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Critiques de Karine Tuil (1756)
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La Décision

Cette lecture confirme à quel point j'apprécie Karine Tuil et l'acuité pleine de finesse avec laquelle elle s'empare du réel par le prisme romanesque. Avec La décision, elle parvient à composer une tragédie contemporaine absolument passionnante.



C'est d'autant plus remarquable que tout est casse-gueule dans ce roman. Un sujet brûlant : le terrorisme islamisme. Un personnage principal a priori stéréotypé et très chargé: Alma, juge d'instruction antiterroriste, quinquagénaire, en pleine crise existentielle, en crise conjugale avec un mari écrivain sur la descente qui se réfugie dans le judaïsme orthodoxe. Et elle complique artificiellement l'intrigue avec une histoire d'amour entre Alma ( la juge ) et un avocat qui défend un prévenu suspecté d'allégeance à Daesh depuis son retour de Syrie alors qu'elle doit instruire son dossier . Ou comment une pulsion amoureuse pourrait influencer les deux décisions qu'elle a prendre : quitter ou pas son mari ; libérer Abdejalil Kacem au risque qu'il commette un attentat ou l'emprisonner alors qu'il est peut-être sincère dans son repentir et qu'il pourrait se radicaliser en prison ?



Karine Tuil survole ses potentiels écueils grâce à une machine narrative extrêmement précise qui plonge le lecteur en plein coeur des dilemmes de la juge Alma, dans son déroulé mental comme dans ses actions. On est dans sa tête, dans sa quête d'une vérité qui semble à impossible à trouver sans sortir de sa zone de sécurité. On doute avec elle, on varie en permanence sur la bonne décision à prendre concernant le présumé djihadiste. D'autant plus que régulièrement des incises dans le récit nous offre des extraits de son interrogatoire. L'auteur sait secouer les consciences en interrogeant le lecteur sur ses valeurs les plus profondes. Et c'est souvent dérangeant et déstabilisant de se trouver dans cette position aussi immersive car comment déceler la taqiya ( la technique de dissimulation enseignée par Daesh ) ? comment deviner la sincérité ? Derrière la raideur du code pénal, une large place est laissée à l'appréciation du juge. Convictions de chacun, contradictions de la société, tout est passé au scalpel.



Pour peu qu'on suive l'actualité, on n'apprend rien en soi sur les facteurs qui poussent de jeunes Français à se radicaliser, ainsi que le parcours de la violence sociale à la violence idéologique avec une hybridation délinquance / djihadisme qui ont été parfaitement analysés. Au delà de sa capacité à fictionnaliser des faits de société de façon intelligente et accessible, j'ai énormément aimé découvrir le métier de juge d'instruction terroriste qui instruit à charge ou pas pendant des mois en amont d'un éventuel procès. On sent à quel point Karine Tuil a compris les enjeux de ce métier sacerdoce. Alma est dévorée par le poids de la responsabilité, par la charge harassante de travail sur les dossiers, le stress inouï née de la peur de l'agression, de la douleur des familles de victimes. Et puis il y a la terreur de prendre une décision qui aura un impact sur la nation entière. Elle risque à tout moment d'être aspirée dans la noirceur.



Implacablement, la tension monte crescendo rendant le roman inlâchable malgré quelques facilités scénaristiques qui font deviner l’issue. Dans le dernier tiers, le récit devient quasi irrespirable. Les fils des Moires sont vigoureusement tirées comme dans une tragédie grecque malaxant conflits intimes, pression sociétale et urgence du choix . L'intensité du propos étreint le lecteur. J’ai refermé ce roman très secouée.

Remarquable.



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Les choses humaines

°°° Rentrée littéraire 2019 #12 °°°



Quel livre magistralement construit !



Les quatre premiers chapitres sont autant de présentations des quatre principaux personnages : d'abord Claire, brillante essayiste féministe, puis Jean son ex-compagnon, journaliste politique vedette de la télévision, Adam Wizman, son nouveau compagnon et enfin Alexandre, le fils De Claire et Jean, étudiant prometteur à Stanford. Ces chapitres sont un régal par leur façon de caractériser de façon incisive et précise la psychologie des personnages, on cerne parfaitement leurs ressorts intimes, leurs failles éventuelles.



Et puis on attend tout en se délectant de cette radiographie très balzacienne du monde de nos élites intellectuelles. On attend la déflagration. Ou plutôt la "diffraction", titre de la première partie. C'est-à-dire le comportement des ondes lorsqu'elles rencontrent un obstacle, leur déviation du point initial. On connait la nature du choc qui va permettre cette diffraction. Karine Tuil l'a annoncée dès la première ligne comme une quasi prophétie : « La déflagration extrême, la combustion définitive, c'était le sexe, rien d'autre - fin de la mystification." Il arrive à la page 152 et à partir de là, le roman s'enflamme, le rythme s'emballe, les pages se tournent avec fébrilité.



Reste à savoir quel personnage va en être le déclencheur.



Reste surtout à savoir comment chacun va se diffracter et voir sa vie bouleverser par la violence du choc qui le touche directement ou indirectement. De Balzac, on bascule dans la tragédie grecque.



Et là, le roman prend une ampleur inouïe en brassant avec une acuité remarquable des thèmes terriblement contemporains « me too » - la question du consentement, du viol, de l'emballement médiatico-judiciaire – sans perdre de vue ses personnages et leur devenir. Tous sont d'une grande densité psychologique, mêmes les secondaires, toujours complexes, tour à tour attachants, détestables, lâches. Celui qui m'a le plus touchée est celui De Claire, féministe éclairée qui voit ses certitudes philosophiques ébranlées par la déflagration, voyant ses actes et pensées de crise contredire tout ce qu'elle a pu construire précédemment. Le lecteur ne peut qu'être profondément questionné sur son positionnement face à l'affaire, c'en est souvent dérangeant et malaisant.



Assurément, Les Choses humaines ( magnifique titre au regard de son contenu ), est un grand roman, une oeuvre de forte magnitude qui embrasse la complexité de la société française, la décrit, la décrypte, la décortique, fait réfléchir, et ce sans jamais tomber dans la caricature ou le cynisme. Puissant et intelligent.



