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Critiques de Roland Barthes (184)
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L'Empire des signes

Un livre très subtil et magnifiquement écrit.

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L'Empire des signes

Divagation d'un écrivain en Pays Japon. Telle aurait dû être le titre de ce livre.

D'habitude ravie de découvrir de nouvelles choses, ici ce ne fut pas le cas pour moi. Les chapitres, ou plutôt thème se suivent, s'entre croisent mais jamais ne s'harmonisent. Seul fil conducteur, on parle du Japon sublimé de l'auteur.

Difficile d'accès pour moi, je n'ai trouvé aucun charme à la lecture, mais sans doute cela vient t-il de mon habitude des fictions.

Un classique, dur d'accès.
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L'Empire des signes

Il y a un peu de tout, comme un ensemble de méditations sur certains aspects de la culture japonaise. Il me semble toutefois (mais je ne suis pas spécialiste) qu'il fait parfois des rapprochements avec la culture occidentale un peu clichés: là-bas tout est bien, spirituel et profond et ici s'est l'inverse. Il paraît parfois un peu exalté, c'est dommage. Mais à part ça c'est bien. Le récit est bref mais présenté de manière intéressante, il y a aussi quelques illustrations sur les thèmes abordés: la langue, la nourriture, les courbettes, la gare, la paupière, le centre-ville,...
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L'Empire des signes

Va-et-Vient du bout du Monde



Cette étude amoureuse du pays du soleil levant peut paraître un peu intellectuelle voire rébarbative de prime abord : le style théorisant de Roland Barthes ne gâche heureusement pas la finesse de ses observations sur le Japon.



Ce livre se présente comme des fragments d'étude comparée entre le Japon et l'Occident : preuve que la fascination qu'exerce ce pays a été (et est toujours) tenace, profonde. Les courts chapitres qui rythment la lecture sont autant de morceaux choisis de la vie quotidienne du Japonais, de la scène la plus banale au rituel le plus lointain. Ce que souligne avec brio Barthes dans cet ouvrage, c'est la différence de paradigmes et de valeur qui distinguent la culture japonaise de la culture occidentale. Sous le regard presque anthologique, on sent rapidement l'enthousiasme de l'auteur, son amour pour ce pays mystérieux, si étrange en apparence.



Comme toutes les valeurs se renversent pour le Français en voyage au Japon, l'intellectualisme de Barthes aussi se renverse dans ce livre, pour tendre vers une sensualité amoureuse, caressante. Amoureux du Japon, passionné de cultures, amateurs d'énigmes : ce livre est un amuse-bouche raffiné.
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L'Empire des signes

Le 24 novembre 2015, conférence sur le sujet, à la Maison de la Culture du Japon à Paris : http://www.mcjp.fr/francais/conferences/l-empire-des-signes-de-roland-barthes-le-temps-d-un-recadrage/l-empire-des-signes-de-roland-barthes-le-temps-d-un-recadrage
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L'Empire des signes

Voyager, c'est partir à la rencontre. A la rencontre de tout autre et à l'encontre de soi. Tout autre que soi même. C'est avoir la capacité de se mettre en demeure de l'autre. Et pour approcher cet état d'esprit il faut tenter - tenter est le seul verbe acceptable, tant les archétypes de nos pensées et langage nous pétrissent - de se débarrasser de notre intelligibilité, de l' articulation de nos idées que nous avons apprise, et qui nous donnerait fausse démarche pour nous rendre «  là-bas » .

Préparer un voyage s'est peut être d'abord se décharger. Se décharger de ce que nous emportons.

Savoir se préparer à Être telle une entité martienne unijambiste et manchote découvrant une boite à chaussure. Comment imaginer cette boite au delà de sa nature, et de ce fait comprendre son langage, ses fonctionnalités, l'ordre ou le désordre dans laquelle elle s'inscrit, si on ne peut penser la marche, le pied, la main, le couvercle de cette boite et donc la chaussure...Le martien, là bas aurait bien vu et même touché une boite. Boite dont il peut se représenter l'image mais non l'idée. Il pourra vous le dire avec toute sa bonne foi d'entité martienne  : « j'ai vu un machin, plein de machins, d’extraordinaires machins... » Mais qu'est ce que machin vient faire « là-bas » ?... Il faut déposer les armes qui nous tiennent, qui nous donnent stature martienne.

