Citations de Romain Gary (5292)
Je pensais à la bonne pute aux Halles qui m'avait dit "viens, je ferai dégorger ta limace", et une autre avec esprit qui m'avait lancé "alors, chéri, tu m'enviandes ?".
Ce sont des expressions bon enfant qu'il faut prendre à la bonne franquette et à la légère.
Préface de l'édition américaine de la Peste
Il est très difficile, curieusement, de se rappeler les paroles d’amis disparus ; c’est qu’on ne fait pas trop attention quand ils sont présents. Je me souviens du sourire de Camus et de la gravité de son visage – les deux expressions se succédaient parfois en quelques secondes – bien mieux que de sa conversation. Je n’ai jamais fait grand cas des paroles, de toute façon. Mais maintenant que sa voix s’est tue, les mots ne me font que mieux sentir à quel point elle me manque. Il me semble toutefois me rappeler qu’il disait… non en fait, rien de bien important. Juste qu’il est des vérités qui valent qu’on meure pour elles, mais aucune qui vaille qu’on tue en leur nom. C’est alors qu’il écrivit La Peste
Je reste là, au soleil, le cœur apaisé, en regardant les choses et les hommes d'un œil amical et je sais que la vie vaut vraiment la peine d'être vécue, que le bonheur est accessible, qu'il suffit simplement de trouver sa vocation profonde, et de se donner à ce qu'on aime avec un abandon total de soi.
p.152
Mr Rubinstein : D’accord, Jean. Il ne nous reste plus que l’affectivité. Je sais que la tête a fait faillite. Je sais que les systèmes ont fait faillite, surtout ceux qui ont réussi. Je sais que les mots ont fait faillite et je comprends que tu n’en veuilles plus, que tu essayes d’aller au-delà et même de t’inventer un langage à toi. Par désespoir lyrique.
Madame Lola est d'un naturel gai parce qu'elle a été bénie par le soleil d'Afrique dans ce sens et c'était un plaisir de la voir assise là, les jambes croisées, sur le lit, vêtue avec la dernière élégance. Madame Lola est très belle pour un homme sauf sa voix qui date du temps où elle était champion de boxe poids lourds, et elle n'y pouvait rien car les voix sont en rapport avec les couilles et c'était la plus grande tristesse de sa vie.
- C'est tellement plus difficile de rester jeune pour une femme.
- Mademoiselle Cora, vous n'êtes pas vraiment vieille. Soixante-cinq ans aujourd'hui, avec les moyens qu'on a, c'est plus la même chose. C'est même remboursé par la sécurité sociale. On n'est plus au dix-neuvième siècle. Aujourd'hui, on va dans la lune, merde.
C'est horrible de vivre à une époque où au mot sentiment, on vous répond sentimentalisme. Il faudra bien pourtant qu'un jour vienne où l'affectivité sera reconnue comme le plus grand des sentiments et rejettera l'intellect dominateur.
Romain Gary (Clair de femme)
Il n’est pas possible de surprendre les grands troupeaux en train de courir à travers les vastes espaces de l’Afrique sans faire aussitôt le serment de tout tenter pour perpétuer la présence parmi nous de cette splendeur naturelle dont la vue fera toujours sourire d’allégresse tout homme digne de ce nom.
Monsieur Hamil m’avait souvent dit que le temps vient lentement du désert avec ses caravanes de chameaux et qu’il n’était pas pressé car il transportait l’éternité. Mais c’est toujours p’us Joli quand on le raconte que lorsqu’on le regarde sur le visage d’une vieille personne qui se fait voler chaque jour un peu plus et si vous voulez mon avis, le temps, c’est du côté des voleurs qu’il faut le chercher.
Prétendre que l'homme descend du singe, n'est-ce pas calomnier les singes?
Je dis pas qu'il faille empêcher les mères d'aimer leurs petits. Je dis simplement qu'il vaut mieux que les mères aient encore quelqu'un d'autre à aimer. Si ma mère avait eu un amant, je n'aurais pas passé ma vie à mourir de soif auprès de chaque fontaine.
tous ceux qui donnent à rêver savent que les songes ne gardent leur beauté, leur attrait et leur puissance, que par la grâce de l'inassouvissement.
Le temps qui ne peut souffrir ce qui dure, a contre les livres une dent particulièrement féroce. Il craint par dessus tout ces porteurs de germes, germes d'éternité où les idées demeurent vivantes et toujours prêtes à jaillir. Les idées me font parfois penser aux graines trouvées sous les glaciers après des millénaires, qui redeviennent fécondes dès qu'elles sont rendues à l'air libres et à la lumière, et se remettent à vivre, à s'épanouir et à triompher.
Sans doute n'est-il pas permis d'aimer un seul être, fût-il votre mère, à ce point.
Madame Rosa, quand elle avait toute sa tête, m'avait souvent parlé comment Monsieur Hitler avait fait un Israël juif en Allemagne pour leur donner un foyer et comment ils ont tous été accueillis dans ce foyer sauf les dents, les os, les vêtements et les souliers en bon état qu'on leur enlevait à cause du gaspillage. Mais je ne voyais pas du tout pourquoi les Allemands allaient toujours être les seuls à s'occuper des Juifs et pourquoi ils allaient encore faire des foyers pour eux alors que ça devait être chacun son tour et tous les peuples devaient faire des sacrifices.
J'étais loin de soupçonner qu'il arrive aux hommes de traverser la vie , d'occuper des postes importants et de mourir sans jamais parvenir à se débarrasser de l'enfant tapi dans l'ombre, assoiffé d'attentions, attendant jusqu'à la dernière ride une main douce qui caresserait sa tête et une voix qui murmurerait : " Oui, mon chéri, oui. Maman t'aime toujours comme personne
d'autre n'a jamais su t'aimer. "
Tu sais, quand je te dis que je t'aime, il ne s'agit même pas d'amour.
Je te parle d'impossibilité de respirer autrement.
Je vécus là la première de ces brûlures de solitude soudaine et totale dont plus de cent camarades tombés devaient plus tard me marquer jusqu’à me laisser dans la vie avec cet air d’absence qui est, paraît-il, le mien.
Je n’ai qu’à continuer à fermer les yeux pour la voir dans toute sa beauté. Mon maître bien-aimé, Rabbi Zur, de Bialgstok, me disait toujours : « Moshé, il ne suffit même pas d’être aveugle pour la voir comme il faut. Il faut encore savoir l’imaginer. C’est un rare talent, Moshé, donné seulement aux meilleurs. Les autres ne savent que fermer les yeux. »
Il y avait dans son expression, me semblait-il, un peu d'anxiété. Peut-être craignait-elle de me perdre : elle avait vraiment une imagination débordante.