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Critiques de Marie Charrel (313)
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Les Mangeurs de nuit

La légende de l'ours esprit



Une photo. Un portrait de femme en kimono. Hannah est chamboulée. Elle vient de reconnaître sa mère sur ce cliché déposé sur le palier de sa porte par un inconnu.

Hannah s'est refugiée il y a plus de dix déjà dans une maison inaccessible sur les hautes terres au creux d'une vallée protégée par des montagnes aux flancs escarpés. Presque personne ne sait qu'elle vit ici.

Cette photo ravive de nombreux souvenirs qui dévalent avec la force d'un torrent démentiel sur une quiétude chèrement acquise après une vie très chaotique.

Car Hannah revient de loin, de très loin. Jack, le creekwalker qui veille sur les forêts fleuves de la Colombie-Britannique, l'a retrouvée un jour inconsciente et griffée par un animal qui n'existe que dans les légendes autochtones. Un ours blanc.

Avant de déposer cette photo, l'inconnu a attendu de longues minutes devant une porte restée close. Il est ensuite reparti en faisant la promesse de revenir dès le lendemain...



Ce roman en forme de patchwork entremêle de manière époustouflante la fresque historique avec la magie des contes et légendes.

Une histoire sauvage, imprégnée par des histoires amérindiennes et nippones fabuleuses, qui ne s'apprivoise qu'au fil des pages et qui évoque en même temps la difficile situation vécue par les Japonais et les Canadiens d'origine Japonaise au Canada durant la première partie du vingtième siècle.



Les mangeurs de nuit, petites lucioles qui illuminent les contes japonais, brillent dans ce récit telles des lanternes au milieu des ténèbres en sauvant de l'oubli ceux qui sont partis bien trop loin.

Fantastique !



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L'enfant tombée des rêves

L’enfant tombée des rêves, quel joli titre déjà, vous ne trouvez pas ?



Emilie est une fillette de douze ans qui n’en peut plus de tomber de ses rêves. Chaque nuit, c’est le même rêve, un homme tombe d’un balcon. Puisque les mots sont si difficiles à extérioriser, Emilie peint son rêve obsessionnel. Quand ses parents découvrent le tableau, Emilie sent le malaise à plein nez. Ce tableau d’un homme qui tombe est plus qu’un tableau, c’est l’antre des secrets, des non-dits, des mensonges et du fardeau d’une famille. Il suffit de voir la tête de ses parents devant ledit tableau pour s’en rendre compte.

Sur l’autre rive, en Islande, Robert fait chaque nuit le même cauchemar qu’Emilie. Retiré depuis plusieurs années près des ours blancs, Robert est seul et rongé par les regrets. Le passé revient en lambeaux doucement distillant la lumière sur la petite Emilie, sans crier.

Étrange, mystérieux, on rentre dans ce roman par la petite porte pour ne pas arriver à quitter cette histoire où l’on cherche à savoir ce qui unit les deux personnages clé.



Deux personnages qui souffrent à leur manière de ces rêves qui ne trouvent pas leur place dans le monde faux-fuyant des adultes.

Des adultes qui fuient les mots, la vérité et donnent vie dans leur silence aux démons des enfants qui doutent et viennent à fabuler.



La plume de Marie Charrel est un petit enchantement dans le ventre des enfants en proie aux dysfonctionnements des grands. C’est un fil de maux à mots, des mots cousus, des mots broyés, des mots tus, des mots peints, des mots pendus à la gorge fermée des secrets qui ravagent une famille.



Un roman très bien construit où Emilie et Robert construisent chacun de leur côté les parties manquantes d’un même puzzle. Cela se lit comme une intrigue, avec un fond de psychologie, un peu de tendresse aussi et beaucoup d’envies pour un monde meilleur. J’ai beaucoup aimé cette histoire tendre délivrant un message fort.



Aucun enfant ne devrait tomber des rêves sans un adulte pour le réceptionner et le rassurer. Aucun enfant ne devrait tomber des rêves que les grands ont abandonnés un jour.
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Les Danseurs de l'aube

Difficile parfois de comprendre et d’expliquer un rendez-vous manqué avec un livre alors qu’on lui trouve multitude de qualités. Les danseurs de l’aube aussi beau soit-il m’a laissé pantelante au-dessus de ses pages.



Pourtant, la plume de Marie Charrel est divine, dansante, charnelle et pleine. Elle nous parle de flamenco mais aussi de résistance durant la seconde guerre mondiale, d’acceptation de soi et toujours de corps épris de liberté et d’élan vital.



Quelques deux cents pages à double temporalité bien écrites mais dont j’ai eu un mal fou à m’approprier l’histoire, les deux histoires. Il m’a manqué un fil conducteur plus solide et débarbouillé de descriptions, aussi jolies soient-elles, qui ne servent à mon sens que peu l’histoire. Ça parle beaucoup de danse, de flamenco, de duende, d’osmose entre le corps et la musique. Le tout est livré de manière très onirique, sibylline. C’est aussi un livre qui mérite une attention particulière pour y cerner les subtilités comparatives des deux histoires. Ce n’est pas simple à suivre, ce n’est pas évident d’être en phase. J’ai donc été ici charmée par la plume mais totalement hermétique à l’histoire manquant d’émotions, d’attachement, de ce petit plus qui fait battre le cœur comme devant ces livres où le fond et la forme s’accouplent dans le plus simple ravissement.

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Les Mangeurs de nuit

L’histoire s’ouvre sur un éventail de situations aussi disparates qu’étalées dans le temps : Hannah subit l’attaque d'un ours, Aïka aspire à un avenir radieux sur le bateau qui l’amène en Colombie britannique à la rencontre de son futur mari, tandis que Jack écoute la forêt en compagnie de son chien.



Quels liens futurs ou passés unissent ces personnages aussi différents, avec pour seul point commun le lieu qu’ils foulent de leurs pas ? Il faudra revenir sur le passé d’un pays qui, après avoir écrasé de son mépris les populations amérindiennes jusqu’à les anéantir, s’en est pris aux japonais exilés, dont la communauté a subi les mêmes pressions et s’est vu privée peu à peu de ses droits les plus élémentaires.



Tous ces destins éprouvés par les sursauts de l’Histoire, sont incarnés par des personnages extrêmement attachants, dont le courage et la pugnacité forcent l’admiration. Si les malheurs répétés les ont incités à vivre en solitaire , ils n’en restent pas moins profondément humains et respectueux de la nature, ayant compris que seul le respect n’authentifiera le pacte tacite d’entraide mutuelle qui permettra la survie.



S’y ajoute le charme des légendes amérindiennes, contées au chevet des enfants, pour le plus grand plaisir du lecteur.





L’écriture est somptueuse, les descriptions de paysage font appel à tous les sens, avec une érudition qui transparaît dans des termes pointus (pétrichor, empyreume) et les mots hérités du joual apportent un exotisme qui allège le propos.