Il faut accepter d'être nouveau né. Pas de savoir, pas de mot, pas de doute, pas de grammaire, entrer dans une autre dimension. Entrer sans comparaison, sans vouloir y placarder notre raison. Se mouvoir, en appeler à nos sens et ne vouloir jamais y traduire un sens. Roland Barthes s'est rendu en ce « là-bas ». Pour lui ce monde qui jusqu’à lors se trouvait dans l'idée, dans l'image et non dans le fait même d'exister. Et c'est à ce fait qu'il est venu connaitre ce monde, cet « empire des signes ».

Tout « martien » qui veut se rendre en « un là-bas », ou qui veut en son « là-bas » accueillir ceux qu'il nomme « martiens », et cela où que « ces là-bas » puissent se trouver, devrait avoir en tête ce livre.

Le Japon est donné à titre d'illustration. Vous ne connaitrez pas le Japon après l'avoir lu, vous ne connaitrez pas non plus le Japon de Roland Barthes. C'est un livre qui vous racontera l'expérience qu'il s'est proposé de vivre. Dans « un système symphonique inouï, entièrement dépris du nôtre ».

Un « Satori », qu'il a tenté de mettre en écrit, le compte rendu d'un événement, « un seïsme qui fait vaciller la la connaissance, et qui laisse le sujet vide de parole ». A blank. Notre culture entraîne son histoire, et notre histoire nous ramène à notre nature. Tout devient « impossible », « inconcevable », « intraduisible ». Là le sujet n'a pas sa place, mais il peut avoir conscience de sa position. Le Japon recèle d'esprits, de fantômes, d'entité célestes. Un monde fantasmagorique et fantomatique pour le martien. Lui qui n'a de cesse de positionner le sujet - qui le plus souvent n'est personne d'autre que lui même - au centre de ses phrases comment peut il concevoir que « là-bas » l'inanimé et l'animé soient totalement dissocié ? Au point que le fantôme ne fut jamais. Ne fut dans le sens auquel nous rattachons l'esprit de vie. Non il n'existe pas. La bas. Pourtant il en fait partie. C'est la syntaxe, le verbe, la structure, l'architecture du langage qui est différent. Différent au point de renverser des millénaires de concepts de pensée martienne.

Là-bas le sujet n'est pas le socle de la phrase, il n'est pas l'objet du propos, il s'intègre dans la phrase. Comme pied jambe ou œil dans un corps. Et cela entraîne un niveau de communication tout autre. Le corps est signifiant. Habitudes, gestes, postures, codes, font partie du langage de ce là- bas. La vie est une phrase, un chemin de pensée. Le manger est un acte, un fait, mais également une parole. On compose, on picore, on se livre à la becquée, on ne coupe ni ne tranche. Voilà un signe de conduite.

Rite, peut être mais sans sacralisation. D'où peut être ce rapport à la « crudité » de l'aliment. Crudité du vivant qui nous étonne, nous repousse. Car nous n'avons pas nous les martiens le même rapport entre l'animé ét l'inanimé. La bas les villes sont différentes, d'un genre qui au pays des martiens n'existe pas. Nos villes sont concentriques. Elles s'enroulent sur elle même. Nous plaçons en son centre notre réalité, notre vérité. Le cœur sur la planète des martiens doit être plein, et tout doit tendre à atteindre, à connaître et à se reconnaître en ce cœur, le centre de la cité.

Là- bas, dans une cité que nous nommons Tokyo, le centre est vide, un sacré interdit. C'est autour de ce vide central que là- bas tout se meut. On gravite autour. « Un déploiement circulaire autour d'un centre vide ». Là- bas les villes sont excentriques. Du moins elles le furent avant que ne soient rasé nombre de ville japonaises à la fin de la seconde guerre mondiale...

Le raisonnement se situe au niveau de l'espace et du volume. Sur Mars c'est la masse qui déterminera la place prise. Cela se retrouve dans les nouvelles cités du Japon puisque la modularité est l'une de leurs particularités, au même titre que celle de l'intérieur des demeures.

