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Critiques de Nathalie Sarraute (278)
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Au bonheur de lire : Les plaisirs de la lec..

Je sors de cette lecture, brève et agréable avec une folle envie de lire Comme un roman de Daniel Pennac et la résolution, bien plus courageuse, de mettre dans ma pile à lire À rebours de Joris-Karl Huysmans.

Dans cette compilation de textes autour de la lecture et des livres, chaque fragment se lit avec plaisir, mais l'ensemble manque un peu d'ambition je trouve. Il y a de la part de l'éditeur une intention vague de regrouper les extraits en trois parties, non nommées mais désignées par des courtes citations. J'ai de loin préféré la dernière, tout comme j'ai « nimbé de marqueurs fluorescents » ce passage de Daniel Pennac : « Il n'y a pas si longtemps, j'ai vu de mes yeux vu une lectrice jeter un énorme roman par la fenêtre d'une voiture roulant à vive allure : c'était de l'avoir payé si cher, sur la foi de critiques compétents, et d'en être tellement déçue. Le grand-père du romancier Tonino Benacquista, lui, est allé jusqu'à fumer Platon ! Prisonnier de guerre quelque part en Albanie, un reste de tabac au fond de sa poche, un exemplaire du Cratyle (va savoir ce qu'il fichait là ?), une allumette… et craque ! une nouvelle façon de dialoguer avec Socrate… par signaux de fumée. »

Je ne jette jamais les livres, car je me fie à babelio et que je ne suis ainsi presque jamais déçue. Pour ce qui est de fumer j'ai heureusement arrêté il y a longtemps. Ma drogue quotidienne reste la lecture.

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Enfance

Quelle étonnante découverte !

Je n'ai jamais rien lu de Nathalie Sarraute, l'associant à Marguerite Yourcenar que je trouve parfaitement hermétique (enfin, c'est mon avis).

Or là, surprise, une écriture fluide et vivante.

L'auteur raconte son enfance sous forme d'un dialogue avec elle-même, la poussant à aller de plus en plus loin dans la précision de ses souvenirs.

C'est parfaitement bien mené. Aucune lassitude en lisant, juste de l'admiration pour se souvenir aussi bien de son enfance, moi qui en ai tant oublié.

Elle décrit superbement les joies, la vitalité de l'enfance, mais aussi ses désespoirs, l'impact que peuvent avoir certaines paroles prononcées par les adultes, les blessures qu'elles engendrent, la confiance trahie, la solitude quand on ne sait plus à qui se confier.

A l'école, elle trouve sa place, hors de sa mère qui l'abandonne plus au moins et de sa belle-mère si froide et indifférente.

On sent naître son amour pour les langues et les mots, la naissance inconsciente de sa future vie d'écrivaine.

Nul doute que je vais lire ses romans.

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Tropismes

Radiographie des mouvements intérieurs effleurant la conscience…



Ni roman, ni nouvelles, il aura fallu cinq ans à Nathalie Sarraute pour écrire ce court livre décomposé en vingt-quatre scènes indépendantes les unes des autres, vingt-quatre fulgurances, vingt-quatre sensations que nous touchons parfois du doigt sans pouvoir les nommer et les décrire, telle de l'eau que nous voudrions attraper avec nos poings.

Sans doute sont-elles trop intérieures, trop intimes pour pouvoir être saisies sur le vif…trop fugaces et oniriques pour pouvoir être appréhendées avec conscience alors que déjà, juste après la fulgurance, cette sensation part en lambeaux comme un rêve au moment du réveil…trop imperceptibles pour que ces vibrations soient mises en langage. Ils se situent en amont du langage.



Pourtant Nathalie Sarraute veut précisément mettre des mots derrière ces sentiments indicibles, étranges, confus, qui nous assaillent par moment, « mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de la conscience » anodins et insignifiants, invisibles, mais lourds de conséquences en réalité. Un effet papillon pouvant expliquer fuites, colères, dépressions, réactions incongrues, paroles inappropriées, gestes à priori inexpliqués…



Voilà une oeuvre éminemment originale, surtout en 1939 lorsqu'elle fut publiée. Il faut dire que pour Nathalie Sarraute, on « ne doit écrire que si l'on éprouve quelque chose que d'autres écrivains n'ont pas déjà éprouvé et exprimé ». C'est également souvent ce que recherche le lecteur, lire et éprouver quelque chose qu'il n'a pas éprouvé avec d'autres écrivains. C'est un pari en tout cas réussi de la part de l'auteure au point de devenir la figure emblématique de ce que nous avons appelé le « Nouveau roman ». Elle n'aura de cesse d'explorer ces tropismes qui, de livre en livre, apparaissent sous des formes diverses.



Tels des lambeaux de rêves capturés et interprétés, ces petits textes doivent être lus et relus pour que l'intraduisible soit traduit, pour fouiller la conscience et faire émerger l'inconscient. le tamis de Nathalie Sarraute est composé de mailles d'ironie froide, ou plutôt de neutralité, de lucidité, voire d'humour, léger ; ses mailles resserrées permettent de capter ces invisibles et frétillants fragments d'intériorité. Et c'est troublant car, parmi ces vingt-quatre tableaux le lecteur trouvera forcément une situation qui a été sienne un jour. Et lui permettra surtout de questionner ses propres vibrations internes.



