AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Sorj Chalandon (3484)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Le Jour d'avant

Si je devais imaginer une anthologie des livres qu'il faut avoir lus, "Le jour d'avant" y figurerait en bonne place, c'est une certitude.

Rarement un livre m'aura autant bousculé et surpris, ou encore captivé et sidéré, d'un point de vue scénaristique c'est assez bluffant, je me souviendrai longtemps de cette page 222 (format numérique) qui m'a littéralement coupé le souffle.

Après sept lectures, j'associais Sorj Chalandon à des thèmes axés sur la mélancolie, le drame, la colère ou la tristesse, le tout avec une profondeur de réflexion très au-dessus de la moyenne, j'avais souhaité faire un break avec l'auteur. Après plus d'un an et une série de lectures légères, le temps était venu de se retrouver à nouveau.

Parler de ce livre sans rien dévoiler est délicat et difficile, et pourtant j'ai vraiment envie de vous convaincre que cette lecture est à faire absolument pour une foule de raisons.

Pour l'Histoire d'abord, la mine et le quotidien des mineurs, leur monde, entre fierté et résignation mais toujours dans la dignité. Comme pour la duologie de "l'ami irlandais", Sorj Chalandon va nous instruire de choses que l'on ne peut pas appréhender de prime abord, la mine est un monde résolument à part.

Pour l'histoire de Michel Flavent ensuite qui raconte son frère mineur "tué par la mine", événement qui mettra sa vie entre parenthèses, une plongée dans la psyché d'un être dévoré par le chagrin et l'amertume, Michel qui, en perdant sa femme, sa dernière raison de vivre, va prendre une décision définitive, de celles qui sont écrites de longue date et qu'on ne met en œuvre que lorsque que plus rien ne s'y oppose.

Et puis il y a cette page 222 et ce basculement dans l'irrationnel...

Il y a aussi ces deux plaidoiries tellement brillantes, contradictoires et pourtant toutes deux parfaites de cohérence et de justesse, c'est fascinant et perturbant que d'être convaincu tour à tour par deux opinions contraires...

Cette histoire c'est aussi une descente, non pas dans la mine cette fois, mais dans les méandres d'une réflexion ardue qui est celle du jugement de l'homme par l'homme, c'est troublant et instructif.

Pour toutes ces raisons croyez moi, ce livre vous apportera forcément quelque chose à différents niveaux, et rien que pour cette raison, il vaut d'être lu.
Commenter  J’apprécie          12246
Mon traître (BD)

« Le salaud, c’est parfois un gars formidable qui renonce. »



« Mon traître », il s’appelle Tyrone Meehan. C’est un leader indépendantiste nord-irlandais important. Un héros, mais un traître aussi...



Je l’ai rencontré il y a presque neuf ans déjà. C’était en 2009, alors qu’il tentait de montrer à Antoine comment pisser sans éclabousser ses chaussures. C’était dans un roman bien sûr. C’était dans le roman « Mon traître » de Sorj Chalandon.



Revivre l’histoire de l’Irlande du Nord à travers ses combats pour la liberté dans les yeux de ces deux hommes que tout rapproche pour finir par être séparés par un abîme qui porte un nom, celui de trahison. Une faille. Superbement représentée dans cette adaptation illustrée. Pierre Alary effectue un travail libre de toutes contraintes pour dessiner les traits anguleux de ses personnages et colorer ses croquis de teintes ternes et chaudes à la fois, rendant parfaitement compte de l’atmosphère du roman initial.



Comme le dit lui-même l’auteur de cette BD : « Tout y est : la beauté, la force, la mort, la vie... ». « Les mots de Sorj Chalandon m’ont attrapé par le cœur. », écrit-il encore...

Laissons donc M. Chalandon nous inviter à commencer la lecture : « Voilà Tyrone, voilà Antoine, voilà les rues sombres, la brique, l’injustice, les teignes magnifiques, la pluie, la nuit des opprimés. Voilà l’Irlande et sa terrible beauté. Rien ne manque à l’injustice et à la colère. Rien ne manque à la sidération du trahi. Voilà l’histoire de cet ami, ce frère et ce traître pourtant... »



Sorj Chalandon, alias Antoine, et Tyrone, alias Denis. Une histoire vraie pour une vraie histoire d’amitié, de fraternité, de lutte, de combat, de mort aussi et de vie toujours...



Lu en janvier 2018.
Commenter  J’apprécie          11616
Le Jour d'avant

Ils font partie de l'armée des simples gens, celle des mineurs et des agriculteurs : Michel et Joseph, deux frères qui s'aiment à la vie à la mort, rêvent de pilotes et de courses automobiles.



