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Critiques de Marcel Proust (1050)
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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Lire la Recherche du Temps Perdu, c'est une aventure dont on ne sort pas indemne. Une auberge espagnole où chacun trouve ce qu'il cherche, mais aussi, et c'est fabuleux, ce qu'il ne cherchait pas, voire ce qu'il ne savait pas qu'il cherchait.

Alors oui, au début il faut aimer le style, les phrases un peu longues qui dépassent les « sujet-verbe-complément » que nos instituteurs nous ont enseigné. Mais c'est comme regarder un film en version originale sous-titrée dont on ne comprend pas du tout la langue. Au début, il faut un peu s'accrocher, puis très vite on est dedans, on y est plongé et on s'y sent bien. Et tout devient tellement clair et lumineux qu'on ne comprend même plus les difficultés qu'on a ressenties au début de notre lecture.

Lire la Recherche c'est s'accorder le droit de déguster chaque jour une gourmandise qui va nous procurer du bonheur jusqu'à la gourmandise que nous lirons le lendemain. Et comme dans toute gourmandise, l'accoutumance arrive vite et la lecture devient addictive. Dès lors on ne peut plus sortir sans avoir « sa Recherche » dans son sac à dos, sac à main.

Alors oui, lire la Recherche c'est ne pas rougir de sa gourmandise et de son addiction.

Lire la Recherche c'est rencontrer un nombre incroyable de personnages et on peut s'y perdre un peu au début, au milieu et à la fin. Mais est-ce grave ? La multitude des personnages ne fait qu'ajouter plus de saveurs à la gourmandise que l'on déguste chaque jour.

Alors oui, lire la Recherche c'est accepter d'être un peu perdu dans ce foisonnement de personnages.

Lire la Recherche c'est se plonger dans une étude très fouillée de la société du début du vingtième siècle. Toutes les classes sociales, de la très haute bourgeoisie aux milieux les plus modestes sont là sous le plume de Marcel Proust. Une plume précise et acérée qui, par un luxe de détails nous plonge de manière tellement réaliste dans ces milieux. Une plume lucide et impitoyable qui dépeint les travers de tous ces mondes qui coexistent mais ne se mélangent pas.

Alors oui, lire la Recherche c'est accepter d'en apprendre plus sur les parents de nos parents et sans doute sur nous-mêmes.

Et j'y viens justement …

Lire la Recherche c'est s'immerger dans la psychologie et les réflexions très fines du fameux narrateur. Et par la magie de son écriture c'est comme si Marcel Proust nous tendait un miroir et nous conduisait à de multiples et profondes réflexion sur nous-même.

Alors oui, lire la Recherche cela peut être aussi accepter d'en apprendre davantage sur ce que l'on est, qui l'on est et pourquoi on s'est enfin décidé à se plonger dans la Recherche du Temps Perdu, notre Recherche du Temps Perdu …

Bonne lecture et bonne Recherche à toutes et tous !

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A la recherche du temps perdu, tome 5 : La ..



On connaît bien certaines vicissitudes traversées par ce monument littéraire unique dans son genre – son achèvement irrésolu, sa réécriture incessante, jusqu'au dernier soupir de son auteur, la quantité de notes éparses, plus ou moins (in)exploitables que ce dernier laissait derrière lui, certaines intégrées au fur et à mesure de ses rééditions, d'autres pas, ou diversement selon ses éditeurs, les révisions et corrections qu'il ne put mener à terme, les contresens restés en l'état, parfois sous forme de phrases hermétiques, sans objet ou sans lien apparent à un motif précédent, ou d'incohérences dans l'intrigue d'un épisode à l'autre, dans la chronologie de certains faits historiques évoqués, voire dans l'entrée ou sortie définitive de scène de quelques-uns de ses personnages – impairs, cependant, qui finiraient non seulement par contribuer à la mythologie

créée autour de l'oeuvre et retentir sur sa plurivocité, mais aussi par en répercuter et illustrer son thème central, le labile et incertain travail de reconstitution de la mémoire. Une oeuvre, donc, dont la genèse même et la logique présidant à sa construction sont en miroir avec son motif principal, à savoir, l'émergence mouvante, involontaire, parfois aléatoire de nos réminiscences, l'interminable «relecture» de notre passé qui en découle, conduite par une mémoire défectible et indissociable de nos affects variables, de nos sensations fugitives, de notre imagination fluctuante. Une oeuvre à l'architecture incomparable, fascinante, dont la radicalité ne peut que subjuguer ou rebuter, et que certains de ses plus fidèles admirateurs (parmi lesquels je me situerais volontiers), quitte à passer pour des «snobs» de premier ordre aux yeux d'autres lecteurs, ses non moins honorables détracteurs, n'hésiteront pas à considérer comme l'un des plus grands chefs-d'oeuvre, sinon le plus grand de tous ceux ayant vu le jour au cours du XXe siècle.



Ce cinquième volume de «La Recherche», quintessence absolue du roman psychologique moderne, analyse magistrale du flux subjectif produit par le pathos amoureux, en est emblématique. Il fut légué par un Proust à bout de forces, dictant, pratiquement jusqu'à la veille de sa mort, additions et corrections au texte de celui des trois derniers tomes de «La Recherche» publiés à titre posthume auquel, confiait-il à son éditeur peu de temps avant de mourir, il s'était «acharné au détriment des deux autres».



La Prisonnière soumet à l'appréciation du lecteur une exploration anatomique minutieuse -«sous le microscope de la réalité»- (Vladimir Nabokov, je vous demande de sortir d'une fois pour toutes de mes billets!!) d'une jalousie amoureuse à un stade tumoral très avancé, en même temps qu'un précis détaillé de stratégie martiale sur la carte du tendre, lorsque la possession intégrale de la cible amoureuse s'étant avérée impossible, les combattants se voient obligés de se rabattre sur des tactiques stériles d'assaut et de repli, ou dans le meilleur des cas, à pratiquer une politique diplomatique de la «paix armée»…



Amour domination, amour abdication, amour dévotion, amour prison…Pour le Narrateur, l'amour, synonyme de possession physique et morale de son objet, serait fatalement -ainsi que le chantait notre inoubliable «Gainsbarde»- «sans issue».



«Instants doux, gais, innocents en apparence et où s'accumule pourtant la possibilité du désastre ; ce qui fait de la vie amoureuse la plus contrastée de toutes, celle où la pluie imprévisible de soufre et de poix tombe après les moments les plus riants, et où ensuite, sans avoir le courage de tirer la leçon du malheur, nous rebâtissons immédiatement sur les flancs du cratère d'où ne pourra sortir que la catastrophe.»



Sans issue également, dans le décor de l'appartement familial parisien, providentiellement vacant à ce moment-là, le huis-clos dans lequel sa jalousie l'aura séquestré en même temps qu'Albertine, tous les deux bientôt prisonniers d'une dialectique du maître et de l'esclave qui leur permettra de jouer, l'un vis-à-vis de l'autre, et sans doute par moments de «jouir» aussi, tour à tour, du rôle de geôlier ou de captif.

Suite amoureuse composée de mouvements dissonants, alternés, contradictoires, faite de battements arythmiques d'une anxiété douloureuse éveillée par les ruminations du Narrateur, lorsqu'Albertine lui semblait vouloir songer à sa libération prochaine, ou tout au moins à se soustraire momentanément à sa surveillance pour s'adonner à des plaisirs coupables dont il était exclu, se succédant à d'autres cadences plus douces, intermèdes bienheureux où une certaine harmonie semblait envisageable entre eux, mais au cours desquels, ayant été rapprivoisée et redevenue docile, Albertine se ferait au fur et à mesure moins désirer, et délaisser par son amant, paraissant bientôt aux yeux de ce dernier vouloir de nouveau concocter en sourdine les premiers accords d'une nouvelle fugue…



Recherche d'un bonheur impossible, appuyée sur une mécanique endiablée, paradoxale, qui tout en cherchant à posséder l'autre, «ne subsiste que si une partie reste à conquérir». Désir d'un désir absolu, fidèle, inconditionnel, mais qui se nourrirait pourtant davantage des dérobades d'un lièvre qui ne se laisserait pas complètement courir, que d'une proie prête à se laisser dévorer… Désir glissant, se défilant, s'ajournant et se déplaçant de ce qui a été acquis vers l'inconnu, vers ce qu'on ne possède pas encore, ou vers quelque chose d'autre -tout court-, vers par exemple «de belles femmes de chambre », un voyage tout seul à Venise ou cette tranquillité d'esprit nécessaire, chez soi, pour se mettre enfin au travail...Cercle vicieux, enfin, risquant de condamner les amants, à perpétuité, à un jeu de dupes, sans issue encore une fois, ronde infernale et quotidienne faite d'escamotages, petits mensonges, non-dits et faux-semblants.



C'est ainsi, par exemple, qu'invitée par les Verdurin à une réception à laquelle, tel que le Narrateur l'apprendrait entretemps par hasard, son ancienne amie gomorrhéenne Mlle Vinteuil devait aussi se présenter, Albertine, d'après lui, rusait en lui disant qu'elle n'avait aucune envie d'y aller, ainsi que lui-même, lorsque de son côté, terrifié à l'idée qu'Albertine soit en train de céder à des tentations saphiques qu'elle lui cache, il trouverait le jour venu tous les prétextes imaginables pour qu'elle reste auprès de lui, mais, une fois endormie, n'hésiterait pas à s'y rendre lui-même afin de pouvoir enquêter sur place sur son passé à elle et confirmer éventuellement ses soupçons à lui!



La Prisonnière fut l'un des épisodes de «La Recherche» que j'ai le mieux appréciés cette fois - sinon mon préféré, du moins jusqu'ici...