Frénésie vestimentaire qui nourrit uniquement l'apparence, frénésie intellectuelle qui vise à figer et à absorber, gens médiocres à la psychologie figée, commérages incessants, frivolité, personnes qui usent de leur âge ou de leur sexe pour dominer, solitude, habitations sans âme, rôle à jouer et envie à réprimer selon les convenances sociales, obsession pour les choses…Paroles ou simple présence d'autrui, attitude, gestuelle…telles sont, entre autres, les éléments déclencheurs des tropismes.



« Et il sentait filtrer de la cuisine la pensée humble et crasseuse, piétinante, piétinant toujours sur place, toujours sur place, tournant en rond, en rond, comme s'ils avaient le vertige mais ne pouvaient pas s'arrêter, comme s'ils avaient mal au coeur mais ne pouvaient pas s'arrêter, comme on se ronge les ongles, comme on arrache par morceaux sa peau quand on pèle, comme on se gratte quand on a de l'urticaire, comme on se retourne dans son lit pendant l'insomnie, pour se faire plaisir et pour se faire souffrir, à s'épuiser à en avoir la respiration coupée… ».



Sensation d'enfermement, de panique, d'oppression jusqu'à la fuite pure et simple…



« Se taire ; les regarder ; et juste au beau milieu de la maladie de la grand-mère se dresser, et, faisant un trou énorme, s'échapper en heurtant les parois déchirées et courir en criant au milieu des maisons qui guettaient accroupies tout au long des rues grises, s'enfuir en enjambant les pieds des concierges qui prenaient le frais assises sur le seuil de leurs portes, courir la bouche tordue, hurlant des mots sans suite, tandis que les concierges lèveraient la tête au-dessus de leur tricot et que leurs maris abaisseraient leur journal sur leurs genoux et appuieraient le long de son dos, jusqu'à ce qu'elle tourne le coin de la rue, leur regard. »





Les tropismes sont les fruits de l'expérience et ce qui est fort dans ce petit ouvrage est le fait que Nathalie Sarraute arrive à nous les faire ressentir, à nous faire vibrer avec toute la gamme de ces sensations confuses entre impulsion et retenue. Des réminiscences troublantes pour le lecteur…Une lecture marquante qui parle à la part enfouie au plus profond de nous.

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Tropismes

L'auteure a expliqué les tropismes comme étant « des mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l'origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu'il est possible de définir ». De fait dans ce premier livre de Nathalie Sarraute composé de vingt-quatre textes très courts il s'agit de situations banales, sans trame romanesque, où des personnages anonymes semblent mus par la seule volonté de faire les choses du quotidien ou de passer le temps. Et pourtant sous cette banalité apparente il existe une intensité sous-jacente des sentiments, des rapports humains complexes et violents qui donnent une force inouïe à ces Tropismes.
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Enfance

Depuis quelques jours, je suis plongée dans un livre que j’aime beaucoup et que je relis régulièrement : Enfance de Nathalie Sarraute. Dire que c’est une œuvre qui me parle est un euphémisme : je crois que j’en goûte chaque phrase, chaque mot, chaque silence. J’ai l’impression certainement inexacte d’ailleurs d’en saisir précisément le sens, la nuance, le sous-entendu. Aucune œuvre, peut-être, ne me donne à ce point le sentiment d’être en phase avec elle au point que tout me fait signe, le moindre pronom, la plus petite virgule… Bien sûr, c’est une œuvre qui m’est familière mais elle porte dans son écriture, dans les mots qui sont les siens, ses silences, d’autres mots qui me mènent sur d’autres voies que l’auteur a entrouvertes et dans lesquelles je me glisse. Je me dis que pour aimer autant cette œuvre, je dois y lire des bribes de ma propre histoire, oui, c’est certainement cela, un écho, une résonance, sans quoi, il ne pourrait en être ainsi…

Pour comprendre Enfance, il faut avoir à l’esprit Tropismes, texte qui est quasiment passé inaperçu lors de sa sortie en 1939. Il sera réédité plus tard chez Minuit et deviendra l’œuvre fondatrice d’un mouvement littéraire : le Nouveau Roman. Sarraute emprunte le terme tropisme au vocabulaire de la biologie : il s’agit d’un « mouvement d’approche ou de recul provoqué par une excitation extérieure comme la lumière ou la chaleur sur les animaux ou les plantes. » Le plus bel exemple, c’est l’héliotrope qui tourne inlassablement sa tête vers le soleil. Eh bien, Nathalie Sarraute s’attache dans son autobiographie à décrire ses tropismes d’enfance, autrement dit à exprimer le plus exactement possible les sensations qu’elle a pu ressentir et le tropisme qui est à l’origine même de sa réaction. En effet, ce qui intéresse l’auteur, c’est d’observer les mouvements réflexes, instinctifs, irréfléchis et complètement indépendants de notre volonté qui gouvernent cependant notre être soumis ainsi à des phénomènes extérieurs : une parole, un regard, un mouvement… Tropismes à saisir « avant qu’ils disparaissent », titre proposé initialement par Nathalie Sarraute pour Enfance.

Elle se lance donc dans une entreprise difficile : évoquer ses souvenirs d’enfance. Mais ayant refusé en tant qu’auteur et théoricienne du Nouveau Roman, les notions de personnage, d’histoire et de chronologie présentes dans le roman classique, elle porte naturellement sur le genre autobiographique un soupçon difficilement compatible avec l’entreprise dans laquelle elle se lance. En effet, comment écrire son enfance sans être tenté de la reconstruire, de l’embellir, d’y introduire à tout prix de la cohérence, enfin de bâtir de toutes pièces une histoire qui ne serait pas la sienne ? Comment éviter de plaquer sur le « je » enfant le « je » adulte ?