Lu dans le cadre du Club des Explorateurs de la rentrée 2019 Lecteurs.com





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Les choses humaines

Vous reprendrez bien un peu de rentrée littéraire?



 Après un Jean-Paul Dubois décevant, voici le dernier Tuil - eh!je n'ai pas dit la dernière Tuil, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit!



Karine Tuil, je dois dire, je n'aime guère:  toujours dans l'air du temps, à surfer sur les vagues à la mode, un grand sens de la caricature et peu de profondeur, simplifiant les personnages à grands traits, avançant à grands pas, sociologue  efficace, déguisée en romancière, qui sait qu'elle va faire mouche-et qu'elle va vendre- parce qu'elle va nous parler de ce qui nous harcèle,  nous obsède, de ce qui nous rebat les oreilles aussi...



Mais ce livre-là,  on m'en avait dit tant de bien...J'ai retenté l'expérience.



Va pour Les choses humaines, comme dans la chanson.. .



Je l'ai lu, je l'ai même dévoré,  en un jour.

Succès? Surprise? Réconciliation?



Je l'ai laissé tiédir un peu : trop chaud- bouillant. J'avais envie de voir ce qui restait des Choses humaines, justement. À froid.



Eh bien, je pourrais reprendre mon troisième paragraphe mot pour mot: Les Choses Humaines est un produit marketing parfait. Il sera lu, apprécié, il fera réfléchir, discuter. Mais ce n'est pas un roman. Il y manque le style, la chair, l'invention. Il y manque l'art.



Les quatre personnages principaux sont brossés à grands traits, ce sont des types socio-psy' - le self made man, vieille star télévisuelle qui n'arrive pas à quitter le plateau, l'intellectuelle écartelée entre principes et réalité, le fils à papa voué à la réussite sous peine d'inexistence,   la fille timide, traumatisée, coincée entre tradition et émancipation- des "caractères" comme ceux de La Bruyère mais  au temps des empires médiatiques,  de Twitter et de Facebook,  ce sont aussi des silhouettes piquées  à l'actualité récente -l'affaire DSK, l'affaire Weinstein, #balance ton porc - ou à des couples médiatiques célèbres , PPDA /CHAZAL, JJSS /GIROUD.



Karine Tuil, en abeille diligente,  butine à toutes les fleurs, et en fait son miel.



Le bonbon plait. Même si les ficelles sont un peu grosses. Même si c'est le Bûcher des Vanités à l'heure de Me#Too...en version française et en beaucoup moins fouillé,  beaucoup plus sensationaliste et beaucoup moins époustouflant que l'incroyable livre de Tom Wolfe où un simple accrochage déclenche un tsunami social .



Les personnages une fois campés,  l'intrigue déroule sa mécanique inexorable: on l'avait compris, ces quatre-là mis dans le même bocal doivent déclencher une catastrophe.  Un vrai cas d'école. Jusqu'ici, rien que du très attendu ou du déjà vu.

.

Il s'agit d'un viol. Ou pas.  D'un consentement. Tacite. Ou d'un refus. Muet. On est dans cette fameuse "zone grise" qui fait le bonheur des intrigues judiciaires et des versions contradictoires.



 Et c'est dans la seconde partie, toute entière consacrée à l'enquête de police, aux dépositions, confrontations, puis au procès qu'enfin Karine Tuil excelle.



 Pas une ligne de gras, rien que du factuel, des questions, des réponses,  des plaidoiries, des témoignages, un verdict. Et pas le moindre commentaire, la plus timide prise de position. Au lecteur de juger. Il a toutes les cartes, toutes les pièces en main. C'est un grand garçon, ou une grande fille. Qu'il/elle ( je reprends ce tic d'écriture que Karine Tuil a heureusement perdu depuis L'invention de nos vies!), qu'il/elle donc se débrouille..



La rentrée littéraire, n'en déplaise à Babelio qui en fait ses choux gras, n'est pas la meilleure opportunité  pour aborder un livre - trop de battage, trop d'avis, trop d'enjeux -,   ni pour retrouver un auteur qu'on aime ( j'ai été déçue par le dernier livre de mon cher Jean-Paul Dubois! ),  ni pour découvrir le talent d'un auteur vraiment inconnu, ni pour réhabiliter un auteur mésestimé.



Ce livre de Karine Tuil avait tout pour me déplaire, (auteur, sujet, style)  et pourtant je l'ai lu toutes affaires cessantes, sans pouvoir m'en détacher.



Je reste convaincue que c'est un habile produit marketing, mais la dernière partie m'a bluffée et sauve le livre de son habileté marchande. Dommage qu'il faille en passer par tant de clichés pour atteindre cette verité-là.



Traquées,  quadrillées,  cernées par la machine judiciaire, elles sont bien floues et incertaines, Les choses humaines..

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La Décision

Ceux qui me suivent depuis mes débuts savent combien je suis admirative de Karine Tuil, combien ses romans me parlent et me hantent. Je sais qu’avec cette auteure, je ne serai jamais déçue. Son écriture au scalpel et son acuité dans la psychologie humaine sont fascinantes.



Karine Tuil s’approche ici au plus près de l’actualité, à travers le portrait d’Alma une juge d’instruction antiterroristes qui détient le sort d’un homme, AbdelJahil Kacem emprisonné en France pour suspicion de radicalisation suite à un retranchement en Syrie.



On suit jour après jour l’interrogatoire de la juge auprès du musulman qui jure de son innocence. Alma, une femme mariée qui entretient une liaison avec l’avocat de Kacem, elle doute, elle vacille entre raison et déraison.



Le psyché de cette femme est détaillé avec brio, l’auteure nous offre un portrait de femme des plus actuels, entre le poids des responsabilités, la pression professionnelle, les zones d’ombres entre la présomption d’innocence et la protection d’un pays, Alma aime depuis peu comme jamais. Elle écoute son amant qui fait battre son cœur, elle l’entend répéter qu’il n’y a nulle preuve d’accusation sur Kacem, que la prison c’est l’antre de la radicalisation, de la haine. Elle entend. Et se laisse peu à peu basculer dans cette humanité où l’on entend pourtant toujours et encore la haine crier à la mort.