À cette temporalité particulière, «labyrinthique », à laquelle le Narrateur répondait depuis le début de ses réminiscences, depuis Combray, à l'observation détaillée de l'infiniment petit dans son monde intérieur et à la dissection de ce qui constitue le noyau dur de sa subjectivité - plus que jamais présentes dans ce volume et portées ici, à mon avis, à un niveau jamais atteint auparavant par le roman psychologique- , viennent en outre s'y rajouter une forme de resserrement thématique inédit (la jalousie obsessionnelle du narrateur), ou en tout cas beaucoup plus important que dans les tomes précédents, dans lesquels l'auteur nous avait habitués à force digressions, ramifications et récits subsidiaires ; assez inouïe, enfin, la linéarité présente autant dans la chronologie de la narration (le récit se compose de séries de journées regroupées, à quelques mois d'intervalle, suivant les saisons de cette toute dernière année vécue ensemble par les amants), ainsi que dans l'enchaînement logique conduisant de l'emprisonnement d'Albertine, au retour de Balbec, jusqu'à son évasion spectaculaire à la fin du roman.



Mais ce qui paraît surtout prodigieux, c'est que, loin d'y être revenu à des règles plus classiques de narration littéraire -unité de lieu (l'appartement du Narrateur), unité d'action et de « péril » (la surveillance stricte des faits et gestes de sa maîtresse) et unité de temps- comme l'on pourrait supposer à tort, Proust pose ici un décor et un cadre en apparence mieux repérables, mais en trompe l'oeil, afin justement de mieux pouvoir se détacher des codes consacrés du roman réaliste !



Gammes sublimes autour d'un thème unique, narration plus que jamais évanescente, générant au passage d'impressionnantes torsades temporelles, outre les ratiocinations en boucle du Narrateur, le lecteur n'aura quasiment rien d'autre de concret à se mettre sous la dent ! Toute l'action se tient dans une suspension parfaite, ce jusqu'aux tout derniers paragraphes du roman.



Moins soucieux que jamais d'une conformité à une réalité romanesque matériellement objectivable, aucune contextualisation de l'intrigue ne semble non plus indispensable (pas la moindre indication, par exemple, des raisons qui justifieraient une aussi longue absence de la famille du Narrateur de l'appartement à Paris, ni d'où serait passée entretemps la tante d'Albertine, Mme Bontemps, sans parler de bien d'autres…?).

Aussi, de la seule scène tout à fait «extérieure», et à l'appartement, et à ce qui s'y passait en huis-clos, la fameuse soirée chez les Verdurin, mise à part la description détaillée de la brouille entre Monsieur de Charlus et ces derniers, on retiendra avant tout le long monologue suscité par l'écoute du Septuor de Vinteuil joué ce soir-là, apaisant momentanément le Narrateur et l'amenant à conclure que «l'art n'est peut-être pas aussi irréel que la vie».





C'est peut-être aussi parce que tous les cours d'eaux sinueux provenant de sources en apparence éloignées les unes de autres ayant alimenté La Recherche du Temps Perdu, se rejoignent à partir d'ici sur un lit unique, encore plus profond et de plus en plus immatériel, là où cessant de vouloir faire la part entre réalité extérieure et intérieure, à l'embouchure proche du temps retrouvé, l'on espère enfin ne plus avoir à redouter que dans notre vie «le passé ne se réalise pour nous qu'après l'avenir», nous égarant alors en d'inextricables regrets et en ressassements inutiles, mais que, «conservé depuis longtemps en nous, nous apprenions tout d'un coup à le lire».





...



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Du côté de chez Swann - Combray : Premières épreuves

Après avoir repoussé cette lecture depuis des années, j’ai enfin lu le premier tome.



Je n’éprouve aucune fierté à l’avoir terminé parce que je voulais aimer Proust. Je voulais plonger dans cette lecture, qu’elle devienne l’aventure d’une vie, qu’elle me marque, me bouleverse. Je ne voulais pas m’ennuyer, me perdre dans les digressions, ne ressentir qu’une vague admiration. Je voulais faire partie des admirateurs, des fanatiques, de ceux qui te conjurent de lire toute La Recherche. Je voulais avoir les yeux qui brillent et le cœur qui tape. Mais rien. Absolument rien. De l’ennui, du néant, du vide, des pages qui se tournent sans conviction, une envie de tout arrêter… un rendez-vous manqué.



@lecturesauhasard
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A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Que dire de cette lecture qui n'a déjà été écrite ? J'ai longtemps pensé que Proust était inaccessible car beaucoup de lecteurs de cet auteur ont fait perdurer cette légende.



Certes, cette lecture est exigeante et demande de la concentration. Mais quel style ! Les personnages sont croqués avec parfois de l'humour. J'ai parfois ri car le narrateur lui-même se moque de lui.



Les aubépines qu'adorent le narrateur, les personnages dont la tante Léonie ou Françoise la domestique, Swann et Odette sans parler de Melle Swann dont croit tomber amoureux le narrateur qui souhaite la retrouver toujours et encore dans le jardin proche des Champs Élysées. Le côté de Guermantes etc...j'ai pris mon temps et je le prendrai encore en intercalant les 7 tomes d'autres lectures mais je suis conquise.



J'en veux un peu à celles et ceux qui nous disent et écrivent que Proust est compliqué voire illisible. C'est juste magnifique
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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Ah non mais là c'est définitif: je déteste Proust. J'avais déjà beaucoup souffert à la lecture du Côté chez Swann mais je m'étais dit qu'en grandissant, le narrateur Marcel allait être plus intéressant. J'avais également envie de faire la connaissance du Baron de Charlus et d'Albertine mais cela n'a pas suffit à me faire apprécier cette... oeuvre. Je ne sais pas par où commencer tant tout m'a ulcerée:

- l'écriture: la purge absolue, le championnat du monde du cumul de subordonnées dont la vanité n'a d'égal que l'inéficience. A force de méandres, de chemins de traverses et de circonvolutions autour de son nombril, le narrateur m'a perdue et mise dans un état de nerfs semblable à celui que nous pouvons éprouver lorsque nous sommes perdus dans un échangeur autoroutier alors que nous avons un rendez-vous importantissime dans 5 mn.

- l'histoire: il n'y en a pas. Plus de 600 pages pour dire que Marcel quitte Gilberte Swann (dont il est encore amoureux) puis qu'il va en vacances à Balbec où il rencontre Albertine et Andrée. Sérieusement, c'est tout. Il ne se passe rien d'autre ! Le seul et unique moment intéressant c'est, à la fin, quand on se demande si notre Jean-Claude Duss de Balbec va conclure.

- Je ne COMPRENDS absolument pas de quoi il est question ni quels sont les enjeux: le narrateur Marcel passe tout son temps à décrire ses émotions mais, en réalité, on ne sait pas grand chose de lui. Bon sang, mais quel âge a-t-il ?! Par quel cheminement Swann a-t-il fini par épouser Odette ? Qu'en pensent les parents de Marcel ? D'ailleurs, à quelle classe sociale appartiennent-ils vraiment ? Si vous, vous avez compris, éclairez-moi.

- Le narrateur... mon Dieu, je le hais! Ce petit souffreteux débile, égoïste et hédoniste, j'ai envie de le gifler jusqu'à m'en faire une tendinite. Peut-on être à ce point insupportable de niaiserie, de pédanterie, de duplicité ? Mais quelle femme aurait envie d'un mec qui soit obligé de faire la sieste le matin, pour calmer ses nerfs alors qu'il est en vacances ? Si ce Marcel est vraiment le double de Proust, je méprise Proust. Quand je pense que des jeunes hommes de son âge travaillaient à la mine ou à l'usine puis sont morts dans les tranchées pendant que monsieur écrivait 50 pages sur un putain de buisson d'aubépine !

Je ne sais pas pourquoi je le suis infligée ça. Par snobisme sans doute, pour pouvoir dire "J'ai lu la Recherche; quelle merveille que le récit de ces réminiscences." Je ne lirai pas "La Recherche" car j'arrête là. J'ai trouvé le temps perdu: c'est celui que j'ai passé à lire Proust.
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À la recherche du temps perdu, tome 3 : Le ..

Et voilà j'ai attaqué le tome 3 de la Recherche du temps perdu.



Cette fois l'auteur a déménagé. le roman commence sur les ressentis de Françoise qui découvre ce nouvel environnement. Et si Proust se moque de Françoise, le narrateur ne sort pas grandit de certaines remarques. Une histoire d'arbres et de foret...



Ce narrateur maladif va tomber en pamoison devant la duchesse de Guermantes et tout faire pour l'approcher le plus possible. Tous les moyens sont bons. Pour se faire il va se rapprocher de Saint Loup et nous livre un portrait de la vie de garnison en province et des réflexion sur l'affaire Dreyfus qui sont fort révélatrices de l'époque. Voici pour la première partie.



Dans la seconde partie, le héros est de retour à Paris et nous présente la vie des salons. Je reviendrai quand j'aurai avancé dans ma lecture / écoute. Car Proust, après le premier tome, est devenu une lecture audio. Les verbes au passé simple et les longues, très longues descriptions siéent à merveille à une lecture audio.



Ma lecture / écoute du troisième tome de la Recherche du temps perdu est achevée depuis quelques jours. J'ai perçu dans ce tome l'intérêt intemporel que présente cette œuvre. Car si elle se situe fin 19eme (affaire Dreyfus), certaines réflexion sur la fausseté, l'hypocrisie, la valeur donnée à certains éléments du monde (ici le rang dans l'aristocratie, aujourd'hui le niveau du compte en banque / la notoriété...) se retrouve de tout temps.



La grand mère du narrateur décède et en parallèle l'amour / admiration du narrateur pour la comtesse de Guermantes se transforme en étude sociologique / psychologique. Cette soi disant grande dame et son cercle se révèlent être une vraie peste et pas aussi fine qu'elle ne le pense. Le narrateur, qui a tout fait pour être présenté, va arriver à ses fins.



Le narrateur découvre que la compagnie de ces personnes, ne sont nobles que par leurs titres et non pas par leurs pensées, actions... Si la litanie de titres nobiliaires fait l'enchantement du narrateur, en ce qui me concerne, ils m'ont paru très longs... J'avais compris la démonstration de la façon de percevoir L Histoire à travers des alliances... pas besoin de mettre autant d'exemples...