« Toutes les autobiographies sont fausses » déclare celle qui se lance dans une entreprise bien périlleuse. Tout cela explique cette espèce de difficulté de Nathalie Sarraute à passer à l’acte au début de l’œuvre, cette retenue, cette crainte et… l’idée absolument géniale d’une espèce de dialogue ou de « monologue à deux voix », un deuxième « je », un double, sa conscience peut-être, qui va, tout au long de l’œuvre, sans cesse l’interroger, la pousser à aller plus loin dans les profondeurs de son être, émettant parfois des réserves pour mieux relancer l’auteur sur le chemin de la vérité. Une deuxième voix à la fois garante et au service même de cette vérité… L’écriture fragmentaire viendra restituer la fugacité des instants et le surgissement involontaire de la mémoire, refusant par là même de trouver à toute force une continuité narrative et temporelle qui risquerait de flirter avec le romanesque. Un texte « en morceaux », soixante-dix unités autonomes, qui expriment le chaos de la mémoire et une représentation éclatée car devenue problématique du moi.

Son texte est beau, poétique, il touche à l’essence même de l’être comme aucun autre texte qu’il m’a été donné de lire et c’est peut-être de là qu’il tire toute sa force.

Une enfance passée entre une mère fascinante mais absente, un père attentif et aimant et une belle-mère difficile à cerner tant elle oscille constamment entre des moments de complicité et de rejet, une enfance entourée d’adultes qui n’ont pas baigné comme les générations suivantes dans les enseignements que l’on a pu tirer de la psychanalyse et qui commettent ce qui nous semble à présent des erreurs terribles dans l’éducation de l’enfant, une enfance enfin partagée entre deux pays, la France et la Russie, deux cultures et deux langues.

Une œuvre puissante écrite par une femme âgée qui à mon avis a senti la nécessité de dire l’indicible, le terrible, la souffrance qu’elle a portée en elle toute sa vie. Elle a voulu retrouver le pouvoir destructeur des mots entendus enfant et avec lesquels il a fallu vivre, mots si violents et si cruels qu’ils peuvent même conduire à la folie.

Un travail insensé, ce dont témoignent des brouillons très chargés, pour traduire précisément les sensations ressenties des décennies plus tôt, les sentir battre sous la plume et trouver les mots justes ou s’approchant au plus près de ce qui a été vécu à ce moment-là afin de retrouver intacte l’émotion.

Un très grand texte.


Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Le Planétarium

Sommes-nous des planètes qui tournons l'une autour de l'autre dans un ballet confidentiel et mal agencé, dérangé par les discours de nos semblables autant que par nos ressentiments ?

Sommes-nous ces cocons ivres de la vie des autres, de leurs paroles aussi gluantes que le liquide amniotique ambiant censé nous protéger mais qui nous étouffe.

Étouffant. Voilà le mot. L'écriture de Nathalie Sarraute est d'une telle densité, une telle proximité non seulement avec le discours mais avec le vécu, le ressenti, le peu conscient, le refoulé que l'air y circule peu. Dans sa prose à nulle autre comparable, mêlant dialogues, monologues intérieurs, reliquats de pensée, de non-pensée, d'orgueilleux soubresauts de l'âme et de verbeux hoquets de dégoût, l'auteure (ou l'autrice, je ne me suis pas encore décidé) tisse sa toile littéraire, nous enveloppe de tous les sucs sociaux et psychologiques que le langage a pu produire. Les personnages s'y débattent tandis que le lecteur tente de surnager dans le réseau romanesque dans lequel il s'est lui-même jeté en ouvrant ce planétarium. Non ce n'est pas un livre que nous lisons mais une pelote, une jungle, un enchevêtrement d'être soyeux et collant .

C'est un amas de langage à la dynamique étourdissante où les relations interpersonnelles forment un agglomérat informe peu tangible même s'il dégouline de honte, de vanité, veulerie, rancœurs et faiblesses. Existent-ils autrement que par ces bouts de langage, les Guimier, ? Et Germaine Lemaire (Maine pour les intimes) est-elle autre chose que ce fantasme habillé d'on-dit ?

Telle l'araignée, notre esprit sinon notre corps vrombit à la moindre palpitation de l'une des cordes qui forme la toile de notre lecture, l'une des répliques dites ou pensées par n'importe lequel des personnages. Aussi entrons-nous d'emblée dans ce grand planétarium, dans cette immense toile filée par Nathalie Sarraute avec son roman à la forme bizarre, compacte et mouvante, grossissant sous nos yeux, même le livre refermé.

Des planètes peut-être le sommes-nous mais telles des boules de jongleurs, nous sommes entraînés par le moindre des mouvements de la constellation rayonnant autour de notre orbite - être vivants et personnages de romans compris . Et notre unicité nous ne la devons qu'au contact souvent douloureux et brûlant des corps célestes qui nous entourent.
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Le Planétarium

Paru en 1959, Le Planétarium est un des textes fondateurs du Nouveau Roman. Quelque peu réfractaire à ce courant, je trouve quand même que le style de cet auteur reste facile d'accès. Certes, il est déroutant car Sarraute joue énormément avec la ponctuation. Elle utilise les points de suspension afin d'éluder les pensées de ses personnages ou leurs interruptions. Elle crée, par là-même, une sorte de langage parallèle.