Magnifique histoire de destins fragilisés par la folie des hommes, ce roman est une très belle découverte de cette autrice que je n’avais pas lue jusqu’ici.



304 pages L’Observatoire 4 janvier 2023

Sélection Prix Orange 2023


Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Les Danseurs de l'aube

« Pour chercher le duende, il n'existe ni carte ni ascèse. On sait seulement qu'il brûle le sang comme une pommade d'éclats de verre, qu'il épuise, qu'il rejette toute la douce géométrie apprise, qu'il brise les styles, qu'il s'appuie sur la douleur humaine qui n'a pas de consolation. »

[ Jeu et théorie du duende de Federico Garcia Lorca ]



Le flamenco s'appuie et s'enrichit sur ce duende qu'évoque ici Federico Garcia Lorca. J'ai adoré cette citation qui introduit ce roman en préambule, presque comme un incipit. Car venir à la rencontre de l'univers du flamenco, c'est aussi cerner le mystérieux pouvoir du duende, impossible à le définir avec des mots, sauf à le vivre...

Les danseurs de l'aube est un étrange roman turbulent, étourdissant, où l'auteure, Marie Charrel, a posé sa trame narrative à partir de l'histoire vraie de Sylvin Rubinstein, danseur juif de flamenco, résistant farouche contre les nazis durant la seconde guerre mondiale, puis égérie des cabarets du nord de l'Allemagne d'après-guerre.

Mais on ne peut parler de Sylvin Rubinstein et de sa fascinante destinée, sans parler de sa soeur jumelle Maria, son alter ego, son double ; ils venaient tous deux d'un shtetl d'Europe centrale et rêvait de danser le flamenco jusqu'au bord du monde...

L'originalité du roman est cette histoire qu'a inventée Marie Charrel pour la mettre en résonnance avec celle de Sylvin et Maria Rubinstein, venus de cette Europe qui sera bientôt à feu et à sang, comme un écho d'un passé pas forcément si lointain ni différent que cela du présent...

Entrent alors dans la danse, - si j'ose dire, Lukas jeune homme à l'identité trouble et la sulfureuse Iva sur la même scène où justement Sylvin et Maria dansaient presque un siècle plut tôt... Ils partagent eux aussi de manière fusionnelle l'art du flamenco, un flamenco incandescent et métissé dont le tourbillon est comme une mèche prête à embraser le ciel et la terre.

Ils sont à Hambourg, dans les coulisses alternatives du G20 de 2017 parmi ceux qui protestent contre ceux qu'on désigne comme étant les « grands » de la planète. Leur flamenco comme cela presque improvisé parmi les manifestants sur une grande place de Hambourg devient brusquement comme un cri, un cri de rébellion, un cri de ralliement, ils dansent, ils ne font plus qu'un, quelqu'un immortalise cette flamme, ces deux atomes en fusion, et cette photo fera aussitôt le tour du monde...

Ils vont devenir Imperio et Dolores.

D'un chapitre à l'autre, Marie Charrel nous invite à tanguer entre deux rives de l'Histoire qui ne sont pas si éloignées que cela. Je ne parle pas de ce presque siècle qui les sépare. L'auteure nous donne à voir ici un subtil effet miroir dont la trame se construit autour du flamenco, du moins cela est le prétexte initial...

Ces deux couples qui se ploient et se déploient à près d'un siècle de distance sont en effet animés par la même ferveur.

Mais le flamenco, qui transcende leurs rêves et leurs douleurs, leurs espoirs aussi, est un prétexte pour dire autre chose.

Marie Charrel a inventé deux personnages contemporains qui sont eux aussi à leur manière des proscrits par leur différence. Puisque Iva est Rom venant de Hongrie, fuyant la violence des brutes patibulaires qui veulent interdire l'accès aux logements sociaux des personnes de la communauté à laquelle appartient Iva et sa famille. Puisque Lukas est un garçon non binaire et que cela déplaît parfois aux mêmes personnes qui détestent qu'on ne leur ressemble pas...

Le bruit des bottes noires a-t-il changé en un siècle ? La barbarie a-t-elle changé de visage ?

En dansant, Iva et Lukas ont l'impression d'appartenir encore au monde, ont l'impression de se sentir libres, tout comme le pensaient et le vivaient Maria et Sylvin Rubinstein...

Ici danser, et qui plus est danser le flamenco, est vécu comme un acte transcendant, un geste politique... Nous traversons ce siècle de bruits et de fureurs où des pans de l'Europe s'écroulent, la révolution russe, la montée du nazisme, le ghetto de Varsovie, l'après-guerre, le régime soviétique, le tumulte des Balkans, l'effondrement du régime soviétique, le capitalisme financier...

Iva et Lukas eux aussi traversent l'Europe : Riga, Varsovie, Berlin, Budapest, Paris, Londres, Lisbonne, autant de destinations où ils enflamment les passions, poussant leurs corps jusqu'à l'extrême.

Ils dansent pour terrasser la peur, la leur, mais celle des autres aussi...

Ils sont rebelles et invitent tous les coeurs épris de liberté, à se lever contre les hommes en noir.

N'y a-t-il pas de meilleure manière de se révolter, de dire non à la barbarie humaine, qu'en venant danser sur le brasier du monde ?

Parfois ils se demandent si la fin du monde ne ressemblerait pas justement à cela.

J'ai aimé ce texte écrit d'une plume frénétique. C'est comme si nous dansions avec eux sur une poudrière prête à exploser. Quand je dis « eux », c'est autant Sylvin et Maria qu'Iva et Lukas...

Marie Charrel explore de jolis thèmes comme l'altérité, la différence, l'alchimie des corps mais aussi des âmes, les belles dualités qui nous déchirent parfois entre ces instants féériques et l'horreur brutale de la vie.

Je ressors de ce texte à la fois ébloui par la très belle écriture de Marie Charrel, cette puissance narrative, mais aussi un peu frustré par une émotion que je n'ai pas ressentie suffisamment pour être en totale empathie avec chacun des personnages.

Il y a de la grâce, de la vie, une intelligence vive dans ce roman.

Je guettais le récit qui a captivé mon attention sur des thèmes historiques et géopolitiques très forts qui ont touché ma vie personnelle. D'un côté il y a la seconde guerre mondiale durant laquelle ma mère perdit son fiancé fusillé par la Gestapo et dont l'événement fut un long et douloureux retentissement durant les générations qui suivirent.

De l'autre, il y a cette Europe centrale que j'ai découverte par l'histoire de ma belle-famille ukrainienne, aujourd'hui effroyablement inquiète de ce qui peut se passer d'un jour à l'autre, face au risque d'invasion russe... L'Histoire n'est qu'un éternel recommencement... Nos histoires aussi, celles que nous lisons, racontons...

