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Critiques de Robert Bober (74)
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Ellis Island

Je me sens "toute, toute petite" pour écrire quoi que ce soit sur ce texte incroyable, après avoir lu, très émotionnée et admirative la chronique de PetiteBijou !!!



Je vais tenter toutefois... car je ressens le besoin et l'élan d'offrir ma reconnaissance et ma gratitude à Gaëlle Josse. Grâce à son texte « Le dernier gardien d’Ellis Island », qui m’a littéralement « tourneboulée »… j’ai éprouvé l’intense besoin d’aller plus loin , dans ce « non-lieu », et passage qui a transformé, amélioré , abîmé, transformé des millions de familles, qui ont abandonné leurs racines, pour TOUT reconstruire ailleurs, dans un autre pays.





A ma grande honte, Gaëlle Josse m’a mené au texte de Georges Perec (dont je ne connaissais pas même l’existence). je viens de l'achever; c'est un autre coup de poing. Lorsque nous nous plaignons de nos quotidiens, soucis, préoccupations diverses, De grâce !... songeons à toutes ces personnes, à nos « frères » de tous les pays , ayant tout perdu , tout laissé dans l’espoir d’une autre vie meilleure, pour eux et leurs enfants, sur une terre étrangère.



Le texte de Georges Perec, est d’autant plus percutant et dérangeant, qu’il écrit les dénuements extrêmes du déracinement, sans affect… de façon distante, et étrangement, pour ma part, cela prend une dimension universelle, d’autant plus cinglante et dérangeante…



Je me permets d’établir un bref rappel des circonstances de ce texte. En 1978, L’Institut National de l’Audiovisuel confia à Georges Perec et à Robert Bober, sur une idée de celui-ci, le soin de réaliser un film sur Ellis Island. Ceux-ci allèrent sur place, à New-York, une première fois procéder aux repérages, puis y retournèrent en 1979 effectuer le tournage de ce qui devait devenir « Récits d’Ellis Island, Histoires d’errance et d’espoir », film en deux parties : « L’ile des larmes » et « Mémoires », dont la première diffusion eut lieu sur TF les 25 et 26 novembre 1980.

La présente édition présente exclusivement le texte brut de Georges Perec, sans les interviews.



Georges Perec, parle d’Ellis Island, de tous les arrachements à sa terre ; mais aussi de ses propres racines, juives...

« Etre juif, pour lui (Robert Bober), c’est avoir reçu, pour le transmettre à son tour, tout un ensemble de coutumes, de manières de manger, de danser, de chanter, des mots, des goûts, des habitudes,

Et c’est surtout avoir le sentiment de partager ces geste et ces rites avec d’autres , au-delà des frontières et des nationalités, partager ces choses devenues racines, tout en sachant qu’elles sont en même temps fragiles et essentielles, menacées par le temps et par les hommes (…) (p.60)



Georges Perec, parle aussi des descendants de ces migrants, qui viennent à Ellis Island, chercher les éléments manquants de leur histoire , rassembler le « puzzle » des chemins courageux de leurs aïeux.



Ce texte est court mais d’une densité sans comparaison !



Il est un peu déplacé ou inutile de commenter, je préfère redonner la parole à l’auteur lui-même !



« Quelles sommes d’espoirs, d’attentes, de risques,

D’enthousiasmes, d’énergies étaient ici rassemblées

Ne pas dire seulement : seize millions d’émigrants

Sont passés en trente ans par Ellis Island



Mais tenter de se représenter

Ce que furent ces seize millions d’histoires individuelles,

Ces seize millions d’histoires identiques et différentes

De ces hommes, de ces femmes et de ces enfants chassés

De leur terre natale par la famine ou la misère,

L’oppression politique, raciale ou religieuse,

Et quittant tout, leur village, leur famille, leurs

Amis, mettant des mois et des années à rassembler

L’argent nécessaire au voyage (…)



Il ne s’agit pas de s’apitoyer mais de comprendre

quatre émigrants sur cinq n’ont passé sur Ellis

Island que quelques heures

Ce n’était, tout compte fait, qu’une formalité anodine,

Le temps de transformer l’émigrant en immigrant,

Celui qui était parti en celui qui était arrivé



Mais chacun de ceux qui défilaient

Devant les docteurs et les officiers d’état civil,

Ce qui était en jeu était vital :



Ils avaient renoncé à leur passé et à leur histoire,

Ils avaient tout abandonné pour tenter de venir vivre

Ici une vie qu’on ne leur avait pas donné le droit de

vivre dans leur pays natal

Et ils étaient désormais en face de l’inexorable » (p.52-53)



On ne ressort pas indemne d’un texte comme celui-ci, comme celui, fictionnel de Gaëlle Josse . Un hommage au courage extrême, à la détermination de

ces millions de migrants. De quoi effacer à jamais de son vocabulaire, le

terme d’ »étranger » !!!



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Par instants, la vie n'est pas sûre

Un trésor de livre, qui rend heureux…illumine de tous les feux de l'amitié…une rencontre unique qui a transformé l'existence de Robert Bober…qui rend cette « grâce » par une Lettre inoubliale à l'Ami…disparu…



Juif ashkénaze d'origine polonaise , Robert Bober, autodidacte, nous raconte ses racines, sa famille , son peuple, l'Histoire, la guerre, la persécution des juifs, mais avant tout ses rencontres, les êtres qui l'ont fait progresser, l'ont nourri intellectuellement, humainement . Et tous ces souvenirs, toutes ces évocations il les offre, les adresse à l'Ami, parti avant lui : L'homme du Livre…aux débuts de la télévision : Pierre Dumayet !



Pierre Dumayet, rencontre déterminante…. Robert Bober n'a pu faire d'études, et comme tant d'enfants en méfiance vis-à-vis de l'Ecole , pensait à tort que la lecture n'est faite que pour ceux ayant fait des études,alors ses rapports à la la lecture était « bien mal partie »…Pierre Dumayet bouleversera tout cela et sera comme une sorte de « mentor »…



Mais à partir de cette très belle rencontre et bouleversante complicité, quel parcours et quels talents développés par Robert Bober…au fil des années. Il nous décrit très simplement tous ses projets dont ses idées de cinéaste, de documentariste : projets concrétisés comme ceux auxquels il tenait, qui ont été refusés !



Quel beau texte, et à plus d'un titre : d'abord une lettre bienveillante, pleine de chaleur de Robert Bober, reconnaissante , admirative de l'Ami, le complice de tant d'années : Pierre Dumayet…Une ode flamboyante à ce trésor qu'est l'Amitié, mais aussi le parcours d'un homme peu banal, autodidacte , aux mille talents, et l'évocation pour nous de toute une époque incroyable, et parmi tout cela, les premiers pas de la télévision, et les initiatives originales, ingénieuses pour offrir les premières émissions culturelles, sur les Livres, entre autres, au plus grand nombre…dont celles , des plus marquantes de Pierre Dumayet…bien des années avant « la Messe du Vendredi soir » , comme on surnommait ensuite, nous autres,libraires, l'émission de B. Pivot, « Apostrophes »



« Et puis un jour- nous sommes alors en 1959-vous êtes là tous les deux, sur le petit écran comme on disait alors. Vous êtes là, assis l'un en face de l'autre parce que toi, Pierre, tu animais avec Pierre Desgraupes "Lectures pour tous", cette émission, la toute première dans laquelle on pouvait voir en gros plan les visages de ceux qui écrivaient des livres, et parce qu'André en avait écrit un : - le dernier des Justes-

Je ne vais pas raconter ici l'importance de ce livre, dire en quoi il était fondateur, inaugural. D'autres l'ont fait et, j'en suis persuadé, on continuera longtemps encore à le faire. Mais je voudrais essayer de te dire ce que j'ai appris ce soir-là en vous regardant, en vous écoutant.

C'est ce soir-là, j'en suis sûr maintenant, que j'ai appris à écouter les silences. Ceux d'André" étaient impressionnants. Comme s'ils permettaient aux mots de ne pas s'égarer. » (p. 37)



Il y aurait mille choses à dire, souligner dans ce livre fabuleux… Toutefois, comme tous les « accrocs » du Livre, de la Littérature et de la lecture, et comme Libraire de carrière , de coeur, je souligne plus exclusivement ce qui touche à la personnalité de Dumayet, ayant tant fait pour rendre La lecture pour le plus grand nombre, aussi simple et vital que …de « respirer » ou « manger »…

Personnellement , je me souviens, entre autres d'une émission qui m'a frappée, axée sur la lecture de « Poil de Carotte » de Jules Renard, où Dumayet avait invité un jeune lecteur, rouquin, pour avoir au plus près, les émotions du jeune garçon , ayant déjà quelque communauté de situation avec le « personnage » de Jules Renard…

Pierre Dumayet parlait avec ferveur, et de façon insatiable des écrivains, des textes, de la Relecture…

" Relire est aussi naturel qu'aimer, dis-tu, Pierre. Les personnes qui n'aiment pas relire les livres qu'elles ont aimés me font penser à un fat qui dirait d'une femme : je l'ai déjà lue". (p. 238)



Une très vive reconnaissance à la sensibilité et au talent magnifique de Robert Bober [qui, je dois avouer , avec quelque gêne, je découvre bien tardivement avec ce texte !! ]

Un immense MERCI à Olivia de Lambertie qui a parlé avec tant de « feu et talent » de cette pépite de livre , et m'a offert, ainsi qu'à d'autres auditeurs (j'imagine !) ce moment de grâce et d'humanité rare !



Un moment unique de bonheur de lire ; une (des) rencontre (s) ne pas manquer , car ce trésor de livre appartient à ceux que je préfère : ceux qui amènent à d'autres livres, d'autres rencontres, d'autres « nouveaux amis »…que l'on est heureux de croiser sur son chemin…J'achève ce trop superficiel billet par un extrait éblouissant…qui est à l'image de cette lettre-hommage: Lumière et ouverture maximale des horizons et des curiosités !



« Ecoute ce texte, Pierre :

"Que tirerons-nous de ces questions ? Que tirerons de toutes les réponses qui nous entraîneront à poser d'autres questions, puisque toute question ne peut naître que d'une réponse insatisfaisante ?

- La promesse d'une nouvelle question. "



C'est dans- le Livre des Questions- d'Edmond Jabès.” (p. 177)



***J'ai omis un élément non négligeable de ce livre captivant... il est abondamment illustré de photos anciennes, de lettres, de tableaux, d'archives diverses, qui augmentent l'émotion de l'ensemble de ces souvenirs, réminiscences de rencontres marquantes, etc.





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Quoi de neuf sur la guerre ?

« Quoi de neuf sur la guerre ? » est un roman de Robert Bober. Écrit et primé en 1994, publié par son ami éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens, cet ouvrage porte les signes indiscutables de l'histoire familiale de son auteur, une histoire ô combien tragique. Hanté par la Shoah, Robert Bober surmonte pour nous des nuits cousues d'insomnies pour mettre en scène -dans « Quoi de neuf sur la guerre ? »- des personnages ordinaires, de modestes artisans, pour la plupart tailleurs ou finisseuses, mais tous ou presque Juifs, ou suspectés de l'être, et rescapés de la barbarie nazie. Ces hommes et ces femmes ont survécu. La guerre étant finie, pourquoi faudrait-il remuer des vieux souvenirs ? Près de cinquante après, il ne leur reste plus qu'un stock de larmes, inépuisable. Alors Robert Bober a décidé de défier l'oubli et l'effacement des faits : il nous livre, sur le tard, à 60 ans, « Quoi de neuf sur la guerre ? », un ouvrage qui force le respect.



Faisant preuve d'une grande acuité, c'est avec une facilité déconcertante que l'auteur assemble ou rassemble des images, invente des situations, imagine et reconstruit des dialogues plus vrais que nature, dans le but de faire naitre le sens, de forcer notre écoute, de nous conduire à nous souvenir ou à nous imaginer des millions d'êtres humains, des adultes comme des enfants, des femmes comme des hommes, des jeunes comme des vieillards, tous innocents mais sacrifiés à cause de leur judéité, réelle ou suspectée. L'auteur sait de quoi il parle ; il a connu son arrière-grand-père, un patriarche à la longue barbe blanche et au charisme sévère, un aïeul issu d'un shtetl polonais dont était originaire la famille Bober, une famille décimée dans les camps.



Dans « Quoi de neuf sur la guerre ? », Robert Bober ne dénonce pas, ne fustige pas, n'incrimine personne : son ton volontairement intime s'attache aux faits et gestes de la vie ordinaire, sur fond d'introspection et de méditation sur la question de l'Holocauste. Dans « Quoi de neuf sur la guerre ? », l'auteur nous mène dans une sorte d'enquête, levant le voile sur les histoires personnelles de ces tailleurs ou finisseuses dont le quotidien d'après-guerre se déroule sous nos yeux, une enquête qui ressemble à s'y méprendre à une quête identitaire. Comment décrire, comment raconter ce qui fut, parler de ce qui n'existe plus ? C'est avec pudeur que Robert Bober présente et met en scène Albert et sa femme Léa, leurs enfants, Raphaël et Betty, Léon, le presseur, Maurice, rescapé d'Auschwitz, Charles dont la femme et les deux filles ne sont pas revenues, puis Paulette, Andrée et Jacqueline. Tous, qu'ils soient réels ou fictifs, continuent à vivre, hantés par leurs cauchemars mais décidés à s'accrocher à leur existence, une existence simple où entre rire et larmes l'équilibre reste précaire, surtout si une enfant se met à chanter (cf. ma citation) dans la langue de leur enfance. Car chanter, c'est tout ce qu'il reste à faire quand les mots sont malheureusement devenus inutiles.



Attentif aux relations humaines, soucieux de décrire avec précision les activités des artisans dans leurs ateliers, l'auteur -qui dans son travail d'écriture a gardé cette idée du travail bien fait, du vêtement sur mesure dont on ne voit pas les coutures même si on le retourne- ne nous tient pas la main pour nous faire découvrir des objets poussiéreux derrière les vitrines d'un musée ennuyeux. Non, il nous laisse nous imprégner à notre rythme des souvenirs de chacun des protagonistes, nous les présentant sous un dehors tout à la fois vivant et émotionnellement chargé. Il y a chez Robert Bober une intention manifeste de transmettre un message aux jeunes générations, dans un souci bien légitime de faire en sorte que soit conservée une trace de ce qui fut -mais pas seulement de l'horreur- et qui ne sera plus. Dans ce récit personnel mais fictif (?), il n'y a pas de volonté délibérée de forcer l'apitoiement mais de montrer des images d'un passé dont les survivants savent ne jamais pouvoir guérir. « Plonger dans le passé des autres pour être accepté par les autres et avoir ensuite accès à son propre passé », voilà sa démarche : accrochant sa propre mémoire à la mémoire collective, il nous livre avec sensibilité, pudeur et sens du partage un ouvrage délicat, poignant, simple, précis et bouleversant. Je mets cinq étoiles et recommande la lecture aux jeunes de 7 à 77 ans.

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Berg et Beck

Berg et Beck sont deux garçons du même âge, qui fréquentent la même école, la même classe et sont tous les deux juifs. Le livre débute au moment où le régime de Vichy oblige le port de l'étoile jaune pour toutes les personnes de confession juive de plus de six ans.



C'est le mois de Juin 1942.



Un mois plus tard, c'est la Grande Rafle de Vel d'Hiv. Berg et sa famille, prévenus, parviennent à prévenir Les Beck, et se cachant, échappent aux arrestations. Les Beck "ne sachant où aller ou ne sachant où se cacher, ou ne croyant pas à ces menaces" ainsi que l'imagine Berg,par la suite, sont arrêtés et ne reviendront pas.



Dès la libération, Berg, au fil des années, "écrit" à son camarade qui ne grandira pas tout en s'occupant des enfants juifs dans les foyers dans lesquels ceux-ci sont accueillis ayant perdu leurs parents. Il le fait pour ne pas rompre le lien avec celui dont personne ne parle plus, dont personne ne se souvient. Il veut continuer à le faire "avoir été" en le faisant habiter ses pensées.



Le récit est prétexte à évoquer plusieurs histoires d'enfants, d'adultes, d'adolescents meurtris à jamais par ces années sombres.

La narration fait davantage penser à un essai évoquant des personnes réelles qu'à un roman. On pense à Georges Perec et son "W ou le souvenir d'enfance", à Antoine Doisnel, pour les "400 coups" de ces enfants qui doivent apprendre à grandir sans l'amour des parents. (En lisant la biographie de Robert Bober, par la suite, j'ai mieux compris pourquoi ces images s'imposaient au fil des pages...)

Berg et les autres moniteurs tentent d'apprendre à ces "oubliés" ce qu'est la vie, comment s'y faufiler, à grands renforts de présence, d'amour, de compassion, d'écoute, de Jazz et de patins à roulettes et de l'attention du chien Mazeltov.



Ce qui touche et émeut dans ce récit, c'est la pudeur. Des allusions, deux , trois phrases pour expliquer la souffrance des personnages et ensuite comment ceux-ci essayent de se trouver une place dans cette vie qui a, à peine, voulu d'eux.







Tous les enfants de ces foyers et leurs moniteurs ne quitteront pas mes pensées de sitôt, et je veux me rappeler des mots de Willi en les évoquant : "Mais j'ai appris au moins une chose, et de cela j'en suis absolument persuadé, c'est que lorsqu'on aime quelqu'un, et quelles que soient les circonstances, il faut lui dire qu'on l'aime."
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Quoi de neuf sur la guerre ?

Ca commence en douceur par la vie dans l'atelier de tailleur où les personnages se retrouvent au quotidien. En douceur, avec une sorte de naïveté dans la description de chacun de ceux qui travaillent, et l'expression au premier degré, anecdotique, de dialogues simples, sans prétention. Et puis, on achoppe d'un coup sur un silence, un regard qui fuit, des yeux qui se mouillent, ou au contraire sur cet humour juif qui n'a pas son pareil.

Tous ceux rassemblés dans l'atelier ont eu à souffrir de la guerre parce qu'ils sont juifs.

Certains savent les histoires des autres, d'autres les devinent. Rien n'est raconté frontalement, mais la souffrance est sous-jacente, prête à faire irruption pour un mot, une allusion dont le double-sens peut devenir tragique. Monsieur Albert, le patron, sait, lui, le passé de chacun de ses ouvriers. Parfois il le raconte à certains pour expliquer des comportements mutiques ou exaspérants. Monsieur Albert dont la bonté est bouleversée par tout ce malheur, tente avec ses pauvres moyens de faciliter le retour à la vie « normale » de ces fracassés de la guerre.

Avec l'histoire de chacun, on sort de l'atelier, et il n'y a plus de douceur possible. Dans ses remerciements en fin d'ouvrage, Robert Bober indique : « Ce livre n'aurait probablement pas vu le jour si, entre 1947 et 1953, comme apprenti tout d'abord, puis comme mécanicien et enfin comme coupeur, je n'avais pas travaillé dans de nombreux ateliers ».

Je pense que Robert Bober n'a donc rien inventé ; ce qu'il rapporte, ce sont des témoignages authentiques. Des phrases d'une extrême sobriété, juste les faits. Et c'est déchirant, insupportable.

« J'ai vu quand le père de David lui a donné la montre. Il était assis par terre et il a pris David sur ses genoux. David était encore presque un bébé. Son père l'entourait de ses bras comme pour le protéger. Je ne sais pas ce qu'il lui a dit, mais je l'ai vu sortir la montre de sa poche, puis il a pris le pouce et l'index de David entre ses doigts et ensemble, doucement, ils ont remonté le mécanisme de la montre. Et puis, il a approché la montre de l'oreille de David… Et j'ai vu le sourire de David… »

David a été sauvé par l'OSE. Ses parents, eux, ont été déportés. Et David, dans le foyer où il était recueilli, ne se séparait jamais de cette montre que son père lui avait donnée avant leur séparation. « Ce qui est important, ce n'est pas que cette montre donne l'heure exacte, c'est qu'elle ne s'arrête jamais ».



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Quoi de neuf sur la guerre ?

Ce petit livre, simple et généreux à l'image de son auteur, est un morceau de musique klezmer. Ça vibre, s'emballe, rythme joyeux et un peu dissonant et soudain la phrase musicale s'allonge, devient un peu plaintive, vibrante comme une larme, plonge, s'adoucit, ralentit.... Puis le tempo s'accélère, la gaité revient, pour un peu on risquerait des vitsns. Robert Bober a sa manière s'y risque lui, avec tendresse et dérision. L'histoire d'un atelier après la guerre rue de Turenne, le patron Albert, la patronne Léa, leurs jeunes enfants Raphael et Betty. Les employés Maurice, Charles, Léon, Mme Andrée, Mme Paulette, et les autres. Juifs et non juifs. L'histoire de chacun vu par le petit bout de la lorgnette. Le quotidien dans l'atmosphère légèrement chauffée par les machines et les fers à repasser, la poussière de tissu, les peluches, les bouts de fils qui s'accrochent un peu partout ou en pelote par terre, la craie pour dessiner le patron d'un vêtement, un petit microcosme en somme. On n'y parle jamais de la guerre, elle est finie depuis un an ou deux. On lui tourne le dos, parce qu'il faut vivre et pour certains reconstruire. Raphael le fils du patron, écrit son journal, ses séjours à la CCE avec son copain Georges qui a déjà la manie des listes, des classements, des énumérations, passionné de cinéma. Robert Bober connait son sujet, il a été tailleur pendant 7 ans dans sa jeunesse. Il y a surement de lui dans le personnage de Joseph, plus doué pour l'écriture et le reste que pour coudre des boutonnières au bon endroit.

Quelques mots de Georges Perec pour finir :

"Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l'oubli s'infiltrera dans ma mémoire, je regarderai sans les reconnaître quelques photos jaunies aux bords tout cassés"
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Ellis Island

Court, très court, trop court texte sur cette île de passage, qui a vu tant de migrants, d'émigrants, d'immigrants avec l'espoir dans l'âme, celui de la terre promise, le rêve de devenir citoyen américain...

Un ouvrage d'actualité, avec toute cette poésie de l'énumération chère à Georges Perec, qui ne finit pas de me séduire.
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Il y a quand même dans la rue des gens qui pa..

Êtes-vous certain d’avoir saisi l’image ? En avez-vous déchiffré le mystère ? Aux ignorant qui reprochaient à Van Gogh d’avoir bâclé son tableau, de l’avoir « vite fait », le peintre suggéra à son frère : « tu pourras y répondre qu’eux ont trop vite vu ».

La photo d’un personnage n’est-elle pas, avant tout « l’expression d’une absence » ? Différente de la peinture, la photographie se nourrit de son personnage : « Les gens sont pour quelque chose dans les photographies qu’on prend d’eux, ce n’est tout de même pas de la gouache qu’on ramasse sur une palette pour l’étaler sur la toile. », disait Guy Le Querrec.

Tout en s’adressant à son ami Pierre Dumayet, Robert Bober recolle les morceaux de son histoire personnelle. Sa vie défile tel un album de photos et il s’étonne, avec nous, de toutes ces occurrences, de ces rencontres inattendues, de ces évènements qui lui semblaient fortuits mais qui soudain, à la lumière du vécu, prennent un nouveau sens. C’est comme si les moments déterminants de son existence s’interpelaient, dialoguaient par le truchement de messagers choisis. Tout s’explique : « Le hasard est grand, mais il faut toujours se demander, face à n’importe quelle situation, comment essayer de l’inviter ».

Robert Bober déambule dans ses souvenirs, lumineux ou douloureux. Une balade entre l’intime et l’universel, dont certains passages m’ont marquée : l’inhumanité du fonctionnaire (p41), la trace de l’incomplétude (p52), le talent de Bergman expliqué (p67), l’implacable indifférence du passant (p95) ou ce jeune peintre, Julien, égayant les murs d’une école ukrainienne (p101-121) avant l’invasion russe.

Un livre inclassable porté par la nostalgie de son auteur : « j’adore le passé, c’est tellement plus reposant que le présent et tellement plus sûr que l’avenir ».

Bilan : 🌹

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Ellis Island

Un très beau texte de Georges Perec ,

lu par Samy Frey.

Ellis Island, "l'île des larmes" a reçu

16 millions de damnés voulant être pionniers.

Poussés loin de chez eux par l'intolérance

ou la misère, ou encore les deux à la fois,

ces émigrants deviennent des imigrants

Perec s'interroge sur l'exil et sur ce non lieu

lieu de sélection, de transition,

d'acceptation ou de rejet..

Il en refait l'historique, s'appuie avec minutie

sur des chiffres et des dates.

Il le visite avec Robert Bober, tous deux juifs

venant de familles jetées

dans l'émigration pour survivre .

C'est un reportage précis, passionnant

servi par une belle écriture.

Un reportage qui renseigne et interpelle

sur une question qui ne risque pas de quitter l'actualité.

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Ellis Island

Ce court texte a l'avantage de faire connaître Ellis Island à ceux qui ne le connaitraient pas. La forme incantatoire est efficace en cela qu'elle ne peut que pénétrer le coeur et l'esprit du lecteur.

Abandon/indifférence/désespérance/accueil/solidarité : le curseur se déplace sur un objectif d'aide aux réfugiés juifs et les limites de sa réalisation. L'espoir, les privations physiques, les suicides, le désespoir, la joie de faire partie des admis de cet effroyable examen, puis les épreuves encore, à perte de vue. On saisit tout cela.

Mais il y a beaucoup de statistiques. Aucun approfondissement : ce n'était pas le propos de l'auteur, et cela m'a manqué.

Car je suis restée sur ma faim : compatir ne coûte rien aux repus et aux consciences généreuses parce que non éprouvées. J'aurais aimé trouver davantage de témoignages d'exilés, d'analyse historique. J'aurais aimé mieux cerner l'immense espoir, l'épouvantable périple de ces êtres privés de tout, dépouillés même de leur identité. J'aurais aimé rencontrer leur propre regard.

Ellis Island montre bien l'engrenage du destin, mais le malheur y est l'effet du nombre. Je ne peux m'empêcher de penser qu'il est aussi individuel.

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Ellis Island

Ellis Island… un îlot minuscule où ont transité les rêves et les espoirs de millions d’émigrants en provenance d’Europe, de 1892 à 1954, porte d’entrée pour les uns, seuil de retour à l’envoyeur pour les autres. Un tampon sur un document, noir sur blanc, pareil au jugement dernier, manichéen. Je t’octroie une nouvelle vie, noir, je te renvoie à ta vie de misère, ta non-vie, blanc. La main du jugement est celle d’un employé anonyme, fonctionnaire obéissant, kafkaïen. Tu ne pourras qu’en vouloir à ton Dieu, ou à ton destin. A ma gauche, peut-être la fortune et la gloire. A ma droite, le retour au néant, le meurtre de l’espoir, noyé dans les eaux de l’Hudson.

Comme Georges Perec, cette porte d’entrée sur New York a hanté mes pensées, dès mon adolescence. Elle fait partie de l’histoire de ma famille, la branche italienne dont ma mère est issue. Ni celle-ci, ni mon père ou mon frère, n’ont jamais à ma connaissance manifesté de curiosité pour Ellis Island. Pour moi, l’intérêt pour cette histoire et ce lieu n’ont fait que croître dès l’âge de 15 ans, l’année de mon entrée dans un internat d’un lycée à Aix-en-Provence. J’imagine que me sentir en prison avait exacerbé le besoin de trouver mes propres îlots de liberté, réels ou imaginaires. « Ellis Island » de Georges Perec, ce sont des « récits d’errance et d’espoir ». Cette union d’«Errance et espoir » pourrait sous-titrer mes années d’adolescence, et je vois dans ce raccourci un peu facile une explication possible à cette promesse que je me fis d’aller un jour à New York, rencontrer ce qui restait de ma famille, et surtout éprouver physiquement ces lieux de ma mythologie personnelle.

Voici donc l’histoire : mon arrière-grand-mère et sa sœur ont quitté la région de Venise dans les années 1910 pour Marseille, mon arrière-grand-mère avec ses quatre fils nés pour le premier (mon grand-père) en 1911 et le dernier en 1914 (son mari, resté en Italie, n’éprouvera jamais le besoin de les suivre), et sa sœur avec son mari et ses deux enfants. Ils ne possédaient rien. Le beau-frère de mon arrière-grand-mère, Giovanni, eut envie, quitte à ne rien posséder, de tenter sa chance à New York. Pour quelle raison ? Je l’ignore à ce jour. Il partit donc, dans les années 20, laissant en France ses enfants encore petits et sa femme. Très vite, installé à Brooklyn, il devint cuisinier, se trouva un petit appartement. Au fil des mois, il écrivait régulièrement à sa famille, racontant sa vie en détail, tout ce qu’il achetait, ses acquisitions à crédit. De rien, il eut un peu, et d’un peu, encore un peu plus. Il joignait des photos à ses lettres enthousiastes. Il était heureux. Son fils aîné, Léon, regardant inlassablement les photos dans son lit marseillais, se mit à rêver d’Amérique, et pendant des années tanna sa mère pour qu’à leur tour ils fassent le voyage. Celle-ci refusait, voulant demeurer auprès de sa sœur. Quand Léon eut 17 ans, en 1938, il était devenu le chef de famille. Il ordonna à sa mère et sa sœur de le suivre en terre promise. Le père envoya l’argent, et tous trois prirent le bateau. Les femmes, y compris mon arrière-grand-mère, pleurèrent énormément. Arrivés à Ellis Island, Léon et sa sœur obtinrent leur visa d’entrée sur le territoire américain du Bureau Fédéral d’Immigration. On découvrit à leur mère un foyer infectieux pulmonaire : elle fut refoulée. Les enfants retrouvèrent leur père, et firent leur vie d’italo-américains dignes des films de Coppola. La mère rentra à Marseille, auprès de sa sœur. Elle ne revit jamais son mari et ses enfants. Son fils considéra toute sa vie l’exil américain comme une bénédiction. Sa fille vécut la sienne dans le ressentiment envers son père et son frère et la nostalgie de son enfance italienne et française. Il y aurait là matière à roman.



Dans « Ellis Island », Georges Perec liste, collecte, catalogue, recueille, comme il l’a fait dans toute son œuvre. Démarche rationnelle, précise, sans affect apparent. Il questionne les témoins avant que ceux-ci ne disparaissent. Il interroge l’exil, le déplacement, le déménagement des âmes et des corps. Il décrit les espaces confinés, les files d’attente, détaille les bagages, les vêtements, les objets.

Ce point dans l’eau est le point de départ de l’infini des cercles concentriques d’une mémoire démultipliée. Ces histoires ne sont pas sienne, ni celle des siens, mais, au fond, Perec explore le rêve d’un ailleurs possible, d’une nouvelle existence, l’éventualité d’un pied de nez au destin d’une identité rendue fantomatique qui reprendrait corps dans les bras accueillants de la statue de la liberté. Les listes égrenées avec une minutie maniaque rappellent les listes des déportés : ceux qui sont de retours, ceux qui ont disparu, comme pour Ellis Island ceux qui auront la chance d’un présent vierge où planter les jeunes pousses de futures racines et ceux qui seront condamnés à leur condition d’errance. Bien sûr, on peut trouver dans « Ellis Island » tous les thèmes de la judéité, de l’exil intérieur à la promesse messianique, du questionnement identitaire comme de la condition de l’être « élu ». Mais, par sa volonté de ne céder à aucun sentimentalisme, son absence de commentaire personnel, Perec, comme dans « Je suis né » ou « W ou le souvenir d’enfance » rend davantage encore l’histoire universelle. Le lecteur attentif ou déjà familier de l’auteur comprendra que celui-ci habille les silences de sa prose avec les oripeaux de sa mémoire amputée. Georges Perec ne parle pas de lui mais il est partout, dans chaque lettre, chaque espace, chaque signe de ponctuation. Il est ce qu’il tait. J’imagine Lady Liberty, ancrée dans l’Hudson, se penchant maternellement pour révéler par la flamme de sa torche les mots secrets de l’enfant Georges écrits à l’encre sympathique.

Je ne connaissais pas Perec lors de mon voyage à New York en 1986. C’est un avion qui me fit traverser l’océan atlantique. J’ai rencontré la sœur de Léon en Floride, où elle avait suivi son mari ancien GI, installée dans la plus vieille ville des Etats-Unis : quelle ironie pour celle qui a toujours détesté ce pays ! Puis je remontai à New York, et rencontrai le désormais vieux et fatigué Léon. Il n’était jamais revenu en France, et fut le premier de ma famille à reconnaître dans mes traits une parenté indiscutable. Il vit l’Italienne en moi, et cela le fit pleurer. Pendant plus d’un mois il me fit visiter sa ville, les lieux de sa mémoire. Malgré notre grande différence d’âge, j’ai trouvé en lui une intuition de ce que j’étais incroyablement perspicace et affectueuse. Nous discutions, passant de l’anglais au français, sans oublier l’italien. Abandonné des siens, il s’est reconnu en moi. Un matin, nous nous rendîmes sur Liberty Island, alors en travaux. Il me raconta Ellis Island, ses rêves d’enfant puis de jeune homme, son égoïsme monstrueux envers sa mère et sa sœur. Il me parla de sa légende américaine, sa propre gloire puis sa chute. Le jour de mon départ, en larmes, il me fit promettre de ne jamais renoncer à mes rêves. « Quel qu’en soit le prix, ça vaut le coup (ou le coût ?) ». Je le revois me faisant un signe d’adieu alors que je m’engouffrais dans le taxi jaune qui allait me conduire à JFK. Je ne l’ai plus jamais revu, happée à mon tour par ma vie, mes rêves, mon égoïsme.

Aujourd’hui, pensant à lui, victime collatérale du 11 septembre 2001, j’imagine l’adolescent brun exalté débarquant à Ellis Island et tenant le nouveau monde dans sa main vigoureuse.

N’ayant pas de photo, c’est dans le livre de Georges Perec que je vois les traces du visage et de la silhouette trapue de Léon. Sa sœur et sa mère s’y trouvent aussi, ainsi que Giovanni, et donc un morceau de moi.

Ma bibliothèque entière est promise à un frère de cœur. Cet ami, comme moi, entretient avec New York une relation intime et un peu secrète. Je sais qu’il aurait pu être un émigrant échoué sur Ellis Island. Je sais qu’une partie de lui est là-bas. Je sais qu’il aime à trouver ses mots pour raconter cette ville qu’il aime.

Ce n’est pas un bateau, mais le train de la poste qui a amené mon exemplaire de « Ellis Island » de Georges Perec sur le lieu catalan où il possède actuellement ses ancrages. C’était une date importante, j’ai écrit quelques mots sur la première page, moi qui ne le fais que rarement.

Par ces mots, j’ai semé quelques traces, tendu le fil invisible de Léon à mon frère, de mon frère à Georges Perec. Quand je n’aurai plus de mémoire demeureront mes rêves comme autant de voyages à faire ou de mots à écrire. L’écriture sera enfin devenue une terre d’asile pour les récits d’errance et d’espoir.


Lien : http://parures-de-petitebijo..
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Berg et Beck

Berg et Beck sont amis d'enfance. Ils portent l'étoile jaune. Beck disparaît, victime des nazis.

Berg survivra. Il n'oubliera jamais son ami et, après la guerre, deviendra éducateur dans des maisons d'enfants orphelins, fils et filles de déportés.

Le roman ne vaut que par le regard porté sur ces enfants traumatisés et privés d’affection familiale.
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Ellis Island

ELLIS ISLAND

L'île des larmes



Je n'ai pas les mots pour vous retranscrire ce roman tant cette petite histoire dans la grande m'a touchée profondément !

Un tout petit livre et pourtant un recueil immense de délicatesse et sensibilité, un style admirable tout en nuances, digne et simple.

Toutes ces vies déracinées, quittant leur pays, leurs familles, portant leurs rêves et espoirs vers cette Amérique, terre promise.

Cette Amérique mille fois rêvée, la terre de liberté où tous les hommes étaient égaux, le pays où chacun aurait sa chance, le monde neuf, le monde libre où une vie nouvelle allait pouvoir commencer.

Seize millions d'émigrants sont passés en trente ans par Ellis Island : le lieu de l'exil.

Il subissaient "l'inspection", devaient répondre à une série de vingt neuf questions ... Visite médicale, marqués à la craie d'une lettre : C la tuberculose, E les yeux, F le visage, X la débilité mentale .... , changer de nom.

A l'issue de ces humiliations, perte d'identité, l'inspecteur disposait de deux minutes pour décider si oui si non l'émigrant avait le droit d'entrer aux Etats Unis et devenir un immigrant.



Ce récit bouleverse car aujourd'hui, encore, le traitement faits aux migrants, ces frères humains, est indigne.

Demain, nous le serons peut-être ?...



"HOME" un poème sur l'immigration, écrit par une immigrante Warsan Shire jeune femme britannique d'origine somalienne



Personne ne quitte sa maison

A moins d’habiter dans la gueule d’un requin

 

Tu ne t’enfuis vers la frontière

Que lorsque toute la ville s’enfuit comme toi.

Tes voisins courent plus vite que toi

Le goût du sang dans la gorge

L’enfant avec qui tu as été à l’école

Celui qui t’a embrassé à perdre haleine

Derrière la vieille ferronnerie

Traine un fusil plus grand que lui

Tu ne quittes ta maison

Que quand ta maison ne te permet plus de rester.

 

Personne ne quitte sa maison

A moins que sa maison ne le chasse

Le feu sous les pieds

Le sang qui bouillonne dans le ventre

 

Tu n’y avais jamais pensé

Jusqu’à sentir les menaces brûlantes de la lame

Contre ton cou

Et même alors tu conservais l’hymne national

A portée de souffle

Ce n’est que quand tu as déchiré ton passeport

Dans les toilettes d’un aéroport

En t’étranglant à chaque bouchée de papier

Que tu as su que tu ne reviendrais plus.

 

Il faut que tu comprennes,

Que personne ne pousse ses enfants dans un bateau

A moins que la mer te semble plus sûre que la terre

 

Personne ne brûle ses paumes

Suspendu à un train

Accroché sous un wagon

Personne ne passe des jours et des nuits dans le ventre d’un camion

Avec rien à bouffer que du papier journal

A moins que chaque kilomètre parcouru

Compte plus qu’un simple voyage.

 

Personne ne rampe sous des barrières

Personne ne veut être battu

Ni recevoir de la pitié

 

Personne ne choisit les camps de réfugiés

Ni les fouilles à nu

Qui laissent ton corps brisé

Ni la prison

Mais la prison est plus sûre

Qu’une ville en feu

Et un seul garde

Dans la nuit

C’est mieux que tout un camion

De types qui ressemblent à ton père

 

Personne ne peut le supporter

Personne ne peut digérer ça

Aucune peau n’est assez tannée pour ça

 

Alors tous les :

A la porte les réfugiés noirs

Sales immigrants

Demandeurs d’asile

Qui sucent le sang de notre pays

Nègres mendiants

Qui sentent le bizarre

Et le sauvage

Ils ont foutu la merde dans leur propre pays

Et maintenant ils veulent

Foutre en l’air le notre

 

Tous ces mots-là

Ces regards haineux

Ils nous glissent dessus

 

Parce que leurs coups

Sont beaucoup plus doux

Que de se faire arracher un membre.

Ou les mots sont plus tendres

Que quatorze types entre tes jambes

Et les insultes sont plus faciles

A avaler

Que les gravats

Que les morceaux d’os

Que ton corps d’enfant

Mis en pièces.

 

Je veux rentrer à la maison

Mais ma maison est la gueule d’un requin

Ma maison est le canon d’un fusil

Et personne ne voudrait quitter sa maison

A moins d’en être chassé jusqu’au rivage

A moins que ta propre maison te dise

Cours plus vite

Laisse tes vêtements derrière toi

Rampe dans le désert

Patauge dans les océans

 

Noie-toi

Sauve-toi

Meurs de faim

Mendie

Oublie ta fierté

Ta survie importe plus que tout.

Personne ne quitte sa maison

A moins que ta maison ne chuchote grassement à ton oreille

Pars

Fuis moi

Je ne sais pas ce que je suis devenue

Mais je sais que n’importe où

Vaut mieux qu’ici.

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Récits d'Ellis Island : Histoires d'errance e..

Comme indiqué en sous-titre des « Récits d'Ellis Island », ce beau livre illustré raconte des histoires d'errance et d'espoir. Et c'est en cela qu'il est formidable.

Dès la fin du 19ème siècle et jusque dans les années 20, près de 16 millions d'émigrants en provenance d'Europe, sont passés par cet îlot de quelques hectares près de la statue de la Liberté à New-York, nommé Ellis Island. Cet endroit sur lequel le Secrétariat d'Etat américain à l'immigration avait construit un centre d'accueil, Georges Perec et Robert Bober sont allés le filmer en 1979. Ce livre en témoigne.

Il est composé de cinq parties.

Après la présentation de l'île aux larmes et de ce qui restait alors de ce lieu unique, la description du chemin leur permet de raconter précisément l'arrivée des émigrés. Ensuite il y a les repérages de juin 1978 pour la préparation du tournage et enfin, Georges Perec et Robert Bober proposent un recueil de souvenirs et de témoignages de quelques-uns des survivants, aujourd'hui disparus. Parmi ceux qui, au début du siècle, ont accompli ce voyage il y a des Juifs russes et d'Europe centrale ou des Italiens qui évoquent les motifs de leur émigration et leur intégration dans leur nouvelle patrie.

Un ouvrage sur l'histoire du "melting-pot américain", sur la mémoire personnelle de Perec, ponctué de photographies mémorables dont l'étrangeté vient du fait que les lieux sont en état d'abandon. Et puis, le sujet est important et toujours actuel, voire universel car il y a toujours quelque part dans le monde des personnes qui tenteront de s'exiler pour essayer de trouver un monde meilleur.

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On ne peut plus dormir tranquille quand on ..

"On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux" titre tiré de «plupart de temps» de Pierre Reverdy.



Tout commence le mardi 2 Mai 1961, au café Victor de l’impasse Compans à Belleville. Truffaut tourne une scène de Jules et Jim où le personnage principal, Bernard, a décroché un petit rôle grâce à Robert ... Bober qui passera en invité de temps en temps comme une silhouette à la Hitchcock ou comme la coccinelle de Gotlib, au choix.

Quand le film sort sur les écrans, Bernard demande à sa mère de l’accompagner. Fier de lui montrer son apparition sur le grand écran. Ils vont en ressortir bouleversés : Bernard parce que ses scènes ont été coupées au montage, sa mère parce le film est un écho de sa propre vie. Sur le chemin du retour à la maison, et pour la première fois, Bernard va apprendre ce qui «précédait sa naissance».

Va se mettre en place une mosaïque de petites histoires, qui mises en résonances, conduiront le personnage jusqu’au bout de sa quête d’identité.

Voilà pour l’histoire principale.

Mais c’est loin d’être tout !

Le livre de Robert nous entraîne dans une longue flânerie à la Modiano dans le Paris des années 60. Paris qui devient à lui seul un personnage. Nous allons de rue en rue, de café en café et accoudés au zinc nous écoutons, attentifs, les personnages parler des films de Max Ophuls, de la ronde de Schnilzer, de Harpo des Marx Brothers, de Casque d’or, des 400 coups. Nous tapons du pied au son du jazz manouche, et parfois même il nous arrive de pousser la chansonnette. Entre deux verres, nous courrons assister au cours sur le temps de Jankélévitch «c’est toujours le bon, le temps qui est passé». Et nous hâtons le pas, pour ne pas manquer notre rendez-vous avec Robert Giraud auteur «du vin des rues» et ami de Doisneau.

"ll n’y a pas de meilleur endroit pour un solitaire que le bistrot m’a dit Giraud, commandant deux rouges d’autorité. A cause des oreilles qui entendent toujours quelque chose dans quoi on peut intervenir et reprendre contact. Mais après, il faut y revenir. Parce que, boire un coup, c'est mieux de le faire dans un endroit où on connaît votre nom. On y est plus à l'aise. Mais il y a aussi ceux qu'on retrouve jamais. Ils sont là, un temps, à la même place, et puis un jour plus rien. Emportés on ne sait où. Effacés. On se souvient juste du nom qu'on leur donnait."



Sous le charme et l’émotion.

Pour les amoureux de cinéma, de Paris, de belles histoires, c’est à dire à peu près tout le monde, il serait dommage de passer à côté de ce très beau livre, car le peu que je viens d’en dire, est encore loin d’être tout.

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Quoi de neuf sur la guerre ?

Ce livre est d'une délicatesse infinie et pourtant il touche à un des drames les plus horribles que notre civilisation européenne a pu produire : la Shoah, l'extermination systématique de six millions de Juifs. Nous sommes dans un atelier de confection parisien, juste après la guerre et, dans la vie quotidienne de ces hommes et de ces femmes surgit à chaque instant l'horreur absolue qui s'achève à peine. Dans une colonie de vacances ou un centre pour enfants, Raphaël écrit à ses parents et là aussi, ressort, avec des mots simples, avec des évocations jamais appuyées, ce que vivent ces gosses qui ont parfois échappé par miracle aux rafles perpétrées par la police sous les ordres de l'Etat français faisant du zèle pour l'occupant nazi.

Comment ne pas citer cette scène vécue au commissariat du 18ème arrondissement, en 1946, où l'auteur se retrouve devant le même commissaire qui a arrêté ses parents le 16 juillet 1942 pour les emmener au Vel d'Hiv ?... Quoi de neuf sur la guerre se termine 35 ans après par le même constat : il n'y a rien de neuf sur la guerre, seulement des larmes, « le seul stock qui ne s'épuise jamais ».
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Quoi de neuf sur la guerre ?

Chacun connaît ce mot de Clémenceau au jour de l’armistice de la première guerre mondiale : « maintenant il va falloir gagner la paix ». C’est l’immense défi qui se pose non seulement aux nations, mais tout autant aux femmes et aux hommes qui ont traversé la seconde guerre mondiale : gagner ou trouver la paix lorsque la guerre vous a atrocement mutilé du meilleur de vous-même, vous a injustement privé des êtres aimés, vous a scandaleusement détroussé de toute raison de vivre, vous a ignoblement rabaissé au rang de jouet de l’absurde… Et pourtant, quel autre choix ont-ils les personnages de Bober : vivre n’est-ce pas, toujours, malgré tout, en dépit du pire... vivre n’est-ce pas sans cesse « essayer » ?
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Ellis Island

🇺🇸 « Au début, on ne peut qu’essayer

De nommer les choses, une

A une, platement,

Les énumérer, les dénombrer,

De la manière la plus

Banale possible,

De la manière la plus précise

Possible,

En essayant de ne rien

Oublier » (p.45)



🇺🇸 Ellis Island. Last stop pour des millions de personnes qui ont fui leur pays pour rejoindre la terre aux innombrables possibilités, dès le milieu du XIXème siècle. Ellis Island fait partie de ces lieux qui existent mais qui, en même temps, ne « sont » pas ; symbole de l’exil, ultime étape d’un exode souvent douloureux, Ellis Island, surnommée « l’île des larmes » est comme une porte sur un monde nouveau ; avant d’y entrer, on est italien, français, polonais, irlandais ... Et si l’on a la chance de répondre correctement aux 29 questions qui nous sont posées, si l’on n’est ni souffrant ni malade, si le juge donne son accord, alors on en sort américain. Welcome to the United States of America.



🇺🇸 L’île des larmes... A ceux qui se sont vus refuser l’entrée sur le territoire, deux options s’imposent : l’attente ou le retour. L’échec.



🇺🇸 Extrêmement court mais d’une puissance incroyable, ce récit est un véritable trésor. George Perec questionne ici « l’errance, la dispersion, la diaspora ». Ce qui l’intéresse dans cet endroit où quelques fonctionnaires tenaient entre leurs mains le destin de millions de personnes, c’est l’absence de substance, la vacuité de l’endroit, il n’y a rien de tangible, de palpable, il n’y a que l’histoire de ces hommes et de ces femmes, leurs récits, leur mémoire. On ne visite pas cet endroit, on le ressent profondément, il fait écho à d’autres sentiments, d’autres troubles, d’autres fuites, les nôtres, plus intimes, plus enfouies.



🇺🇸 Ce récit fut publié en 1980. Mais il n’a pourtant jamais été plus actuel.



🇺🇸 Comprenez : sometimes we just need to look back.
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Il y a quand même dans la rue des gens qui pa..

Quelle douceur toujours dans les mots de Robert Bober ! L’émotion n’est jamais loin surtout quand les passages touchent à l’enfance, aux vies meurtries, aux absents. J’aime les détours pris, les évocations littéraires, et qui donnent toujours envie d’être suivis. On connaît bien le lien, et on pense sans surprise, beaucoup, à Perec.
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Ellis Island

Très beau texte de Georges Perec qui pour répondre à une commande de l'INA se rend en 1978 avec Robert Bober à Ellis Island. le livre est court mais Georges Perec condense avec art ce que furent ces décennies de migration, pointant une atmosphère, sans s'apitoyer.

Le problème pour l'auteur quand il est sur place c'est la lecture des traces,

Perec fait un historique de l'immigration en Amérique.Des raisons économiques et politiques poussent à partir du début du XIX Eme siècle des millions d'Europeens à rejoindre l'eldorado et l'émigration est pratiquement libre jusqu'en

1892 . le centre d'accueil d'Ellis Island fonctionne de 1892 à 1924 et 16 millions de personnes passent avec espoir ou crainte par cette usine à fabriquer des Américains,La réglementation devient de plus en plus stricte et à partir de 1924 Ellis Island devient un centre de détention,

Perec vient y chercher quelque chose d'informe, en lien avec le fait d'être juif, il cherche à comprendre ce qui est au coeur de cette aventure d'exil,

l'errance et l'espoir,

D'autres juifs ont le sentiment d'être insérés dans une tradition, une langue, une communauté, ils ont donc des racines partageables , ce qui n’est pas le cas de Perec.
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