Dans ce livre, ses personnages sont caricaturaux. On trouve ainsi un jeune couple, Gisèle et Alain, ainsi que leur vieille tante, Berthe, qu'ils aimeraient voir partir afin de récupérer son appartement. Sarraute va nous faire part de leurs conversations, les disséquant consciencieusement. Le lecteur se retrouve également face à de longs monologues. Pourquoi faire de choses quotidiennes tout un roman ? L'auteur manie ici l'ironie dans toute sa splendeur et le lecteur ne peut qu'adhérer, se retrouvant parfois dans la peau d'un des protagonistes.
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Enfance

Brillante et subtile autobiographie, sous forme très originale car l'auteure dialogue avec son double. Cela trouble au départ mais on s'y fait très vite.



Ce double avec qui elle échange permet de mieux creuser l'aura affectif des souvenirs, de critiquer son regard d'adulte déformant quelque peu le passé, de modifier ses impressions, de les redéfinir . Il apporte aussi de la vivacité à l'évocation de l'enfance.



J'ai été admirative devant la précision des détails, quant à ses souvenirs jusqu'à ses onze ans. J'aimerais me rappeler aussi parfaitement qu'elle mon enfance!



Partagée entre son père et sa mère , la petite fille qu'elle était a très vite senti les ambiances, les douleurs sensibles, comme les absences de sa mère, plutôt indifférente. Le père et la jeune institutrice sont eux attachants.



La langue est somptueuse, riche, tout en nuances. Et il flotte sur ce livre une saveur envoûtante de Russie, où l'auteure a habité en partie enfant...



Enfance des mots à découvrir, des rêves à poursuivre, des sensations à conserver...si joliment!
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Enfance

France-culture a sélectionné ce roman dans son émission « les romans qui ont changé le monde » le 22 août dernier. Une opportunité de découvrir cette autobiographie, où l’auteure, Nathalie Sarraute, âgée alors de 81 ans, raconte les premières onze années de sa vie entre Moscou, Pétersbourg, Genève et Paris.

Sous une forme particulière avec « un dialogue avec un « je » imaginaire », qui tente d’exprimer les sensations le plus fidèlement possible, avec un souci d’observation précise des réactions instinctives à un signe extérieur : un regard, une parole, un mouvement…hors du champ de la volonté.

D’une enfant entre des parents divorcés, sa mère fascinante et absente, un père aimant, tendre et attentif et une belle-mère au comportement instable vis à vis d’elle.

Une narration linéaire sans intrigue, avec des fragments d’une enfance restituée comme tels, dans un enchaînement qui peut sembler lié au hasard et rend compte de la remontée des souvenirs au fil de l’introspection, en donne une forme moderne, toujours moderne à ce jour, qui reste logique.

Un excellent moment de lecture avec des moments d’émotion, qui ont résonné en moi.

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Le Silence

Mon erreur, ma "faute", encore que provincial et "confiné", je bénéficie d'amples circonstances atténuantes, c'est de n'avoir pas vu jouer la pièce avant de la lire.

Car ladite pièce fut écrite pour la radio avant que le théâtre et Jean-Louis Barrault s'en emparent.

Car ladite pièce reposait sur des "voix", non pas celles de Jeanne, encore que... mais vous l'aurez compris, sur ces sons et ces mots émis par des cordes vocales.

Point d'incarnation(s), point de visages, point de regards... juste des voix... !

De quoi dérouter n'importe quel spectateur en quête de personnages.

Donc, ce soir, on improvise... ont dû se dire les premiers d'entre ceux qui ont assisté à la première.

Ce que j'ai ressenti à la lecture de cette oeuvre de Nathalie Sarraute, c'est ce que j'appellerais le syndrome de l'ascenseur... vous savez cette gêne, ce mal- être bien connu , bien décrit et pas trop mal analysé par les psys, de ces inconnus qui se retrouvent enserrés dans un espace confiné et étroit pour un temps qui, à leurs yeux, n'en finit pas, et ne savent plus quoi faire d'eux-mêmes. Tous les codes sociaux sont alors, le temps de quelques étages, bousculés.

On ne sait plus où poser ses yeux, la pensée et le corps semblent tout ensemble être inhibés.

Tel est un peu le thème de ces sept voix, non incarnées... juste sexuées. Il y a deux hommes "H1 et H2", et trois femmes " F1, F2 et F3" qui se retrouvent face à un homme silencieux ( lui a un prénom ) Jean-Pierre, dont le silence va agir un peu comme agit celui du psy en face duquel vous vous trouvez... et auquel vous passez des banalités des débuts aux spasmes vomis par votre inconscient au fur et à mesure que les séances avancent.

Ce silence que ces six personnages ne savent pas interpréter, va générer chez chacun d'entre eux un mal-être ( pensez à l'ascenseur et à la séance du psy ) qu'ils vont traduire par des mots réactions qui vont aller de l'insignifiant au douloureusement signifié.

Thème très intéressant s'il en est, et dont j'espérais davantage que ce que j'en ai retiré.

Une fois encore, je n'impute pas la faute à l'auteure, mais au fait de ne pas m'y être pris comme je l'ai mentionné précédemment : 1) Aller voir la pièce au théâtre - 2) Lire la pièce.

Au final, j'ai ressenti ce qu'un critique en a dit lors de sa création : " C'est mince, intelligent, subtil, ravissant et un peu ennuyeux."

PS : théâtre psychologique... à relire !

