Citations de Marina Tsvetaieva (457)
Poème de Pouchkine traduit en français par Marina Tsvetaïeva
Des démons et des démones
Se joignant, se disjoignant
Papillonnent, tourbillonnent –
Feuilles folles sous le vent !
Quelle foule ! Quelle fuite !
Et pourquoi ces tristes chants ?
Une ancêtre qui vous quitte ?
Une belle qu’on vous prend ?
Les nuages fuient en foule
Sous la lune qui s’enfuit,
Les nuages fument et roulent
Trouble ciel et trouble nuit.
Survolant la blanche plaine
Geignent, hurlent les malins
De leurs plaintes surhumaines
Déchirant mon cœur humain.
Rivale, un jour je te viendrai;
La nuit plutôt, au clair de lune,
Quand dans l'étang crie le crapaud,
Et quand délire la pitié.
Et, attendrie par le battement
Jaloux de tes paupières,
Je te dirai: je ne suis pas,
Je suis un songe et tu me rêves.
Et je dirai- console-moi,
Mon coeur blessé se tord,
Et je dirai- le vent est frais,
Le ciel brûle d'étoiles
8 septembre 1916
Il me plaît que vous ne soyez pas fou de moi,
Il me plaît de ne pas être folle de vous,
Et que jamais le lourd globe terrestre
Ne fuie au-dessous de nos pieds.
Il me plaît de pouvoir être ridicule –
Troublée – et de ne pas jouer sur les mots,
Et de ne pas souffrir d’une faiblesse étouffante
Lorsque nos deux manches se frôlent.
Rainer Maria Rilke est significatif pour notre époque, ce poète le plus éloigné dans l’éloignement, le plus élevé dans le sublime, le plus solitaire dans sa solitude, est le contre-poids de notre temps.
Poème de Pouchkine traduit en français par Marina Tsvetaïeva :
Tu me disais : Demain cher ange,
Là-bas, au bout de l’horizon,
Sous l’oranger chargé d’oranges
Nos cœurs et lèvres se joindront.
Mais là, où sous l’immense cloche
D’azur, au bienveillant soleil
Les ondes dorment sous la roche,
Tu t’endormis du grand sommeil.
S’en sont allés comme l’écume
Ta jeune grâce et tes émois
Et ce baiser qui me consume…
Mais je l’attends, tu me le dois…
DON JUAN
Près de l’église, à l’aube,
Quand le gel se déploie,
Au sixième bouleau,
Don Juan, attendez-moi !
Cependant, je vous jure
Sur mon ami, ma vie,
Qu’on ne peut s’embrasser
Ici, dans mon pays.
Il n’y a pas de fontaines,
Le puits gèle en hiver,
Et nos Vierges, nos saintes
Ont des yeux trop sévères.
Et afin que nos belles
N’écoutent des sottises,
Sans cesse carillonnent
Les cloches des églises.
Je pourrais vivre ainsi,
Mais j’ai peur - de vieillir…
Ni à vous mon pays
Ne sied bien, à vrai dire,
Là, en pelisse d’ours,
Serait-ce vous vraiment -
S’il n’y avait vos lèvres,
Vos lèvres, Don Juan !
14 février 1917
Les yeux grands ouverts sur le ciel bleu
Tu t'exclames : l'orage s'apprête !
Sur un voyou haussant le sourcil
Tu t'exclames : l'amour va paraître !
A travers les lichens d'indifférence
Je m'exclame : un poème va naître !
1936
Un rêve, c'est moins
Qu'un pli de dix grammes.
Ai-je cessé de vous aimer ? Non, vous n'avez pas changé et je n'ai pas changé - non plus. Une seule chose a changé : ma concentration névralgique sur vous. Vous n'avez pas cessé d'exister pour moi, j'ai cessé d'exister en vous. Mon heure avec vous s'est achevée, reste mon éternité avec vous. Oh, attardez-vous un peu là-dessus ! En dehors des passions, il y a encore l'immensité. C'est dans l'immensité qu'a lieu désormais notre rencontre.
Les collines des environs de Moscou sont bleues,
Poussière et goudron – dans l’air à peine tiède.
Tout le jour je dors et je ris tout le jour, - je suis,
Probablement, en train de guérir de l’hiver….
Je rentre chez moi le plus doucement possible :
Je ne regrette pas – les poèmes non-écrits !
Le bruit des roues et les amandes grillées
Me sont plus chers que tous les quatrains.
Ma tête est vide, et c’est charmant :
Le cœur – lui - est trop plein !
Mes jours sont de petites vagues
Que je regarde du port.
De trop tendres regards
Dans l’air tendre à peine tiède,
À peine guérie de l’hiver, déjà
Je suis malade de l’été.
