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Arnaud Rykner (Éditeur scientifique)Lucette Finas (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782070412648
103 pages
Gallimard (13/04/2000)
3.62/5   16 notes
Résumé :

Un père et une mère se déchirent sous l'œil ironique de leur enfant, dont la seule présence les empêche d'admirer librement l'œuvre qu'ils contemplent : impossible de dire " c'est beau face " au regard hostile du fils, qui paralyse ses parents. Effet de mai 1968, bandes dessinées contre musées ? Refus de l'autorité ? La culpabilité parentale prend ici des proportions énormes. La pièce met ai... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Des pièces que j'ai lues de Nathalie Sarraute - et qui ne sont pas si nombreuses -, C'est beau est celle que j'ai eu le plus de mal à appréhender. D'abord parce que l'écriture des dialogues introduit une sorte d'artifice, de froideur, de distance, mêlée à quelque chose (mais quoi, exactement?) de plus familier. D'ailleurs, les thématiques seront familières à plus d'un lecteur, et les interprétations données au fil du temps se sont multipliées, tant les questions abordées s'entrecroisent.

Au départ, c'est pourtant tout simple : un couple regarde une oeuvre d'art, l'homme dit : "C'est beau" et attend de la femme qu'elle l'imite. Ce qu'elle fera en traînant les pieds. Intervient le fils, juste à côté d'eux, qui lui, prétend que sa mère est incapable de dire "C'est beau" en sa présence. À partir de là, dispute entre père et fils, tentative du père de démontrer son autorité, conflit entre conjoints, remise en cause de la relation mère-fils, celle-ci ayant manifestement failli à son devoir maternel (selon les critères paternels mais aussi les critères sociaux et psychologiques de l'époque), intervention de voix extérieures qui questionnent les parents sur leur fils, interrogations sur les différences et les conflits entre générations. Tout ça prend des allures de plus en plus grotesques, jusqu'au retour du fils qui regarde à nouveau l'oeuvre d'art (une gravure ???) et consent à dire "C'est chouette". On pense s'être mis d'accord, le fils se retire à nouveau, la discussion reprend sur la musique, et là, c'est reparti.

Il n'y aurait pas grand intérêt à traiter ces sujets les uns après les autres, d'ailleurs je ne pense pas que j'en tirerais grand-chose. En revanche, ce qui m'a titillée après la lecture, c'est ce titre et cette phrase, "C'est beau". Une phrase que j'abhorre particulièrement. Et que j'utilise probablement comme tout le monde. D'ailleurs, ça n'est même pas une probabilité, c'est une certitude. Et pourtant je déteste dire ça ou entendre ça. C'est ce qui m'a servi de clef d'entrée pour cette pièce, quitte à ce que je sois complètement à côté de la plaque, et alors que j'évite en général d'aborder un texte par un biais trop personnel. Il me semble que les personnages de Nathalie Sarraute, avec cette phrase, ne partagent rien : la preuve, on ne sait même pas de quelle oeuvre ils sont en train de parler. Pas d'analyses qu'on puisse confronter, pas de réflexion qu'on puisse élaborer ensemble, et, surtout, pas d'émotion commune. "C'est beau", point. Voilà qui clôt toute discussion, tout échange, toute tentative, toute tentation de continuer à parler. Et c'est, me semble-t-il, ce que vient dire le fils à ses parents : "C'est beau", c'est définitif, il n'y a plus rien à dire, c'est la fin de toute communication. Et chacun reste chez soi.


Challenge Théâtre 2017-2018
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Créée sur France Culture en 1972, la pièce sera jouée pour la première fois en 1975, dans une mise en scène de Claude Régy, dans la petite salle du théâtre Orsay et publiée la même année.

Une pièce à trois, dans un cadre familial avec trois protagonistes : Elle, Lui et le fils. Une oeuvre d'art indéfinie, que Lui trouve beau et veut faire dire à Elle qu'elle aussi. Mais la présence du fils empêche Elle de répéter « C'est beau ». Un conflit entre les deux homme s'exprime, le fils est renvoyé dans sa chambre. Elle et Lui discutent du problème, essaient de le cerner : qu'est-ce qui fait que dire « C'est beau » est impossible en présence du fils. le retour du fils semble amorcer un compromis, il est prêt à dire « C'est chouette », mais un autre différent surgit aussitôt sur un sujet musical...

Alors évidemment il y a une multitude d'interprétations possibles. le différent est-il de nature esthétique (tout le monde n'apprécie pas les mêmes créations) ou porte-t-il sur la manière d'exprimer son ressenti ? le « C'est beau » qui confine au cliché est-il refusé uniquement à cause de cela ? Mais toute forme d'expression ne vire-t-elle pas au cliché à la longue ? Et comment faire la part d'une véritable émotion devant une oeuvre d'art et la mise en scène sociale, du spectateur devant une oeuvre d'art, en présence d'autres spectateurs, qui ont des attentes sur le comportement à avoir dans cette situation ? Ce que l'on aime ou pas, la manière dont on l'exprime, nous situe dans un groupe, nous identifie. Qu'est-ce qui est vraiment authentique et personnel dans le rapport que l'on a avec une oeuvre d'art et qu'est ce qui relève de codes sociaux, d'une communication sociale ? Mais la pièce renvoie aussi sur la question du pouvoir qu'instaurent les échelles de valeurs esthétiques : qui décide de la valeur d'une oeuvre, et qui peut donc déclasser un autre individu qui porte les « mauvais » jugements ?

Cela semble terriblement sérieux et abstrait, mais je suis absolument certaine que ce texte peut-être parfaitement désopilant sur une scène, il y a un vrai potentiel burlesque dans ces répliques, dans ces personnages si proches de ceux que l'on pourrait rencontrer avec leurs phrases toutes faites, mais avec un petit quelque chose de décalé, d'un peu absurde. Mais qui oserait le monter aujourd'hui....
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Un couple, un enfant.
Le couple regarde ... admire, une oeuvre d'art et n'ose pas prononcer «c'est beau» en présence de leur fils qui ne s'intéresse qu'aux BD, à la TV, aux juke-box, aux matchs, aux policiers. Peur du jugement ? Peur de ne pas savoir communiquer ? Peur de salir ce qui est important à leurs yeux ? Peur de faire éclater la cellule familiale ?
«On a peur parce qu'on sent une fermeture insultante ...un ignoble mépris ... une menace sournoise ... que ces gens-là font peser sur tout ce qui compte, ils avilissent, ils aplatissent tout... tout ce qui donne du prix à la vie ...on a honte devant eux de profaner ... on a envie de soustraire à leur contact... de mettre à l'abri ... il ne faut surtout pas les provoquer ... qu'ils n'approchent ... enfin, rien que d'y penser ...quelle horreur ... pourquoi parler de ça ? personne n'en parle, par pudeur ... par simple décence ... Mais qui ne le sent pas ?

C'est toute leur frustration qui s'entend là car enfin, leur fils a «l'esprit très libre. Il ne s'en laisse jamais accroire... Pas d'argument d'autorité avec lui. Il passe tout au crible.» «Et bien, (dit la voix) alors, de quoi vous plaignez-vous ? qu'est-ce qui vous fait tant souffrir ? tout est pour le mieux ? Soyez contents. Soyez fiers. A chacun son bonheur.»

Le fils finira par consentir que «c'est chouette». «Maintenant je le saurai. (dit le père ) Il peut suffire d'un mot pour ! ... Oui (dit-elle), pour que tout change ... pour qu'on s'entende ... pour qu'on puisse ... oui, n'est-ce pas ?»
La mère, sur ce demi-succès, pleine d'espoir, fera une autre tentative, mais musicale cette fois ; avec Boucourechliev ( musique électroacoustique ), Webern ( musique atonale ) pour finalement se rabattre sur Mozart. Vite, vite trouver un consensus qui réconcilie. le père ne le supportera pas. Retour à la case départ.

Dans cette édition, une préface et un dossier enrichissent le propos de la pièce.
Ce souvenir d'enfance de l'auteur : «Je me rappelle quand j'avais une douzaine d'années, j'avais lu « Guerre et Paix « et cela avait été pour moi un tel bouleversement. En classe, on parle de Tolstoï et le professeur de littérature dit : Est-ce que quelqu'un , ici, à lu guerre et paix ? Personne ? Même pas vous, Nathalie, qui pouvez lire le russe ? « Je n'ai rien dit. parce que l'idée que le professeur allait se permettre de parler de cette «merveille», m'était insupportable. Il ne fallait pas qu'il y touche de près ou de loin dans un langage quelconque, qu'il effleure ça. Et qu'il demande, en plus, mon avis ! que je commence à parler de cette «merveille» avec des mots ordinaires.

Une belle réflexion des rapports que chacun d'entre nous entretient avec une oeuvre d'art (littérature, peinture, musique). de la difficulté de communiquer ses émotions. de se laisser convaincre par celles des autres. Quand le silence dit ce que les mots ne peuvent pas dire. Un silence pesant, constitué de toutes ces petites voix intérieures qui interviennent, à note insu, et chamboulent en nous des jugements que nous croyions arrêtés.
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On dirait qu'une paroi tout d'un coup s'est ouverte.
Par la fente quelque chose s'est engouffré,
venu d'ailleurs… (Nathalie Sarraute)
_____________________________________________

"Lui : C'est beau, tu ne trouves pas ?
Elle, hésitante : Oui..."

C'est précisément là, entre ces deux répliques, que se glisse le tropisme. Il va déterminer la suite des dialogues entre les parents et leur fils : troubles, questionnements et désarrois. La mère et le père sont embarrassés de dire "C'est beau" devant leur fils. Ça ne passe pas.

Ce n'est pas l'oeuvre d'art désignée par ces mots qui compte – d'ailleurs on ne saura jamais de quoi il s'agit vraiment – mais la confusion éprouvée par des êtres si proches qui ne peuvent pas tout partager, certainement pas leurs goûts artistiques. "Et doivent nécessairement se meurtrir les uns les autres pour se construire en tant qu'individu", commente Arnaud Rykner dans la préface.

En disant c'est beau ou pas, en l'approuvant, on se désigne comme appartenant à tel groupe, tel clan, telle tribu : jeunes ou vieux, etc. On est juste après 1968 : conflit de générations ? C'est plus que cela. On retrouve la Sarraute qui glisse l'incapacité à dire le monde avec les mots, "parce qu'ils figent la sensation qu'ils prétendent désigner" (A. Rykner). On ne peut, on ne doit rien dire de telle merveille, non, surtout pas avec les paroles ordinaires. "C'est beau" est si banal, ne rend rien, pas plus que le "c'est chouette" du fils.


Difficile d'imaginer que ces dialogues duraient une heure et demie en scène (1975, théâtre d'Orsay) : "À peine une demie heure de texte si l'interprétation ne tenait compte, et ne devait tenir compte, de la partition invisible qu'a su lire, transcrire et exécuter en grand maître Claude Régy." (Dominique Jamet, "L'Aurore").

La version radiophonique de ce texte subtil est disponible sur France-Culture (J.P. Colas, 1972, diffusion avant la création au théâtre).

[Des sciences naturelles, "tropisme" est passé dans l'usage littéraire en parlant d'une force obscure, inconsciente qui pousse à agir d'une certaine façon (1914, André Gide). Nathalie Sarraute utilise le terme "tropisme" pour décrire un sentiment fugace, bref, intense mais inexpliqué.]
Lien : https://christianwery.blogsp..
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De nombreuses oeuvres de Sarraute ont pour point de départ des déclenchements tropismiques un positionnement esthétique, l'affirmation d'un goût artistique et la volonté de son partage. Dans "C'est beau", l'oeuvre d'art, source de débats et d'épanchements entre un couple et leur fils, devient une abstraction, s'effaçant au profit des tensions et pulsions qu 'elle engendre chez chacun d'eux. Dans cette pièce, on s'interroge sur la banalité d'une expression comme "c'est beau" ou "c'est chouette" et l'insatisfaction qui s'en dégage par son caractère inévitablement réducteur. C'est tout le projet sarrautien condensé dans cette courte pièce : donner vie à des réalités changeantes, mouvantes et infinies en jouant avec les contraintes et les limites d'une langue.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
ELLE, affolée
Ah non, arrête, attention... ne recommence pas pas... pas ces mots... si convenus... sclérosants... emphatiques... tu vois, mon chéri, je crois que je comprends.
LUI
Bon, bon, d'accord... puisqu'il est si raffiné... (Ravi.) Si délicat... Mais, enfin, c'est, hein ?... Tu ne trouves pas ?... (Siffle.)
LE FILS
Oui, c'est assez chouette je te l'accorde.
LUI, ravi
Chouette. Chouette. Chouette. J’aurais dû y penser. Chouette. Maintenant, je le saurai. Il peut suffire d'un mot !...
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ELLE et LUI, voix blanches. Tu ne trouves pas ça beau ? Tu détestes ça... tout ça...
LE FILS, condescendant. Mais non, voyons, il ne s'agit pas de ça...
EUX, avec espoir. Pas de ça... Oh mon chéri... de quoi alors ?
LE FILS. C'est...mais ça me gêne de vous le dire... je vais vous choquer...
ELLE. Non, non, je t'en prie, dis-le...
LE FILS, hésitant. Eh bien, c'est cette expression "C'est beau"... ça me démolit tout... il suffit qu'on plaque ça sur n'importe quoi et aussitôt... tout prend un air...
ELLE. Oui... je crois que je vois...
LE FILS. Oui, tu vois...
ELLE. Je comprends... ça devient convenu... n'est-ce pas ?
LE FILS. Oui, si tu veux... Ces sortes de banalités dès qu'on les applique...
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On a chaud, on a peur parce qu'on sent une fermeture insultante... un ignoble mépris... une menace sournoise... que ces gens-là font peser sur tout ce qui compte, ils avilissent, ils aplatissent tout... tout ce qui donne du prix à la vie... On a honte devant eux de profaner... on a envie de soustraire à leur contact... de mettre à l'abri... il ne faut surtout pas les provoquer... qu'ils n'approchent pas... enfin, rien que d'y penser... quelle horreur... pour-quoi parler de ça ? Personne n'en parle, par pudeur... par simple décence...
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Il est comme tout le monde. Tout le monde aujourd'hui à son âge est comme lui. Ne fais pas cette tête, je t'en prie... Ne te rebiffe pas. Allons, répète après moi : "Tout le monde..." Exerce-toi... Tu verras, ça ira mieux... Répète : "Tout le monde le fait. Tout le monde le dit... Tous les jeunes sont ainsi... Nous sommes comme tout le monde...
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Ah, tu vois comme nous nous sommes trompés. Comme nous connaissions mal notre propre enfant... C'est vrai, c'est ceux qu'on connaît le moins bien... Il ne déteste pas du tout... il aime, tu vois... Enfin "aime" est peut-être un mot qui ne convient pas... pardonne-moi... nous sommes si maladroits... enfin... je veux dire que ça, ce que ton père me montrait tout à l'heure, cette gravure... toi aussi, si tu voulais bien la regarder sans qu'on dise rien, toi aussi...
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« Enfance » de Nathalie Sarraute, c'est à lire en poche chez Folio.
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