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Tropismes

Dans les années cinquante, nombre de français ont été soumis à d'étranges expérimentations littéraires, toutes ayant pour objectif d'éprouver leur résilience à diverses contraintes telles que l'absence de sujet, de personnages ou la disparition de la ponctuation. Toutes ces expériences ont été regroupées sous l'appellation commune de « nouveau roman ». Elles se sont déroulées sur une dizaine d'années avant de disparaître mystérieusement. Personne n'est à ce jour capable d'expliquer le but qui était recherché ni pourquoi ces expériences ont été réalisées. Certaines théories évoquent la possibilité qu'il puisse s'agir d'une action de déstabilisation d'ampleur, réalisée par des groupes terroristes, des pays ennemis, voire par des puissances extra-terrestres. Cependant, aucune revendication ou preuve de ces affirmations n'a jamais été produite par quiconque. La communauté littéraire mondiale reste encore à ce jour avec cette interrogation : « mais enfin, c'était quoi, le nouveau roman ? »
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Enfance

Dans ce recueil de souvenirs, Nathalie Sarraute nous raconte ses onze premières années, passées entre la France et la Russie. On retrouve en effet dans cet ouvrage les souvenirs les plus anciens jusqu’à l’entrée en sixième de la petite fille. Pour autant, ne vous attendez pas à un récit chronologique. A la manière d’un enfant qui se remémore ses souvenirs, ceux-ci sont racontés au hasard, sans aucune temporalité. C’est la voix de l’enfant qui organise les souvenirs selon l’importance de ces derniers. Deux voix d’ailleurs dialoguent ensemble dans ce récit. L’une et l’autre représentent l’auteur. Mais alors que l’une raconte, l’autre critique. Nathalie Sarraute dira d’ailleurs «J'ai juste voulu assembler des images d'enfance tirées d'une sorte de ouate où elles étaient enfouies».

Au travers de ces souvenirs distillés au hasard, on peut tout de même dresser un tableau familial. Les personnages qui peuplent les souvenirs de Nathalie sont nombreux mais les plus importants sont son père, sa mère, sa belle mère Vera et le bébé de cette dernière. On surnomme alors la petite Nathalie/Natacha, Tachok. Ses parents sont divorcés et la petite-fille est tiraillée entre ses deux parents. Sa mère, restée à Saint-Pétersbourg, est lointaine et de plus en plus distante avec sa fille. Elle entretient avec elle des relations presque indifférentes. Son père est attentif mais exilé à Paris. Il y a enfin Vera, sa belle-mère, souvent d’une froideur perfide et que sa mère lui interdit d’appeler Maman-Véra. Ainsi, d’anecdotes en anecdotes, le fil de l’enfance se déroule.

L’enfance de Nathalie Sarraute n’est pas tout rose mais on y retrouve les souvenirs d’école, les bêtises, les amis… qui ponctuent souvent ces livres dédiés au récit des jeunes années, le tout teinté de nostalgie.

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Enfance

Nathalie Sarraute égrène ses souvenirs d'enfance, dans une narration qui n'est pas linéaire, mais faite de petites scènes isolées dans le temps comme le sont tous nos souvenirs d'enfance : un départ en voyage, une sortie, une phrase marquante entendue un jour…

Face à elle, son double avec qui elle dialogue, qui l'oblige à réfléchir sur le sens de ces souvenirs : pourquoi celui-ci ? Que signifie vraiment celui-là ? Comprend-elle maintenant ce que ça voulait dire ?

C'est donc un récit très introspectif. Quand Annie Ernaux tente de donner à ses propres souvenirs d'enfance une dimension sociologique, historique presque, Nathalie Sarraute se penche surtout sur son ressenti d'enfant.

Une enfant ballottée entre deux parents, deux pays - la Russie et la France -, deux langues… Une enfant qui admire sa mère fantasque, qui chérit son père et craint un peu sa belle-mère.

Une enfant solitaire, qui aime lire :

"Je me souviens d'un livre de Mayne Reid, que mon père m'avait donné. Il l'avait aimé quand il était petit… mais il ne m'amusait pas beaucoup… peut-être étais-je trop jeune… huit ans et demi… je m'évadais des longues descriptions de prairies vers les tirets libérateurs, ouvrant sur les dialogues."

J'aime beaucoup l'image saisissante de ces "tirets libérateurs" qui me rappelle à moi aussi des lectures un peu trop ardues pour mon âge.

Et puis une enfant qui aime écrire, inventant la mort d'un petit chien pour une rédaction, apportant un soin maniaque à la belle écriture, au mot juste, à l'orthographe parfaite. Ambition qui apporte une sérénité à cette petite fille tiraillée entre deux foyers :

"La maîtresse nous prend nos copies. Elle va les examiner, indiquer les fautes à l'encre rouge dans les marges, puis les compter et mettre une note. Rien ne peut égaler la justesse de ce signe qu'elle va écrire sous mon nom. Il est la justice même, il est l'équité."

Une ambition que l'on retrouve magnifiée dans ce très beau récit.

LC thématique juillet-août 2023 : "Un.e auteur.e français.e"

Challenge gourmand (Divorcé)
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Pour un oui ou pour un non

Première pièce que j'ai lue de Nathalie Sarraute, mais aussi sa dernière variation pour le théâtre sur les tropismes, et la plus réussie à mes yeux.



Deux hommes, amis de longue date. L'un, H.1, l'air plutôt sûr de lui, aimerait comprendre pourquoi l'autre, H.2, l'air plus réservé, s'est éloigné de lui. H.2 nie d'abord toute tentative de mise à distance, pour finalement l'admettre ; c'est que poser des mots sur le sentiment de malaise qui a provoqué cet éloignement, c'est justement ce que H.2 ne veut pas faire. Il a déjà essayé, avec d'autres, et l'échec a toujours été patent. D'ailleurs, il en est ressorti avec la réputation de rompre avec autrui pour un oui ou pour un non. Pourtant, peu à peu, il va être poussé dans ses retranchements et se forcer à tenter d'expliquer à H.1 ce qu'une simple phrase, ou plutôt une simple intonation, a provoqué en lui. Et va surgir au cours de leur dialogue tout un maelström de sentiments et de différends jusque-là sagement enfouis.