Joseph devient mécanicien puis mineur - contre l'avis de son père qui l'aurait voulu agriculteur comme lui - et meurt dans un accident. Nous sommes le 27 décembre 1974, le jour où après un coup de grisou quarante-deux mineurs vont aussi perdre la vie dans la fosse de Saint-Amé à Liévin.



Inconsolable et intraitable, Michel vengera son frère des hommes sans scrupules pour qui seul le rendement compte au détriment de la sécurité. Michel qui a trouvé le mot écrit par son père avant de se pendre : " Michel venge-nous de la mine ". Mais sentiment de culpabilité, déni pur, besoin d'être confondu, Michel finira par vouloir être jugé pour la mort de Joseph.



Militant (Chalandon est un ancien maoïste), Le jour d'avant prend le parti des plus faibles. Récit d'un drame national presque ignoré, récit d'un naufrage familial et personnel, il nous raconte la faiblesse de la justice des hommes face à l'indicible. C'est triste et pudique, éprouvant, et fort.
Commenter  J’apprécie          1164
Profession du père

Sorj Chalandon est devenu en quelques années un auteur à la fois apprécié et reconnu. « Profession du père » confirme un talent qui ne faiblit pas d'un roman à l'autre.

Portrait touchant d'une famille qui vit recluse, terrifiée par un père manipulateur, mythomane, violent. Comment se construire dans une « prison » ou la liberté de parole, de choisir, de penser est à ce point confisquée ? Chalandon raconte le quotidien du jeune obéissant et contraint aux folies paternelles. Puis devenu adulte, la tentative de compréhension. C'est juste, c'est fort et émouvant. Encore un grand Chalandon, ça devient une habitude.
Commenter  J’apprécie          1165
Une joie féroce

La Joie Féroce de voler la vie à la mort.



C'est une guerre sans merci, un combat pour la vie qui est relaté par l'écrivain-journaliste habitués à d'autres conflits. Lutter contre la maladie est un combat, et défendre la liberté des femmes aussi.



La rage de vivre



Brigitte, Assia et Mélanie, ses trois « soeurs de larmes », ses trois « soeurs d'armes ». Trois paires de bras d'amour qui consolent, sèchent les pleurs en fredonnant aux oreilles. À elles quatre, elles vont monter une action de résistance, un attentat contre la peur. Un acte fou, « une vraie connerie » ce hold-up d'une bijouterie, qui les plongera dans l'illégalité et le déni.

Pour « saccager Jeanne Pardon, la bonne fille, la bonne élève, la bonne épouse qui acceptait tout des autres, de l'indifférence au mépris », rien n'est impossible, et ce n'est pas la fable que construit l'auteur qui le démentira.



« C'est l'histoire de quatre femmes. Elles se sont aventurées au plus loin. Jusqu'au plus obscur, au plus dangereux, au plus dément. Ensemble, elles ont détruit le pavillon des cancéreuses pour élever une joyeuse citadelle. »



Une Joie Féroce évoque tous ces guerriers en opération prolongée contre la maladie, mis en exergue ici par la condition de quatre femmes victimes d'injustices contre lesquelles on ne peut que se révolter. C'est un cri primaire qui les sauvera. Une rage de vivre intense et libre sublimée par une plume compassionnelle et acérée.



Chronique complète à retrouver sur Fnac Conseils Libraires :
Lien : https://www.fnac.com/Rentree..
Commenter  J’apprécie          1151
Une promesse

Une promesse est une promesse.... Alors, chaque jour, depuis 10 mois, ils se relaient auprès de Fauvette et Étienne. Ils aèrent la maison, mettent les couverts, fleurissent la table, allument la veilleuse, lisent quelques poèmes, font le lit, remontent le coucou. Chaque jour, immanquablement, quelqu'un est là auprès du vieux couple. Que ce soit Madeleine, Le Bosco, Paradis, Léo, Ivan, Berthevin ou Blancheterre. À Ker Ael, pour un temps, la vie s'anime...



Où il est question d'amitiés fortes, de souvenirs inoubliables, de mains tendues ou effleurées, de croyances, de fraternité, de deuils à surmonter, de gestes déplacés, de vocations transmises, de sanglots étouffés, de confiance partagée, d'amour indéfectible, de respect, de serments et de promesses... Où il est question de clés, de mer déchaînée, de veilleuse des âmes, de mobylette, de vélo, d'andouilles et du verre de la promesse... Où il est question de René Char et de Milon de Crotone... Une promesse qui relit les hommes, qui regorge d'émotions, de tendresse, de sincérité et de profondeur. Une promesse lumineuse, poétique, intime et bouleversante. Une promesse ou l'art et la manière pour Sorj Chalandon de dépeindre avec une profonde humanité des personnages magnifiques.
Commenter  J’apprécie          1159
Le Quatrième Mur

Paris, début des années 70, Georges étudiant et militant , rencontre Aurore, la femme qui va changer sa vie (elle le rend père et mari) et Samuel Akounis, grec, juif de Salonique, exilé en France pour fuir le régime des colonels, qui LUI, bouleversera sa vie.