La narration du décès du cousin, de la réception avec la maitresse reçue par la femme, les discussions avec la Princesse de Parme, la position du diplomate qui ne veut pas user de son vote pour faire entrer le père du narrateur à l'Académie mais le fera pour un allemand qui lui offre la possibilité de côtoyer quelqu'un... tout cela démontre la petitesse de ce monde que le narrateur se présentait comme tellement au dessus du reste.



Enfin les derniers chapitre avec un noble n'assumant pas son homosexualité et le comte comparant une indigestion avec une annonce d'une maladie incurable est à l'avenant de cette superficialité où le paraitre importe tellement plus que l'être...



Cela m'a donné envie de connaitre la suite. Et je lirai /écouterai donc le tome 4 en 2024.







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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Il paraît que le silence qui suit la musique de Mozart est encore du Mozart, qu’en est-il des idées qui suivent la lecture de Proust, sont-elles encore du Proust ?

La première phrase que l'on écrit après sa lecture développe-t-elle sa longueur, ses parenthèses ou tirets, ses imparfaits du subjonctif dont on ne se départit que progressivement ?

Pas sûr…

Ma première réflexion : “Que c’est serré au fond… de ce livre!”

Bon, c’est pas du Proust, cette phrase !

A moins que cela en fût et que je ne le susse point !



Comme l’a suggéré Gilles Deleuze dans “Proust et les signes” : “ce roman peut être lu comme une entreprise sémiologique de déchiffrements des signes”, et paf, voilà qui compense Patrick Sébastien !



Le texte est si étiré que, parfois, ahanant comme à vélo sans assistance électrique dans une côte, sans autre ambition que de me hisser à son sommet et tellement satisfait d'avoir vaincu cette épreuve, à l’arrivée, la quintessence du propos m'est apparue superfétatoire tant elle était réduite.

Mince, me voici contaminé, j’cause comme Marcel !

Car Proust sait cependant nous imprégner de son style comme d’un accent que l’on prendrait après des discussions avec les autochtones de certaines régions visitées.



Comme à son habitude, l’auteur joue de l’autobiographie déguisée.

Le narrateur hésite et renonce à faire de la littérature son métier. Sa santé est si délicate qu’aller au théâtre pourrait lui être préjudiciable.

C’est un jeu de masques dont nous ne sommes pas dupes tant les réflexions sur la littérature, la mémoire et le temps qui passe sont inimitables.



Dans certains cours de photographie, on vous demande de réaliser une prise de vue dans votre environnement immédiat.

L’exercice consiste à réaliser un cliché sans vous déplacer et apprendre ainsi à “voir” et transcender la réalité immédiate. Je pense souvent à cela en lisant Proust, son univers est si réduit, si confiné à un cercle restreint autour de lui qu’il doit développer son regard, son imagination pour sublimer ce qui, au demeurant, n'est que banalités.

Et pourtant cette lecture donne alors le sentiment d’une puissance telle que même une relecture ne permet pas d’affirmer une appréhension totale, laissant une impression d’inachevé, d’un flirt littéraire qui laisserait l’intuition évanescente d’un reste de sens immaîtrisé.



Je l’ai fait, j’ai fait mon GR20 de la littérature comme une escalade, car parfois on s’embarque dans une phrase avec l’envie qu'elle finisse, au risque de perdre le sens qu’on avait aperçu au début.

J’avoue que, de temps en temps, j'ai renoncé à me battre avec la compréhension de certaines phrases ! Il m’a fallu pourtant aller jusqu’au bout de l’ouvrage pour savoir si les jeunes filles étaient en fleurs !



Avec les romans de Proust, vous pouvez cependant prendre votre temps, avancer à petits pas, revenir en arrière, vous ne vous perdrez pas dans son histoire qui avance à un rythme languissant, mais c’est avec plaisir que vous retrouverez toujours épisodiquement ce cher Marcel après des lectures plus actuelles.



Il y a quelque chose d’incomparable à ce style et à cette pensée délicate, en dentelle, qui permet d’emmener n’importe lequel des sept volumes de la ”Recherche” sur une île déserte pour pouvoir le relire, savourer cette écriture et trouver un nouveau sens sur lequel on serait passé un peu trop vite.

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A la recherche du temps perdu, tome 7 : Le ..

Dans ce tome, Proust conclut magistralement son exploration de la mémoire, du temps et de la société. Le récit est dense et complexe, avec une profondeur psychologique qui caractérise toute l'œuvre. Proust utilise une prose riche et poétique pour décrire les pensées et les émotions des personnages, créant ainsi une atmosphère immersive.



"Le Temps retrouvé" est également marqué par une réflexion sur l'art et la littérature. Proust explore les thèmes de la création artistique, de la perception esthétique et de la relation entre l'art et la réalité. Ces réflexions ajoutent une dimension intellectuelle à l'œuvre et incitent le lecteur à réfléchir sur sa propre expérience de la vie et de l'art.
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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Mais qu'il est fort ce Proust !

Il a su retenir toute mon attention puisque je l'ai lu (à voix haute) , en binôme avec RChris, et malgré ses phrases longues ... longues ... longues ,

où, il parle de lui, sans parler de lui,



et, où, l'on doit reprendre son souffle bien souvent, ses "élucubrations" sur tout et pour tout, où il s'interroge sur les mystères de la gente féminine, pour qui, il n'a pourtant aucune accointance physique ? sensuelle ? amoureuse ? ; juste une curiosité de "petit garçon" monté en graines, plus attiré par la féminité que par la femme.



Et s'agit il, bien là, d'amour courtois ?

Ou, un brouillon sur cet amour dont il fait grand cas et tient à nous en persuader ...

Il a l'amour-papillon cet homme là, et son choix se porte sur celle qui le regarde un peu trop, ou chez laquelle, il croit déceler un semblant d'intérêt pour sa personne, ou bien une jolie nuque, une silhouette évanescente, tout comme le sont ses sentiments.



- Parenthèse -

Sa journée commençait l'après-midi !

Il boutonnait son habit de soirée pour "aller dans le monde",

difficile de se faire admettre dans le cercle des gens cultivés.



Malraux, péremptoire disait que Proust était fini :

"Pour Proust, en somme, "la journée" qui fut interminable se prolonge.

Il endosse son habit d'éternité pour montrer enfin son vrai visage où se dessine un sourire voltairien". -



Que me restera t'il de cette lecture ?

Lecture qui au premier abord pouvait paraître fastidieuse, et curieusement, il n'en a rien été, il m'a emmené doucement par la main et suis arrivée à bon port !



Mais ne pas réduire cela à un roman-photo !

Heureuse lecture, partagée, qui m'a permis de ne pas rester en cale sèche.



Là, où un souffle d'air éparpillera tous ses mots, ses phrases comme autant de plumes végétales infléchies par le vent, telles les sphères évanescentes des fleurs de pissenlits,



Ce fût un parachute Proustien, un ovni en forme d'aigrettes qui se rappelleront à moi de temps à autre.



Ma Madeleine, en somme !

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A la recherche du temps perdu, tome 4 : Sod..



Au moment où paraissait «Le Côté des Guermantes I», s'adressant à un critique du journal le «Temps», Proust écrivait:

«C'est encore un livre «convenable». Après celui-là, cela va se gâter sans qu'il y ait de ma faute. Mes personnages ne tournent pas bien ; je suis obligé de les suivre là où me mène leur défaut ou leur vice aggravé».



À une époque, en effet, où il n'était pas de bon ton d'aborder ouvertement la question homosexuelle, où le «vice» odieux pratiqué par les «invertis» était considéré comme hautement répréhensible, non seulement d'un point de vue moral mais, dans certains cas, par la loi aussi – pensons un instant au malheur qui s'était abattu, par exemple, sur ce cher Oscar Wilde quelques années auparavant (et n'oublions tout de même pas qu'en France il faudrait attendre 1982 pour que la toute dernière loi en la matière, définissant une majorité sexuelle différente entre les personnes homosexuelles et hétérosexuelles, soit finalement abrogée)-, le Narrateur, se livrant, dès la scène d'ouverture de «Sodome et Gomorrhe», à un exercice stylistique à hauts risques, lorsque, telle une Psyché ingénue découvrant un visage jusque-là impensable à Cupidon, ce dernier aurait l'occasion de suivre, au gémissement près, protégé derrière une cloison, les ébats sexuels entre le Baron de Charlus et Jupien, Proust savait très bien qu'il avait tout intérêt à préparer en amont les esprits pour la suite qu'il comptait donner à "Guermantes", en l'occurrence celui de Paul Souday, chroniqueur littéraire du «Temps» entretenant encore à cette époque un rapport ambivalent vis-à-vis de son oeuvre, et lequel d'ailleurs, tout en lui reconnaissant des qualités littéraires incontestables, lui reprochait à ce moment même un certain «esthétisme nerveux, un peu morbide, presque "féminin" (!). Voilà, se sera certainement écrié Proust, en le lisant, et en pensant à sa propre réputation à venir, le mot qu'il n'eût surtout pas fallu y rajouter!!!



Avec un minimum de recul, il aurait été aisé à un lecteur attentif, me semble-t-il, de constater que l'ombre de l'auteur ne s'était jamais auparavant laissé glisser et superposer à ce point à celle du Narrateur comme dans cette première partie de Sodome et Gomorrhe, en tout cas pas d'une manière aussi périlleuse -envahissante-délicate (comme l'aurait écrit, dans cet ordre d'adjectivation décroissant qui était sa «marque de fabrique», cette sympathique Mme de Cambremer)!

Sinon, comment expliquer que notre candide et curieux «Psyché» susnommé ait pu enchaîner quasiment sans transition la sidération provoquée par la scène dont il se remémore toujours abasourdi bien des années plus tard, par une dissertation aussi détaillée-prolifique-étendue - dans laquelle, pour l'anecdote, se trouve la phrase la plus longue de «La Recherche» : 931 mots -, dénonçant la condition moralement et existentiellement précaire des «invertis», le renoncement à leur nature profonde ou bien les ruses incroyables auxquels ils devaient s'astreindre en toutes circonstances pour cacher leur "vice" et se faire accepter en société, la pression morale et la violence omniprésentes subies au quotidien?