On peut retrouver l'écho de cette architecture mentale jusque dans la fabrication d'un cadeau. Ainsi voit on que l'enveloppe d'un paquet a valeur d'expression du sens. Les enveloppes des cadeaux sont précieux, riches, ouvragés. Et peu importe ce qu'elles contiennent. Le présent est l'objet. Dans le geste de ce qu'il signifie. Sur mars, l'enveloppe n'est que l'impression de ce qu'elle renferme. Nous cachons. La bas tout est dans la totalité du geste. Autre signe.

Et cela rappelle la structure du langage. Le sujet n'est pas le socle, au même titre que l'objet dans l’enveloppe n'est pas le présent. Il fait partie du tout.

La langue contient l'esprit. C'est ainsi que la traduction d'un texte ne peut être fidèle sans une connaissance approfondie de la culture. Interrogeons nous sur la place du verbe par exemple dans la phrase allemande. Le verbe clôt la phrase. L'action verrouille en quelque sorte. Qu'en est il de notre propre langage ? Quel est donc la colonne cérébral de notre sujet suivi de son verbe, parfois complètement noyé et non dilué dans un ou plusieurs compléments?

« Là bas » on est au sujet de ce qui se prononce, on n'est pas le sujet de ce qui est prononcé.

Ce qui là-bas permet la dilution totale du sujet dans la phrase. Cette architecture phénoménale de la pensée peut supporter de par son esprit « l’événement du Haïku ». Ce drapé de l'esprit qui dévet soudainement un des éclats du corps de la langue, cette « soie du langage », cet « événement bref qui trouve d'un coup sa forme juste ». Cette diffraction du langage qui n'est pas le reflet d'une image mais une réverbération d'un ensemble de geste. Le haïku doit être entendu comme la claquement du geste, qui n'a pas précisément de timbre propre mais qui doit permettre d'en saisir un des tons. Une note articulée. Ainsi peut on rendre possible « le geste de l'idée » et non son contraire. Ce geste de l'idée on le retrouve dans le théâtre japonais là on l'acteur qui, pour nous martiens « se travestie » en femme, n'évoque que le signifié, par une combinaison de geste. Le rôle de la femme n'est pas représentée, mais signifié. On ne joue pas d'artifice, on ne fait pas semblant d'être, on est pas, personne n'est dupe, parce que la puissance des signes suffit au signifiant pour signifier.

Aucune pensée n'est vierge, mais on peut tenter cet exercice. Ne pas juste se contenter « d'arriver à » mais espérer « d'en arrivée à ».

En lisant ce livre nous ne connaissons toujours pas le Japon, mais nous en avons peut être appris beaucoup sur nous mêmes. C'est peut être là la principale raison pour laquelle tout bon martien devrait se rendre là-bas, au sujet même de ce qu'il n'est pas, pour trouver peut être la réalité de son propre sujet.



Astrid Shriqui Garain

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L'Empire des signes

Il me reste peu de souvenirs d'une première lecture il y a maintenant plusieurs décennies. Après plusieurs voyages au Japon et un peu plus de recul sur le pays, ce livre me semble à la fois pertinent pour le choix des « signifiés/symboles » choisis, mais également légèrement daté. Tant 50 ans après la rédaction de cet essai, les deux cultures, nippone et occidentale se sont interpénétrées et ne présentent peut-être plus autant de différences.

De plus l'écriture de Barthes n'est pas franchement simple. J'ai du m'y reprendre à plusieurs reprises pour comprendre certains passages. Par exemple, p 34, l'histoire des interstices dans la cuisson de la friture des tempura me paraît être un peu tirée par les cheveux.

Il me reste de ce livre un regard très détaché, dont les propos sont à compléter par d'autres ouvrages plus simples mais tout aussi instructifs.
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L'Empire des signes

Après avoir lu ce livre, vous ne verrez jamais plus un sushi de la même façon ! Permet de prendre conscience de la distance qui nous sépare de la civilisation japonaise, mais donne aussi quelques clés pour mieux comprendre le pays du soleil levant ...
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L'Empire des signes

Beau livre, tapisserie éclatante où les signes touchent tous les sens, le sixième en particulier, il en est exalté, silencieusement et très profondément.

Roland Barthes va à la rencontre de l'altérité et le bonheur qu'elle lui fait vivre par interstices, rythmes, parfums, silences, mouvements, le bruissement de la langue. Un livre-poème est né de cette expérience édénique avec le Japon. Un livre-objet, périple entre le texte manuscrit et le texte imprimé, le dessin la photo la couleur le noir et blanc.