Leur passion commune le théâtre.



De cette rencontre naît une indéfectible amitié qui s'avérera destructrice pour Georges car une décennie plus tard, son ami à l'agonie le charge d'une mission, un projet artistique et culturel a réalisé à sa place dans Beyrouth partagée par la Ligne verte.



Le rêve de Sam: jouer l'Antigone d'Anouilh (et non de Sophocle) au Liban avec des acteurs amateurs de toutes confessions.

Un pied de nez à la guerre civile qui ravage le pays du cèdre.

Un rêve de paix et de fraternité.



C'est beau et émouvant.

C'est grand et violent.



Une tragédie bien réelle (avec le souvenir des massacres de Damour en 76 et ceux de Chabra et Chatila en 82) qui dépasse celle de la fiction.



"Nous portons des masques de tragédie. Ils nous permettent d'être ensemble. Si nous les enlevons, nous remettons aussi nos brassards, et c'est la guerre."



Merci pour cette invitation à franchir le quatrième mur.

Bravo à Sorj Chalandon pour la démonstration.
Commenter  J’apprécie          1155
La légende de nos pères

"La légende de nos pères" est ma cinquième rencontre avec Sorj Chalandon et je commence à discerner une certaine thématique récurrente dans les lectures qu'il nous propose.

A tout le moins je pense que pour l'auteur, la vérité et la rigueur morale sont élevées au rang de vertus cardinales comme sont exécrés le mensonge et la dissimulation sous toutes leur formes.

Sorj Chalandon est journaliste de métier et il est aussi un homme qui s'engage, aussi je ne m'étonne plus que ses personnages soient complexes et authentiques et que ses histoires soient profondes et initiatiques.

Il est des gens que l'ont aime entendre parler car on sent qu'ils sont vrais, sincères et bienveillants.

Il y a aussi ceux que l'ont aime lire car il nous permettent de discerner le vrai du faux au plus profond de nous-mêmes, de nous persuader que même inconfortable, la vérité est toujours préférable.

Ce récit est d'une grande intelligence, d'une grande pudeur et d'une force émotionnelle certaine, ici le mot dilemme prendra toute sa signification.

Le narrateur, biographe, est contacté par Lupuline Beauzaboc, la fille d'un ancien résistant injustement oublié, pour écrire la vie de son héros de père qu'il rencontrera une fois par semaine pour recueillir ses souvenirs.

Notre biographe, lui-même fils d'un résistant qu'il n'a pas eu le temps de connaître, va s'investir dans cette tâche avec intérêt et passion, une relation qui dépasse le simple cadre professionnel débute alors...

C'est un livre qui a la saveur d'une pluie d'automne au parfum de feuilles mortes et qui m'a laissé un drôle de ressenti, la recherche de la vérité peut être obsessionnelle, la trouver peut se révéler finalement troublant.

C'est le genre de lecture susceptible de remuer pas mal de sentiments et qui pose de bonnes questions, j'ai beaucoup aimé.
Commenter  J’apprécie          11214
Profession du père

En rendant l’Algérie aux algériens, Charles De Gaulle a trahi les français et plus particulièrement sa promesse faite à André Choulans, son conseiller intime durant plusieurs années... Pour cela, le président doit mourir et c’est Emile Choulans, douze ans, qui est chargé de mener à bien cette mission hautement confidentielle. Pour le jeune garçon, c’est surtout l’occasion de prouver à son père qu’il est bel et bien le fils dont il rêvait et pas seulement cet enfant docile aux bulletins de notes médiocres…



Les missions s’enchaînent : poster des lettres de menace, graver OAS sur les murs, cacher les résistants dans des caves et les entraînements se font de plus en plus intenses : pompes et enchaînements en pyjama, au beau milieu de la nuit… Mais tout cela n’empêche pas les coups de pleuvoir et la colère d’un père irascible et impétueux de se déchaîner… Comment être à la hauteur des espoirs d’un homme au destin extraordinaire, qui fût parachutiste, chanteur, footballeur professionnel, espion, pasteur, professeur de judo et tant d’autres choses ?