Car il s'agit bien, entre les lignes, d'un véritable plaidoyer contre l'intolérance et l'hypocrisie de la société française de l'époque envers cette «race des tantes» à laquelle, en revanche, dans les salons parisiens, lorsqu'elle concernait des gens «bien nés», on savait en partie fermer les yeux, comme c'était le cas vis-à-vis des frasques de Monsieur de Charlus, mais qu'on ne pouvait tout de même pas s'empêcher d'évoquer à mi-mots, sur le ton du reproche ou de la moquerie ; un plaidoyer qui cependant ne dit à aucun moment son nom, qui ne revendique rien au-delà de la réalité hideuse qu'il dépeint avec des traits d'une précision redoutable (mais qui sera hélas globalement mal-reçu et critiqué, y compris par une partie de la communauté homosexuelle de l'époque, à commencer par Gide lui-même!). Comment imputer exclusivement à la voix seule du Narrateur un discours traduisant sans ambages une telle connaissance intime du sujet qui aurait pu difficilement être forgée sans une réelle expérience vécue de l'intérieur? Certes, tout narrateur peut être omniscient, etc., etc., m'enfin...!!



Exercice de haute-voltige où Proust démontrera, encore une fois, à quel point il maîtrise l'art de la nuance qui lui permet de glisser imperceptiblement du plus particulier, du purement idiosyncratique à l'universel, de conduire son lecteur, sans trop le heurter, bien au-delà des jugements hâtifs que ce dernier pourrait d'emblée être naturellement tenté de porter sur les choses ou sur les gens, ou de ces préjugés sociaux qu'il dissèque sans concessions, mais en veillant à garder toujours un fond d'indulgence face à la diversité et aux faiblesses humaines, celle-là même qu'inspire l'idéal du Narrateur incarné par sa grand-mère «originale et fantasque», à qui il voue une admiration et un amour sans bornes.

Préférant ici, comme il le fait souvent par rapport à d'autres domaines et sujets qu'il développe, donner l'air de coller aux représentations de son époque, pour mieux pouvoir s'en départir ensuite, en montrant, par contraste, leur ridicule ou leur cruauté, l'auteur opte finalement pour le mot d'«inverti», après avoir, tel qu'il explique dans une lettre à un de ses correspondants, écarté le trop mordant «tante» utilisé auparavant par Balzac, et celui, de Krafft-Ebing, «homosexuel», à la neutralité germanique pas encore tout à fait intégrée dans le vocabulaire courant des Français.



Pour ce qui est du domaine de Gomorrhe, plus équivoque et mieux à l'abri des regards par rapport à une tendresse naturellement pratiquée et acceptée socialement entre les femmes, et surtout mieux toléré en principe, exalté même quelquefois, ou sublimé dans la littérature et la poésie du XIXe, ses adeptes étaient déjà représentées depuis le tout premier tome de «La Recherche», entre autres par la fille du compositeur Vinteuil, Mlle Vinteuil, et notamment dans le passé trouble d'Odette de Crécy qui abonderait entre autres les fantasmes d'une jalousie de plus en plus gourmande de la part de Swann, le même schéma se reproduisant à nouveau d'ailleurs, cette fois-ci entre le Narrateur et Albertine.



Mais, même si le Narrateur découvre, enfin, les exilés de «Sodome» (qu'il aura appris d'ailleurs, très, voire "trop" rapidement à reconnaître rien qu'à un certain type de regard qui leur serait propre, et qu'il voit désormais un peu partout !), même si la proximité de Charlus et de sa passion dévorante pour Morel lui permettent d'observer et d'analyser leurs jeux de séduction particuliers, et de même que si, d'un autre côté, lors de ce deuxième séjour prolongé sur la côté normande, la fréquentation progressive du salon parisien bourgeois -donc considéré de «seconde catégorie»- des Verdurin, transplanté temporairement à la Raspelière, à côté de Balbec, lui révèle qu'un certain mélange de genres atypique peut également se produire de temps en temps dans la société en général - au gré de situations extraordinaires ou des modes passagères-, il finit par conclure que tout bien considéré, d'un milieu à l'autre ou d'une «race» à l'autre, rien de fondamental ne change véritablement dans les attitudes des uns et des autres, ni en société, ni sur le plan, privé, des vicissitudes du coeur!

Force est d'admettre, écrit-il alors, philosophe, par le biais d'une de ces comparaisons que son style affectionne tant, que parfois on aura beau changer de pays, partir dans des contrées très éloignées et devoir se soumettre à un nouveau régime horaire, à un décalage important dans les heures de la journée, il n'en reste pas moins que celle-ci comptera toujours, partout, exactement le même nombre d'heures!!



Les tomes « Côté de Guermantes II » et «Sodome et Gomorrhe» sont par ailleurs souvent considérés comme témoignant de l'arrivée du Narrateur, non seulement dans l'âge adulte, mais aussi et surtout dans celui de la «perte de ses illusions», reprenant d'une certaine manière ici le schéma classique consacré par le grand roman d'apprentissage français du XIXe. C'est ainsi, par exemple, que l'épisode de la mort de la grand-mère, au début de «Guermantes II», est fréquemment épinglé par ses commentateurs comme une sorte de «marqueur» de ce passage en train de se concrétiser.



Pourtant, une telle ligne de partage des eaux, si tant est qu'il y ait une, serait-elle aussi évidente?



Ne pourrait-on pas, d'autre part, pourquoi pas, à la place de ces «illusions» qui, fussent-elles véritablement «perdues» pour lui, l'auraient été, me semble-t-il, depuis fort longtemps déjà, mettre plutôt l'accent sur cette autre notion, celle d'«intermittences» que Proust avait puisée chez Maurice Maeterlinck, lorsque dans son essai sur «L'Immortalité» ce dernier écrivait: «On dirait que les fonctions de cet organe par quoi nous goûtons la vie et la rapportons à nous-mêmes, sont intermittentes, et que la présence de notre moi, excepté dans la douleur, n'est qu'une suite perpétuelle de départs et de retours».



Quelle magnifique intuition, soit dit au passage, de la part d'un plus grands auteurs francophones du courant symboliste européen, et qui pourrait d'ailleurs donner toujours matière à réfléchir à ceux qui s'intéressent de nos jours à cette branche de la Neuropsychologie, de plus en plus étudiée depuis quelques années et connue sous l'appellation de «théorie de l'esprit».

Et quelle sublime métaphore aura-t-elle inspirée à Proust, développée ici plus particulièrement dans le sous-chapitre «Intermittences du Coeur -inséré dans partie II de « Sodome et Gomorrhe-, «intertitre» qui avait été même envisagé dans un premier temps, puis abandonné par l'auteur, comme titre général de son roman.



Dans ce passage, l'un des plus célèbres et émouvants de toute « La Recherche », se souvenant d'un épisode, quand, revenu à Balbec, le premier soir, seul dans la même chambre d'hôtel -contiguë à celle que sa grand-mère avait occupée lors de leur premier séjour ensemble dans la station normande -, et suite à un geste en apparence anodin (à l'instar de cette autre madeleine autrefois trempée dans le thé) réveillant involontairement, un an après son décès, toute la douleur que l'anesthésie de sa conscience n'arriverait dorénavant plus à oblitérer, le Narrateur, s'abandonnant aux larmes qu'il avait retenues depuis, laissant enfin ses sens ravivés «lameller sa chair», éprouvera, dans un «après-coup», mais en même temps comme pour la première fois, le sentiment que sa grand-mère était définitivement perdue et, du même coup, celui de ramener à lui «le moi qui le vécut» et qui s'était perdu.



«Le moi que j'étais alors et qui avait disparu si longtemps était de nouveau près de moi (…) Je n'étais plus que cet être qui cherchait à se réfugier dans les bras de sa grand-mère, à effacer les traces de ses peines en lui donnant des baisers, cet être que j'aurais tant de peine à me figurer, quand j'étais tel ou tel de ceux qui s'étaient succédé en moi depuis quelque temps, autant de difficulté que maintenant il m'eût fallu d'efforts, stériles d'ailleurs, pour ressentir les désirs et les joies de l'un de ceux que, pour un temps du moins, je n'étais plus.»



Dans un sens plus large, l'on pourrait également imaginer que ce sont ces mêmes "intermittences" , plutôt que de simples "illusions" passées, qui , par exemple, lui feront, au gré de ses cogitations et de l'émergence de souvenirs liés à Saint-Loup ou à Bloch, accorder ou pas une valeur aux liens d'amitié ; ou qui le conduiront à fuir ou à céder à son attrait récurrent pour les salons parisiens et l'univers aristocratique des Guermantes, considéré tour à tour comme vide de sens et ridicule, ou bien comme source précieuse d'inspiration à son travail d'écrivain, rattachée étroitement aux «noms» de son enfance - ou encore, à l'inverse, dans son goût immoderé pour une solitude dans laquelle il entrevoit par moments l'unique possibilité d'un havre assuré à son hypersensibilité imaginative, mais qui à d'autres le plonge, soit dans une grande agitation nerveuse, soit dans une permanente procrastination- ; ou, enfin et surtout, qui le font voir, coup sur coup, consumer puis rallumer son amour et son désir de possession vis-à-vis d'Albertine…





L'on peut avoir alors le sentiment que le motif, souvent invoqué donc, de la «perte d'illusions» le serait, sinon à tort, en tout cas insuffisant à rendre toute les subtilités mises en jeu dans la psychologie de son Narrateur, dont du reste une certaine part d'attente et d'innocence sembleraient malgré tout persister contre vents et marées, refusant à céder complètement la place à une attitude unilatérale, cynique – désabusée - désenchantée (Mme de Cambremer, sortez de ce billet !!). Un personnage, en outre, qui à travers ses réminiscences, essaie par tous les moyens à mettre son moi profond à l'abri de l'usure, de la déception et de l'amertume liées au passage du temps. Tout le contraire, on dirait, d'un désenchantement pur et simple!