Cependant, en vous écrivant, je sens que cela réveille des choses en moi, alors peut-être que l'effet se fait comme une très longue onde de choc... Il fallait donc que j'écrive ce billet.

Sur ce thème de la différence qui est traité avec beaucoup de sensibilité, là aussi je ne suis pas totalement parvenu à traverser le miroir. Je ne sais pas pourquoi. Ce sont pourtant des sujets sociétaux qui ne me laissent pas indifférents.

L'approche romanesque est-elle la meilleure manière de les aborder ?

Je vous encourage cependant à lire ce roman virevoltant par son écriture et sa narration, afin que nous puissions confronter notre duende, telle que la définissait Federico Garcia Lorca, autre figure martyre de la barbarie humaine...
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Les Mangeurs de nuit

Contes des amérindiens Tsimshian d’une part et contes nippons d’autre part, Marie Charrel part à l’assaut de rêves peuplés des créatures fantastiques et d’une nature sauvage, prolifique et mystérieuse.

Dans les pas de Jack, creekwalker en Colombie-Britannique chargé du comptage du nombre de saumons dans les rivières. Des pas solitaires pour cet amoureux de la nature, qui, s’il l’écoute et la comprend mieux que personne, a des difficultés à communiquer avec les siens, en particulier sa belle-mère et son frère qu’il n’a pas réussi à dissuader de partir faire la guerre.

Des années 20 aux années 50, sur les ailes d’Aika, une picture bride, une jeune-fille japonaise de dix-sept ans, que son futur mari canadien a choisi sur une photo. Quelle humiliation à la descente du bateau de découvrir que celui qu’elle imaginait jeune et riche est en réalité un homme pauvre qui a menti sur son âge en envoyant une photo datée de quinze ans.

Ce roman raconte le destin de ces immigrés japonais, isei pour Aika (la première génération), nisei pour Hannah sa fille (la deuxième génération) en Colombie-Britannique, qui ont subi racisme, humiliations, privations de libertés.

J’ai découvert tout un pan de l’histoire qui m’était inconnu ; plus de vingt et un mille japonais et canadiens d’origine japonaise ont été internés dans des camps au Canada pendant la seconde guerre mondiale.

Ce récit s’est révélé enchanteur pour toutes les histoires et croyances transmises, en particulier celle du Moksgm’ol, l’ours esprit, ours blanc car porteur d’un gène rare, animal totem des Gitga’at, l’un des peuples tsimshian.

J’ai regretté cependant que l’autrice fasse d’inutiles allers-retours dans le passé, car s’ils ne nuisent pas à la compréhension du récit, ils l’alourdissent inutilement.

Des visions oniriques, des animaux fantastiques, une nature sublimée, des hommes perclus de violence et de haine, des femmes soumises qui se révèlent guerrières, tous les ingrédients d’un conte narré au coin du feu dans une petite maison de pierre perdue au fond des bois. Merci à Marie Charrel pour ces poétiques et terrifiantes histoires mêlant avec subtilité les petites et la grande.



« -Mon père aimait les histoires lui aussi, dit-elle après un long moment. Ma mère ne comprenait pas. Lui disait qu'elle ne les entendait pas pleurer.

-Qui ?

-Les histoires. Mon père affirmait qu'elles sont des filles du vent, pareilles à de petites fées errant dans l'immensité du ciel, perdues, jusqu'à ce qu'elles rencontrent un conteur disposé à les libérer par ses mots.

- C'est une belle histoire sur les histoires.

- Il aurait aimé celle des Tsimshian. Il est mort avant d'avoir pu me raconter toutes celles qu'il portait en lui. »

(p.190)

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La Fille de Lake Placid

Je rédige cette chronique en écoutant la magnifique voix de Lana del Rey sur une ballade envoûtante et repense au texte, lumineux, grisant, de Marie Charrel dans son roman « la fille de Lake Placid ».

Comment vais-je pouvoir résumer la complexité de la personnalité de cette chanteuse avec mon pauvre vocabulaire ?



Ce roman, c'est aussi la rencontre de Lana avec Joan Baez, l'icône folk, deux femmes amoureuses de la nature, éprises de liberté mais désenchantées face au chaos et la folie de notre monde et du rêve américain déchu.



1996, Lake Placid, la petite Elizabeth Grant se sent recluse dans cette petite ville bourgeoise. Elle aime fuir dans la forêt avoisinante : « Dès qu'elle le peut, elle gagne les tourbières, teste jusqu'où ses pieds s'enfoncent dans la fange spongieuse. Elle s'allonge sous un orme et se concentre sur l'odeur puissante de la terre humide, le chant des parulines masquées, la dispute des corneilles et, au loin, la rumeur de la circulation automobile rappelant que les hommes sont partout. Elle laisse la forêt entrer en elle pour y dissiper son angoisse » où elle retrouve son ami Parker. Au retour d'une de leurs escapades, ils feront l'étrange rencontre d'une femme dévêtue, la bouche barbouillée de rouge, la peau diaphane, cadavérique qui d'une voix plaintive s'interroge why are we here? why are we here? Cette vision de la femme écarlate la hantera à tout jamais. N'est ce pas le monstre des villes qu'elle cherche à fuir ?



Son entourage lui reconnait des dons pour le chant et elle aime se réfugier dans la poésie. Elle passe une adolescence compliquée, un peu trash, s'adonne de plus en plus à la boisson pour trouver l'inspiration. Cette addiction découverte l'éloignera de Lake Placid. Etudes à la Kent School, petits boulots, Elizabeth-Lizzy est hébergé par son oncle Mike qui l'oriente sur des lieux mythiques de concerts de son enfance et renforce son idée de faire carrière.



Lizzy devient bientôt Lana del Rey, mais quel parcours tortueux, il faut qu'elle fasse preuve d'une grande résilience et passe outre les critiques des réseaux sociaux. Son physique agréable et ses lèvres pulpeuses la desservent, elle est cataloguée comme bimbo, femme superficielle. Mais, bientôt, la profondeur de ses textes, ses mélodies nostalgiques prendront le pas sur son allure sexy.



2019 : Lana enfin reconnue, cherche à rencontrer son idole, la charismatique Joan Baez. Celle-ci, presque octogénaire, vit retirée dans son ranch californien, loin des engagements et des luttes de sa jeunesse et ne se consacre, désormais, qu'à la peinture. La première demande de Lana de se produire en duo avec elle pour interpréter le fameux succès de Joan « Diamonds and rust » se solde par un échec. Mais sur l'insistance de ses petits-enfants Gabriel et surtout Jasmine, inconditionnelle de Lana, les deux femmes se retrouvent sur scène et nait une complicité entre-elles basée sur des valeurs communes. Joan lui propose, même, de poser pour un portait, troublée par sa timidité, ses fêlures, les émotions que cette jeune femme a fait ressurgir, cette fougue joyeuse, exaltation relevant de la pure joie enfantine.



