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Citations de Joseph Delteil (35)


Oui je les ai vus ce soir-là, André Breton et Francis Picabia, face à face comme deux dix-cors en temps de rut, quel spectacle ! L'un et l'autre sachant qu'il s'agit du grand duel, le duel à mort devant les disciples et la postérité. L'un vêtu de chatoyants velours et de gais foulards de couleur, l'autre de sombre drap et de sévères reliefs ; l'un tout feu tout flamme, brillant, pétillant, tout illuminé de jeux de mains et de moulinets de canne (une petite canne d'écaille peinte au bleu de Prusse), l'autre immobile, massif, monolithique, debout avec cet air de coin, un peu chattemite, le torse posé de biais sur l'échiquier, le mégot aux lèvres ; l'un plein de malice, de panache et de furia francese, avec ses parades, ses manœuvres, ses crocs-en-jambe, l'autre en garde, sûr de sa force, avare de ses griffes mais tout en lui œil, pensée, posture ne sont que crocs et griffes ; l'un s'énervant à la fin, toujours causant, causant, toujours bondissant, bondissant, lâchant ses traits par giclées, ses coups de langue, ses coups de corne en pagaille, un peu à la diable après tout, avec soudain un long rire de gorge comme une étoile filante, se sentant vaguement pris au piège mais lequel ? le Breton de plus en plus immobile, le masque de plus en plus impassible, la cigarette à bout de doigts à la couture du pantalon, avec à peine de temps en temps une volute de fumée à l'œil comme à Delphes, toujours le pouce prêt comme aux gladiateurs l'empereur romain, laissant par intervalles tomber un simple mot mais mordant à souhait, venimeux à point, toujours mortel, laissant patiemment son adversaire s'essouffler, s'épuiser, se tarir... wait and see.
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Pain gradaillé

Choisir une grosse tranche de pain croûte et mie, rassis bien sûr. Frotter éperdument d'ail jusqu'à éblouissement. Arroser en long et en large d'huile et de vinaigre, une vraie géographie. Le hic, c'est que ça se marie bien, que l'huile pénètre toute toute la masse jusqu'à fouetter l’âme, et que ça chante, et que ça siffle, et que ça fouette.
Croquer à pleines lèvres, sans vergogne, je veux dire sans peur et sans reproche, comme au paradis terrestre.
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Ludmilla est grasse comme toutes les femmes de l'Amour. Ses belles joues enrichissent son visage comme deux dimanches dans une seule semaine. Son menton un peu bouffi évoque la proximité de la Mandchourie. Elle rallie en son sang les races de choix, depuis son nez mongol jusqu'à ses tempes slaves. Et sa bouche provient des usines parfaites. Ses mains amollies par la manipulation des laitages sont prêtes pour les gestes de la passion. Elle a la voix un peu rauque des créatures dues à la complicité du hasard. Son cou couleur de miel ressemble au col d'une ruche. Quand elle sourit, des oiseaux minuscules se posent sur sa physionomie. Un peu illicite, peut-être, soit par ignorance, soit par goût, mais de cette santé acerbe qui justifie toutes les complications. Elle a dans sa tournure et dans son regard quelque chose de militaire qui apostrophe le destin et inaugure le commandement. Elle est belle fille sommaire, folle de simplicité, mais digne en somme des époques révolutionnaires.

Histoire de Ludmilla (suite)
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Et 
c’est 
alors 
que
 le 
Poilu 
fit
 son
 entrée
 dans 
le
 monde.
Le
 Poilu!
 Il
 y
 avait
 au
 d’abord,
le
1er août,
 le
 Poilu
 aux 
joues 
rouges.
Plus
 tard, 
il
 y
 aura
 le
 Poilu
 bleu horizon.
 Pendant 
la 
retraite,
il 
y
 eut
 le 
Poilu rouge.
 En 
pantalon
 garance 
et 
képi
 idem,
 la
 tête
 rougie
 de 
soleil
 et
 de 
sang,
du 
poil 
plein 
la 
gueule
 depuis
 les
 oreilles 
jusqu’au
 fond 
du
 menton , 
il
 va, 
le
 Poilu.