Afin de combattre cette «perte d'illusions» qui, n'est-ce pas, passé un certain âge, nous guette tous, on pourrait enfin lancer l'hypothèse d'un autre mécanisme psychologique agissant chez lui, quasiment à l'opposé du premier, et qu'on nomme «délusion» en Psychologie. Sa manifestation la plus courante et facile à cerner, reste sans aucun doute celle de l'enfant qui, par exemple, pris en flagrant délit devant les restes mortels du vase en porcelaine de Chine qu'il vient de faire voler en éclats en essayant de grimper sur les étagères -et surtout devant le masque de colère de l'adulte alerté par le vacarme, déboulant dans salon-, répète impassible, contre toute évidence et en boucle : «C'est pas moi qui l'a cassé !!!» (sic).



Parfois synonyme de «délire» dans des manuels de Psychopathologie ou de Psychiatrie, la «délusion» correspond dans son sens premier à tout mouvement psychique assertif qui, face à une perception du réel vécue comme erronée ou en contradiction avec une autre représentation mentale à laquelle la conscience s'accroche malgre tout, finira par donner à cette dernière le sentiment d'une plus grande fiabilité et factualité à ses propres fonctions d'imagination qu'à la réalité elle-même : «Ceci n'est pas une pipe.»



«(…) mon sort était de ne poursuivre que des fantômes, des êtres dont la réalité pour une bonne part était dans mon imagination ; il y a des êtres en effet -et ç'avait été dès la jeunesse mon cas- pour qui tout ce qui a une valeur fixe, constatable par d'autres, la fortune, le succès, les hautes situations, ne comptent pas ; ce qui leur faut, ce sont des fantômes. Ils y sacrifient tout le reste, mettent tout en oeuvre, font tout servir à rencontrer tel fantôme. Mais celui-ci ne tarde à s'évanouir ; alors on court après tel autre, quitte à revenir ensuite au premier.»



Et, après avoir évoqué, dans ce même paragraphe, les «intermittences» du désir pour ceux qui, comme Swann et lui-même, seraient au fond «des amateurs de fantômes», et revenant sur ses réminiscences successives depuis Balbec, à lui de conclure :



«De fantômes poursuivis, oubliés, recherchés à nouveau, quelquefois pour une seule entrevue et afin de toucher à une vie irréelle laquelle aussitôt s'enfuyait, ces chemins de Balbec en étaient pleins. En pensant que leurs arbres, poiriers, pommiers, tamaris, me survivraient, il me semblait recevoir d'eux le conseil de me mettre enfin au travail pendant que n'avait pas encore sonné l'heure du repos éternel.»



De sorte qu'il n'y aurait d'autre issue à de telles natures, à des âmes comme la sienne, que de se vouer corps et âme au récit imaginaire de soi, tissé à partir de réminiscences, elles-mêmes liées à des perceptions d'événements qui au moment même où ils se déroulaient, s'affadissaient, notre conscience et nos sens étant, hélas, la plupart du temps accaparés dans le présent par un trop-plein de réalité. Seul moyen donc de faire face au temps autrement qu'en pure perte, «avant que ne sonne l'heure du repos éternel» - et, pour elles, dans la communauté des hommes, pas d'autre perspective en dehors de l'exercice de l'art, afin de leur permettre d'apprivoiser en elles-mêmes la beauté du monde, qui, devenue immatérielle, et comme dans les tableaux d'Elstir, «exilée de la nature pour habiter le regard de l'artiste», pourrait dès lors être partagée et échapper à l'oubli.







Arrivé à ce stade, moi non plus, je n'ai guère d'autre perspective pour l'instant : je reste «exilé» dans cette lecture que je poursuivrai désormais sans retour possible, jusqu'à son terme, jusqu'à à son dernier point final, tout au moins jusqu'à sa toute dernière suspension...



À suivre, donc, tant que cela durera!





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A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Que dire sur ce monument de la littérature française qui n'ait pas déjà été dit ? Que sa lecture m'a été agréablement surprenante, surtout par son humour qui est très présent dans cet aspect mordant et piquant des descriptions ou des situations. Et quelle langue ! On se régale de la beauté et de la parfaite construction des phrases qui s'écoulent magnifiquement. On se délecte de trouver ici ou là une tournure, un mot ou une expression rare. On a le vertige de se dire que ce n'est que le premier tome et que six autres nous attendent !
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L'affaire Lemoine

Pastiche du petit Marcel, travail de remaniement d’un ouvrage en gardant le style de l’auteur, imité, en bref une sorte de plagiat, mais... pas vraiment plutôt... une évocation d’un auteur. Pour cela il faut très bien connaître l’auteur imité et surtout avoir un lectorat ayant les mêmes et bonnes connaissances des styles d’écriture et là c’est pas gagné.

Même en relisant ces classiques on n’est pas sur de retrouver leurs styles, leurs coups de pattes et c’est sans compter avec le pasticheur qui lui nous montre ce qu’il veut bien montrer. Il nous entraîne sur un terrain connu de lui seul et sur lequel il n’en fait qu’à sa guise pour amuser.

Donc le lecteur moyen va rester sur ce qu’il se rappelle des auteurs et ce qu’il a entendu dire des ces auteurs

Proust partage avec Balzac le même plaisir à décrire finement des personnages aristocrates et les civilités à rallonges des dudit aristocrates sans parler de leur activité préférée: le cancan. Même goût aussi pour l’anecdote un peu croustillante qui sort de la routine: le liant de cette humanité. Même intérêt aussi pour cette micro société spectacle dans laquelle on se perd parfois.

Pour Flaubert à la technique romanesque enviée du moins appréciée, j’ai oublié de regarder si il y avait des fautes apparentes de français ou des audaces grammaticales, souvent reprochée à cet auteur pourtant romancier modèle. Les sensations sont là et les choses sont appréciées à leur juste valeur.

Pour les autres je me suis contenté de lire l’histoire sans faire le moindre rapprochement car je ne connais pas du tout ou pas suffisamment les auteurs pastichés

Avec cette comparaison à faire en moins les histoires lues semblent bien d’époque et paraissent parfois un peu lourdes de style notamment. Le sujet, lui, vu et revu à l’aune d’auteur différents se fait répétitif bien que Proust varie son approche et on est content d’en finir avec ce pauvre Lemoine qui avait il faut bien le dire de l’imagination mais que dire des autres ?
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Les soixante-quinze feuillets

Les fameux 75 feuillets disparus -en réalité 86- rassemblés dans un livre de 384 pages dont plus de la moitié consiste en « notices chronologie et notes ». Une préface du grand et merveilleux Jean-Yves Tadié certes, occupant deux petites pages et 1/2… Et un bandeau de l’éditeur: «  Ici commence À la Recherche du Temps Perdu »

Bien. A moins d’être exégète, chercheur thésard ou doctorant, universitaire et éminent spécialiste de la genèse d’une œuvre, nulle urgence -à mes yeux- à s’embarquer dans ce livre de 21€, il serait même méchant de penser qu’une volonté mercantile ai pu animer le grand éditeur Gallimard lui-même, tant vilipendé pourtant par Louis Ferdinand Céline, il est vrai à l’époque de Gaston. Alors oui ou non?

Pour les lecteurs de la Recherche ils y trouveront avec nostalgie une ébauche, une esquisse, une hésitation, et une grande émotion peut-être devant ce qui préfigure la grande aventure de l’œuvre finale. Ils y reconnaîtront dans un frisson la petite phrase comme dans la sonate de Vinteuil. Pour les futurs lecteurs de la Recherche, pas de temps perdu -humour- avec un ersatz ou un succédané, il faut attaquer l’œuvre unique et définitive, l’heure de la recherche -humour bis- viendra ou ne viendra pas!

Et puis allez, je préfère relire Du Côté de Chez Swann, Combray, Longtemps je me suis couché de bonne heure… Avec Babelio et mon smartphone, je commence à vivre la nuit, comme lui iiiiiiiiiii!
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À la recherche du temps perdu, tome 3 : Le ..



Marcel Proust fait partie de cette famille d'écrivains convaincus que l'on écrit toujours et invariablement le même livre. «Ce livre essentiel – déclare-t-il dans «Contre Sainte-Beuve» - que l'écrivain n'a pas, dans le sens courant, à inventer, puisqu'il existe déjà en chacun de nous».



Et nous, en tant que lecteurs, lirions-nous, malgré leur apparente diversité, toujours un même livre préexistant en chacun de nous et que nous aurions néanmoins omis d'écrire? Et puis, dans quelle mesure, après les avoir parcourus, n'en écririons-nous peut-être toujours une seule et même chronique de lecture? Personnellement, j'aime penser que cette hypothèse serait plausible.



Ce drôle de sentiment, qu'on aura par intermittence (ah, ces intermittences du coeur...!) éprouvé ou pas dans nos vies de lecteurs et/ou chroniqueurs, qu'il peut en revanche sembler évident quand il s'agit de «À la Recherche du Temps Perdu» et des impressions de lecture qu'on se proposerait éventuellement d'écrire à la fin de chaque volume parcouru! (Si bien que je me demande si finalement je n'aurais mieux fait d'avoir terminé le cycle romanesque complet avant de me mettre à rédiger ma [seule, unique et même] chronique!!)



D'emblée déjà, à mon avis, se pose à tout chroniqueur téméraire s'aventurant à vouloir «saucissonner» l'oeuvre, le défi herculéen de pouvoir trancher dans le tas d'un tel enchevêtrement d'instants qui ont chacun l'air de s'étirer indéfiniment, formant une suite de tableaux à la temporalité gigogne qu'on n'arrête pas de remboîter les uns dans les autres, habillés en même temps dans un luxe de détails parmi lesquels il arrive assez régulièrement qu'on égare momentanément son stylet aiguisé de lecteur : comment dès lors procéder à une «coupe» quelconque, «transversale» (ou même longitudinale, d'ailleurs…) analytique et critique, à la fin de chaque volume du cycle, sans avoir l'impression que cette dernière se révélerait non seulement arbitraire, réductrice, mais fondamentalement partielle et artificielle?