J’avais déjà été profondément touchée par la plume de Sorj Chalandon dans « Retour à Killibegs » et « Le quatrième mur », deux récits engagés sur fond de guerre, de religion et de politique. Si ces thématiques sont présentes dans « Profession du père », elles restent néanmoins en second plan, décor de cette France déchirée des années 60. C’est la famille Choulans qui est cette fois au cœur du roman, Emile en étant le narrateur principal. C’est à travers ses yeux de jeune adolescent de treize ans que l’on découvre les tourments de cette famille, dominée par un père violent, tyrannique et névrosé. Loin d’être un pilier pour les siens, cet homme mythomane et paranoïaque les fragilise, instaurant son règne par la terreur qu’il suscite.



Emile tente ainsi de se construire entre une mère passive et un père malade qu’il admire et craint à la fois. Son regard est naïf, bercé d’illusions et d’espoirs et ne perçoit pas l’incohérence et la folie qui se jouent devant ses yeux… Comme toujours avec Sorj Chalandon, l’écriture est puissante et irréprochable. Le texte frappe par sa force et sa justesse, rendant l’empathie du lecteur inévitable. Récit d’une enfance volée, trompée, « Profession du père » fait, à mes yeux, partie des incontournables de cette rentrée littéraire.
Commenter  J’apprécie          1121
Le Quatrième Mur

Je continue mon exploration de la bibliographie de Sorj Chalandon avec énormément d'intérêt.

Après nous avoir parlé de l'Irlande avec "l'ami irlandais", l'auteur va nous emmener cette fois au Liban au plus fort du conflit, un livre intéressant à plus d'un titre principalement en raison de l'approche proposée.

"L'idée de Samuel était belle et folle : monter l'Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth.", ce livre va nous parler d'un rêve fou, d'une utopie, il va surtout nous faire réfléchir à plusieurs niveaux et je l'ai apprécié pour cela.

Difficile de dire ce que chacun gardera de cette lecture, s'il sera question du Liban bien sûr, l'auteur ne nous instruira pas sur les causes du conflit, cela-dit il va par contre nous présenter les différentes factions au travers des acteurs pressentis pour jouer la pièce, acteurs qui doivent représenter toutes les composantes de ce Liban en guerre.

Réflexion sur la violence, réflexion sur la violence qui engendre la violence, réflexion sur l'engagement pour une cause, réflexion sur la paix, réflexion sur la réconciliation et le pardon, réflexion sur les convictions, réflexion sur la justesse des convictions, beaucoup de grain à moudre, beaucoup...

Réflexion aussi sur la vision de la guerre selon que l'on soit en France ou selon que l'on s'y confronte sur place, la scène n'est pas la même et le décor non plus.

Sorj Chalandon va étayer son histoire en nous proposant des portraits d'une belle intensité, des gens avec des qualités et des défauts, cela-dit si la trame de l'histoire est claire, l'auteur va de façon admirable nous laisser nous débrouiller avec nombre de contradictions car son propos semble être de ne pas prendre parti et j'ai fini par apprécier cette idée.

J'ai aimé le personnage de Samuel, beaucoup, même si on peut se poser au moins une question, beaucoup moins aimé Georges, personnage bancal et peu fiable, aimé les acteurs, les libanais toutes factions confondues.

J'aurais aimé pouvoir discuter avec l'auteur pour comprendre quelles étaient exactement ses attentes en écrivant cette histoire, j'ai rarement "phosphoré" à ce point au moment de terminer un livre.
Commenter  J’apprécie          10928
Le Quatrième Mur

Sacré coup de poing que ce choix des lycéens 2013 pour le prix Goncourt!



Pour tenir une promesse faite à son ami Sam, qui vit ses derniers jours, Georges prend l’avion pour le Liban avec ce projet fou de mettre en scène Antigone à Beyrouth au milieu du champ de bataille qu’est cette ville, et avec une troupe hétéroclite rassemblant des acteurs qui hors de la scène se tireraient dessus…



Ce destin était écrit pour Georges, militant dans l’âme, prêt à en découdre contre les fascistes de tout acabit. L’arrivée de Sam, juif chassé de Grèce dans les années 70 au temps de la dictature des colonels, étaye et canalise sa soif d’agir. Son mariage et la naissance de sa petite fille aurait même pu éteindre cette flamme combattive qui l’anime. Mais Sam va mourir, et confie à Georges la lourde tâche de mener à bien sa propre utopie.



Beyrouth agonise sous les bombardements. Les massacres répondent aux massacres, aveugles, odieux. La canonnade incessante rend les instants de silence insoutenables. Chaque au-revoir est un potentiel adieu. Et Georges donne son corps et son âme au sein de ce combat qui n’aurait pas dû être le sien. Au risque d’atteindre le point de non-retour…



Sorj Chalandon connaît la question et embarque le lecteur au coeur de ce conflit complexe où se croisent et se déchirent Druzes, chiites, sunnites, chrétiens et palestiniens. La haine mène la danse. Les scènes sont dures, et l’on n’a pas ici la bulle isolante de la fiction pour épargner la sensibilité : on n’est pas dans un polar!