Je termine en dégustant le fameux « Diamonds and rust ».



Je vous engage à redécouvrir la discographie de ces deux grandes dames aux voix fabuleuses et pour les plus courageux à lire la traduction des paroles de leurs chansons que mon anglais scolaire n'avait fait qu'effleurer. Bien sûr, je vous conseille la lecture de ce roman solaire, limpide, cristallin de Marie Charrel.



Merci aux Editions Les Pérégrines pour ce moment de rêve.

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Les Mangeurs de nuit

Au début du XXème siècle, les “picture bride” affluent au Canada. Ces japonaises qui ont quitté leur pays et traversé l’océan dans l’espoir d’une vie meilleure, ne connaissent de leur futur mari que la photo qu’on leur a montrée et la lettre qui l’accompagnait... Comme pour Aika, nombre de ces mariages arrangés commencent ainsi par une désillusion. Choc des cultures, déracinement, mari décevant, situation misérable, le rêve s’effondre très vite pour laisser place à une réalité toute autre, dans laquelle l’intégration est presque impossible tant le racisme est omniprésent. Mais le pire est sans doute pour la génération qui suit, à laquelle appartient Hannah, née au Canada mais qui ne parvient pas à s’intégrer et ne se reconnaît pas pour autant dans la culture japonaise… Alors, quand le Japon devient l'allié des allemands dans la guerre, la peur et la haine se libèrent et les immigrés deviennent des cibles toutes trouvées. Mais, quel est le lien entre Hannah et Jack, ce creekwalker taiseux, élevé au cœur de la nature par une belle-mère amérindienne et bercé par ses légendes et ses croyances?



Pour le découvrir, il vous faudra plonger dans ce fabuleux roman qui dresse avec justesse le portrait passionnant d’une époque et d’une communauté. Le sujet m’a au début fait penser au magnifique roman de Julie Otsuka “Certaines n’avaient jamais vu la mer” qui décrit, à travers de nombreuses voix de femmes, la traversée de ces japonaises vers les Etats-Unis, leurs rêves, leurs espoirs et la désillusion qui s’ensuit. Mais passée cette première partie sur l’immigration, on pénètre dans un roman tout autre, plus sauvage, plus troublant, plus proche d’un récit de Jack London ou de Laura Kasischke et dans lequel les sensations et l’osmose avec la nature et avec ce qui nous entoure prennent le pas sur les mots. Le roman s’ancre alors au cœur de la forêt canadienne, dans des paysages recouverts de neige et bercés par le bruit des torrents et le souffle du vent dans la cime des arbres. Une nature sublime et dangereuse, qui cache en son sein des créatures redoutables, gouvernées par leurs instincts… Un monde à la vie rude, bien souvent solitaire, mais qui offre la grâce à qui sait la recevoir.



Le texte est prenant, parfaitement rythmé par les allers retours entre les époques. On oscille sur près de 50 ans, avide de découvrir les événements qui ont conduit nos personnages à cette rencontre improbable. Les liens se tissent, les protagonistes se révèlent à nous, mais surtout à eux-mêmes. La langue de Marie Charrel est de toute beauté, ses mots vibrent et résonnent à travers les légendes et les croyances qui nous sont contés. Impossible de ne pas succomber au charme de cette mythologie, à sa puissance évocatrice et à ce qu’elle dit de ce que nous sommes. C’est beau, c’est intense et c’est avec une pointe de regrets que l’on referme cette histoire… Une magnifique découverte!
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La Fille de Lake Placid

« Désormais, je parlerai toutes les nuits.

À moi-même. À la lune. Je marcherai,

comme je l'ai fait ce soir, jalouse de ma

solitude, dans le bleu argenté de la lune glaciale,

qui miroite sur les congères de neige

fraîche en renvoyant des milliers d'étincelles. »



Sylvia Plath, Carnets intimes



C'est en 1996, au détour d'une de leurs escapades nocturnes dans les bois de Lake Placid qu'une jeune fille à peine adolescente, Elizabeth, et son ami Parker font une étrange rencontre, celle d'une dame écarlate surgie de la nuit, surgie de nulle part... Non, je ne vais pas vous évoquer ma lecture récente d'un thriller, ni celle d'un roman horrifique, tout juste une ballade onirique entre rêves et réalité...

La jeune fille va grandir dans cette vision fondatrice pour elle, découvrir son don pour la musique et la poésie, y puiser l'inspiration d'un vertige qui sera sa quête mélancolique et douloureuse.

Quoiqu'on en dise, c'est peut-être cette nuit-là qu'Elizabeth Grant s'est métamorphosée comme une phalène, devenant ainsi la future Lana del Rey.

La jeune artiste va connaître rapidement une carrière éblouissante, parfois entremêlée de démons et de doutes, tentant de sortir des clichés que l'on a voulu lui accoler, entre l'image d'une biche égarée et celle d'une femme fatale...

Vibrante, passionnée, ingénue, trop naïve encore, elle avance sous la lumière des projecteurs, dans ce physique qu'elle n'assume pas vraiment, mais ses mots déjà la dévorent de l'intérieur...

En 2019, Lana del Rey rêve d'approcher son idole, Joan Baez, la mythique reine du folk qui vit désormais retirée dans sa ferme au coeur de la forêt californienne, où elle a troqué sa guitare contre une palette de couleurs, des pinceaux et un chevalet, elle peint des paysages, des animaux, les portraits des siens...

Dans ces chapitres qui alternent entre le temps qui se rapproche et celui déjà de 2019, Californie, Marie Charrel nous raconte l'itinéraire parfois chaotique, parfois trash de celle peu à peu devenue Lana del Rey. Je la découvre, j'apprends à la connaître. Ses chansons expriment le grand rêve américain abîmé, ses amours compliquées, le spleen, les addictions, le noir... Lana del Rey est-elle poétesse avant que d'être chanteuse ? Ses chansons sont des odes à la douleur exquise de s'accrocher à une illusion du bonheur.

Inexorablement nous la voyons se rapprocher de cette ferme de Californie, comme les phalènes se rapprochent de la lumière, convaincre l'égérie du folk aux pieds nus de remonter sur scène peut-être une dernière fois et de le faire à l'occasion de son prochain concert de Berkeley, tiens, pourquoi pas.

Vous l'aurez compris, -enfin j'espère, La fille de Lake Placid est un récit envoûtant et poétique, construit autour de faits biographiques, la vie de la chanteuse Lana del Rey et sa rencontre improbable avec Joan Baez. Leurs chemins n'étaient pas faits a priori pour se rencontrer.