D'autre part - en tout cas au point où j'en suis de ma lecture, à la fin de ce troisième «volume»-, je me demande comment positionner le curseur des réminiscences du Narrateur sans revenir sur celui des précédents tomes, dans lesquels, certains souvenirs fondateurs qu'il revisite en ce moment, il se les remémorait plus jeune, mais aussi sur celui des réminiscences encore à venir dont la couleur est d'ores et déjà annoncée, suffisamment en filigrane en tout cas pour que le lecteur finisse à un moment ou un autre par soupçonner que ce temps de l'imparfait du subjonctif qui règne en apparence dans « La Recherche » servirait en réalité à dissimuler un futur du passé, insaisissable et furtif, mais néanmoins souverain, seul véritable ciment grammatical soutenant son édification.



Avec la publication et la renommée mondiale acquise par l'oeuvre, Proust aura en quelque sorte préparé le terrain à l'éclosion de ce fantasme souvent caressé par la littérature contemporaine (voire «expérimenté» parfois, avec plus ou moins de succès, par certains auteurs post-modernes), celui d'écrire une roman composé d'une seule et unique phrase!

Un roman dans lequel, en somme, les heures fugitives de notre existence, qui sont la plupart du temps affadies, déjà éparpillées au moment même où elles sonnent à nos sens accaparés par une foule de stimuli à décrypter, par le travail immatériel d'orchestration de l'écriture, par la beauté de la langue susceptible de les rassembler enfin en une harmonie tant rêvée, deviendraient les notes de cette partition unique, en un seul acte, qu'on souhaiterait tous pouvoir jouer devant nous au moins une fois avant de quitter définitivement la scène.



«Est-ce parce que nous ne revivons pas nos années dans leur suite continue, jour par jour, mais dans le souvenir figé dans la fraîcheur ou l'insolation d'une matinée ou d'un soir, recevant l'ombre de tel site isolé, enclos, immobile, arrêté et perdu, loin de tout le reste (…) [que] si nous revivons un autre souvenir prélevé sur une année différente, nous trouvons entre eux, dues à des lacunes, à d'immenses pans d'oubli, comme l'abîme d'une différence d'altitude, comme l'incompatibilité de deux qualités incomparables d'atmosphère respirée et de colorations ambiantes?»



Enfin, last but not least, après en avoir parcouru plus de deux mille pages comme moi, le lecteur pourra éventuellement, comme c'est mon cas aussi, garder toujours cette sensation diffuse que, paradoxalement, depuis l'enfance du narrateur à Combray, jusqu'aux salons les plus prestigieux du «faubourg St Germain» dont la mécanique sera, comme pour le reste, encore une fois minutieusement disséquée dans le présent volume, rien ne s'est passé en définitive, très peu en tout cas, dans un cycle romanesque qui serait comme dépourvu «d'intrigue romanesque» dans le sens premier du mot ; dans lequel, extérieurement, aucun fait, en dehors d'évènements banals et contingents, aucune action ou péripétie exceptionnelles ne peuvent être véritablement mises en avant, et intérieurement, en revanche, comme si aucun «abîme» ou «différence d'altitude» n'avait séparé une époque de l'autre…



L'histoire n'existe en tant que telle, a-t-on alors le sentiment, que parce que le Narrateur se souvient de lui-même devant cette «old same story» qui, indépendamment des époques et des milieux, est la même pour tous, l'apanage de tous les humains, qu'ils soient nobles ou bourgeois, paysans ou ouvriers.



La réminiscence en soi, sans aucune hiérarchie narrative classique ou prédéterminée, avec les pensées et les sensations qu'elle fait émerger, serait le vrai objet du récit, plutôt que des faits vécus dans une succession chronologique raisonnée, ou dans une rapport d'importance ou de grandeur purement rationnels (c'est ainsi par exemple, qu'à cette époque «du côté de Guermantes» on ne saura pas grand-chose sur les véritables motivations ou difficultés à écrire que rencontrait alors notre jeune Narrateur basculant dans l'âge adulte, thème occupant, concrètement, une place infinitésimale à côté de celle, immense, de deux réunions mondaines dont la description détaillée remplit plus d'un tiers du roman !!)



(Et en relisant ce que je viens d'écrire, je me sens de mon côté de plus en plus incapable d'en extraire et déterminer avec certitude ce qui y serait fondamental par rapport au provisoire, subsidiaire et accessoire par rapport à l'essentiel, ou simple surface par rapport au fond !!)



«Nous ne profitons guère de notre vie, nous laissons inachevées dans les crépuscules d'été ou les nuits précoces de l'hiver les heures où il nous avait semblé qu'eût pu pourtant être enfermé un peu de paix ou de plaisir.»



Et n'entendons-nous pas, nous aussi, nous exclamer quelquefois : «Le temps est passé et je n'ai rien vu arriver»... !



Aussi, quand par moments nous revient-il, ce n'est pas parfois sans un certain étonnement qu'au gré de nos associations, tombant, par exemple, sur l'image des chaussettes dépareillées d'un des pianistes les plus virtuoses de son temps que, des années auparavant, l'on avait entraperçues sous son instrument lorsque nous avions eu la chance d'assister à l'un des derniers concerts qu'il avait donnés de son vivant, image remontant soudain dans notre esprit avec une netteté parfaite, nous devrons ensuite faire un effort considérable, avec plus au moins de succès, pour ne retrouver en fin de compte que quelques titres des sublimes morceaux choisis qu'il avait exécutés ce soir-là…



C'est en fin de compte dans cette puissance mystérieusement aléatoire d'évocation, servie par la divine beauté suspensive dont la langue de Proust sait se parer, que résiderait essentiellement, à mon avis, la fascination intense que l'oeuvre peut exercer sur nous, mais qui, cependant, chez d'autres lecteurs, l'ayant recherchée au contraire, et à tort me semble-t-il, dans une intrigue quelconque, quasiment inexistante en l'occurrence, se sera vu muée en rejet pur et simple.

C'est elle, par exemple, qui permet au Narrateur la possibilité de revivre enfin pleinement les sensations qui, à une autre époque, cette autre langue, la sienne propre, effleurant alors concrètement pour la première fois la joue d'une Albertine enfin consentante, n'avait pu y goûter aucune saveur particulière, obstruée sur le champ, et privée qu'elle était en même temps d'une aide supplémentaire de l'odorat, par un nez écrasé contre l'épiderme, ainsi que de ses yeux obnubilés de leur côté par la vision trop rapprochée de son grain ; ou encore de faire remonter depuis ses émotions engourdies et dans l'absence de larmes au moment de l'agonie et du décès de sa grand-mère, cette image sublime, inaltérable face à la mort, (et en même temps peut-être curieusement familière et proche pour un certain nombre d'entre nous, ses lecteurs), celle d'un «visage redevenu jeune, d'où avait disparu les rides, les contractions, les empâtements, les tensions, les fléchissements que depuis tant d'années, lui avait ajoutés la souffrance (…) les traits délicatement tracés par la pureté et la soumission, les joues brillantes d'une chaste espérance, d'un rêve de bonheur, même d'une innocente gaité, que les années avaient peu à peu détruits. La vie se retirant venait d'emporter les désillusions de la vie. Un sourire semblait posé sur les lèvres de ma grand-mère. Sur ce lit funèbre, la mort comme le sculpteur du Moyen-Âge, l'avait couchée sous l'apparence d'une jeune fille.»



À partir d'une temporalité toujours relative, décomposée en une infinitude de particules éparses dans l'esprit de son créateur, à partir de son histoire et de son expérience propre, de l'observation de la société de son époque, d'une quantité incalculable de notes de lecture, embrassant de très nombreux sujets sociétaux, domaines de connaissance et disciplines artistiques, l'auteur bâtit à coup d'une infinité de cahiers et de «paperoles» disséminées un peu partout dans ses brouillons (et qui feraient apparemment toujours tirer les cheveux à ses éditeurs posthumes !), de chapitres composés dans le désordre, de révisions interminables du contenu et de l'ordonnancement de ses manuscrits, un univers littéraire unique, extrêmement complexe à cerner, un hybride entre mémoire et imagination, monde fictionnel et réel, entre personnages de roman et figures historiques, entre fiction et autobiographie. Univers dont la reconstitution par le lecteur, au gré des réminiscences de son Narrateur, déclinées sur plusieurs milliers de pages et en sept volumes, pourrait à la limite se faire aussi dans le désordre, et sa lecture être entamée par n'importe laquelle de ses subdivisions ou chapitres, car l'artiste fragile et immense ne nous inviterait-il justement à abattre les cloisons entre ces mondes parallèles qui coexistent en chacun de nous, à effacer la distance entre ce qui fut et ce qui est, entre ce qui aurait dû être marquant et ce qui le fût vraiment, entre celui qu'on a oublié et celui qui s'en souvient ?



Si la «Recherche» ne fut pas écrite d'une seule et stratosphérique phrase, cette «vocation invisible» semble la traverser entièrement, aussi bien dans ses grands motifs narratifs parcourant en surface ses successifs tomes, que dans les moindres détours de ses innombrables digressions à l'intérieur de chacun : une seul et unique bloc temporel, ouvragé comme un sculpture de soi où l'artiste, travaillant la matière brute du souvenir, au fur à mesure de ses coups plus ou moins guidés, mais surtout au hasard des affleurements qu'il y provoquerait accidentellement, découvre ce qui ayant été toujours en lui et préexistant à son apprentissage du monde et à son intelligence des choses, il méconnaissait cependant jusque lors ...



Je me rends compte qu'au vu du format conseillé, je m'étends trop ici, et que je m'y égare (Proust, sortez de ce corps!)… Et que je n'ai même pas réussi à aborder l'univers de ce faubourg St-Germain qui pourtant semble accaparer quasi exclusivement l'intérêt de notre Narrateur dans ce volume, jeune adulte désormais, ni à évoquer les motifs de sa passion pour ce dernier, déclenchée au départ et incarnée longtemps par celle vouée à la Duchesse de Guermantes, ni surtout cet éternel renouvellement de sa fascination pour les noms de son enfance, la seule qui, en toutes circonstances, continue à faire fidèlement battre son coeur.



