Citations de Rachel Hausfater (229)
« De Sacha : sacha@intercom.fr
À Macha : macha@intercom.fr
Date 24 mai
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Macha, je me suis trompé. Peut-être que mon père avait raison. Peut-être que j’aurais préféré ne pas savoir. J’ai de la peine. J’ai perdu ma mère de rêve. J’ai perdu ma mère de rêve »
Qu'est-ce qu'il m'énerve ! Mais je recommence très patiemment, très gentiment, parce que quand ça marche, qu'il surfe comme un pro, il est content et fier comme Artaban.
Ça, c'est une expression typique de mon grand-père. Artaban, je ne sais pas trop qui c'est, peut-être un des trois mousquetaires qu'il aime tant ?
"Où on va Maman?", questionnaient-ils inlassablement, en pleurnichant et en gémissant. On ne pouvait quand même pas leur répondre : "Ne t'inquiète pas, mon chéri, on va simplement en enfer. Nous descendrons bientôt, après encore quelques heures entassés les uns (vivants) sur les autres (morts). La gare porte le curieux nom d'Auschwitz. Là, on nous séparera, on nous déshabillera et on nous gazera. Ou peut-être auront-nous la chance d'être choisis (peuple élu!) pour aller travailler comme des bêtes, sans nourriture ni espoir. On va bientôt arriver mon poussin, regarde par la fenêtre (quelle fenêtre?)."
Le contraire du désespoir, ce n’est pas l’espoir. C’est la lutte.
Pour ça il faut des armes, et il n’y en a pas. Il faut aller en chercher hors du ghetto, en acheter aux Polonais qui ne veulent pas nous aider. Alors on envoie des combattants de l’autre côté, chercher, supplier, exhorter, négocier. Et puis des messagers qui font l’aller-retour, pour passer les courriers, les provisions, les pistolets.
“Nous nous battons non pour la vie, mais pour le prix de la vie,
non pour éviter la mort,
mais pour choisir la manière dont nous allons mourir.”
Pour les Allemands nous ne mourons pas assez ni assez vite, ils veulent plus de morts, ils nous veulent tous morts.
Ils ont fermé nos rues, arrêté tout le monde, nous ont forcés à marcher vers l’Umschlagplatz, nous ont embarqués, entassés dans des wagons à bestiaux. Ils avaient tant d’armes, et nous que nos mains nues ! Comment leur résister ? Et les petits enfants ? Et puis peut-être qu’au bout il y avait, qui sait, encore un peu de jours, encore un peu de vie…
Mais ils nous ont déportés dans des camps de mort, noirs, où ils nous ont gazés, brûlés, assassinés. Où ils nous ont par millions massacrés.
Et puis le stage, trop vite, s'est terminé. J'ai essuyée les derniers nez, donné le dernier goûter, chantonné la dernière comptine. La gorge serré j'ai murmuré
Extrait choisie par Marwan.
Et maintenant c'est le tour d'Hannah. Au-dessous d'elle, la nuit est noire et elle distingue à peine les feux de reconnaissance des partisans et les arbres enneigés.
Mon Dieu ! Comme ça fait peur de sauter dans le noir, le froid, l'inconnu, au milieu d'ennemis et de mille dangers ! Comme ça fait peur, la guerre en bas !
Mais c'est son choix, c'est ce qu'elle voulait, et elle va le faire. Parce que pas loin il y a la frontière, la Hongrie, sa mère, et tous les Juifs qui l'attendent pour qu'elle vienne les sauver.
Alors elle respire un grand coup et lève la tête vers le ciel pour une prière. Est-ce qu'il la voit, son père ? Est-ce qu'il est fier ?
Et puis elle saute.
Quatre-vingts ou dix ans, c'est pareil. On reste toujours l'enfant qu'on a été.
Mais là il y a toi.
Que toi.
Mon Aimé.
Mon bébé.
J'étais blessé, et puis vexé aussi. Elle ne voulais plus me parler, plus me voir, plus de moi ?
Ca tombait bien, moi non plus... Ca a duré un mois, un mois à faire semblant d'être bien alors que je n'était rien ; un mois à la regarder à la dérobée quand je le croisais, pâle et durcie, dans les couloirs ; un mois à espérer qu'elle cède, qu'elle m'aide, qu'elle m'aime encore, à nouveau, enfin. Un mois de vide, de froid, de fin.
Tout un mois passé dans son passé, à tenter de boucher les trous de sa mémoire-passoire, retenir les souvenirs qui lui coulent sur les joues, empêcher les noms de s’envoler, les mots de l’abandonner, toute sa vie de fuir et s’enfuir. A lui rappeler qui il est, à le rappeler à maintenant.
Toi tu parles beaucoup, mais tu ne dis pas grand-chose
ce livre est juste magnifique
j'ai pleurer
il est tellement émouvant
je l'adore et le recommande fortement
il est petit serte mais magique
C'est pas juste et je veux pas toute une vie et pas eux.
Mais si je me dis ça, je pourrai pas avancer.
Il faut que je laisse tomber le rideau, que j'arrête d'espérer qu'ils reviendraient enfin, que ça serait pas vrai. Il faut que j'arrête de tant me désespérer. Sinon je crois que j'en mourrai.
Sauf qu'on a tout perdu.
Et qu'on est tous perdus.
Mais quand même, on est là.
Orphelins, mal en point, malheureux.
Des miettes d'enfants.
Mais vivants.
En rigolant.
- Je dois les attendre seul.
- Tu crois ? Tu ne veux pas que j'attende avec toi ?
- Tu as assez attendu. Il faut partir, maintenant.
- Mais Gramps, je ne veux pas t'abandonner !
Il me regarde alors, avec une telle tendresse dans ses yeux mouillés que j'en ai le cœur qui se brise, et s'écrie :
- Va - t'en, Madeleine, sauve - toi !
Et, doucement, il me repousse loin de lui.
- Je dois les attendre seul.
- Tu crois ? Tu ne veux pas que j'attende avec toi ?
- Tu as assez attendu. Il faut partir, maintenant.
- Mais Gramps, je ne veux pas t'abandonner !
Il me regarde alors, avec une telle tendresse dans ses yeux mouillés que j'en ai le cœur qui se brise, et s'écrie :
- Va - t'en, Madeleine, sauve - toi !
Et, doucement, il me repousse loin de lui.
Il ne se souvient pas.
Il ne se souvient de rien.
Enfin...c'est pas tout à fait vrai.
Il se souvient de loin.
D'avant, il se souvient bien
de lui petit enfant poussant, chenapan, devenu grand, jeune homme fringant, l'amour naissant, le travail prenant, ses trois enfants...
Les gares défilent : Evreux (c'est vrai ?), Bernay (berne, alors !), Lisieux (attention aux yeux !), Cean (mais quand ???), Bayeux (je bâille), Lison (nous lisons), Saint-Lô (c'est long) ...
Le sourire de Gramps s'élargit au fur et à mesure que le paysage s'arrondit et devient de plus en plus vert. C'est bien jolie, la Normandie...