« Le terrorisme, ce n’est pas qu’une méthode, c’est l’amour de la mort. Les terroristes ne rêvent que de ça : celle qu’ils donnent aux autres et celle qu’ils se donnent. Ils remplacent le combat des idées par la peine de mort. »



Il y a beaucoup de force dans ce livre, une émergence conflictuelle entre l’amour et la haine, un combat inégal entre la beauté et la laideur, des corps qui s’étreignent pendant que d’autres s’entretuent. Il y a un charisme fou dans l’écriture de Karine Tuil à disséquer les cœurs meurtris, les cœurs qui rêvent, les cœurs absents.



Ce contraste ombre/lumière est omniprésent, saisissant avec une montée crescendo des failles, de la fragilité. C’est un roman qui s’adresse aux vivants, aux morts, aux pays endeuillés, à ce monde qui n’est pas parfait, à ceux qui n’oublieront jamais. Le ton est juste, précis, recherché, incandescent comme une main sur le cœur au milieu de l’horreur.
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La Décision

C’est la tuile !

Forte indécision au moment d’étoiler ce billet. Lumières tamisées. Je me retrouve dans la situation de l’inspecteur du Guide Michelin qui a adoré l’entrée, savouré le plat principal mais qui a vomi le dessert aux toilettes.

Jusqu’à la page 220 (sur 296), j’avais plus d’étoiles dans les yeux que Thomas Pesquet après son 4000ème selfie en orbite.

La description du poids des responsabilités pesant sur Alma Revel, juge antiterroriste, qui doit décider du sort d’un jeune qui revient de Syrie en voyage organisé par l’Etat Islamique, est remarquable. La construction du récit qui alterne le quotidien compliqué de la juge, le travail d’enquête minutieux et les extraits d’interrogatoires m’a tenu en haleine fraîche. Pour corser l’affaire, le mariage de la juge avec un écrivain aigri sent le sapin et elle entretient une liaison avec l’avocat du mis en examen… de conscience.

Karine Tuil, de livres en livres, a le mérite de ne pas végéter dans l’autofiction nombriliste. Elle s’empare de son sujet et on sent son souci de l’exactitude, son immense respect pour ces femmes et ces hommes en charge de la justice dans une société qui déclare coupable par anticipation ou souhaite condamner par précaution. Elle traduit très bien le dévouement de la juge à sa fonction, ses incertitudes et la charge émotionnelle de ses décisions.

Et puis Patatras… ! Fini le réalisme au moment du dénouement. C’est le dénuement, l’éclipse totale au moment du bouquet final. Pétard mouillé et sortez les bougies. On passe d’une approche quasi documentaire et chirurgicale à un effet de manche un peu grossier pour connecter la décision du juge à sa vie personnelle. Pour servir son discours sur sa vision de la justice, l’auteure quitte le domaine du rationnel et oriente son récit autour d’une coïncidence tragique à laquelle je n’ai pas cru une minute. Le roman sombre dans la caricature de personnages moins vrais que nature. Le mari, juif, qui a un retour de foi tardif, une fille idéaliste dont le compagnon s’appelle Ali, ce qui ne ravit pas beau-papa, l’avocat, qui est un écorché vif qui a honte de ses gènes de grand bourgeois, et Alma qui ne sait pas si elle doit se sentir coupable mais pas responsable, responsable mais pas coupable, ou les deux.

Ce passage du réalisme à une fiction aussi crédible que la probabilité d’acheter le ticket gagnant à l’euro-million sans jouer, ne m’a pas du tout convaincu. J’ai ressenti comme un choc thermique. Bain glacé par temps de canicule.

Dommage, ce roman méritait un meilleur générique de fin. Il a eu le mérite de ne pas me laisser indifférent.

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Les choses humaines

Les choses humaines, aimer, être aimé, jusqu’à l’inverse, jusqu’au point de non retour. Les erreurs... tant de choses humaines au final.



Karin Tuil nous offre lors de cette rentrée littéraire un roman puissant à son effigie : identité, société et psychologie. Elle fouille, creuse, tord ses personnages dans toute leur complexité, dans chacune de leur faille, et c’est ce travail d’orfèvre qui est fascinant avec elle. Pas de roman de pacotille, une grande œuvre, un tourbillon au cœur de la société d’aujourd’hui dans ce qu’elle contient de plus redoutable.



Un couple, Jean et Claire. Deux personnalités médiatiques, le premier est un grand journaliste renommé, la seconde une littéraire au sommet des droits féministes. Leur fils, Alexandre.

Trois personnages clé qui nous apparaissent durant plus de 200 pages déshabillés de leurs travers. Orgueil, fibre maternelle, égo, compétition, amour, raison, autant de sentiments qui traversent ces personnages travaillés comme de l’or brut.

C’est immersif, on les voit, on les sent, on passe plusieurs heures à les regarder se débattre, se morfondre, piétiner l’un et l’autre, passer à côté de leur vie pour une carrière, pour un trauma vécu durant l’enfance. Une grande scène de vie que voilà. Jusqu’au jour du drame. Une histoire de vingt minutes d’égarement. Et tout bascule à cette plainte: viol.



La machine judiciaire se met en place. Et cette partie est absolument fascinante. On va suivre le procès, différentes vérités, l’auteur, la victime et l’interrogation. Admirable !



Ayant lu une garde majorité des romans de cette auteure, je constate qu’elle tient un grand rôle aux questions identitaires et toujours cette psychologie minutieuse et impeccable. J’accorde le carton plein pour L’invention de nos vies qui par son thème et la perfection littéraire autour d’un seul narrateur m’avait subjuguée. Dans les choses humaines, mon bémol serait peut-être qu’en seconde partie on perd un peu nos personnages au profit du procès. Même si cette partie se veut différente et axée sur la machine judiciaire, de ce fait tout à fait fascinant, je regrette une trop grande scission entre l’extérieur (les personnages, leur vie) et l’intérieur (le tribunal, vingt minutes d’égarement). Ce roman aurait été à mon sens parfait si l’extérieur et l’intérieur avaient continué à corréler ensemble.