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Un Européen en voyage qui omettrait de visiter un des grands bordels de Changhaï commettrait envers la Chine une offense aussi grave que celle d'un Yankee qui oublierait de remonter les Champs-Elysées à Paris. Ce manque de tact, point ne l'aurai-je. Et j'emmène, incontinent, mes personnages au Palais d'Onyx.
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J’ai fui. Ce que j’ai fui c’est ce côté officiel de la littérature, ce côté foire, bazar, bagarre, c’est le métier d’homme de lettres, ses pompes et ses œuvres, ses servitudes sociales, ses obligations mondaines et journalistiques, son Académie (n’en parlez jamais, pensez-y toujours). J’ai refusé de monter sur les planches, de me donner en spectacle, d’être un “personnageˮ, de devenir “écrivain publicˮ. Je suis invisible. (p. 12-13)
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J'écrivis une histoire de Russie dans laquelle je combinais les événements confus selon un ordre esthétique. Je supprimai quatorze désastres et j'inventai des batailles de printemps.
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Je ne veux pas dire qu'elle est grosse, mais grasse. Les mots en asse fournissent des rimes très sensuelles, des rimes qui forniquent. Ça sent la vache, l'anus et Madame Butterfly.
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L'homme est un animal qui cherche Dieu.
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Tous les chats de Paris sont sur les toits de Paris. Il y a là le chat blanc de la crémière, bas sur pattes, ocré, rond, ronron, la langue épaisse, gourmand de lait et de crémières. Il y a le chat de Madame Durand, ocellé, roué, tout écrit comme un journal, pareil à un petit zèbre de l'air. Et le minet de la bonne, au cinquième, lâche et chaud dans son pelage bleu-blanc-rouge. Sur les toits des Champs-Elysées sont les beaux chats de la bourgeoisie, les grands angoras joufflus, pleins de principes et de lois, la rosette au poitrail, avec leurs moustaches de gendarme et leurs fourrures de chez Paquin. Plus loin, voici les chats du Champ-de -Mars, la queue en trompette, la tête en forme de képi, guerriers d'appartements en service au poste de T.S.F. Et puis les chats du XVè, les chats des petites toitures de fortune, en manches de chemise, en caleçon, lestes, faméliques, poivrots de lune. Et les matous du Bois, silencieux, confortables, épris de fortunes et de bonnes fortunes, les Rolls-Royce des chats. Et les chats de Montmartre et des Batignolles, chats des bistrots et des cours à linge, aigus, inverses, maigres de vices,luisants de coco, la queue à l'envers. Et les chats du Boulevard de la Chapelle, en casquette à carreaux, juchés sur les piles du Métro. Et les chats d'Italie, pauvres chats de misère noire, frères cadets des rats, nourris de miettes et de coups de pieds. Et les chats du Luxembourg, chats étudiants, blanchis sous le harnais, chats sorbonniques, chats parchemin...
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"Ludmilla, ah ! tu ne m'aimes pas !"
Elle sanglota. ce cri venait de découvrir en elle toute une Amérique d'amour. Elle sentit à ce moment qu'elle aimait Nicolas littéralement, et que cet amour, bien qu'invisible jusqu'alors, était cependant aussi vieux que l'Ancien Continent.
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Pourquoi changer le monde (trois milliards d'hommes) quand il me suffit d'en changer un seul : moi-même!
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Soudain, au commandement du chef d'orchestre des lunes, ils se mettent en mouvement, tous les chats de Paris, sur tous les toits de Paris. (...) Un crispement infinitésimal sape les murs de l'ombre.
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J'avais cinq sens, et j'étais avide de sensations quinquennales.
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Je lis Bossuet : « On me loue, on me blâme, on me tient pour indifférent, on me méprise, on ne me connaît pas, on m'oublie ; tout cela ne me touche pas, je n'en suis pas moins ce que je suis. » Je tiens pour peu la louange populaire, et méprise les succès de vente. Mais je crois dur comme fer à la vertu de l'œuvre. Lorsque les dix à quinze hommes de poids qui comptent dans une génération sont d'accord pour vous sacrer écrivain, la cause est entendue, l'affaire est jugée, pour toujours.
J'ai fui. Ce que j'ai fui c'est ce côté officiel de la littérature, ce côté foire, bazar, bagarre, c'est le métier d'homme de lettres, ses pompes et ses œuvres, ses servitudes sociales, ses obligations mondaines et journalistiques, son Académie (n'en parlez jamais, pensez-y toujours). J'ai refusé de monter sur les planches, de me donner en spectacle, d'être un « personnage », de devenir « écrivain public ». Je suis invisible. Entre nous, j'ai ma théorie sur Rimbaud, une théorie toute paysanne : il est parti après le travail tout simplement — après fortune faite (fortune de poésie). « Ma journée est faite ! » Après La Saison en enfer, la saison au Harrar, rien de plus. Quant à moi, Rimbaud ne m'émeut jamais plus, et jusqu'aux larmes, que lorsque à Marseille il fait orgueilleusement, dérisoirement sonner dans sa ceinture les trente-sept mille francs-or qu'il a gagnés « là-bas ».
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Là-bas, près de Limoux, il y a un village qu'on appelle Pieusse. C'est ma patrie, ma grande. J'aime Pieusse d'un dur amour. L'amour, c'est ce qui est dur. Une colline, la plus simple du monde, nette et crue, lui sert d'horizon ! La rivière d'Aude coule à ses pieds, amoureuse de ses propres rives. La plaine est poreuse, attirante et secrète comme une épouse. Rien de plus ardent qu'une souche, si ce n'est son fils le vin. Des peupliers pareils à des lances traversent le territoire de part en part. Tout se noue dans l'unité du soleil. Les choses sont crochues, aptes à l'attachement, avides de contacts et de chocs. La main de l'homme se reflète sur les champs ailés, et les odeurs végétales s'accrochent aux narines des bêtes avec une brûlante énergie. Dans chaque fille, il y a matière à mille chaleurs. Dans chaque cœur, il y a un univers de battements. Ah ! passion, passion, rien de grand ne se fera jamais sans toi, ni rien de beau ! Mais la véritable passion est calme, dure et calme comme la colline de Pieusse.
Depuis quelque temps, les journaux étaient pleins de bruits étranges. Ces paysans qui d'habitude ne lisent dans leur journal que la rubrique " Çà et là " (assassinats, accidents, viols, etc.) maintenant, chaque matin, ils épelaient longuement des notes de chancellerie, des dépêches diplomatiques.
Le 28 juin 1914, l'archiduc héritier d'Autriche François-Ferdinand fut assassiné à Sarajevo (Bosnie) par des partisans serbes. Cette province slave de la Bosnie, annexée par l'Autriche en 1908, était revendiquée par la Serbie. La double monarchie vit dans ce meurtre un attentat politique, dont elle chercha à rendre responsable la nation serbe tout entière.
Guillaume II était à l'affût. Ses longues moustaches sur sa gueule de puant, il sourit.
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Et toi, Choléra, ô petite fille de Minerve, ô enfant de déesse, parfois zèbre et parfois corps de houille, longue, heureuse et malléable fleur, ô fruit digne de sa fleur, ligne et contour, parfaite femme aux ongles polis, tigre et étoile, épiderme et coeur, ô syntaxe, ô synthèse, apogée, que ne suis-je un hérésiarque en flammes pour te violer dans une ville sans lune un soir d'épidémie !
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Tous les pinsons du monde là-haut dans les platanes chantaient et fientaient à qui mieux mieux, et François aussi c'est toute sa fiente qu'il jetait au diable, la fiente de l'homme.
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Jeanne n’a rien d’un fade cœur. C’est une âme forte, sans sensiblerie, l’épée à la main. La hardiesse confine à la folie, à la naïveté. Jeanne la hardie est Jeanne la naïve. La naïveté est une arme de gros calibre. (…) La suprême vertu de jeanne, c’est son ignorance. Elle ne connaît pas la courbe, le cercle. Pour Jeanne, le plus court chemin d’un point à un autre, c’est la ligne droite. Elle n’use pas de l’intelligence; elle a mieux: l’instinct !
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Je goûtai un bonheur sublime et sans fard à laver mes pieds dans cette rivière plus suave qu'une bouche de vierge. Peu à peu, les pieds deviennent roses. On peut compter les veines sans en omettre une seule. L'ongle de l'orteil est poli comme un crâne chauve. Je fais jouer en sifflant à perdre haleine les doigts et les jambes. Le jeu des muscles s'apparente à la géographie de l'Égypte et à la mécanique céleste. Les deux chevilles sont des planètes parfaites, dignes de servir de contrepoids aux lobes mêmes du cerveau.
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