On tient ici tout ce qu'on trouvait déjà dans le théâtre de Nathalie Sarraute, dans un tour de force qui la mène à se confronter une dernière fois à ce paradoxe qui consiste à faire dire sur scène ce qui, justement, relève pour elle de l'indicible. le tropisme, c'est donc cette petite chose, ce "rien" (pour reprendre le terme utilisé dans une pièce précédente, Isma ou ce qui s'appelle rien) sur lequel il est tellement difficile de mettre le doigt mais qui ne laisse jamais tranquille et cause des dégâts.



Il y a bien sûr quelque chose de la thérapie par la parole dans cette pièce, encore davantage que dans les précédentes, puisque seuls deux personnages se font face, H.1 poussant sans cesse H.2 à dire les choses jusqu'à ce qu'il obtienne satisfaction. Quoique "satisfaction" ne soit pas vraiment le mot approprié...



Sarraute fait resurgir tous les non-dits entre ses personnages, mais aussi tous les fantômes qui hantent son oeuvre. Ce n'est pas seulement que les deux amis (mais sont-il seulement amis?) se confrontent, se découvrent une animosité l'un envers l'autre qu'ils n'avaient pas soupçonnée pendant des années. C'est une thématique plus complexe qui est abordée là : le refoulé, le dialogue impossible, puis les cases (dont celle de la folie, du délire) dans lesquelles les gens "normaux", "respectables", ont vite fait de ranger ceux qu'ils ne comprennent pas, ceux qui ne se conduisent pas comme eux. Et on en vient à la notion factice de bonheur, à l'étalage de cette fabrication artificielle par une partie de la société devant une autre, et finalement à deux visions du monde antithétiques et représentées respectivement par H.1 et H.2. On en vient à un conflit sans résolution possible.



C'est donc une pièce particulièrement riche, bien que très courte, une pièce très dense, subtile, qui renvoie à tout un réseau de motifs sarrautiens, mais aussi à tout un chacun : comme le dit H.2, ces petites choses qui nous taraudent mais dont on ne parle pas, dont on ne veut pas entendre parler par souci de confort, de normalité, sature la société entière : amis, famille, et ainsi de suite.



On comprend donc facilement ce que Yasmina Reza, qui est loin d'être idiote, peut trouver chez Nathalie Sarraute, notamment dans cette pièce. Mais il est fort dommage que son hommage à Sarraute avec Art ait tellement appauvri son modèle. (Ça, c'était pour boucler la boucle et rendre définitivement à César ce qui lui appartient...)







Challenge Théâtre 2020
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Le Planétarium

Nathalie Sarraute a été précurseure du nouveau roman qui prônait la fin des récits, des histoires, et pourtant, il y a dans le planétarium, une sorte de trame narrative avec quelques personnages dénommés et bien identifiés. L'histoire relatée sous forme de monologues par plusieurs protagonistes est celle d'Alain Guimier, jeune thésard marié à Gisèle, qui lorgne désespérément le grand appartement vaguement promis par sa tante. Autour de lui gravitent son père, ses beaux-parents, une écrivaine, diva du ghotta littéraire parisien entourée de ses admirateurs. Alain Guimier, jeune homme qui aime séduire et se plie aisément aux attentes de ses interlocuteurs, souhaiterait se lancer dans l'écriture.

Dans ce roman offrant de multiples niveaux de lecture, Nathalie Sarraute fait évoluer, de manière distanciée, des créatures figées, caricaturales, légèrement enduites de cire ou de fine poussière, apparaissant comme autant de petites planètes ou de satellites en orbite les unes autour des autres.

Elle construit un monde étrange, absurde, où sont observées, sous la lentille du microscope, des créatures qui s'approchent, s'entredévorent, guidées par la soif de possession, de pouvoir, de statut social, de réussite.

Comme dans ses précédents livres, l'autrice se met en quête de ce qui est sous-jacent aux émotions, aux comportements des êtres. Nous sommes dans le domaine du sensible, de l'inexprimé, de l'informe, aux frontières de la conscience, en amont du langage. On pourrait employer le terme d'impulsions, ou de pulsions, ce que Sarraute ne fait pas, rejetant la psychanalyse, son jargon et ses concepts qui enferment.

Des phénomènes, chimiques et physiques, d'attirance et de répulsion relient ou séparent les personnages. Des matières visqueuses, gluantes les enserrent, des forces les séparent ou les relient, symbolisant l'emprise, les rapports de pouvoir, l'osmose, la fusion.

Les relations entre les individus sont empreintes de bassesse, d'envie, de jalousie, d'acrimonie, de cruauté. Une violence sourde et latente plane. Celle-ci se traduit par l'irruption de scènes de la mythologie ou de western, de contes pour enfants, d'histoires de princesses, autant de références à des temps immémoriaux, à une mémoire collective ancestrale.

Dans ce concert de voix indissociées, les monologues s'entremêlent et on découvre à posteriori qui parle. Les mêmes scènes rejouées, relatées par des personnages différents mettent en relief de minuscules détails.

Nous sommes dans l'univers des représentations, des faux-semblants, des êtres se démultipliant en fonction de la perception qu'en ont les autres. de menus éléments de la conversation peuvent déclencher des réactions imprévues. Tout se joue de manière larvée, en deçà du langage convenu, des conventions et des rapports sociaux codifiés.



Le planétarium est également une critique acerbe de l'intelligentsia parisienne, du monde de la culture, où des courtisans entourent de grands noms de la littérature, parmi lesquels on croit reconnaître la silhouette de Sartre.



Une oeuvre passionnante, aux accents métaphysiques, qui ne livre pas d'emblée tous ses secrets.





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Enfance

C'est avec son style habituel tissé de soliloques que Nathalie Sarraute nous transmet cette étrange autobiographie construite en un dialogue entre elle... et elle même, fait en outre de monologues intérieurs , de questions et réponses pour elle-même...

On y retrouve cette même vision inquisitrice du non dit. Cependant cette inquisition n'est pas tant à l'encontre de son être, ses contacts avec sa famille, ses choix et ses souvenirs qu'envers le langage qui les traduit.

Reconstruire le passé en évitant les souvenirs véridiques, en les transposant en un échange sincère mais critique, voilà l'enfance que l'écrivaine nous offre, non pas celle qu'elle a vécue mais son enfance littéraire, langagière plus que romanesque et romancée.
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L'Usage de la parole



Une quarantaine d'années après Tropismes, Nathalie Sarraute poursuit sa réflexion et apporte des réponses là où elle nous avait laissés avec nos interrogations sur le lien entre ces fameux tropismes et le langage. Elle les situaient à la limite de la conscience, en amont du langage, à la base de l'ensemble des comportements humains, des actions, des sentiments.

Dans l'usage de la parole, elle reprend le procédé des très courts textes, au nombre de dix ici, indépendants les uns des autres. Petits exercices de style, les saynètes, toujours empreintes de poésie et d'une légère irréalité, sont inspirées, pour chacune d'entre elles, par des expressions toutes faites, des locutions, des bouts de phrases extraits de la langue courante, "Et pourquoi pas", "Ne me parlez pas de ça", "Eh bien quoi, c'est un dingue"...

Dans chaque texte, Nathalie Sarraute s'emploie de manière magistrale, en alliant concision, précision et étrangeté, à décortiquer, démonter des situations, comme un horloger le ferait avec une pendule. Des personnages, souvent des silhouettes anonymes, des poupées découpées dans le carton par des enfants selon les pointillés, se rencontrent, dans la rue, au café, échangent des paroles. Les mots prennent vie et indépendance; ils s'autonomisent au regard des locuteurs et de ceux qui les reçoivent. Ils viennent se ficher dans un coin de leur cerveau, déclenchant des réactions inattendues.

L'effet est saisissant, les personnages s'estompant derrière les mots.

Avec une démarche quasi scientifique, l'autrice dissèque les mécanismes de la conversation, les silences, les relances, les attentes à l'égard de l'interlocuteur, les méprises, les déceptions, et c'est là qu'elle fait le lien entre les tropismes et le langage, par l'intermédiaire de ce qu'on pourrait dénommer psychologie.

Et soudain la conversation dérape, les mots sont vides de sens, ou bien comme elle le dit, ils n'ont plus de terrain d'atterrissage.

Parfois, les paroles ont des espaces vides en elles, des espaces vides qui ont plus de poids que n'en ont les paroles.

Les mots peuvent être porteurs de halo de lumière ; ils transcendent les êtres qu'ils touchent, comme le mot amour. Ils servent de révélateurs, et comme sur une image photographique, ils font apparaître l'autre. N'est-ce pas le travail de l'écrivain qui est décrit de cette manière ?

Hormis le premier texte consacré aux derniers mots de Tchekhov sur son lit de mort, Ich sterbe, "je meurs" en allemand, la tonalité générale est plutôt alerte, légère, ludique. Nous sommes dans le registre des jeux de mots que Nathalie Sarraute souhaite partager avec ses lecteurs. Elles les interpellent, les associent, les intègrent au raisonnement.

Dix petits bijoux littéraires à lire et relire, pour en retirer toute la sève et l'intelligence. Un cinq étoiles bien mérité.







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C'est beau

Des pièces que j'ai lues de Nathalie Sarraute - et qui ne sont pas si nombreuses -, C'est beau est celle que j'ai eu le plus de mal à appréhender. D'abord parce que l'écriture des dialogues introduit une sorte d'artifice, de froideur, de distance, mêlée à quelque chose (mais quoi, exactement?) de plus familier. D'ailleurs, les thématiques seront familières à plus d'un lecteur, et les interprétations données au fil du temps se sont multipliées, tant les questions abordées s'entrecroisent.



Au départ, c'est pourtant tout simple : un couple regarde une oeuvre d'art, l'homme dit : "C'est beau" et attend de la femme qu'elle l'imite. Ce qu'elle fera en traînant les pieds. Intervient le fils, juste à côté d'eux, qui lui, prétend que sa mère est incapable de dire "C'est beau" en sa présence. À partir de là, dispute entre père et fils, tentative du père de démontrer son autorité, conflit entre conjoints, remise en cause de la relation mère-fils, celle-ci ayant manifestement failli à son devoir maternel (selon les critères paternels mais aussi les critères sociaux et psychologiques de l'époque), intervention de voix extérieures qui questionnent les parents sur leur fils, interrogations sur les différences et les conflits entre générations. Tout ça prend des allures de plus en plus grotesques, jusqu'au retour du fils qui regarde à nouveau l'oeuvre d'art (une gravure ???) et consent à dire "C'est chouette". On pense s'être mis d'accord, le fils se retire à nouveau, la discussion reprend sur la musique, et là, c'est reparti.



Il n'y aurait pas grand intérêt à traiter ces sujets les uns après les autres, d'ailleurs je ne pense pas que j'en tirerais grand-chose. En revanche, ce qui m'a titillée après la lecture, c'est ce titre et cette phrase, "C'est beau". Une phrase que j'abhorre particulièrement. Et que j'utilise probablement comme tout le monde. D'ailleurs, ça n'est même pas une probabilité, c'est une certitude. Et pourtant je déteste dire ça ou entendre ça. C'est ce qui m'a servi de clef d'entrée pour cette pièce, quitte à ce que je sois complètement à côté de la plaque, et alors que j'évite en général d'aborder un texte par un biais trop personnel. Il me semble que les personnages de Nathalie Sarraute, avec cette phrase, ne partagent rien : la preuve, on ne sait même pas de quelle oeuvre ils sont en train de parler. Pas d'analyses qu'on puisse confronter, pas de réflexion qu'on puisse élaborer ensemble, et, surtout, pas d'émotion commune. "C'est beau", point. Voilà qui clôt toute discussion, tout échange, toute tentative, toute tentation de continuer à parler. Et c'est, me semble-t-il, ce que vient dire le fils à ses parents : "C'est beau", c'est définitif, il n'y a plus rien à dire, c'est la fin de toute communication. Et chacun reste chez soi.





Challenge Théâtre 2017-2018
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Tropismes

Pour quelles raisons n'ai-je pas fait la connaissance des Tropismes de Nathalie Sarraute plus tôt ? Ils m'ont tellement déconcertée à la première lecture, que je les ai immédiatement relus.



Les tropismes sont pour Nathalie Sarraute «les mouvements subtils, à peine perceptibles, fugitifs contradictoires, évanescents, de faibles tremblements, des ébauches d’appels timides et des reculs, des ombres légères qui glissent, et dont le jeu incessant constitue la trame invisible de tous les rapports humains et la substance même de notre vie.» Ils se situent à la limite de la conscience.

Les tropismes qu'elle a théorisés en littérature ont marqué toute son oeuvre et en ont fait l'une des précurseurs du Nouveau Roman.

Ce sont ici vingt-quatre très courts textes, sortes de petits contes de trois-quatre pages maximum, qu'aucune progression ou fil narratif ne relient. Indépendants, ils peuvent être lus et agencés selon la convenance du lecteur. Ils composent un chapelet de lambeaux de rêve, de bulles poétiques, de saynètes, à l'atmosphère étrange, où apparaissent des personnages anonymes, vagues silhouettes désincarnées.

Les protagonistes se rencontrent, bavardent, répondent à des convenances sociales, mais les discussions tournent à vide, et ils se trouvent rapidement enfermés dans des attitudes stéréotypées, plus particulièrement les femmes. Figures caricaturales, elles prennent le thé, tricotent, arpentent les magasins en quête d'un improbable tailleur en gros tweed à dessins. Elles sont souvent empêchées, en marge de l'action, en proie à des sentiments de peur, en position d'attente, car le temps est suspendu.

Les enfants sont également très présents, inscrits dans des relations énigmatiques avec les parents ou grands-parents qui exercent une supériorité, un pouvoir à leur égard, au travers de gestes envahissants ou violents.

On peut se demander si toutes ces situations ne sont pas vues à hauteur d'enfants, au travers d'une perception déformée de la réalité dans laquelle les adultes sont indistincts, où les objets et les meubles s'animent, et où des menaces diffuses planent.

Revenons aux tropismes : ils se situent pour l'autrice en amont du langage, et pourtant, c'est bien par le langage qu'elle parvient à en laisser une trace sur la page, un langage qu'elle peaufine puisqu'il lui aura fallu cinq ans pour les écrire.

Souvenirs, réminiscences, fragments surgis de l'inconscient ou d'on ne sait où ?

Deux niveaux de lecture nous sont proposés : celui des scènes de la vie de tous les jours, un peu vaine, absurde, et celui d'une matière brute faite de sensations, d'une intériorité qui se déverse et qui serait à l'origine des comportements humains.

Où Nathalie Sarraute situe-t-elle l'articulation entre les deux ? De quoi parle-t-elle exactement ?

Une lecture passionnante, déstabilisante et marquante qui aura soulevé chez moi de nombreuses interrogations et qui me pousse à aller plus loin dans sa bibliographie.



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Enfance

Dans ce texte Nathalie Sarraute fait resurgir ses émotions, sensations et impressions d'enfance pour ébaucher sous un angle tout à fait particulier son auto-portrait en petite fille.

C'est assez inattendu. L'image fragmentée donne l'impression de regarder un dessin à la façon de Picasso. En début de lecture j'ai été déconcertée par ce style quasiment cubiste avec ses différents points de vue et le morcellement de la narration. Puis je me suis habituée pour finalement apprécier cette itinérance dans les souvenirs de la petite Natacha. Je l'ai découverte avec gourmandise, à petite dose, comme en grignotant une petite madeleine que l'on laisse fondre sur la langue pour bien en savourer le goût . Ce goût ineffable de l'enfance à la saveur douce-amère que l'on garde tous en bouche, qui s'estompe avec le temps mais que l'on aimerait pouvoir raviver éternellement. Un prodige que seule la littérature peut accomplir...

Nathalie Sarraute qui a découvert très tôt le pouvoir des mots, nous livre ici une émouvante démonstration de leur puissance aussi bien enchanteresse que maléfique.
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