Néanmoins, ça reste un roman intelligent qui nous mitraille de réflexions autour du consentement sexuel mais pas que. Pour arriver à vingt minutes d’égarement, il faut se rappeler comment et pourquoi le personnage en est arrivé là. C’est dans ce point que Karin Tuil excelle avec brio, talent et intelligence stylistique et narrative. Bravo.
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La Décision

Après avoir été récompensée par le prix Goncourt des lycéens pour « Les Choses humaines », qui invitait à réfléchir sur le mouvement #MeToo et sur l’ambiguïté de cette frontière à ne pas franchir, Karine Tuil s’intéresse à la menace du terrorisme islamique.



Pour ce faire, l’autrice nous plonge dans la peau d’une juge d’instruction du pôle antiterroriste, un an après les attentats du Bataclan. Outre un mariage qui bat de l’aile, la magistrate Alma Revel, doit également se prononcer sur une affaire particulièrement délicate: le dossier Abdeljalil Kacem. Doit-elle remettre en liberté ce jeune musulman qui avait rejoint la Syrie avec sa femme enceinte et qui affirme s’être fait berné par la propagande de l’Etat islamique et vouloir dorénavant seulement vivre en paix avec sa femme et son fils ?



Les deux décisions que l’héroïne de Karine Tuil doit prendre, l’une privée, l’autre professionnelle, ne sont pas évidentes et pourraient bien faire des sérieux dommages collatéraux. Quel sera l’impact sur ses trois enfants si elle décide de quitter son mari et surtout, quel risque fait-elle courir aux citoyens français si jamais elle libère Abdeljalil Kacem ? Le risque zéro existe-t-il… et si oui, à quel prix ?



En alternant le quotidien harassant de cette juge d’instruction avec des retranscriptions d’interrogatoires du prévenu, l’autrice invite intelligemment le lecteur à se faire sa propre idée, tout en l’invitant à se rendre compte de la difficulté du choix qui s’offre à lui.



Si cette plongée dans les coulisses de la justice antiterroriste s’avère très documentée et particulièrement didactique, elle est malheureusement servie par un ton journalistique légèrement trop distant, qui freine l’empathie envers les personnages, privilégiant une narration qui lève certes le voile sur le fonctionnement de l’instruction, mais qui oublie de venir cueillir nos émotions… malgré une conclusion plus humaine, qui tente de corriger le tir.
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Les choses humaines

Les choses humaines ? Inhumaines surtout.



Inhumaine la violence psychologique et physique d’un viol.



Inhumaine la façon dont la victime est traitée depuis la nuit des temps.



Inhumaine la société qui pense qu’elle l’a bien cherché, finalement, habillée sexy, un p’tit coup dans l’nez, et puis qui l’a même suivi… c’est un sacré raccourci. (Parce qu’un homme qui n’a pas d’idée tordue derrière la tête est tout à fait capable de discuter avec une femme dans un coin sans lui sauter dessus, même derrière des poubelles).



Inhumaine la réalité des réseaux sociaux qui stigmatisent systématiquement,

même un présumé innocent. No sang.



Inhumaine la justice quand elle laisse en liberté des criminels du sexe, et c’est souvent.



Inhumaine les personnes dans le déni face à l’évidente culpabilité, au sein des familles.



Inhumaine la prison pour les innocents, mais sans prison encore du sang.



Inhumaine la sentence pour la violée : traumatisme à perpétuité.



Inhumaine la mafia des puissants qui protègent même les impuissants.



Tout est abordé dans ce roman finement construit, qui amène à la réflexion au-delà de sa lecture, et qui rend compte de toute la difficulté de rendre la justice. Malheureusement, ce roman est trop proche de la réalité, et l’analyse très subtile, car bien souvent, c’est la parole de la victime contre celle du violeur.



Un adulte qui commet un crime, quelles que soient les circonstances, est responsable de ses actes, et donc des conséquences.



Une victime n’a jamais demandé à l’être, et la sidération lors du viol peut malheureusement être interprétée comme une absence de défense, alors qu’en réalité, on passe un cran au-dessus : celui de l’espoir de ne pas être tuée après.

Beaucoup de psychologie dans cette œuvre à lire à différents niveaux.

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L'insouciance

Qu'il semble difficile de juger ce roman. Mais faut se décider, donc go : j'ai choisi de l'aimer. Non, de l'encenser.



J'ai choisi de me laisser captiver par les vies mouvementées de ce pdg de bonne famille juive ou pas, on ne sait plus. De sa femme journaliste amoureuse, plus amoureuse, re-amoureuse etc... bref une femme. De l'amant d'icelle (c'est joli icelle, je me fais plaisir), donc de cet amant banlieusard neuf-troisien converti en soldat et ravagé par la barbarie des guerres. De cet ex-animateur social blackos (quota oblige) devenu conseiller à l'Elysée (quota oblige), puis ex-conseiller, on ne sait plus.

Ok je l'accorde : l'encensement annoncé n'est pas évident à première vue. Oh, ben si quand même. Et allons plus loin, respirez donc cette belle odeur de clichés sociaux. Hmm, que ce roman fleure bon la caricature à pleines narines. le juif et son argent, la femme et la romance, le 93 et ses emmerdes, l'islam et le terrorisme, le média fouteur de m... trouble, le black et le racisme. Bref, ça transpire le trop. De là à le reprocher à madame Tuil, il n'y a qu'un pas. Pas que je ne franchirai pas et avis qui ne m'a même pas titillé l'azerty quelques secondes. Car j'ai choisi d'aimer ai-je dit. Faut suivre. Et donc d'aborder ce roman sous un angle différent que celui du cliché. Et ce, grâce au magistral talent narratif de Karine Tuil, son écriture accrocheuse, son oeil incontestablement juste sur une réalité sociétale qui dérange.