D'Oriane de Guermantes non plus, dont «l'esprit» plus que l'intelligence règne ici au coeur d'une aristocratie parisienne «fin de siècle» vivant sans le savoir encore ses derniers jours de gloire, et dont les portes des salons s'ouvrent et se referment sur des sésames distribués essentiellement à partir du rang de naissance, donnés exceptionnellement, sous certaines conditions, à quelques personnalités "sans naissance", souvent interchangeables, autorisées à intégrer provisoirement les différentes «coteries» qui la constituent. Je n'ai pas pu, enfin et enfin, évoquer toute la complexité et l'ambiguïté des sentiments du Narrateur (en parfaite symétrie, d'ailleurs, avec ceux de Proust, lui-même féru chroniqueur mondain dans Le Figaro à cette époque ), à la fois séduit par tout ce qui recèlerait potentiellement un monde dont (et peut-être aussi parce que) il se sent au départ exclu, et déçu par l'impression de médiocrité et de vacuité dégagée par les êtres en chair et en os qui l'habitent, et qu'il comparera entre autres à celle «de plate vulgarité que peut donner l'entrée dans le port danois d'Elseneur à tout lecteur enfiévré de Hamlet».



Mais qu'importe, n'est-ce pas ? J'aurais après tout probablement écrit dans le fond exactement la même chronique.



À suivre..?









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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..



Le titre, aux accents éthérés et arcadiens, avait été inspiré par Marcel Plantevignes. Proust s'était lié d'amitié avec Plantevignes, âgé de 19 ans à l'époque, lors d'un séjour au Grand-Hôtel de Cabourg en 1908 . Au moment de la rédaction du deuxième tome de son oeuvre monumentale, l'auteur se souviendrait d'une phrase prononcée alors par son jeune ami, lorsque ayant fait remarquer à ce dernier qu'il le voyait souvent entouré d'une «écharpe de jeunes filles», pris à son tour d'un élan lyrique, Plantevignes avait rajouté: «Nous nous sentons à l'abri de leurs confidences fleuries, et comme à l'ombre d'elles..!»



(Marcel et Marcel, Cabourg et Balbec, «plante» et «vignes», «fleurs» et «ombre»…comment ne pas y déceler à notre tour un enchaînement et un formidable jeu de symétries entre ces noms..?)



Ce serait cependant plutôt sous une ombre tutélaire plus imposante, projetée par la grâce et la force des «noms» auxquels l'enfant chétif s'était longtemps abandonné dans ses rêveries solitaires, à l'aune plutôt de la résurgence de ses premiers émois esthétiques et amoureux forgés par les élucubrations de son enfance magnifiée à Combray - avant le cruel sassage que l'expérience convulsive et désordonnée de ses sens fleurissants leur ferait désormais subir -, que le Narrateur, pubère maintenant, devra s'initier à l'apprentissage du monde adulte : non plus du côté incommensurable de Méséglise, mais, cette fois-ci, dans les jardins clos des Champs-Elysées, à Paris, lieu de ses premiers ébats avec une Gilberte de chair et d'os, puis dans l'appartement des parents de cette dernière, dans l'intimité tant rêvée des Swann, et surtout de Mme Swann… ; à Balbec, enfin, où il va pour la toute première fois, accompagné de sa grand-mère, et réussissant lui aussi à s'entourer d'une «écharpe» de jeunes filles en fleur, fera la connaissance déterminante pour son avenir (mais pas encore dans le sens biblique du terme... !), de la pétillante et imprévisible Albertine.



Mais s'agirait-il vraiment d'un « Bildungsroman»? Ou vaudrait-il mieux parler en l'occurrence de «roman de désapprentissage» ?

Récit d'un cheminement qui - d'ailleurs le plus souvent en vain - tenterait de contrecarrer ce qui, déjà installé solidement chez le Narrateur, chaque fois que celui-ci semble sur le point de réaliser un de ses désirs, que ce soit de nature esthétique (par exemple en allant au théâtre pour la première fois voir enfin jouer la «Berma» - «monstre sacrée» calquée sur le modèle de Sarah Bernhardt), ou amoureuse, menacerait de les rendre incompatibles avec une possession réelle, faisant que lorsqu'il approchera de près leur objet ou leur incarnation, il risquerait de commencer déjà à s'en éloigner irrémédiablement…



« Il faut qu'entre nous et le poisson, qui si nous le voyions pour la première fois servi sur une table ne paraîtrait pas valoir les mille ruses et détours nécessaires pour s'emparer de lui, s'interpose, pendant les après-midi de pêche, le remous à la surface duquel viennent affleurer, sans que nous sachions bien ce que nous voulons en faire, le poli d'une chair, l'indécision d'une forme, dans la fluidité d'un transparent et mobile azur. »



Car si malheureusement le désir se nourrit en grande partie du manque de son objet de satisfaction, sa possession réelle ressemblerait rapidement, en revanche, à un simple «échantillon» du vrai bonheur. C'est pour cette raison d'ailleurs, tout le monde le sait bien, qu'il vaut mieux éviter de passer trop vite à table…



C'est ainsi, aussi, que les premiers émois sensuels avec Gilberte, puis son initiation sexuelle en maison de passe sont vécus avant tout comme prémisses et promesses d'un autre bonheur, plus complet et ineffable, le seul en tout cas en mesure de le combler totalement, et que, d'autre part, l'imagination exaltée associée au réveil des souvenirs liés à son éclosion seraient également les seuls éléments susceptibles de conserver, à l'abri de l'érosion du temps, « dans la fluidité d'un transparent et mobile azur » : dans un état pour ainsi dire constamment fugitif, mais dans lequel on aimerait pouvoir s'installer à jamais.



Si, donc, une part d'immatérialité ne vient pas se superposer à la concrétisation immédiate d'un désir, si à la beauté des femmes ne venait se rajouter «cet élément que nous ne pouvons inventer, qui n'est que le résumé des beautés anciennes, le présent vraiment divin, le seul que nous ne puissions recevoir de nous-même, devant lequel expirent toutes les créations logiques de notre intelligence», le désir finira par s'émousser, et la beauté ne serait plus suffisante.



Dans le meilleurs des cas, on pourrait alors choisir de se rabattre sur un ersatz de bonheur, à moindre coût certes, à moindre portée aussi, moins exalté et plus intéressé, celui que fait naître en nous l'habitude, la satisfaction apportée par exemple par cette présence sans laquelle notre lit nous paraîtrait trop grand, trop vide, les fleurs du jardin sans motif ou la tombée de la nuit source de quelque angoisse inexpliquée, et qu'aura choisie en définitive Swann en épousant Odette, entre autres pour sauvegarder son amour-propre blessé en la trompant à son tour, ou Odette, en réussissant à s'élever socialement et à pouvoir tenir enfin son propre salon…



Et même quand la réalité s'interposerait entre l'objet de notre désir et sa réalisation, ou que la possession du bonheur nous serait enlevée -la souffrance et le manque relançant alors les rouages de la machine désirante-, il se peut que les rêveries nouvellement usinées, notamment si celles-ci tardent trop à se réaliser, l'on n'y tienne guère plus tout à fait dans un après-coup :

« Ce temps dont l'autre coeur aura besoin pour changer, le nôtre s'en servira pour changer lui aussi, de sorte que quand le but que nous nous proposions deviendra accessible, il aura cessé d'être un but pour nous» !



Le terme inopiné mis par Gilberte à leur romance juvénile, ou encore la suite de la passion amoureuse frustrée par le refus d'Albertine de céder aux avances que le Narrateur ose enfin lui faire vers la fin de son séjour à Balbec, que ce dernier nous fait entrevoir par l'un des nombreux flashforwards que sa mémoire aime insérer dans le récit, en sont dans ce sens exemplaires.



Mais, après tout, que reste-t-il de nos amours ?

Le bonheur ne peut donc jamais avoir lieu?



Restent, provisoirement, les souvenirs liés aux sensations, esthétiques et poétiques, furtives et immatérielles, qui jouissent curieusement d'«une durée moyenne de vie beaucoup plus grande que ceux des souffrances du coeur».



Et de nos souvenirs d'amour, «ce que nous avions oublié d'un être», et que la mémoire nous rappelle «hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l'odeur de renfermé d'une chambre ou dans l'odeur d'une première flambée, partout où nous retrouvons de nous-même ce que notre intelligence, n'en ayant pas l'emploi, avait dédaigné, la dernière réserve du passé, la meilleure, celle qui, quand toutes nos larmes semblent taries, sait nous faire pleurer encore».



À suivre…











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À la recherche du temps perdu - Intégrale

Comment faire revivre les épisodes du passé ? Beaucoup d’écrivains depuis Rousseau et Chateaubriand l’ont brillamment montré : l’écriture est capable d’enchanter les souvenirs. Dans ce domaine merveilleux de « la vraie vie », Proust ouvre son palais ! Sur l’immense ban de sable de la Mémoire, À la recherche du Temps perdu érige un sanctuaire, une sorte de Mont Saint-Michel scintillant.

Sitôt qu’il s’est attablé devant sa tasse de thé, comme une lady sur une terrasse de Balbec, sitôt qu’il a commencé de grignoter sa précieuse madeleine, le narrateur de Du côté de chez Swann s’enfonce dans sa mer intérieure. Mais le goût fortuit de la madeleine ne comble pas le creux de son estomac à l’heure du tea time, il sollicite une autre force en lui : celle d’un courageux aventurier qui n’hésite plus à plonger... Et aussitôt, le présent morose s’évanouit. Exit ! Loin les petites cuillères à thé qui tintent, loin le confort suranné des salons, les mandibules de carpe des vieilles dames autour de lui qui mâchonnent et qui mastiquent et qui n’en ont rien à foutre !

C’est une cité fabuleuse qui émerge peu à peu dans sa conscience, la pierre émeraude du Souvenir, polie par le travail de l’Ecriture... Les formes et les couleurs, les visages et les voix se recomposent, se cristallisent derrière la paroi de cet immense aquarium du temps perdu, parcouru à lents coups de palmes. Il faut considérer l’un des passages de À l’ombre des jeunes filles en fleurs comme la mise en abyme de toute la démarche du romancier. Je fais référence à l’extrait où les paysans et les pêcheurs de Balbec en quête de rêve et de spectacle incongru viennent défiler devant la baie vitrée du Grand Hôtel et assister au repas que sont en train de prendre les aristocrates et les bourgeois en vacances. Proust montre que le dîner derrière les vitres, du fait de son étrangeté et de son indécence s’offre au regard de « l’amateur d’ichtyologie humaine » à la manière d’un fascinant aquarium.

Non invités à la fête, les malheureux spectateurs ouvrent des yeux hallucinés devant tant d’extravagance. Et le narrateur navigue entre les deux mondes, butte contre les parois comme s’il préparait un nouveau type de hold-up. Mais son « hold-up » à lui se situe à des profondeurs où la caméra de surveillance ne va pas. Au fond de l’abysse, c’est un coffre ancien qu’il perçoit, un vestige enfoui dont l’éclat le trouble. Alors il s’enfonce, il s’enfonce. Et puis soudain s’en empare et parvient à le remonter à la surface.

Et le lecteur est son complice. Il était là qui attendait. Il trouvait le temps long, se morfondait, se rongeait les ongles, voyait passer toute sa vie en accéléré. Et enfin, c’est le signal ! Le coup de sifflet du Souvenir. Il se redresse, s’agite, ouvre en grand la cale du bateau et agrippe le butin que lui jette le narrateur affolé. Ça y est, il le sent glisser dans ses mains avides, il ne peut plus lui échapper, c’est un goût, une odeur, un son, un parfum, un contact : les espèces sonnantes et trébuchantes du Temps retrouvé.


Lien : http://ericbertrand-auteur.n..
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A la recherche du temps perdu - Intégrale, to..

ous voici en présence d'une édition très richement documentée avec un appareil critique dense qui permet d'aborder Proust par la grande porte si l'on peut dire, celle d'une édition qui ajoute au texte (définitif) les nombreux et indispensables commentaires et notes qui permettent de mieux cerner l'intention du romancier, sans pour autant se plonger dans un de ces manuels, d'analyse d'une oeuvre qui font florès dans le rayon parascolaire.

Sur le choix des romans et leurs critiques, rien à dire, ces romans sont des classiques de la littérature française à avoir lu dans sa vie. Le volume contient Du côté de chez Swann, A l'ombre des jeunes filles en fleur (première partie) et les esquisses.

Que l'on aime ou que l'on aime pas le style éditorial de la collection "la Pléiade", que l'on apprécie ou pas le papier bible, la reliure pleine peau, en fait tout ceci importe peu. Si ce n'est que contrairement à d'autres qui y voient un obstacle, je trouve que le format Pléiade convient très bien à l'univers proustien: c'est dense, ramassé, concentré, élégant, odorant et tactilement plaisant. Une métaphore en quelque sorte de l'oscillation continuelle entre raison et sens, si caractéristique de Proust.
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A la recherche du temps perdu, tome 7 : Le ..

En débutant cette ultime étape de mon Voyage à la Recherche du Temps perdu, je n’étais vraiment pas emballé par le résumé du récit qui s’annonçait. Je me disais « il va se rendre compte qu’il a vieilli et que c’est terrible de vieillir, et qu’il serait peut-être temps de faire quelque chose de sa vie, en plus il va vouloir finir en apothéose, ça va être La Prisonnière en cyrillique et au ralenti, ultra-sopo… », et bien sans m’être véritablement abusé sur le contenu, je dois reconnaître que je me suis complètement trompé sur le ressenti. Ce doit être le tome que j’ai trouvé le plus captivant avec A l’ombre des jeunes filles en fleurs.



En réalité, on sent initialement une profonde fatigue dans la voix du narrateur, fatigue qui n’est pas le symptôme d’une bonne société nostalgique de ses anciennes exclusivités et que la guerre a condamnée à s’ouvrir, à se « mésallier » de plus en plus avec la roture, mais qui figure l’affleurement dans l’apparence de l’absence d’énergie qui, depuis toujours, empêche le narrateur de débuter sérieusement son œuvre, systématiquement occultée par les plaisirs mondains et sentimentaux. La triple occurrence dans un temps très court d’un phénomène similaire à celui, lointain, de la fameuse madeleine, rend opportunément au narrateur cette attention aux phénomènes intérieurs qui le transporte aux différents instants de sa vie par le truchement de la mémoire involontaire, la restauration spontanée de souvenirs insoupçonnés, lesquels, ressuscitant le jeune homme que fût le narrateur qui lui est devenu parfaitement étranger, occasionnent un enthousiasme fondamental face à la découverte d’une faculté de l’esprit, occultent ou tout du moins apaisent l’angoisse de la mort vers laquelle le narrateur se dirigeait jusqu’alors avec une résignation triste pour finir une existence anonyme et inutile. A présent, l’œuvre s’impose au narrateur comme le sens de sa vie, et tout le livre consiste à rapporter les faits de cette dernière journée dans le monde et les réflexions qu’elle suscite sur les effets physiques, mentaux et sociaux du passage du temps avant le commencement de la grande entreprise, laquelle vient désormais substituer à la peur de souffrir en mourant celle de ne pas réussir à terminer dans le délai imparti qui demeure mystérieux.



Synthétisant peu ou prou les autres tomes, on recroise un M. de Charlus sénile dont les penchants sont désormais de notoriété publique ; tous les autres personnages transformés par l’âge dans une réception mémorable, dont certains ont épousé d’autres dont ils n’auraient pas même toléré l’évocation au sein de leur milieu quelques années auparavant ; la fille de Gilberte qui incarne à elle seule la fusion du souvenir de Swann et des Guermantes, c’est-à-dire des principaux acteurs des amours et des amitiés réelles ou fantasmées du narrateur. Le souvenir d’Albertine lui-même continue à se manifester, non plus de façon obsessionnelle mais comme un jalon notable de l’existence du narrateur, qui regarde avec détachement l’être qu’il fût et avec lequel il n’a plus rien de commun. Globalement, c’est un livre plein de nostalgie, de regards en arrière et d’horreur face au présent, mais tout cela alimente le nouveau projet du futur écrivain, qui, quelque temps plus tôt, n’y aurait trouvé qu’un motif de fatalisme bien stérile. D’ailleurs, l’horreur de la dégénérescence cède bien vite le pas à l’attendrissement devant la jeunesse de la prochaine génération, ainsi qu’à l’apaisement face au caractère immortel de l’art.



Une bien belle conclusion pour une histoire très nuancée, aux multiples renvois, aux multiples tons, et qui englobe jusqu’au livre tenu entre les mains du lecteur, produit de cette longue errance.
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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Il faut toujours faire un effort pour se plonger dans un roman de Proust, les phrases sont fort longues, et l'intrigue plutôt légère, ... cependant dès entamé la lecture, très rapidement, on ne sait comment, on s'extasie, on rêve, tant les méditations de l'auteur nous font pénétrer un monde sensible tellement puissant qu'il semble qu'on soit en quelque sorte sous le charme d'une puissante drogue qui nous fasse désirer les pages suivantes sans nous lasser. Marcel Proust amoureux? des jeunes filles de son temps? incroyable et pourtant tellement bien dit, tellement bien écrit, qu'on rêve très rapidement à ces jeunes filles d'un autre temps, à leurs beautés, leurs rêves, leur insouciance et leurs espoirs. Marcel maladivement sensible nous fait croire qu'il est amoureux, mais de quoi? de qui? Gilberte s'est lassée très rapidement de ce jeune homme cultivé mais transi, de même à Balbec, Albertine ne cède pas à ses assauts, partagée entre sa fascination pour Marcel et sans doute son rejet inconscient de cet homme maladivement timide, au désir plus intellectuel que physique.
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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

L'une de mes résolutions pour 2023, à laquelle je me suis tenu, a été d'essayer de combler un tout petit peu mon abyssale inculture en m'attaquant à La recherche du temps perdu, rien de moins... Au rythme de deux titres par an (je ne vais quand même pas lire que du Proust), ma lecture devrait s'étaler sur près de quatre ans. Et si j'ai dû m'accrocher parfois pour ne pas chavirer avec du côté de chez Swann, la lecture des Jeunes filles en fleur a été nettement moins rocambolesque, et je me suis surpris plus d'une fois à rire seul devant mon livre, au cours des soirées passées en tête à tête avec Marcel (eh oui, lui et moi, on s'appelle par nos prénoms désormais, enfin surtout moi). Alors oui parfois Marcel m'a perdu dans les méandres syntaxiques de sa pensée brillante, mais quel boute-en-train derrière son air de mondain coincé. Pas rancunier quand Albertine lui refuse un innocent baiser, alors qu'elle l'a quand même invité dans sa chambre d'hôtel, couchée dans son lit ("Plaisant plus qu'elle ne voulait et n'ayant pas besoin de claironner ses succès, Albertine garda le silence sur la scène qu'elle avait eu avec moi auprès de son lit, et qu'une laide aurait voulu faire connaître à l'univers"), le narrateur change dare-dare son fusil d'épaule quand il comprend qu'il n'y a rien à espérer de ce côté là ("Mes rêves se retrouvaient libres maintenant de se reporter sur telle ou telle des amies d'Albertine"). Je suis certainement passé à côté de bien des aspects de l'univers proustien, et ma critique très peu littéraire n'est certainement pas académique, mais Marcel et moi avons passé ensemble quelques bons moments (c'est à ça que ça sert la littérature), alors que pourtant nous n'avons pas les mêmes critères sur ce qu'est un beau gosse (" Il avait, ce qui peut suffire à constituer un ensemble rare et délicat, une barbe blonde et soyeuse, de jolis traits, une voix nasale, l'haleine forte et un oeil de verre"). Et des bons moments, Marcel et moi on devrait s'en payer encore quelques uns. Tant mieux.
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