Leur toute première rencontre ne fut pas facile d'ailleurs, il leur a fallu s'approcher, s'affronter, s'apprivoiser. Plus que le choc de deux générations, elles n'ont peut-être pas forcément la même vision du monde, l'une fut la militante saltimbanque de tous les combats et elle sait que le plus important aujourd'hui, la sauvegarde de la planète, est déjà perdu d'avance. L'autre ne croit pas que la musique ait le pouvoir de changer le monde. Princesse pop-rock sensuelle, objet de tous les fantasmes, mélancolique et désabusée, elle a conscience déjà de vivre sur des ruines. Mais toutes deux sont éprises d'une folle liberté qui les fait tenir debout dans ce rêve américain impossible et brisé. Elles font s'unir comme deux soeurs.

Ce roman est un envoûtement poétique. C'est une ode à la grâce. C'est un hommage à deux grandes femmes, dans ce qu'elles ont de fragile et de puissant : Joan Baez et Lana del Ray.

C'est un livre dont on tire des phrases que l'on note sur un carnet à spirales pour l'emporter avec soi et les relire sur une plage devant l'océan.

C'est un livre qui nous mène vers d'autres rives, d'autres livres. C'est un livre qui rend la fiction perméable à la réalité.

Je me suis faufilé à travers les pages de ce livre, tel un passe-muraille, allant de l'univers de ce livre au mien, venant côtoyer ces deux artistes, l'une que j'ai vue sur scène en 1981 seule avec sa guitare devant 20000 spectateurs, l'autre que je découvre grâce à cette lecture.

Ce sont les rêves de deux femmes qui se teintent de lumière mais aussi de déception tandis que l'imaginaire est là, au détour des pages que j'effeuille avec jubilation.

Les pages sont aussi emplies de fantômes, Martin Luther King, Sylvia Plath, Amy Winehouse, Kurt Cobain, la dame écarlate...

Si le roman relate des faits biographiques, Marie Charrel a convié l'imaginaire dans ces pages brûlantes de sincérité.

En 2019, Lana del Rey et Joan Baez ont réellement chanté lors du concert de la jeune chanteuse à Berkeley cette fameuse chanson Diamonds and Rust écrite par Joan Baez et que celle-ci chanta longtemps aux cotés de Bob Dylan, son compagnon de route des premiers jours vagabonds.

Marie Charrel s'est nourrie aussi de l'univers de David Lynch pour bâtir l'intrigue qui tient ce récit, ce qui rend le texte furieusement envoûtant.

Tel un passe-muraille, j'allais et venais entre onirisme et réalité, jusqu'au moment inéluctable où je savais bien que je resterai figé dans un mur de papier, la tête en Amérique bercée par deux muses et les pieds vissés dans la fange du quotidien.

Écrire, chanter, peindre... Tout n'est peut-être qu'affaire de lumière, la manière de la recevoir, la manière de la donner à son tour..

Lumière, ombre... Ombre, lumière... Battre les paupières et saisir le monde ainsi, dans sa fragilité et sa puissance d'embrasement...



Ce livre de Marie Charrel, autrice dont je fais la connaissance ici, est l'occasion pour moi de découvrir cette maison d'éditions au nom si évocateur, Les Pérégrines. Je vous partage ici sa raison d'être qui fait écho à quelques unes des valeurs qui m'animent.

Les Pérégrines, c'est un mot au féminin pluriel pour évoquer nos féminismes un nom en hommage au roman éponyme de Jeanne Bourin, historienne, écrivaine, grand-mère et figure d'inspiration d'Aude Chevrillon, la directrice de la maison. Notre ambition: vous proposer un voyage intellectuel en publiant des textes toujours pertinents, souvent impertinents, qui, par des voix fortes et hardies, des plumes belles et singulières, observent le monde par différentes fenêtres, nous amènent à faire un pas de côté, nous poussent à mieux appréhender l'autre, l'étrangeté, la diversité, nous livrent des trajectoires inspirantes pour dessiner une société plus humaine.



Ce livre se pose dans une de leurs collections, qui s'intitule Les Audacieuses. Des écrivaines mettent leur univers romanesque au service d'une réécriture de la vie de leurs héroïnes. Oser la fiction pour faire jaillir toute l'indocilité de figures féminines inspirantes: tel est le pari des Audacieuses.



Et maintenant un quiz, devinez un peu à quel endroit j'ai eu l'idée d'emporter ce beau livre coup de coeur ?



♪♫ As I remember your eyes

Were bluer than robin's eggs ♪♫

My poetry was lousy you said

♪♫ Where are you calling from?

A booth in the midwest

Ten years ago ♪♫

I bought you some cufflinks

♪♫ You brought me something

We both know what memories can bring

They bring diamonds and rust ♪♫

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Les Mangeurs de nuit

Premières pages : une jeune femme se fait attaquer par un ours blanc en Colombie Britannique. Il sera mis en doute plus loin que les ours blancs n'existent pas dans cette partie du monde. L'explication ne viendra jamais. Ormis cette petite contrarié, le reste m'a bien plu et surtout cette belle rencontre, sans sexe, de deux êtres si différents, une chinoise et un amérindien, une soignée et un soigneur. Deux êtres qui ont souffert du racisme et de l'exclusion. Ces deux taiseux vont s'ouvrir en se côtoyant. Révoltant de découvrir ce pan de l'histoire où on a fait venir des nippones au Canada par l'intermédiaire de lettres pour les exploiter puis les persécuter. De belles légendes amérindiennes nous sont contées. La nature y est sublimée. À découvrir.
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Les Mangeurs de nuit

Les mangeurs de nuit sont, dans la mythologie des Issei (ces japonais nés au Japon mais ayant émigré à l'étranger, mais c'est aussi le prénom du célèbre couturier et du cannibale qui n'ont rien à faire dans notre histoire), de grosses lucioles un peu féériques.

Elles sont, en quelque sorte, au centre du récit de Marie Charrel.

La chronologie de celui-ci s'étend de 1926 à 1956 mais, comme se serait trop facile, alors on commence "in ultima res" puis on analepse puis "in médias res" puis on analepse et ainsi de suite...mais le récit est particulièrement fluide, on se perd juste comme il faut...

Nous allons donc suivre les destins croisés de deux individus singuliers, atypiques, solitaires et parfois solaires quelque part entre Vancouver et la Grande forêt pluviale.

Sans trop rentrer dans les détails, ce serait trop dommage:

- Il y a Hannah, fille d'AÏka qui a traversé le pacifique pour rejoindre un époux dont elle n'a vu que la photo. C'est le sort de milliers de japonaises précaires(les "picture brides") qui se marient par correspondance à des immigrés japonais de Colombie britannique, supposément riches.

-Il y a Jack dont la belle-mère Ellen (qui l'a élevé) est une Gitga'at, une autochtone.

Hannah et Jack, pour des raisons différentes vont être ostracisés, stigmatisés.

Hannah connaitra la vindicte, l'exil, les camps de réfugiés : il y a eu Pearl Harbour bien sur, mais le racisme anti-"jaune" pré-existait.

