tu as épuisé la somme prédéterminée
des occasions que t'accorde le destin.
Inutile d'ouvrir toutes les fenêtres
du monde. C'est trop tard. Tu ne la trouveras pas."
Notre vie durant, nous découvrons et oublions
Cette douceur accoutumée de la nuit.
Certes la lune est encore au ciel.
Il faut la regarder bien. Elle est peut-être la dernière.
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Le suicidaire

Aucune étoile ne restera dans la nuit
Ni la nuit ne restera.
Je mourrai et avec moi mourra la somme
de l’intolérable univers
J’effacerai les pyramides, les médailles,
les continents, les visages.
J’effacerai l’accumulation du passé.
Je réduirai en poussière l’histoire,
en poussière la poussière.
Je regarde le dernier coucher de soleil.
J’entends le dernier oiseau.
Je lègue le néant à personne.
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.
LE REMORDS

J’ai commis le pire des péchés
Qu’un homme peut commettre. Je n’ai pas été
Heureux. Que les glaciers de l’oubli
Impitoyables, me traînent et me perdent.

Mes parents m’ont engendré pour le jeu
Risqué et beau de la vie,
Pour la terre, l’eau, l’air, le feu.
Je les ai déçus. Je n’ai pas été heureux. (...)
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Vidéo de Jorge Luis Borges
INTRODUCTION : « Le siècle qui commence trouve une Argentine confiante en l'avenir. le positivisme à la mode met une foi illimitée dans les avancées du progrès et de la science, et la croissance de la jeune république autorise une vision optimiste du destin national. La classe dirigeante a bâti son programme sur la base d'une instruction publique et gratuite pour tous, destinée à réaliser l'intégration culturelle de la deuxième génération d'une masse énorme et hétérogène d'immigrants à peine débarqués d'Europe. Cette Argentine, qui est à l'époque une toute jeune nation - sa guerre contre les Indiens n'est terminée que depuis vingt ans -, dépend économiquement de l'Angleterre, est fascinée par la culture française et admire autant l'opéra italien que la technologie allemande. Ce qui ne l'empêchera pas de tâtonner à la recherche de sa propre identité, à la faveur d'un sentiment nationaliste exacerbé dès 1910 […]. L'avant-garde poétique porte le sceau du modernisme, largement diffusé à Buenos Aires par Rubén Darío qui […] marquera d'une empreinte durable la vie culturelle du pays. […] La quête de la modernité inscrite dans le nouveau courant anime déjà ce pays avide de rallier un monde qui ne jure que par Le Louvre, la Sorbonne et Montparnasse. […].  […]  La seconde décennie du siècle […] marque un tournant décisif dans la réalité argentine. […] Hipólito Yrigoyen accède au pouvoir. Avec lui surgit une nouvelle classe sociale, issue de l'immigration et amenée, pour un temps, à prendre la place de la vieille oligarchie qui a dirigé le pays depuis les premiers jours de l'indépendance. […] Cette modernité, qui relie les poètes argentins à l'avant-garde européenne, se concrétise avec le retour au pays de Jorge Luis Borges, en 1921. […] Dans un article polémique paru dans la revue Nosotros (XII, 1921), Borges explique : « Schématiquement, l'ultraïsme aujourd'hui se résume aux principes suivants : 1°) Réduction de la lyrique à son élément fondamental : la métaphore. 2°) Suppression des transitions, des liaisons et des adjectifs inutiles. 3°) Abolition des motifs ornementaux, du confessionnalisme, de la circonstanciation, de l'endoctrinement et d'une recherche d'obscurité. 4°) Synthèse de deux ou plusieurs images en une seule, de façon à en élargir le pouvoir de suggestion. » […] […] les jeunes poètes des années 20 se reconnaissent au besoin qu'ils éprouvent de revendiquer une appartenance et de se trouver des racines. […] Il faut attendre une dizaine d'années encore pour que, dans le calme de l'époque, de jeunes créateurs, avec l'enthousiasme de leurs vingt ans, apportent un élan nouveau et de nouvelles valeurs poétiques. Prenant leurs distances par rapport à l'actualité, ils remettent à l'honneur le paysage et l'abstraction, ainsi qu'un ton empreint de nostalgie et de mélancolie. […] Les années 60 correspondent en Argentine à une période d'apogée culturel. le secteur du livre est en plein essor ; de nouvelles maisons d'édition voient le jour et, conséquence du boom de la littérature sud-américaine, la demande d'auteurs autochtones augmente, ce qui facilite l'émergence de noms nouveaux. […] La génération des années 70, à l'inverse, est marquée au coin de la violence. Plus se multiplient les groupes de combat qui luttent pour l'instauration d'un régime de gauche, plus la riposte des dictatures militaires successives donne lieu à une répression sanglante et sans discrimination qui impose au pays un régime de terreur, torture à l'appui, avec pour résultat quelque trente mille disparus. […] » (Horacio Salas.)
CHAPITRES : 0:00 - Titre
0:06 - Alejandra Pizarnik 2:30 - Santiago Kovadloff 3:26 - Daniel Freidemberg 4:52 - Jorge Boccanera
5:51 - Générique
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE : Horacio Salas, Poésie argentine du XXe siècle, traduction de Nicole Priollaud, Genève, Patiño, 1996.
IMAGES D'ILLUSTRATION : Alejandra Pizarnik : https://universoabierto.org/2021/09/27/alejandra-pizarnik/ Santiago Kovadloff : https://www.lagaceta.com.ar/nota/936394/actualidad/santiago-kovadloff-argentina-pais-donde-fragmentacion-ha-perdurado-desde-siempre.html Daniel Freidemberg : https://sites.google.com/site/10preguntaspara1poeta
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