Roland Barthes est à l'Extrême Orient, un Orient indifférent, inconnu, surprenant au plus fort, Différent (avec majuscule) qui "l'a étoilé d'éclairs multiples" pour parler à ce sixième sens comme à une intelligence effleurant l'inconscient.

L'ouï ne comprend rien, l'oeil regarde et le corps est touché par quelque chose d'indéfinissable, étranger, une alchimie s'opère, et l'indéfinissable devient sensuel. le Japon ne peut être photographié, mais curieusement, il a mis Roland Barthes en situation d'écriture, comme un miroir, découverte de soi depuis ailleurs, "une secousse du sens". Pays de signes, "réserve de traits... entièrement dépris du nôtre."

Des traits, il y en a à profusion, dans la langue, la poésie, la politesse, le graphisme, la nourriture, l'agencement des villes, le théâtre, les usages, les caractéristiques et l'expression des visages, le zen... Là-bas, l'esprit occidental devient ignorant et le corps surpris se laisse impressionner. Sans essayer la connaissance, Barthes restitue des impressions savoureuses sur les choses, sur le vide nourrissant.

Le Japon, empire des signes, des signifiants, espace et emprise, ivresse dont Barthes est l'objet et ne sait à quelle vérité correspondent les signes ; une apparence est dépassée et une autre s'ouvre, le sens se dérobe, il devient utopie, et les sens s'en réjouissent.

Roland Barthes est occidental mais se distingue de l'occidentalisme, il refuse de refabriquer l'Orient, et c'est justement par cet anti occidentalisme qu'il veut rester occidental au Japon, il s'en tient à une phénoménologie du Japon, il n'a pas le revers, ne décrit que la surface. Par respect de l'autre il le restitue tel qu'il est. Ses sens reçoivent, son corps savoure. Le vide dans la compréhension, le plein dans les sens. Le haïku suspend le langage, il ne le provoque pas, il est présent sans commentaires. "Tout en étant intelligible, le haïku ne veut rien dire, et c'est par cette double condition qu'il semble offert au sens." "Le haïku a la pureté, la sphéricité et le vide même d'une note de musique ; c'est peut-être pour cela qu'il se dit deux fois, en écho ; ne dire qu'une fois... ce serait attacher un sens à la surprise ; le dire plusieurs fois, ce serait postuler que le sens est à découvrir...".

1970, L'empire des signes sort de l'imprimerie, voit le jour, texte riche, livre silencieux, les sens frémissent devant une sensualité venue de très loin.

L'expérience japonaise, Roland Barthes l'a accueillie, l'a recueillie, s'y est recueilli, le vide lui a montré le plein.

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L'Empire des signes

Ne vous a-t-on jamais questionné après un voyage à l'étranger : « comment vous êtes-vous débrouillé là-bas, avec la langue ? »



Pour Roland Barthes, cela suggère que communication et parole sont inséparables. Or l'empire des signifiants au Japon excède largement les mots « en dépit ou grâce à l'opacité de la langue », le corps est mobilisé comme signifiant, sans recours à la parole. “Qui salut qui ?” ; Barthes analyse la politesse japonaise et ses courbettes appuyées loin de nos jeux d'égos, comme un exemple d'usage du corps entier sans parole.



Barthes fait le rapprochement avec l'expérience d'écriture : elle est le vide de la parole. Comme le sinologue François Jullien, Barthes pense que l'on est prisonnier du langage. Il veut faire l'expérience d'une langue étrangère intraduisible, « en éprouver la secousse sans jamais l'amortir ».

Le sémiologue ne comprend pas le japonais, il veut en « percevoir la différence sans que cette différence ne soit jamais récupérée par la sociabilité superficielle du langage ».



Pour Barthes, contester la société alors que nous sommes prisonniers du langage c'est « vouloir détruire le loup en se logeant confortablement dans sa gueule ». Il souligne que la toute-puissance occidentale du sujet n'a pas son pareil en japonais, cette langue pleine de suffixes et d'enclitiques est précautionneuse, elle relate des impressions subjectives plus que des constats, elle décrit ses personnages de fiction comme des êtres inanimés, elle a recours à des verbes transitifs mais sans sujets.