Malgré cela, l’auteur parvient à nous faire sourire! Pas à toutes les pages, certes, mais sa plume acérée lance des coups de griffe bien inspirés lorsque l’absurdité tient lieu de rituel.

L’écriture est superbe et c’est ce qui rend ce roman attrayant malgré l’agression que l’on subit.

Et puis Antigone est là, en filigrane, magnifiée par l’enjeu qu’elle représente, et ça, c’est inestimable.
Lien : http://kittylamouette.blogsp..
Commenter  J’apprécie          1080
L'Enragé

Belle-Île-en-Mer, ses plages, sa côte sauvage, ses eaux turquoises, son... bagne pour enfants.

Eh oui, il fut un temps où cette perle du tourisme abritait une prison (dès 1848), devenue colonie pénitentiaire pour enfants à partir de 1880 jusqu'à sa fermeture en 1977.

Les « colons » qui y étaient enfermés avaient entre 12 et 21 ans. Si parmi eux certains étaient de la graine de délinquants, d'autres n'avaient commis d'autre délit que celui d'être orphelin ou d'avoir été abandonné à l'Assistance Publique. Aucun, en tout état de cause, n'avait mérité les sévices infligés par des matons vicelards ou par des codétenus plus âgés. Coups, attouchements, viols, punitions, privations, faim, froid, la maltraitance est généralisée et banalisée, et s'ajoute à un programme de « rééducation » par le travail et la formation. Les gamins sont en effet affectés à l'apprentissage d'un métier agricole dans une ferme des environs, ou d'un métier lié à la marine, dans l'enceinte même de la colonie. Tout un contingent de main-d'oeuvre gratuite à exploiter.

Jules Bonneau, dit La Teigne, est à Belle-Île depuis ses 13 ans. Pas le plus innocent, mais loin d'être un criminel. Mais l'enfermement et les injustices quotidiennes ont fait de lui un fauve violent.

Le 27 août 1934, il fait le mur avec 55 autres enfants. La traque est aussitôt lancée, même les touristes s'y mettent. 20 francs or par gamin attrapé, avouez que ça vaut la peine, non ? A ce train-là, il ne faut que quelques heures pour reprendre les fugitifs, qui paieront leur rébellion cher et vilain. Seul Jules échappe aux recherches, mais comment s'échapper d'une île ?



Le sort terrible de ces gamins vous crève le coeur. Malgré la noirceur, une certaine solidarité subsiste entre eux, mais elle est constamment mise à rude épreuve. Comment préserver son humanité quand on vous traite comme une bête sauvage ?

La deuxième partie est moins sombre, contant l'histoire d'une rédemption et d'une dignité retrouvée en s'appuyant sur la bienveillance, l'humanité, la fraternité de quelques justes. Mais qu'il est difficile de faire à nouveau confiance quand on est depuis la naissance victime de l'injustice des hommes, et qu'on vous a convaincu que vous êtes un moins que rien...

« l'enragé » est donc l'histoire de la révolte de 1934 (qui a inspiré à Prévert son poème « La chasse à l'enfant »), mais s'inscrit aussi dans le contexte historique plus large de la guerre d'Espagne et de la montée du fascisme en Europe. Une époque violente qui annonce pire encore, avec la deuxième guerre mondiale qui se profile... Sont également abordés l'âpre vie des marins-pêcheurs et les risques pris par les faiseuses d'anges. le pire et le meilleur de l'humanité se côtoient dans ce roman dur mais sensible, aux personnages principaux attachants, et qui rend hommage aux enfants victimes de la colonie pénitentiaire de Belle-Île. 



#LEnragé #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
Commenter  J’apprécie          1070
Retour à Killybegs

En commençant "Retour à Killybegs", j'ai immédiatement été plongée dans l'atmosphère de mon enfance, quand tous les jours, les journaux, la radio ou la télévision annonçait que l'IRA avait frappé ou entamait un processus de paix, cette atmosphère de terreur qui entourait l'idée même de l'Irlande, de Belfast, d'armée révolutionnaire.