J’ai fêté seule la nouvelle année.
Moi, riche, j’étais pauvre,
Moi, avec mes ailes, j’étais damnée.
Quelque part, beaucoup, beaucoup de mains
Serrées – et beaucoup de vins vieux.
Avec ses ailes, elle était damnée !
Et elle, l’unique était - seule !
Comme la lune - seule, sous le regard de la fenêtre.
31 décembre 1917
Tous les yeux sont ardents -- sous le soleil,
Chaque jour est un jour différent.
Je te le dis pour le cas
Où je te tromperais: quelles
Que soient les lèvres
Que j'embrasse, à l'heure d'amour,
Á la mi-nuit noire, à qui que ce soit
Que je jure furieusement de vivre
Comme une mère á son enfant,
Comme fleurit une fleur,
Sans jamais promener mon regard
Sur qui que ce soit d'autre...
Tu vois, cette petite croix en cyprès ?
Car -- tu la connais --, tout
S'éveillera -- à ton premier signe --
Sous ma fenêtre.
En moi-même, dans l'isoloir
Du cœur. Mal vivre - qu'importe où,
Où - m'avilir, moi, ours polaire
Sans sa banquise, je m'en fous !
Même ma langue maternelle
Aux sons lactés - je m'en défie.
Il m'est indifférent en quelle
Langue être incomprise et de qui !
Légère est ma démarche,
- Ma conscience est légère -
Légère est ma démarche,
Ma chanson est sonore -
Dieu m'a mise seule,
Au milieu du monde ;
- Tu n'es point femme mais oiseau,
Alors - vole et chante.
Insomnie
Qui dort chaque nuit ? Personne ne dort !
L'enfant crie dans son berceau,
Le vieillard est face à sa mort,
Le jeune homme parle avec son amie,
Le souffle, à ses lèvres, les yeux dans les yeux.
On s'endort ~ s'éveillera-t-on ici encore ?
On a le temps, le temps, on a le temps de dormir !
Un gardien vigilant, de maison en maison
passe, un fanal rose à la main,
et grondements saccadés par-dessus l'oreiller,
sa crécelle violente va gronder :
- Ne dors pas ! Résiste ! Je dis vrai !
sinon, c'est le sommeil éternel !
sinon, c'est la maison éternelle !
Je m'ouvre les veines : irrécupérable
Et ingarrottable, la vie coule à flots.
Mettez au-dessous assiettes et seaux !
Toutes les assiettes seront toujours plates,
Petits les seaux.
A côté, débordant
Sur la terre noire, nourrir la fougère,
Tombe, irréversible, irrécupérable
Et ingarrottable l'averse des vers.
6 janvier 1934
Voici - de nouveau - une fenêtre,
Où - de nouveau - on ne dort pas.
On y boit du vin - peut-être -,
On n'y fait rien - peut-être -.
Ou alors, tout simplement,
Deux mains ne peuvent se séparer.
Il y a dans chaque maison,
Ami, une fenêtre pareille. (...)
23 décembre 1916 (page 122)
Vous aviez la flemme de vous habiller, et
Vous aviez la flemme de quitter les fauteuils.
Mais chacun de vos jours à venir
Serait gai de ma gaîté.
Vous n’aimiez surtout pas sortir
Si tard, dans la nuit, dans le froid.
Mais chacune de vos heures à venir
Serait jeune de ma gaîté.
Vous l’avez fait sans penser à mal,
Innocemment, irrémédiablement.
J’étais votre jeunesse,
Qui passe
Que peuvent faire le bâtard et l’aveugle
Dans un monde où chacun
A son père et des yeux ? Où passions
Et jurons trainent sur tous les remblais,
où les larmes s’appellent rhumes de cerveau ?
Qu’ai-je à faire moi, chanteuse de métier
Sur un fil, glace, soleil, Sibérie !
Obsessions, danses et chants sur les ponts
Moi légère, dans ce monde de poids et de comptes ?
Qu’ai-je à faire moi
Chanteur et premier-né,
Dans ce monde où l’on met les rêves en conserves,
Où le plus noir est gris… Un monde de mesure
Avec mon être
Tout de démesure !
Si les mères disaient un peu plus souvent à leurs enfants des choses incompréhensibles, non seulement ces enfants comprendraient plus de choses en grandissant , mais ils agiraient aussi avec plus d’assurance. Il ne faut rien expliquer à un
enfant, il faut l’ensorceler. Et plus le sens de l’incantation ensorcelante est ténébreux , plus elle pénètre en profondeur dans sa conscience, plus l’effet est absolu en lui : “Notre Père, qui es aux cieux...”