Le sémiologue, d'une hypersensibilité frôlant parfois la préciosité, tout au long des fragments illustrés de ce livre, nous fait la démonstration de son talent d'écrivain, chacun des pigments de sa sensualité est mis au service de l'écriture.



Il commence, pour comprendre un peuple et sa langue, par faire une peinture littéraire pleine de délicatesse et de poésie du repas japonais : son plateau, sa soupe légère et limpide, qui passe ici pour pauvre, à l'opposé de nos plantureux potages, ses petits conglomérats d'aliments crus que l'on mange à sa guise, sans protocole. On mange avec des baguettes qui font « glisser la neige alimentaire du bol aux lèvres » sans faire violence aux aliments, à l'inverse de nos couteaux et fourchettes qui mutilent, coupent, agrippent, percent.



Je m'attarde un peu sur l'analyse que fait Barthes des poèmes courts japonais dits « haïkus ». Ils ont l'air facile, on se dit : tout le monde peut le faire. le haïku offre à l'Occident la possibilité de faire simple, là où d'ordinaire notre tradition européenne nous le refuse, il faut faire symbole, syllogisme ou métaphore. Presque « trop facile », on entretient le soupçon autour de la « qualité », du « niveau » d'une chose trop simple…



Le lettré européen tente d'en faire l'exégèse car pour lui tout doit faire sens. Mais “tout en étant intelligible le haïku ne veut rien dire”. Nous classons dans la catégorie de la Poésie ces trois petits vers qui représentent à nos yeux l'ineffable, le diffus, le sensible, une “notation sincère d'un instant d'élite”.

Corinne Altan, dans son « Anthologie du poème court japonais », rapporte qu'un penseur asiatique compara le haïku à la langue vivante, celle qui ne fait plus sens, à l'opposé de la langue morte qui fait encore sens. Barthes va plus loin : le haïku n'est pas quelque chose de plus avancé que le langage, mais finalement « antérieur au langage », il n'est pas encore tout à fait du langage.

Mais qui veut expliquer un haïku se condamne à la paraphrase. le haïku invite à la suspension du langage, au silence, au ressenti, à défaut nous passons à côté. le haïku est simple, rassurant, abordable mais à la seconde lecture nous ne le comprenons déjà plus, « le sillage du signe qui semble avoir été tracé s'efface », on tourne autour de son mystère. Cette composition de Bashô ne s'illumine de sens pour nos yeux que le temps d'un éclair :



“ comme il est admirable

celui qui ne pense pas : « la Vie est éphémère »

en voyant un éclair”



Après quoi, la nuit retombe et voile le sens. C'est un paradoxe que d'être compréhensible et ne pas vouloir dire quoique ce soit. Dans un contexte philosophique et religieux du vide, du refus de la finalité, Barthes s'interroge : un haïku n'est-il finalement écrit que pour écrire ?



Il faut plutôt voir dans le haïku un instantané, une griffe de lumière, un flash d'appareil photo sans pellicule. le haïku, se refusant à fixer l'image dans la durée, ne décrit ni ne définit, il dit seulement “ça” ou “tel !” comme un enfant montre du doigt. “Rien de spécial dit le haïku ».

Finalement, le haïku, pour éclore, même brièvement, a besoin du lecteur, comme le soulignent à nouveau Corinne Altan et Zéno Bianu, c'est le lecteur qui apporte, avec sa vie, un sens au poème qu'il reçoit. Pareil aux baguettes exerçants la juste pression sur le tempura légèrement frit porté à notre bouche, le haïku, avec sa fadeur ou son ironie, loin du solennel lyrisme « sait pincer le coeur avec légèreté ». En témoigne cette composition de Issa  :



« Par un pet de cheval,

Eveillé

J'ai vu les lucioles voler »



Au-delà des perceptions aiguisées de l'intellectuel en voyage, le lecteur, sillonnant ces délicats fragments nippons comme on trace au râteau des lignes sur le sable d'un jardin zen, s'interroge : Roland Barthes, bien qu'il s'en défende, ne cède-t-il pas, comme les romantiques du XIXème siècle, De Nerval à Delacroix, aux sirènes de l'orientalisme ? Il nous faudrait peut-être pour y répondre un « Empire des signes » inversé, d'un Tokyoïte à Paris...