Jack, orphelin de mère a un demi-frère (qui a du sang indien donc, j'espère que je ne vous ai pas perdus!) Mark. Ce dernier sera, comme beaucoup de natifs, christianisé de force dans les internats de l'horreur.

Jack est un creekwalker, un patrouilleur qui recense le nombre de saumons de sa zone de responsabilité.A la fois névrosé, autiste et timide, Il évoluera vers une symbiose sylvestre pour devenir une sorte d'anachorète de la forêt.

Evidemment Jack et Hannah vont se rencontrer, se percuter de plein fouet, et changer le tracé de leurs vies:

"Guérir serait revenir à l'état initial. On n'efface pas de telles blessures ; on plonge dedans, on s'immerge dans la douleur et l'obscurité jusqu'à les traverser. Lorsque l'on est passé de l'autre coté, seulement alors, on peut recommencer à marcher"

Marie Charrel nous livre un texte très inspiré, qui relève du "Nature writing" et de l'épopée chamanique. Il y a une sorte d'hybridation de Pete Fromm et de Nastassjia Martin.

On s'indigne bien sur de toutes ces haines xénophobes mais on s'émerveille devant ces résiliences déroutantes, semi-magiques qui tiennent beaucoup des contes et légendes indiennes et japonaises (Tsimshian et Issei donc) .

L'autrice raconte les mythes fondateurs de peuples que tout éloignent mais que tout rassemblent à l'intérieur des récits fondateurs.

C'est beau, troublant, exotique, rythmé mais il m'a manqué un poil d'émotion pour m'attacher vraiment aux protagonistes. Ce n'était d'ailleurs peut-être pas l'intention de Marie Charrel...

Hannah et Jack deviennent des personnages d'anthologie qui s'éloignent inexorablement du lecteur.

Restera le Moksgm'ol, l'ours esprit, qui prend parfois la forme d'un gros nounours blanc, fantomatique et omniscient.

Une lecture déroutante, étrangement rayonnante.
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Les Danseurs de l'aube

J'AI AIME !

J'ai aimé ce croisement , cette rencontre spatio-temporelle de personnages qui se font écho : Sylvin et Maria, Lukas et Iva qui se confondent, se fondent en Imperio et Dolorès .

- Des personnages ayant existé Sylvin (1914-2011) et Maria Rubinstein ( qui disparaitra à Treblinka) , des jumeaux nés de l'amour fou d'un russe blanc, Pietr Dodorov Nicolaï, duc , officiel du tsar Nicolas II et de Rachel , juive polonaise, danseuse à l'opéra de Moscou. Leur père sera fusillé par les Bolcheviques, la mère devra fuir et s'installer avec ses enfants à Brody, en Galicie (Ukraine)

- Des personnages de fiction mais combien réels, Lukas et Iva et sa mère Katalin, toutes deux Roms de Hongrie.

Lukas et Iva vont se rencontrer , animés, exaltés, tous deux, par le flamenco et partiront , comme pour un pèlerinage, sur les pas de Sylvin, un mythe, un dieu. Sylvin et Maria iront à Budapest, Bucarest, Prague, Berlin... Lukas et Iva se produiront à Paris, Londres, Madrid, Rome, Lisbonne, Grenade , Düsseldorf, Hambourg.

Sylvin et Maria devront affrontés les Nazis, Lukas, l'androgyne, ni parfaitement garçon, ni tout à fait fille, subira la discrimination, l'intolérance, Iva, le racisme, la persécution millénaire qui poussent toujours les Tziganes à l'exode.

J'ai aimé le style de Marie Charrel, son vocabulaire riche, coloré.

J'ai aimé découvrir un pan de l'Histoire grâce à Sylvin, le rôle qu'il tint pendant la guerre, sous le nom de Turski, j'ai découvert avec intérêt l'anti nazi Kurt Werner, l'officier de la Wehrmacht .

J'ai aimé aussi la grâce et la rudesse du flamenco, qui porte les personnages, qui donne feu au récit. Et par cette lecture j'ai retrouvé un souvenir pittoresque : en me promenant à une heure indue ( en plein midi, un jour d'été) dans les ruelles de Grenade, j'ai été attirée par le toque ardent d'une guitare et les taconeados trépignants, une fenêtre ornée d'une magnifique ferronnerie, était entrouverte, celle d'une académie de flamenco, alors je suis restée tapie à écouter, captivée, médusée, attisée par le rythme et la grâce s'échappant de l'embrasure, je n'ai pas entendu la porte qui s'ouvrait , un danseur qui m'avait repérée , m'a invitée à assister au cours, une démonstration endiablée, inoubliable.



Oui, j'ai aimé ce roman plein de grâce et de ferveur.

Merci aux éditions de l'Observatoire, Merci à Babelio, un grand merci Marie Charrel ! . Ce roman pourrait être parfaitement étudié au collège et au lycée, pour parler, évoquer l'intolérance , le racisme ordinaire...

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Les Mangeurs de nuit

Jack, Hannah et l’ours blanc



Dans son magnifique septième roman, Marie Charrel revient sur un épisode oublié de l’histoire canadienne, la chasse aux immigrés japonais avant et surtout après la Seconde guerre mondiale. Un Récit initiatique enrichi de contes et légendes.



Aika a 17 ans quand elle part pour le Canada. Elle est une «fiancée de papier», promise à partir d’une photo à un Issei. C’est le nom que l’on donne à la première génération des immigrés japonais. Son mari lui a fait miroiter une situation aisée de pêcheur, mais une fois débarquée à Vancouver, elle va vite déchanter et va finalement épouser un pauvre bûcheron dont le seul trésor sont les légendes nippones qu’il ne va cesser de transmettre, en particulier à sa fille Hannah. Quand il meurt, Aika ne sait comment elle va survivre dans un environnement de plus en plus hostile. «J’ignore ce que je ferai de toi plus tard: aucun homme ne voudra prendre pour épouse une fille des bois. Les lucioles, les fourmis, les arbres: tu es comme ton père. Tu racontes trop d’histoires.»

Face à la montée de l’intolérance, aux actes racistes et à la multiplication des lois promulguées à leur encontre, Hannah se sent perdue. Elle n’est pas faite pour ce monde. «Elle ne comprend pas que ni la politesse, ni l’humilité dont les Japonais font preuve ne les protégera contre la sauvagerie prête à s’abattre sur eux.» Avec Aika, elle est brutalement chassée de Vancouver et doit rejoindre le camp de Greenwood. C’est de là qu’avec trois compagnes, elle va décider de fuir. S’enfonçant dans la forêt, elle va se retrouver nez à nez avec un ours blanc.

Quand elle se réveille, Jack lui explique qu’elle a été blessée et qu’il l’a retrouvée inconsciente. Tout en soignant la jeune fille, ce creekwalker, c’est-à-dire un agent chargé par le gouvernement de recenser le nombre de saumons dans sa zone pour définir les quotas de pêche, découvre qu’elle est «habitée», qu’elle est pourvue de dons surnaturels transmis par «l’ours esprit».

Dès lors, c’est ce couple très particulier, l’enfant élevé par une amérindienne de la nation Gitga’at, devenu ermite après la mort de son demi-frère à la guerre qui vit désormais seul dans la forêt avec ses chiens et cette Nisei, c’est-à-dire une Japonaise de la seconde génération, née au canada et nourrie de contes nippons qui va chercher à se construire en se nourrissant de leurs cultures respectives et en communiant avec la nature. «On accueille les histoires puis on les libère en les racontant, de façon à ce qu’elles réparent d’autres que soi.»

Marie Charrel, à l’instar d’Hannah, a compris que face à la fureur, à la haine, au deuil et au martyre, il n’y a qu’un seul remède, les mots.

«Voilà ce qu’elle doit faire: écrire leurs histoires à tous avant qu’elles ne s’évaporent ; l’histoire d’Aika, d’Hatsuharu, des semeurs d’espoir et des mangeurs de nuit, du petit prince et des hommes-saumons ; celles des Issei, des Nisei, de Greenwood et les légendes tsimshian. Les contes des mondes engloutis. (…) Elle récoltera les bribes de vie, les reflets au bord du chemin et les éclats d’étoile, puis sèmera les mots. (…) Elle sera la femme-esprit, la femme-mémoire, plus tout à fait humaine – un peu de l’ours est entré en elle. Une créature ni d’ici, ni d’ailleurs. Un pont entre les mondes. » Laissez-vous porter par ce roman initiatique à la construction audacieuse, qui oublie la chronologie au bénéfice des émotions, et découvrez derrière ce morceau d’histoire peu glorieux – le gouvernement canadien attendit 1988 pour présenter des excuses officielles et dédommager les survivants – l’une des œuvres les plus romanesques et les plus riches de 2023.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Les Mangeurs de nuit

Je ne souviens plus qui a écrit cette chronique dithyrambique, lue sur les réseaux, qui m'a décidé à me lancer dans ce livre. Mais, je souhaite avant tout le remercier et je suis ravi d'avoir suivi ces conseils avisés.



« Les mangeurs de nuit » nous raconte le destin d'exilées japonaises arrivées sur le sol canadien dans l'espoir d'un avenir meilleur. Se situant entre deux périodes, le récit retrace le sort qui a été réservé à ces immigrés avant, pendant et après la seconde guerre mondiale.



Cette aventure montre qu'en période de conflit ou de crise, les pays se referment sur eux-mêmes et les étrangers sont toujours les premiers coupables désignés. Ces personnes en quête d'intégration se retrouvent montrées du doigt et stigmatisées, souvent de manière violentes. Ancré dans l'Histoire, cette aventure a le mérite de nous ouvrir les yeux sur ces évènements dramatiques qui ont eu lieu en Amérique du Nord à cette époque.



Outre son côté enrichissant, ce texte est une pépite parce qu'il m'a émerveillé de bout en bout, sur le fond comme sur la forme. La langue de l'écrivaine est magnifique. Ces mots ont le pouvoir de transcender la nature et les hommes qui l'habitent. Les descriptions du décor sont de toute beauté au point d'en devenir presque charnelles. On s'attache aux personnages, esprits brisés débordants d'humanité.



Saupoudré de croyances indigènes et japonaises, cette fresque familiale et historique est un vrai régal de lecture. Je suis passé par toutes les émotions, ébranlé par la dualité de l'Homme, capable de la pire cruauté comme de la plus belle fraternité.



Je ne connaissais pas Marie Charrel mais je peux l'affirmer haut et fort : elle a un talent exceptionnel, que vous devez absolument découvrir ! Elle nous offre avec son deuxième roman, une histoire bouleversante dont je ne suis pas sorti indemne. Un livre d'une grande puissance littéraire, comme on en lit peu !
Lien : https://youtu.be/WfO9w8gic58
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Les Danseurs de l'aube

Très beau roman qui m'a permise de faire la connaissance de deux personnes admirables dont j'ignorais l'existence : Sylvin Rubinstein,superbe danseur de flamenco mais aussi résistant téméraire contre les nazis, et Kurt Werner, dirigeant d'un réseau de résistants au sein de la Wehrmarcht.

C'est un roman qui vibre de passion,celle du flamenco et celle de la liberté,les deux étant peut-être indissociables ?!

Marie Charrel mêle deux histoires et deux époques : l'enfance puis la vie de Sylvin Rubinstein et sa sœur jumelle jusqu'en 1958 ; et l'épopée dans l'Europe de l'est et Grenade de Lukas et Iva en 2017. Lukas est en quête d'identité,Iva fuit la Pologne devenue trop dangereuse pour les Roms. Leur destin se croise à Hambourg lors des manifestations contre le G20. Leur point commun? Le flamenco ! Lukas est sur les traces de son idole,Sylvin Rubinstein. Sous les cendres et la fureur de la manifestation,ils entament une danse passionnée qu'un journaliste va photographier à leur insu. Cette photo deviendra emblématique de la lutte pour un monde meilleur,l'espoir " des danseurs de l'aube". Lukas va raconter à Iva l'histoire fabuleuse de Sylvin. Ainsi,dans un jeu de miroirs dans lesquels se reflètent ces deux " couples",Syvin et sa jumelle Maria, Lukas et Iva ,l'auteur mêle deux passions identiques et deux confrontations à la violence politique et l'intolérance poussée à son paroxysme.

Elle a réussi par son écriture à me transmettre toute la fougue de la " duende", la vibration unique du flamenco " celle qui ne s'épanouit que lorsque la vie rencontre la mort, à l'endroit précis où les deux entrent en lutte."

L'épisode à Grenade m'a littéralement transportée dans l'ambiance unique de l'Albayzin et l'envoûtement de sa musique.

Ce livre est un vibrant hommage à deux résistants magnifiques dont je m'étonne qu'ils soient si peu connus. C'est une belle invitation à l'audace et à la liberté.
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Les Mangeurs de nuit

Ode à la nature mais surtout ode à la vie plutôt qu'à celle de la seule beauté physique.



Marie Charrel, journaliste et écrivaine, est publiée depuis 2010 mais je n'avais lu aucun de ses précédents romans. Celui-ci a donc été une belle découverte d'autrice toute en rondeur. Les thèmes qu'elle aborde ici sont empreints de cette empathie qui manque souvent à l'humanité vis-à-vis de l'imperfection.

Sa description des paysages est si fine, si douce que même celui qui n'est pas un amoureux fou de la nature le deviendra au fil du livre. Les paysages, la faune et la flore en général, font partie intégrante du récit. Sans eux ce roman n'aurait certainement pas cette profondeur. Au travers de la beauté entourant les personnages principaux, Marie Charrel les rend quelque part plus beaux, plus intenses. La nature va, à sa manière, jouer un rôle dans la guérison d'Hannah et Jack.



L'incipit relate un fait dramatique, une jeune femme attaquée par un improbable ours blanc et entrainée au fond de l'eau. Notre curiosité est immédiatement attisée.



Le récit va papillonner entre 1926, année de mariage des parents d'Hannah, 1945 année de présentation des deux personnages principaux et 1956, l'histoire et son dénouement.

En 1926, Aika, la mère d'Hannah, est, comme beaucoup de ses congénères japonaises à l'époque, attirée au Canada par une proposition alléchante de mariage. Aika, ayant un père ruiné après avoir fait fortune dans la pêche, s'est vue embarquée dans cette spirale. A l'époque, les dites fiançailles par correspondance et organisées sur simple échange de photos (réalistes ou arrangées, c'est selon), font légion. Aika va immédiatement déchanter en voyant l'homme qui l'attend à son arrivée et après un long périple en bateau en provenance du Japon. Cet homme, Kuma, deviendra le père d'Hannah. On sent dès cet instant que la tristesse fera partie du décor.



On saute ensuite en octobre 1945 en Colombie-Britanique afin de nous faire connaitre Jack, patrouilleur dans des eaux riches en saumons, ses chiens Buck et Astrée, et Mark, ce demi-frère qui génère chez lui de douloureux souvenirs.



Puis on arrive en 1956 dans une maison des Hautes Terres canadiennes où ce sera au tour d'Hannah de nous être présentée : Hannah, la jeune femme de l'incipit.

L'arrivée d'un troisième personnage va réellement lancer l'histoire.



Les drames du passé vont progressivement remonter à la surface. On va lire de belles phrases telles :

« Elle a désappris les choses simples, les relations humaines »

Ou « Ecrire, lire et marcher pour s'éloigner des fantômes ».



Et le livre se referme sur une dernière précision « Vingt et un mille japonais et canadiens d'origine japonaise furent internés durant la Seconde Guerre Mondiale dans des camps comme Greenwood en Colombie-Britanique. En 1988 seulement des excuses et des dédommagements du gouvernement. »
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Les Mangeurs de nuit

Marie Charrel décrit avec une infinie poésie les arbres, le ciel et le lac, les parant d'une aura sibylline alors que des légendes amérindiennes et japonaises s'invitent dans ces pages. Celles-ci éclairent les héros d'un jour nouveau, faisant des minorités qu'ils représentent des passeurs d'histoires, des peuples à l'héritage malmené par le racisme du siècle passé. Humains, touchants, les protagonistes sont pourtant écrits d'une plume bien plus prosaïque que les mythes qu'ils relatent, que la forêt où ils vivent (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2023/03/30/les-mangeurs-de-nuit-marie-charrel/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Les Danseurs de l'aube

Marie Charrel répare l'injuste oubli de Sylvain Rubinstein en racontant son histoire de vie. C'est avec beaucoup de sensibilité et d'habiletés qu'elle nous fait connaître ce talentueux danseur de flamenco et résistant très actif durant les années de guerre. Il combattra avec force les nazis et se grimera en femme pour certaines de ses actions .

Pour nous faire part de son histoire,Marie Charrel fait un bond dans l'histoire. Nous nous retrouvons en 2017. C'est Lukas,jeune homme à l'identité double et trouble qui va raconter à Iva, jeune fille fuyant son pays, la Hongrie, l'histoire troublante et passionnante de Silvin Rubinstein.

Ces deux jeunes gens vont reprendre à leur compte les personnages de Dolorès et Imperio joués par Sylvain Rubinstein et sa sœur jumelle Maria tant aimée. Ils les feront revivre à travers une tournée en Europe.

Tout ce roman est un savant mélange entre la danse et l'écriture, la sensualité et la révolte,le féminin et le masculin.

La dernière scène de danse de flamenco de Lukas et Iva et de toute beauté, envoûtante. L'effet miroir de ces deux "couples" est extrêmement bien rendu et suscite mon admiration.
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Une nuit avec Jean Seberg

La nuit de décembre 1970, à Lausanne, Elisabeth rencontre Jean Seberg, adhérente dès quatorze ans à la National Association for Advanced of Colored People (N.A.A.C.P.).

Elisabeth, ou Lisa ou Eli, c'est la narratrice, une grand mère métissée afro-américaine, juive et algérienne, qui s'est engagée autrefois contre la ségrégation des Noirs aux U.S.A.



Plusieurs thèmes sont brassés et documentés par la journaliste Marie Charrel. Ils sont sourcés dans une annexe de 4 pages : la violence policière au métro de Charonne en 1962, les attentats de 2015, la radicalisation et la déradicalisation, les "revenants" qui ont quitté la Syrie suite au recul de Daesh, le voyage des réfugiés, les destructions d'œuvre d'art à Palmyre, le mouvement des Black Panthers et comment le FBI a détruit cette organisation, les liens de Jean Seberg avec les mouvements de protestation, la relation entre l'actrice et le romancier Romain Gary...



Le roman relie en miroir la trajectoire de Jean, celle d'Elisabeth et celle de son petit fils Alexandre, jeune métis marqué par les attentats du café de la Belle équipe qu'il fréquentait avec ses amis. La richesse du roman est de créer un écho entre les générations avec des faits réels de diverses époques, avec un rythme sans temps mort.



Une jolie écriture soutient une narration tendue et dynamique ; ce roman nous accroche par des procédés narratifs recherchés, chassé croisé passionnant entre des souvenirs et des événements du temps actuel.

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Les Danseurs de l'aube

Hambourg juillet 2017, Lukas, jeune danseur androgyne, tout juste bachelier, part sur les traces de Sylvin Rubinstein, son idole, sa muse.

Sylvin Rubinstein, un danseur de flamenco qui dansa sa vie, travesti en femme dans les cabarets de Hambourg. Une vie héroïque de résistant tueur de nazis durant la seconde guerre mondiale.

Une vie que Lukas va raconter à Iva, une jeune danseuse, brûlée comme lui par la feu du Flamenco.



Un fil rouge et noir comme le drapeau nazi, la folle et intense existence de Sylvin Rubinstein va nourrir la résilience d' Iva et Lucas et ainsi donner naissance à Imperio et Dolorès, les danseurs de l' aube, symbole d' un autre monde possible.



Magnifique roman historique et contemporain, " Les danseurs de l' aube" est aussi la biographie d' un résistant oublié, une vie tragique et romanesque dans l' Europe en feu des années quarante. En miroir, Marie Charrel, brillante romanciere, mais aussi- non moins brillante- journaliste au journal Le Monde, nous parle de l'Europe d'aujourd'hui et nous met en garde, quand la bête sombre se réveille, elle se repait de tout esprit de liberté.

Un très bon cru de la rentrée de janvier qui en recèle quand même un certain nombre.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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