Car effectivement, ce livre nous fait pénétrer au coeur de l'Armée Révolutionnaire Irlandaise, cette IRA qui défrayait la chronique quotidiennement, faisant passer ses acteurs pour des dangereux fous furieux ou des héros, c'est selon, et déclenchait les répliques sanglantes des britanniques. C'est donc tout un pan de l'histoire irlandaise que l'auteur rappelle ici, la misère des années noires, le déchirement de l'Irlande en deux pays, l'édification d'une frontière et la création de l'Ulster, l'oppression britannique et la résistance irlandaise, puis plus tard les grèves de la faim et les prisons encombrées de prisonniers qui voulaient se voir reconnaître le statut de prisonniers politiques que les britanniques leur refusaient.

Et ce qui m'a frappée, c'est d'abord l'extraordinaire solidarité qui unit tous ces soldats de l'Ira, qui pousse un jeune type de 20 ans à continuer une grève de la faim jusqu'à la mort, relayé par un autre jeune type de 20 ans... La solidarité, la fraternité, et soudain au milieu de ces frères, un traître ! Un traître qui, à la veille d'être démasqué, était salué et connu de tous, chéri par sa famille, ses frères d'arme, leurs femmes et leurs enfants, et qui du jour au lendemain, devient l'Ennemi. Je n'ai pas lu les précédents livres de Sorj Chalandon, mais dans Retour à Killybegs, il décortique avec pertinence les ressorts qui transforment un patriote acharné en marionnette des britanniques. Et ce "retournement" permet de revenir sur les motivations de l'IRA, des britanniques et de déjouer tout manichéisme : il n'y a pas de bon ou de mauvais patriote, la cause de l'IRA n'est pas que juste et bonne et les britanniques ne sont pas que des enfoirés : la guerre, c'est sale et les idéaux n'y ont pas leur place...
Commenter  J’apprécie          1061
Enfant de salaud

Ah ,l'image paternelle ! L'aura dont jouit le père dans tout regard d'enfant : le protecteur , le défenseur, le juste , la force , l'intelligence , le savoir ...On pourrait en énumérer des " choses " venues du coeur et projetées par l'intermédiaire d'yeux admiratifs pour définir ce qu'est un père...Alors , bien entendu , quand , un jour de colère, le propre père, le grand - père, donc , prononce la phrase fatidique , celle qui sape le piédestal et transforme le héros en " colosse aux pieds d'argile " , lorsque le doute s'immisce , que la confiance s'étiole , l'envie de " soulever le rideau " est irrépressible. Là où les effets du temps sont passés pour la majorité des gens , l'enfant , lui , veut , doit savoir , comprendre pour se construire , se reconstruire , reprendre un flambeau qu'on a terni . Comprendre pour vivre .C'est ainsi . Toute existence ne peut s'assumer si tout n'est que silence ou mensonge ...C'est complexe une relation filiale , à manipuler avec tact et franchise ....Et , oui , DIRE et ne jamais MENTIR.

Dans ce bouleversant roman , l'auteur met en parallèle la grande histoire avec le procès Klaus Barbie , et la petite , celle d'un homme en quête de son passé, ou plutôt celui de son père. Le lien entre les deux ? La période de guerre , théâtre, à tous niveaux , des pires exactions qui soient ...Deux récits violents qui se déroulent en parallèle et dont on espère qu'ils finiront par se juxtaposer. Le collectif et l'individuel ...Le récit est rendu très émouvant par les interventions des rescapés au procès, par le récit de l'arrestation des enfants d'Izieu, par ceux des enfermements dans les camps...Mais Chalandon , ce superbe écrivain , sait manier sa plume pour éviter "l'atrocité " , traduire le respect plutôt que la haine , napper les témoins dans les limbes de la dignité. C'est beau , vraiment , dur mais beau . Du très bon Chalandon . Et puis , bien entendu , ce fils et ce père...C'est tragique , désespéré, désespérant, hilarant aussi , parfois , on se pince pour vérifier qu'on ne rêve pas devant tant d'incroyables péripéties, devant ce jeu qui oppose deux hommes , le père et le fils , celui qui sait mais ne veut rien dire , celui qui ne sait pas , doute et veut savoir à tout prix .

Personnellement , j'adore lire Chalandon et la " quête " des origines est un sujet qui m'est cher , de part un vécu qui m'appartient et sur lequel je ne m'étendrai pas...

Ce roman est superbement écrit, vous tient en haleine du début à la fin , pose de nombreuses questions auxquelles chacun et chacune d'entre nous apportera ses propres réponses, voire pas de réponse du tout , en fonction de son vécu, de son histoire .

Présenté comme un des " gros titres " de la rentrée, " Enfant de salaud " justifie ce propos . Un livre juste qui se savoure malgré la " sévérité " et le sérieux bouleversant du sujet .
Commenter  J’apprécie          10524
Le Jour d'avant

Où Chalandon va au charbon.

Bien pourrie l'intro, Lolo.

C'est pas faux, pardon, je comptais juste détendre un peu l'atmosphère.



Parce qu'ici mon gars c'est la mine, les gueules noires, le labeur de bagnard et le grisou chafouin. Ambiance à furieuse dominante anthracite.



Parce que « Le jour d'avant » revisite une terrible réalité historique, la catastrophe de Liévin où périrent 42 mineurs, victimes de la négligence avérée du patronat des Houillères nationales.



C'était en 1974. Jeune journaliste à l'époque, Sorj Chalandon fut profondément révolté par ce drame trop complaisamment imputé à la fatalité. Une indignation qui ne l'a jamais quitté et qu'il exprime enfin à travers ce récit, insufflant sa propre colère à un personnage fictif, victime collatérale de la tragédie sus-citée.



« Le jour d'avant » serait donc l'histoire d'une vengeance, l'histoire d'un deuil qui crie justice, d'une détresse qui vient inscrire un humble destin dans le drame collectif, jusqu'à l'obsession, jusqu'à une vérité qui finalement s'avère bien plus subtile.



Instructif et bouleversant, porté par une écriture parfaite, épurée, précise et pénétrante, ce roman admirablement construit réhabilite les oubliés de la mine et leurs familles à travers, en outre, un surprenant suspense psychologique et judiciaire.



Magnifique et incontournable

(et c'est pas tous les jours que je dithyrambique à ce point)




Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
Commenter  J’apprécie          10417
Le Jour d'avant

"Je n'avais pas envie de parler. Pas envie de jouer. Mon frère était mort il y avait quarante ans, en ouvrier.Et cette terre n'était plus la sienne. Plus la mienne non plus.

Notre bassin n'avait plus rien de minier. Je ne reconnaissais ni les hommes ni leurs rêves. Je n'aimais pas les questions rances qui les souillaient. A mon retour, je m'étais enivré des couleurs, la lumière du ciel, l'odeur de terre mouillée, la beauté des terrils, la majesté du chevalement. (...) Je pensais retrouver des éclats d'enfance et j'en ramassais des lambeaux. "(p. 117)





Une éternité que je reporte ma curiosité pourtant bien réelle de lire

cet écrivain... Me voilà lancée avec son dernier roman, qui m'interpelle plus directement par son sujet...et son décor !



Mise en avant de ceux à qui on ne donne jamais la parole, sacrifiés sur l'autel des puissants et du profit : les hommes de la mine, les paysans,les gens de la terre, etc. Mais surtout, en noyau dur, central, LA MINE...



Le narrateur a été traumatisé , marqué au fer , tout jeune, par la mort prématurée de son frère aîné, Joseph, dit Jojo, au demeurant décédéen descendant dans la mine, le suicide peu après du père , qui n'a pu supporter la mort trop injuste de son fils...

Ne sont restés que la cadet et la mère esseulée...devant continuer la route, malgré le chagrin insupportable !



"Venger mon frère, mort en ouvrier. Venger mon père, mort en paysan. Venger ma mère,morte en esseulée; j'allais tous nous venger de la mine. Nous laver des Houillères, des crapules qui n'avaient jamais payé leurs crimes. (...)

Rendre justice aux veuves humiliées, condamnées à rembourser les habits de de travail que leurs maris avaient abîmés en mourant." (p. 130)



Je termine ce roman bouleversant , captivant, riche en suspens et en rebondissements déroutants...en fausses pistes, mais je ne m'attaquerai pas à rentrer dans les détails, car l'une des richesses de ce roman se trouve justement dans les nombreux effets de surprise !



Une histoire qui tourneboule...Un roman de la Mémoire et de la culpabilité, poussé aux confins de l'imaginable ...Un moment très , très fort de lecture... Ouvrage lu en 48 heures, tant j'étais accroché au destin du narrateur, ce petit frère, Michel... pris en tenailles entre son drame personnel et la mémoire collective...



Cette lecture à peine achevée, je vais poursuivre mon entrée dans l'univers de monsieur Chalandon, avec "Une promesse", et "Le Quatrième mur"... ces précisions pour confirmer mon enthousiasme et curiosité redoublée pour l'écriture de cet auteur, qui me touche infiniment !!

Commenter  J’apprécie          10415
Le Jour d'avant

Traumatisé par la mort de son frère Jojo, Michel essuiera les larmes noires de l'enfer de la mine où le 27 décembre 1974, 42 ouvriers trouveront la mort à la mine de Liévin.

.

Le grisou et le charbon noircissent la famille de Michel se voyant peu à peu entraînée dans l'asphyxie minière. Ne fais jamais d'enfant, lui pleure sa mère, c'est trop triste de perdre un enfant. le père finira par se pendre laissant à Michel le mot qui ne cessera de le ronger : « venge-nous de la mine ».



Sorj Chalandon signe un roman époustouflant dans les entrailles de la misère humaine, dans les ténèbres crasseuses du monde ouvrier. Inutile de comparer le chef d'oeuvre d'Emile Zola, Germinal avec le jour d'avant. Ce dernier est un roman cinglant mêlant vengeance, héritage familial et traumatisme, un roman à l'atmosphère nouée et à fleur de peau. Loin des descriptions interminables de Germinal, on est ici dans le noeud du problème où l'humain est une nouvelle fois pris au piège dans les griffes folles du rendement, de la productivité à l'excès, oubliés six pied sous terre, enterrés vivants au seul nom du profit.
Commenter  J’apprécie          1037
L'Enragé

Imaginez un mur. Il y a deux façons de voir ce mur, selon le côté où l'on se situe. Être du mauvais côté du mur, enfermé, ou bien être de l'autre côté, s'évader, rejoindre le bon côté. C'est sans doute ce qu'ont pensé ces cinquante-six enfants lors de cette nuit-là de mutinerie, celle du 27 août 1934, enfermés dans ce lieu qu'on appelait pudiquement une maison de correction ou de redressement, ici d'ailleurs le terme désigné était précisément maison d'éducation surveillée. D'autres parlaient de colonie pénitentiaire. Je vous arrête, c'était un bagne pour enfants. Il paraît que le lieu fut cela jusqu'en 1977. On peut aisément imaginer que plusieurs d'entre eux de cette dernière génération soient encore vivants.

Parfois on croit qu'il y a deux façons de voir ce mur, on s'en évade et on découvre terriblement qu'il n'y en a qu'une seule en définitive, car s'évader de ce bagne pour enfants, c'est rencontrer l'hostilité du lieu et des hommes de l'autre côté. Belle-Île-en-Mer, c'est comme l'île d'If ou Alcatraz avec la bêtise humaine en plus... On franchit un mur et on en rencontre aussitôt un autre plus infranchissable encore, l'océan, l'océan à perte de vue...

Ainsi, parfois, ayant choisi de s'en évader, on continue de rester du mauvais côté du mur, surtout lorsqu'une traque des enfants est organisée avec une récompense à la clef : une pièce de vingt franc en argent pour chaque enfant sur lequel il sera mis la main. Tout le monde alors ou presque se mobilise sur l'île dans un zèle effréné comme si cela avait un sens. Bien sûr il y a les gendarmes, les policiers, les gardiens du centre, mais aussi les habitants et curieusement des touristes présents à ce moment-là, en vacances sur l'île... On appelle cela des braves gens... Bienvenue ! Nous sommes bien en France, la France des droits de l'Homme, la France des Lumières, mais aussi la France du zèle pour dénoncer son prochain, nous sommes en 1934, dans quelques années, très peu d'années d'ailleurs, l'exercice sera un sport national, le voisin de pallier qui a une drôle de tête, qui est Juif, les gendarmes zélés, le Vel d'hiv, plus tard ce seront les mêmes en 1961, - le métro Charonne, alors vous pensez bien, ici ces enfants sont sûrement des monstres prêts à égorger la population autochtone, il faut s'en défendre.

Cinquante-six enfants évadés de cet enfer, cinquante-cinq seront récupérés. Un seul manquera à l'appel avec ce mystère demeuré à jamais : qu'est-il devenu cet enfant absent après la traque, comme on pourchasse un animal lors d'une chasse, - parce que c'était ça, traquer des enfants qui n'étaient pas des anges certes, mais qui étaient des êtres humains, des enfants devenus des fauves par l'enfermement d'un lieu.

Un seul manquera à l'appel. S'est-il noyé tentant de s'échapper de cette prison de mer ? A-t-il été protégé, recueilli, hébergé par une famille, une maison ? Tous ces gens n'étaient pas des salauds, loin de là. Pourtant je pourrais vous en dire des choses sur les autochtones de nos îles. On est parfois loin de l'exotisme breton qui peut faire rêver...

Un seul manquant à l'appel et Sorj Chalandon, connaissant ce fait historique, a eu l'idée de donner un nom à celui-là, de lui donner vie et corps, de lui donner des ailes dans un corps d'enfant, dans un coeur meurtri par la vie quand on a treize ans et qu'on franchit les portes de ce centre de redressement qui n'était rien d'autre qu'un bagne pour enfants.

Il lui donne un nom, Jules Bonneau, à ne pas confondre avec le célèbre Jules Bonnot et sa bande, non celui-ci serait plutôt du genre solitaire, une sorte de Jean Valjean en culotte courte... