Citations de Rachel Hausfater (229)
- Et tu penses à quoi ?
- À mon père, à la vie, à...
L'amour ? Mais non, un garçon, ça ne pense pas à ça...
Je ne pense qu'à Ezra.
A la fin d'Ezra.
A moi sans Ezra.
Et je pleure...
- Tu ne me fais pas confiance, c’est ça ? Parce que je suis trop jeune ? Parce que je suis une fille ?
- Mais non ! s’écrie-t-il, ce n’est pas vrai. J’ai confiance en toi.
- Même si on ne se connaît pas ?
- Oui, même. Tu m’as aidé, tu m’as donné à boire et à manger, tu m’as parlé gentiment et…
- Et ?
- … Tes yeux sont doux…
- Les tiens aussi, je murmure, le cœur battant.
- Et puis, reprend-il, tu n’as pas peur de moi.
Il s’est mis à regarder au loin et sa voix tremble. Je pose ma main sur son bras et lui demande :
- Et toi, de quoi as-tu peur ? De qui ?
- Moi ? J’ai peur de moi…
Dans nos contrées, l'hospitalité est un devoir sacré. L'étranger qu'on rencontre dans la rue ou sur la route, on le ramène chez soi, on lui lave les pieds pour enlever la poussière du chemin, on partage le repas avec lui et on lui donne un abri où passer la nuit.
Bien sûr, mon père va râler, ma mère va insister, Samuel va revenir, peut-être même avec Elie (que dans ma tête j’appelle Ennui !). Mais je sais que si je tiens bon, si je tiens mon « non », à la fin ils me laisseront tranquille… jusqu’au prochain prétendant. Chez nous, on ne force pas les filles à se marier. Ce sont les parents qui choisissent le fiancé, mais si la fille n’en veut pas, le mariage ne se fait pas.
Venir pour quoi ? Pour moudre le blé ? Cuire le pain ? Laver le sol ? Filer la laine ? Ou pour peigner mes cheveux ? Ma mère les veut sages alors qu'ils sont frisés, elle les veut couverts alors que je les aime libres. A deux mains, je fourrage dans ma tignasse et repousse les boucles brunes qui me tombent dans les yeux. Pas question de les cacher ni de les discipliner. Ni de me discipliner.
C’est vrai ça. Avant il n’y a rien. Et puis toute cette vie qui soudain apparaît, évidente, puissante, pleine d’aujourd’hui, impatiente de demain.
"Alors je pars, je le quitte, je me sauve et le laisse, et de tout mon malheur je pleure mon Gramps."
"Et on n'a qu'une maison où on a envie de rentrer: celle où on a grandi. Même si elle a disparu. Même si on n'en a pas eu."
"On reste toujours l'enfant que l'on a été."
Malgré tous, toi, Zeïdé, toujours tu me manqueras. Et c'est tant mieux. Car tu continues à vivre dans mon manque de toi. Tu es, en creux, en souvenir, en absence. Tant que tu me manqueras, tu seras.
Ma mère. .. pas là, jamais plus là. Mais je te porte, comme toi tu m'as portée, je te sens, tu m'entends. Je fais comme toi, Maman, je joue à la maman, je suis comme toi, une maman. Et c'est beaucoup : beaucoup à embrasser, beaucoup à chuchoter, beaucoup à rassurer, et tant à aimer ! Merci de m'avoir montré les gestes qui consolent. Merci de m'avoir aimée si fort que je le sens encore. Merci d'avoir été, même si peu de temps.
Nous, on a été déportés, et on l'est toujours. Jamais vraiment rapportés, tout juste supportés. Personne n'est revenu entier, de ce voyage sans vrai retour.
Car tu continues à vivre dans mon manque de toi. Tu es, en creux, en souvenir, en absence. Tant que tu me manqueras, tu seras.
"Regarde ce que j'ai trouvé ! me lance mon frère d'une voix étrange, le lendemain midi, alors que je reviens des courses. Il est dans la cuisine et je l'y rejoins, un peu inquiet. Pourtant, juste stupéfait. Je le découvre penché sur une grande boîte en carton débordant de lettres encore dans leur enveloppes et qui semblent n'avoir jamais été ouvertes.
-C'est papa ! me dit-il d'une voix blanche.
Je le regarde comme s'il était devenu fou
-Papa ??? Comment ça ? Où ça ?
-Là ! Toute ces lettres, elle viennent de papa.J'ai trouvé la boîte sous le lit de maman, cachée sous une couverture.
-T'as pas le droit de fouiller dans les affaires de maman ! Et encore moins de lire ses lettres !
-Mais ce ne sont pas ses lettres, Sofiane !
Je le regarde sans comprendre.
-Ce sont NOS lettres !
Papa nous a écrit ?
Papa m'a écrit ?
Papa ?
Depuis le jour maudit où il est parti, il a complètement disparu de nos vie. Longtemps j'ai attendu, longtemps j'ai espéré, longtemps j'en ai rêvé. Mais jamais il n'est revenu nous chercher, jamais il ne nous a écrit
En tout cas je le croyais.
Qu'il nous avait oubliés
Qu'il nous avait abandonnés
En tremblant, je rejoins mon frère et ensemble nous déchirons les enveloppes et nous mettons a dévorer ces mots, ses mots toujours les mêmes"
(citation choisie par Anna)
Ce sont tous des emmerteurs !
Parce qu'ils veulent qu'on leur montre ce qu'on a enterré, nos pauvres âmes toutes nies, en larmes, en lambeaux.
Parce qu'ils veulent qu'on raconte ce qu'on ne confie qu'à nous, le camp et son horreur, la guerre et le malheur.
Parce qu'ils veulent qu'on accepte leur aide et leurs secours, nous les abandonnés, nous les petits oublies.
Il est trop tard maintenant : on ne peut plus nous sauver.
Le seul à qui on parle, c'est Joseph, parce que, même s'il est moniteur et bien plus vieux que nous, il s'en revient des camps et connaît notre langue. Dans ses yeux notre noir, dans son corps notre douleur, dans sa voix notre plainte. En lui on a confiance, à lui on se confie.
Mais à aucun des autres moniteurs, même si certains sont jeunes et voudraient être gentils. Peut-être qu'on aurait pu les aimer... Sauf que leur gêne nous gêne, leur dégoût nous dégoûte et leur peur nous rejette. Ils sont trop loin de nous. Ils ne peuvent pas comprendre et croient qu'on n'a pas de coeur.
Pourtant on en a. Seulement il est muré.
Tu m'as fait une de ces peurs! J'ai eu l'impression que j'allais tomber dans un gouffre. Tu es la seule personne qui m'est tendu la main: j'ai besoin que tu me la tiennes encore un peu. Beaucoup. Longtemps. Toujours.
"A la maison, mon frère m'attend l'air mauvais, il veut de l'argent mon argent! Comment il sait que pour une fois j'en ai ? Je refuse alors il se met à me fouiller les poches, et tout d'un coup, je ne peux plus le supporter. Pour la première fois, c'est moi qui le frappe il se jette sur moi en gueulant et me tabassant." p74
(Annabelle)
Et je me retrouve dans la rue ensoleillée avec une petite vieille accrochée à mon bras.