Place donc à quatre personnages aux parcours atypiques, progressivement brossés. Bien-né, mal-né, chacun porte sa croix et traîne son lot de casseroles. Qui forgeront des caractères forts, solides, ambitieux en apparence, mais aux fragilités qui exsudent subtilement sous une plume ingénieuse. Quatre personnages en quête d'un destin déjà écrit ou à écrire. Fil conducteur patiemment brodé : peut-on échapper à ses origines? Ceci au travers de thèmes de société bien actuels : rang social, religion, médias, pouvoir, identité, communautarisme sont scrupuleusement autopsiés avec intelligence et méthode. La fiction au service du cash investigation. Ne voir qu'une caricature serait être finalement bien aveugle à ce monde qui nous entoure...



Roman explosif ancré dans un XXIème siècle explosif.

Par une Karine Tuil impériale de précision.
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La Décision

Alma Revel est juge antiterroriste. En cette année 2016, elle doit prendre deux décisions majeures : l’une quant au sort d’un jeune homme suspecté d’avoir rejoint l’État islamique en Syrie ; l’autre pour sortir du conflit d’intérêt auquel l’expose sa liaison avec l’avocat de la défense.





Endossant le « je », Karine Tuil se glisse – et nous aussi, par la même occasion – dans la tête de la coordinatrice du pôle antiterroriste de Paris. Cette femme, campée de façon très humaine dans le contexte compliqué de sa vie privée et sentimentale qui nous la rend particulièrement proche dans ses doutes et ses déchirements, est face à un choix cornélien : maintenir un jeune en détention, sur la seule base de suspicions après son séjour en Syrie, ou prendre le risque de libérer un terroriste en puissance. Autrement dit, juger ce garçon pour la crainte qu’il inspire, ou strictement pour ce qu’il a fait.





Directement confronté à ce bien délicat cas de conscience, le lecteur, frappé d’un effroi mêlé d’admiration et de respect, découvre l’éprouvant quotidien des juges du « terro », amenés à prendre des décisions écrasantes de conséquences, sous la pression politique et médiatique, mais aussi sous les menaces qui les contraignent à vivre sous protection constante. Karine Tuil a mené une enquête minutieuse pour nous faire toucher du doigt les réalités de cette profession méconnue, exigeante et dangereuse, n’occultant rien de la violence et de la haine auxquelles elle se retrouve confrontée, et explicitant les différents points de vue adoptés par les uns ou les autres selon leurs convictions et sensibilités.





L’écriture est remarquable, et le récit, captivant, ne laissera personne indifférent. Peu importe si l’intrigue construit son paroxysme sur un jeu de circonstances peut-être improbable, elle excelle à embrasser toute la complexité de son sujet, à nous plonger dans un questionnement dérangeant, à remuer nos consciences et à interroger nos valeurs profondes. Un livre brillant.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Les choses humaines

L'écriture de Karine Tuil a quelque chose de besogneux. Sa façon d'évoquer, au travers de personnages stéréotypés, les problèmes agitant la société contemporaine est parfois intéressante, voire pertinente, mais je la trouve impersonnelle et superficielle quand elle se réduit à la froideur d'un catalogue (attentats, crise de l'institution familiale, tyrannie des réseaux sociaux, xénophobie, antisémitisme). Comme souvent le travail de Karine Tuil s’apparente à celui d'une élève appliquée qui chercherait à plaire, mais qui oublierait qu'il importe plus de toucher le lecteur, de le faire réfléchir, que de lister des phénomènes sociétaux — sujets par ailleurs rebattus.



Reste qu'en ce qui concerne la violence faite aux femmes, démontant le fonctionnement de la justice après une accusation de viol, l'auteure soulève le problème brûlant du consentement dans le contexte du #MeToo, #BalanceTonPorc — faisant suite à l'affaire du producteur américain Harvey Weinstein. Un sujet parfaitement traité par Karine Tuil, au point que s'il n'y avait qu'une bonne raison de lire Les choses humaines ce serait celle-là.
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L'invention de nos vies

Ce roman foisonnant de vie, d'amour, de trahison, de mensonge, de réussite et de déchéance m'a complètement bluffée, alors même qu'il ne m'attirait pas du tout au départ. Comme quoi les cadeaux-livres non choisis débouchent parfois sur de belles découvertes... Merci Père Noël.



Pour entrer dans l'histoire, il m'a fallu passer outre les quelques lubies agaçantes de l'auteure : les phrases à rallonge vaguement philosophiques, les notes de bas de page sans intérêt sur les personnages et événements secondaires, et l'abus de '/' façon mail professionnel... Mais ça valait vraiment le coup !



Parce que l'histoire de Nina la belle et de ses deux Sam, Samuel et Samir, est bien plus qu'un roman sur l'éternel triangle amoureux, qu'un énième livre sur les difficultés d'intégration, ou qu'une théorie sur la réussite, ses privilèges et ses pièges... En fait, c'est la question de l'identité qui est posée ici : est-ce une question de religion, de statut, d'argent, de relations, d'éducation ? Comment échapper à l'engrenage du mensonge ou à la séduction éphémère des puissants ?



Cette question fondamentale est abordée non pas avec les gros sabots d'un donneur de leçons, mais sous une forme légère et romanesque, toute de finesse et d'hésitations. L'invention de nos vies a été pour moi un vrai plaisir et m'a donné envie de vivre pleinement ma vie plutôt que vouloir l'inventer...
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L'insouciance

J'attendais ce livre avec impatience tant le précédent L'invention de nos vies m'avait impressionnée, annonçant un tournant passionnant dans l'écriture de Karine Tuil. Nous y voilà donc, trois ans plus tard, et le résultat est époustouflant. Une puissance narrative qui vous happe dès les premières pages pour ne plus vous lâcher, une tension parfaitement maîtrisée du début à la fin et surtout, un récit tellement ancré dans le 21ème siècle qu'il risque d'en devenir un témoignage de référence pour les générations à venir.



"J'écris parce que la vie est incompréhensible", dit Marion Decker, l'un des quatre personnages principaux du roman. Le moins que l'on puisse dire c'est que Karine Tuil nous la rend compréhensible, la vie. Elle nous brosse un tableau à la fois juste, sans concession et terriblement lucide de notre société en se faufilant dans les arcanes du pouvoir, au plus près de ceux qui prennent les décisions. Une société où l'image prédomine, où la communication est reine, où le pouvoir se gagne et se perd en un rien de temps sur le terrain médiatique, où les apparences comptent plus que le mérite. Mondialisation, géopolitique, jeux de pouvoir... Ses héros n'ont pas forcément toutes les cartes de leur destin en mains.