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La Chambre claire

Ma première lecture de la Chambre Claire de Roland Barthes date d'il y a maintenant plus de dix ans, lors de mes études d'Art Appliqué, et j'en gardais un souvenir flou. Rien de tel alors qu'un audiobook de qualité pour redécouvrir cet essai fondateur sur la nature de la photographie et la manière dont elle peut être envisagée en tant que medium de l'image mais également en tant que forme d'art spécifique, porteuse de sens intrinsèque.

Un grand merci à Babelio et Audiolib qui m'ont donné l'occasion de redécouvrir ce texte lors d'une opération Masse Critique. La Chambre Clair nous propose les réflexions de Roland Barthes sur le sujet de la photographie, et le livre audio se prête merveilleusement bien au sujet tant la lecture calme et posée de Daniel Mesguich m'a donné l'impression d'être projetée dans son salon aux côtés du sémiologue, confidente à laquelle il ferait part de ses méditations sur le sujet au fur et à mesure d'elles lui viennent, qu'il explore une piste de réflexion ou une autre.

Car si c'est un ouvrage fondateur de la pensée sémiotique autour de la photographie, la Chambre Clair est aussi un essai très personnel, puisque n'étant pas photographe, Barthes choisi de baser sa réflexion sur les photos qui lui plaisent ou le marquent en tant que spectateur, d'en interroger le comment, le pourquoi… Et parmi celle-ci une photo noire et blanc de sa mère, prise au Jardin d'Hivers quand elle était enfant, photo qui pour lui plus que toute autre le touche, saisit l'essence de la femme qu'elle était ou serait. Cette photo revient donc souvent au fil de l'essai, analysée sous plusieurs angles, qui permettent à Barthes d'isoler progressivement des noèmes que la photographie encapsule inévitablement.

Je ne peux d'ailleurs m'empêcher de me demander à quel point sa pensée aurait été différente aujourd'hui, où le noème « Cela a été » qu'il déclare intrinsèque à la photographie a été rendu caduc par la photographie numérique et l'existence de photoshop. Cette certitude que l'on pouvait éprouver il y a même vingt ans devant un cliché argentique n'est plus une évidence, et toutes les réflexions qui en découlent sont donc rendues plus ou moins caduques… Sujet de méditation intéressant.

Néanmoins La Chambre Clair reste une lecture (ou une écoute) passionnante (ainsi que certes un peu exigeante), et une source de sujets de réflexions inévitable pour quiconque s'intéresse à la photographie ou à l'image…. Et je ne peux que recommander l'aventure en audio, qui donne au texte une toute autre dimension.

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La Chambre claire

C'était ma première rencontre avec Barthes. J'appréhendais un peu, vu que ma copine me disait que c'était un auteur difficile et que je n'ai pas l'habitude de ce genre de lecture. Mais la version audio m'avait l'air d'être un bon moyen pour me lancer.

Ce livre se présente en deux parties ; mais à l'écoute, j'ai plutôt eu l'impression qu'il était divisé en trois. La première présente la méthodologie de Barthes. Il souhaite se consacrer à la définition d'une ontologie de la photographie, il veut comprendre ce qui différencie la photographie du cinéma ou de la peinture, par exemple, ce qu'elle a de spécifique. Et comme il ne pratique pas lui-même la photographie, il se place du point de vue du sujet photographié ou du regardeur, mais donc pas du point de vue du photographe. C'est là qu’interviennent les premiers mots en latin comme operator ou spectator, qu'il rend très compréhensibles. Il explique ensuite que pour lui, ce qui fait l'intérêt de la photographie, c'est le punctum, qui s'oppose au studium. Encore des concepts avec des mots latins, qu'il explique aussi très bien et très souvent au cours du texte. Le studium correspond à une vision analytique de la photographie, le punctum à une vision affective. Il donne alors beaucoup d'exemples de photographies célèbres, et chaque fois il démontre cette opposition studium/punctum. Jusque là, je trouvais ça intéressant. Ça se corse quand il aborde la deuxième partie. On tombe alors complètement dans l'affectif et on comprend que toute la réflexion de Barthes sur la photographie tourne en fait autour de sa relation avec sa mère et la mort de celle-ci. Benoît Peeters explique très bien dans l'entretien final les circonstances qui ont entouré l'écriture de La chambre claire : la mère de Barthes, après une longue maladie, était morte et il ne pouvait pas s'en remettre. Il ne pouvait plus écrire. Mais en retrouvant une photographie de sa mère, un déclic s'est opéré en lui. Il s'est remis à écrire son texte, mais les thèmes de la mort et du deuil sont devenus centraux. Il dit et redit qu'il était très lié à sa mère, qu'elle était un être exceptionnel. Ce que j'ai trouvé fatiguant, pas intéressant pour ceux qui n'ont pas connu Barthes, donc pas parlant pour le lecteur ou l'auditeur lambda. Plus le texte avance, plus il devient obscur. J'ai de plus en plus relâché mon attention durant la troisième heure d'écoute. C'est dommage, car les deux premières heures, et surtout la première, m'avait intéressé. Le texte est censé être un essai mais le langage est poétique, la démarche est originale et la théorie sur la photographie tournant autour du punctum, de l'affect, est intéressante. Le reste, tout ce qui est deuil, mort, rapport à une mère adorée, ce n'est pas sans intérêt, mais ça ne regarde au final que Barthes.

La lecture de Daniel Mesguich est cependant impeccable et c'est sans doute grâce à lui que je n'ai pas sombré dans l'ennui total. Et l'entretien avec Benoît Peeters apporte bien des choses à la compréhension du texte.
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La Chambre claire

La chambre claire, c’est plus qu’un essai sur la photographie, c’est aussi un morceau de sa vie qu’il raconte. Roland Barthes parle de la photographie mais aussi de la perception de la mort à travers elle. Il a écrit cet essai suite à une commande des Cahiers du cinéma sur l’art de la projection. Et pourtant, il fait un essai sur la photographie, la trouvant plus expressive au moment où il doit faire son deuil, après la mort brutale de sa mère.

L’essai se compose en 2 parties : la première est objective et analyse la photographie générale, j’ai retrouvé certaines impressions que je peux éprouver en regarder des photos, en écoutant ce texte. Très intéressant, même si j’ai moins apprécié les termes latins pour expliquer les photos et certaines explications très ardues. La deuxième partie est plus personnelle, il parle essentiellement de ce qu’il perçoit à travers quelques clichés retrouvés de sa mère que sa mort elle-même. Il parle surtout d’une photo, la photo, celle qui représente tout pour lui, Le jardin d’hiver.

La voix de Daniel Mesguich est bien posée et s’ajuste très bien au texte. Même si j’ai trouvé un peu amusant qu’un texte audio évoque un art visuel. A l’intérieur de la jaquette, on trouve tout de même les références des photos évoquées dans La chambre claire, ce qui permet de se faire une représentation correcte de celles-ci après un petit passage sur un moteur de recherche. L’explication sur la signification du titre prend toute sa valeur, à la fin.

L’entretien avec Benoit Peeters à la fin apporte une lumière intéressante sur l’œuvre et son auteur qui est mort très peu de temps après la publication de cet ouvrage. A lire à petites doses pour apprécier ce texte intime, j’ai relevé de nombreux passages. Merci à Masse Critique et à Audiolib pour la découverte de ce livre audio.

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La Chambre claire

Ce que j'aime chez Audiolib ce sont les belles voix associées aux textes et l'interview qui les accompagne. Daniel Mesguich lit la dernière oeuvre de Roland Barthes intitulée "La chambre claire" et Benoît Peeters, qui fut son élève et ami, la commente.

Contrairement à ce qu'évoque le sous-titre, "Note sur la photographie", cet essai ne traite pas la photographie d'un point de vue technique. Alors peu importe si la photo est numérique aujourd'hui, ce livre reste d'une grande originalité car il présente les pensées de Roland Barthes qui s'interroge sur ce qu'est la photographie pour lui. Pour cela, il se place du point de vue de celui qui regarde.

Alors que ce livre est une commande, il ressemble à une autobiographie car il nous permet de rentrer dans l'intimité de l'auteur qui évoque le deuil de sa mère à travers les photographies de famille.