Mais L'insouciance ne serait pas un livre de Karine Tuil si la question de l'identité n'était pas au centre. Chacun des personnages a son problème d'identité, d'appartenance et c'est une source de vulnérabilité. François Vély, le puissant patron du CAC 40 à qui tout semble réussir se voit soudain ramené à ses origines juives, lui qui les a toujours volontairement ignorées. Osman Diboula, le fils d'immigrés parvenu à se hisser dans les coulisses du pouvoir en tant que conseiller à l’Élysée s'aperçoit qu'il a peut-être servi de caution "diversité" dans un milieu qui le renvoie sans cesse à ses origines. Romain Roller, le militaire engagé sur les théâtres d'opérations les plus dangereux, se demande, de retour d'Afghanistan, à qui profitent ces guerres et si elles valent les sacrifices humains qu'elles induisent. Quant à Marion Decker, journaliste-écrivain, dont le mariage avec François Vély est assombri par un terrible drame, elle peine à trouver sa place dans un monde auquel ses origines sociales ne l'ont pas préparée et qu'elle cherche à comprendre. Origines ethniques, origines sociales, culture, éducation, appartenances religieuses... pas facile de se forger sa propre identité quand tout nous renvoie à ce que nous sommes censé être.



"Il y a quelque chose de très malsain qui est en train de se produire dans notre société, tout est vu à travers le prisme identitaire. On est assigné à ses origines, quoi qu'on fasse. Essaye de sortir de ce schéma-là et on dira de toi que tu renies ce que tu es ; assume-le et on te reprochera ta grégarité."



La violence est partout, sur les terrains de guerre, bien sûr (quelles pages sur la condition de militaire, sur les réalités du terrain... !) mais surtout dans les rapports sociaux qui régissent le quotidien. Dans les relations intimes comme dans les relations professionnelles. Dans le lynchage médiatique qui peut jaillir d'une simple étincelle. C'est ce que l'auteure nous montre de façon magistrale en démontant les mécanismes qui mènent aux pires excès. Et en nous rappelant que l'on n'échappe pas à ses origines, à son histoire.



La société que nous dépeint Karine Tuil, c'est la nôtre. Complexe, violente, hypocrite, clanique. Derrière les façades qui abritent les lieux de pouvoir, par-delà les discours qui prônent l'intégration et la tolérance, la réalité est toute autre. De quoi donner à réfléchir.



Mais je vous rassure, L'insouciance est un vrai page turner qui puise sa force dans un contexte très documenté et captive par sa structure narrative et ses personnages taillés à la serpe. L'auteure tisse une toile d'une incroyable densité, mêlant histoire d'amour et drame social, contexte politique et destins individuels. On plonge dans ce roman avec un plaisir croissant au fil des pages, on vibre, on se révolte, on s'attache aussi... On veut croire que François Vély est dans le vrai lorsqu'il affirme "J'ai toujours cru en la capacité de l'homme à inventer sa vie, je ne fais pas partie de ceux qui pensent que tout est figé, imposé". Tout en sachant que ce n'est pas gagné.



Un grand roman, c'est souvent celui qui, à travers le prisme romanesque permet de mieux voir le monde et de le questionner. Un grand roman c'est celui qui vous happe, vous tient en apnée, vous fait lever plus tôt pour retrouver plus vite les personnages quittés à regret la veille. Et vous marque, durablement. Pas de doute, L'insouciance est un grand roman.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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La Décision

Roman courageux, sincère et déstabilisant, « La Décision » s’inscrit dans la lignée de « Soumission », l’anticipation de Michel Houellebecq, en dénonçant l’offensive menée par les islamistes contre la civilisation.



Courageux, ce roman alterne les compte rendus d’auditions judiciaires et les observations des magistrats du pôle antiterroriste , nous partageons leurs convictions, leurs valeurs, leurs doutes et nous subissons les agressions verbales (voire physiques) endurées. Karine Tuil détaille la menace mortelle du fondamentalisme islamique et ses plans de conquête mondiale. Elle rappelle les liens de complicité avec les trafiquants de drogue et d’armes.



Sincère, la rédactrice écrit JE, et le juge Alma Revel devient ainsi un alias de Karine Tuil puis au fil des pages un double du lecteur. Ce qui nous amène, en notre for interne, à nous poser finalement la question : quelle serait MA décision ? dois je mettre en liberté conditionnelle Abdeljalil Kacem, franco algérien parti rejoindre les réseaux de l’Etat Islamique ou dois je le maintenir en détention en risquant d’accroitre les risques de contamination ?



Déstabilisant, Karine Tuil met le doigt où ça fait mal, très mal. Ainsi ce propos effarant de la fille du juge, brillante future cadre de la nation, revendiquant haut et fort son appartenance à la gauche progressiste, lors d’un examen :

« — Si un jour vous travaillez au sein d'un cabinet ministériel et qu'on vous demande de faire une chose à laquelle vous êtes foncièrement opposée, vous faites quoi ?

Elle a eu un moment d’hésitation, puis elle a dit :

— On est une démocratie, c'est le peuple qui décide, le ministre a une légitimité populaire, moi J'apporte seulement mon expertise technique donc J'exécute. »



Propos entendu lors des procès de la Libération dans la bouche de tous les miliciens et des membres de la Gestapo … Mais logique quand l’éducation nationale privilégie aujourd’hui l’éducation sexuelle à l’étude d’Antigone. Hélas.



Dérangeant également l’eugénisme de la famille Forest, dynastie républicaine installée au sommet du pouvoir, qui efface un enfant handicapé pour ne pas « salir » son image de « race supérieure ».



Comment défendre notre civilisation héritière de Jérusalem, Athènes et Rome contre la barbarie islamique si le respect des droits de l’homme n’est pas le socle du droit ?



La tragédie se déroule en trois actes :

1) L’enquête n’ayant découvert aucune preuve irréfutable de la culpabilité du prévenu, « la décision » est prise ; nous sortons de « la zone de sécurité » en page 220

2) « La rage et la violence » nous prennent à la gorge dans un déchainement de haine et de violence en 80 pages ; « Dans le cadre de mes fonctions de juge antiterroriste, j'ai pris une décision qui m'a semblé juste mais qui a eu des conséquences dramatiques. Pour moi, ma famille. Pour mon pays. »

3) « La manifestation de la vérité » bâcle en dix pages une conclusion « feel good » que Françoise Bourdin aurait pu écrire (en mieux sans aucun doute) et que le lecteur pourra éviter à mon humble avis car cette fin improbable achève en farce ce qui est et reste une tragédie que j’ai, par ailleurs, beaucoup appréciée. J’observe d’ailleurs que « Les choses humaines » ont également une conclusion navrante.



Oublions le dernier chapitre et reconnaissons que « La décision » est incontestablement l’un des meilleurs romans 2022 et que Karine Tuil rejoint ainsi Salman Rushdie et Michel Houellebecq en première ligne des lanceurs d’alerte qui dénoncent l’obscurantisme et la barbarie islamique.



Un livre à diffuser largement donc.
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Six mois, six jours

« Quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende » cette fameuse phrase de John Ford (L’homme qui tua Liberty Valance) a probablement inspiré Karine Tuil pour cette intrigue bâtie sur le chantage exercé par un gigolo Suisse Helg Sgarbi sur Susanne Klatten, petite fille de Günther et fille de Herbert Quandt, la famille qui possède la griffe de prêt à porter Hugo Boss, les piles VARTA et le constructeur automobile BMW.



Scandale concomitant avec la sortie du film « Le silence des Quandt » (2007) qui montre des milliers de prisonniers asservis dans l'usine d'accumulateurs des Quandt à Hanovre-Stöcken et logés dans une annexe du camp de concentration de Neuengamme.



« Au camp de Stöcken, on meurt en six mois » plaisantaient les SS. La toquade de Susanne alias « Juliana » dure « Six mois, six jours » dans ces pages où la romancière prend la liberté d’imaginer que le séducteur serait en réalité Arno Heilbronn, fils d’un déporté juif supplicié à Stöcken, voulant se venger ?



Le grand-père Günther est connu des historiens pour son mariage avec Magda (dont il eu un fils Harald) qui épousa par la suite Joseph Goebbels. Mariage qui contribua largement à la fortune familliale …



Magda fut élevée par un marchand juif Richard Friedländer, qui lui donna son nom. Tache terrible sous le régime nazi que Joseph et Magda Goebels s’employèrent à faire disparaître … au camp de Buchenwald. « Le Führer le veut ainsi et Joseph doit obéir». Tragédie monstrueuse rappelée par Sébastien Spitzer dans « Ces rêves qu’on piétine ».



En conclusion, que le lecteur n’espère pas croiser un seul personnage sympathique dans cette confession haletante, sinueuse, compliquée parfois, de Karl Fritz, l’ex homme de confiance de la famille la plus fortunée d’Allemagne.



Il y découvrira l’émouvante contribution au devoir de mémoire d’une romancière sincère et talentueuse.
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L'insouciance

Romain est soldat, il revient d'Afghanistan meurtri et tombe amoureux de Marion, jeune journaliste mariée à un riche entrepreneur. Piégé dans un scandale politico-médiatique, ce dernier sera soutenu par Osman, conseiller à l'Elysée, ayant gravi les marches du pouvoir après avoir été animateur social en banlieue.

Le nouveau roman de Karine Tuil est une plongée dans notre 21ème siècle. L’auteure s’empare des questions qui bousculent et questionnent le monde d'aujourd'hui et la société française en particulier : la guerre contre le terrorisme, la montée de l’antisémitisme, les réseaux sociaux, l’intégration, l’Islam radical.

Karine Tuil aborde avec maestria des sujets douloureux, les malaxe avec talent et s’en sert avec brio. Pour un bon moment de lecture, elle concocte finalement un livre original et dense, écrit avec engagement et fermeté !

J’ai eu un grand plaisir à retrouver Karine Tuil qui m’a procuré mon premier coup de cœur de cette rentrée littéraire.



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Kaddish pour un amour

Ce premier recueil de poésie de Karine Tuil est de toute beauté...



Qu'est-ce que le kaddish? C'est une prière de deuil pour les juifs. Une façon de célébrer le nom divin.

Ici, c'est une femme quittée qui écrit son - kaddish pour un amour. Elle crie son amour fou pour celui qui est parti, elle décrit le manque, le besoin absolu, l'espoir fou du retour. C'est divinement beau. Je vous livre plus bas quelques extrais de ce recueil hébraïque.



Géographie du chagrin

****

Je parcours une terre humide de larmes

Je savais qu'il y aurait une fin

Tu disais: je t'aime pour l'éternité



Je me retire du monde

Je savais qu'il y aurait un départ

Tu disais: je ne suis bien qu'avec toi



J'habitais ton corps

Je savais qu'il y aurait une rupture

Tu disais: je serai toujours près de toi



Je vis dans un désert

Je savais qu'il y aurait un retrait

Tu disais : je n'ai jamais aimé que toi



Pars et ne reviens plus

Car Tu as trahi la Parole





Saint des saints

****

Tu auras été :

Le vœu qui meurt

La promesse qui s'éteint

L'amour trahi

La violation du Saint des saints





Le vrai et le faux

****

Il y avait la mort entre nous

Le sang et les larmes

Tu disais: tu as illuminé ma vie

Ne t'éloigne pas de moi



Il y avait l'épreuve

Le mensonge et les armes

Je répétais: Sois vrai

Ta vérité n'est pas la mienne



Tu disais: tu es ma vie

C'est toi que j'aime

C'était l'amour

Que tu aimais



Qui peut savoir

Ce qui est vrai ou faux

Durable ou éphémère

Qui sait



Si l'amour durera

Personne ne connaît

L'heure de sa mort

Mais du Mont des oliviers

Où il inhumé

Dix hommes récitent le kaddish

Auquel je réponds

Car j'ai été aimée

Et je t'ai aimé





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Les choses humaines

« Toute sa vie durant, elle n'avait fait qu'agir en contradiction avec les valeurs qu'elle prétendait publiquement défendre. C'était ça, la violence : le mensonge - une représentation falsifiée de son existence. Le déni : la voie qu'elle avait substituée au réel pour pouvoir le supporter. ».



Claire Davis-Farel incarne ainsi l’adage de Paul Bourget dans « Le démon de midi » « Il faut vivre comme on pense, sinon tôt ou tard on finit par penser comme on a vécu ».



« Le territoire de la violence » que démasque Karine Tuil ce sont les affaires de moeurs, de corruption, de drogue, de règlements de comptes qui sont le quotidien de Johnny, alias Jean Farel, de Léo son frère et porte flingue, de Yasmina Vasseur et Ballard.



Ce sont les réseaux sociaux qui véhiculent exhibitionnisme et raclures, les médias qui sombrent dans le voyeurisme et se dotent d’une façade morale en laissant des essayistes prêcher des discours éthiques déconnectés de leur vie personnelle. Un milieu qui sombre de l’immoral vers l’amoral et qui, par son pouvoir médiatique, conduit notre pays au naufrage ; un milieu où les parents n’ont pas le temps d’éduquer leurs enfants et en font des violeurs.



Le contraste avec la rigueur des policiers, des magistrats, est saisissant et la deuxième partie du roman, en dévoilant les rouages d’un procès en cour d’assises, évoque les scénarios de John Grisham et m’a passionnée.



Mais la chute de ce roman est vraiment désolante et lamentable car, à l’inverse d’un Grisham qui montre souvent les criminels se repentir et entrer dans les voies de la rédemption, le violeur devient ici proxénète et lance Loving un site de rencontres tarifées !



Que les lycéens aient élu ce roman « Goncourt 2019 » laisse perplexe s’ils considèrent Alexandre Farel comme un modèle ?



Ce livre est un page turner passionnant, avec une intrigue inspirée de l’actualité, dans un milieu que la romancière connait manifestement fort bien, gâché par quelques énormités du style « Passé 50 ans, les femmes sont transparentes », des acteurs tous plus antipathiques les uns que les autres à l’exception notable de Claude.



Claude, le chien de Françoise, est attentif, affectueux, dévoué, désintéressé, fidèle … l’opposé de ce que « les choses humaines » illustrent.



PS : mon ressenti de "Six mois, six jours"
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Les choses humaines

En apparence, les Farel forment un couple on ne peut plus glamour, envié presque, à qui tout semble réussir. Jean est un célèbre journaliste politique, animateur et producteur de son émission. Alors en pleine gloire médiatique, et après son divorce, il épouse Claire, de 27 ans sa cadette. Si elle a renoncé à une carrière dans l'administration américaine, elle est aujourd'hui reconnue dans le monde littéraire pour avoir écrit des essais et des articles féministes. Si, au fil des ans, leur couple a perdu de son sens, lui menant une double vie avec Françoise depuis 18 ans, elle ayant rencontré Adam, un professeur de français, ils sont restés liés grâce à leur fils, Alexandre. À 21 ans, après Polytechnique, il est aujourd'hui étudiant à Stanford, en Californie, et est promu à un bel avenir. Si Claire décide de quitter Jean pour vivre pleinement sa relation avec Adam, c'est un tout autre drame qui va bientôt faire vaciller ce fragile équilibre familial...



« Les choses humaines » est un roman fort et poignant, à l'ère du mouvement #MeToo. Pendant plus de 150 pages, Karine Tuil prend le temps de nous présenter les différents protagonistes, aussi bien sur le plan personnel que professionnel. Et l'on se délecte de ce tableau qui peu à peu perd de ses couleurs et se craquelle. Jusqu'au point de rupture où tout va basculer. Dès lors, l'auteure nous entraine dans le rouages de la justice et dépeint, avec force et fracas, combien ce drame va bouleverser toute la famille Farel. Avec habileté mais aussi impartialité, elle énonce les faits tels quels et ce sera au lecteur de parfaire son opinion. Ce roman prenant, diabolique, déstabilisant parfois, et parfaitement maîtrisé aborde aussi bien l'univers médiatique, la famille, la sexualité, la notion de consentement, la domination masculine que les travers de notre société.

Un roman passionnant et tragique...



À noter que ce roman a été adapté au cinéma par Yvan Attal...

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La Décision

Un peu déçue je dois l’avouer, alors que le sujet était très intéressant : la vie d’Alma Revel, juge anti-terroriste.

À travers l’histoire de l’arrestation à son retour en France d’un jeune couple parti en Syrie, le lecteur apprend beaucoup de choses sur les procédures, le quotidien des juges, les techniques de négociation avec les terroristes, ...

Le traitement m’a moins emballé : le ton est sans empathie, fortement journalistique. Il m’a manqué de l’émotion, je suis restée très à distance, et je ne me suis pas attachée aux personnages.

Les interrogatoires s’ils sont intéressants au début, ont fini par me lasser, il y a beaucoup de redites. La fin ne m’a pas convaincue non plus ; j’ai retrouvé un travers du livre L’embuscade d’Émilie Guillaumin, avec un rebondissement qui ne m’a pas paru crédible, d’autant que j’ai trouvé qu’il n’apportait rien à l’histoire, si ce n’est d’essayer de fournir la dose d’émotion qui manque tant… Mais l’objectif n’a pas été atteint en ce qui me concerne, et a plutôt eu l’effet de m’agacer tant la ficelle était grosse.

J’ai également trouvé les trois derniers chapitres superflus, j’aurais préféré que le livre s’arrête page 284. Le chapitre 16 fait penser à un clin d’œil à l’Anomalie, je n’ai pas compris ce que ça venait faire là. Le dernier chapitre clôt le livre sur une fin un peu mièvre à mon goût, dissonante …

Un livre enrichissant sur le fond, mais qui ne m’a pas convaincue par sa forme. Je lirai plus tard Les choses humaines de cette auteure, qui a suscité beaucoup d’enthousiasme, j’espère être plus séduite la prochaine fois.

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