Roland Barthes utilise beaucoup de termes latins surtout dans la première partie du livre construit comme un recueil de textes courts à la manière de "Mythologies" mais de façon personnalisée puisqu'il utilise le « Je ». Il nomme le photographe Operator et celui qui regarde le Spectator. Il a créé aussi les termes de Studium et de Punctum.

Barthes choisit d'observer en précisant qu'une photo témoigne de ce qui a été mais aussi de ce qui sera, par exemple les personnes que l'on voit vivantes sur la photo qui sont mortes aujourd'hui. C'est un réel qu'on ne peut plus toucher et en cela il fait le lien entre la photo et la mort.

Barthes parle peu de la photographie d'art même si Robert Mapplethorpe est souvent cité. Alors qu'il la présente comme inclassable, il compare la photographie au théâtre, à la peinture ou au cinéma et la met en avant, « la distingue de la communauté des images ».

Je trouve que les propos de Roland Barthes ne sont pas si simples que ça, ils sont profonds et sa belle écriture sublime une grande sensibilité, en écho au développement dans une chambre noire mais qu'il choisit claire parce que les photographies peuvent apporter la lumière.





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La Chambre claire : Note sur la photographie

À qui en a assez des livres universitaires soporifiques, lisez La Chambre claire! À travers une écriture simple, on découvre un Roland Barthes plus humain qu'intellectuel et on dévore ce livre qui n'est pourtant pas un roman.

Aujourd'hui je fais de la photo dans le cadre de mon travail et je me sers encore et toujours des écrits de Barthes. Il nous apprend à regarder un cliché autrement et lorsqu'on a compris, on ne voit plus jamais les images de la même façon. La Chambre Clair est pour moi le meilleur livre de Roland Barthes.
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La Chambre claire : Note sur la photographie

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La chambre claire n’est pas un ouvrage d’analyse photographique, de dissection de ce qui fait une bonne photo ou une mauvaise, c’est plutôt une interrogation personnelle, intime, subjective du regard de Barthes sur la photographie. Et c’est par ce côté personnel, justement, que La chambre claire touche et passionne, par cette volonté de ne pas en imposer, mais d’être sincère, que le livre nous amène à nous interroger sur notre propre regard de spectateur. Passionnant.

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La Chambre claire : Note sur la photographie

Photographe amateur , ce livre a été une révélation pour moi sur la pratique et mes choix de prises de vue. Il permet de se faire confiance et d'apprendre à sortir du conventionnalisme photographique. La première partie m'a plus parlé que la deuxième. Un classique à lire pour qui a une démarche d'auteur en photographie.
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La Chambre claire : Note sur la photographie

Une réflexion poétique et très riche sur l'imaginaire photographique. En partant de ses expériences personnelles, Barthes invite son lecteur à réfléchir sur ce qu'est "l'essence" de la photographie. Pourquoi certaines photographies nous parlent plus que d'autres? Comment expliquer ce malaise ressentis lorsque nous sommes confrontés à des photos nous représentant? Toute une série de questions pour lesquelles Barthes ne s'attache non pas à répondre mais à donner des clefs de compréhension.
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La Chambre claire : Note sur la photographie

J'en suis à ma quatrième relecture de cet essai fondateur dans l'analyse de l'image photographique et chaque lecture me donne une vision nouvelle, intimiste autant qu'analytique de la prise de vue et de l'impact d'une image saisie, composée, posée.

En cette période de recouvrement d'images, des réseaux sociaux, des philtres, des selfies et de la mise en scène de soi (du moins de ce que l'on croit être soi) il me semble essentiel de relire Roland Barthes pour bien comprendre que " la photographie c'est l'avènement de moi-même comme autre : une dissociation retorse de la conscience d'identité".

J'ai eu beaucoup d'émotions en lisant les passages évoquant sa mère me rappelant la lecture du "Journal d'un deuil".
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La Chambre claire : Note sur la photographie

Ah, Barthes ! L'intellect affiné et la sensibilité raffinée. Ce livre est un essai en même temps qu'un autoportrait, une confession pudique. Il propose un lexique restreint pour étudier la photographie (le "studium" et le "punctum" en particulier) et surtout pour mieux décrire ce qui le touche et le trouble intimement dans chaque photographie choisie. Livre qu'on ne peut que chérir. (À moins d'y être hermétique, ce qui se conçoit bien sûr.)
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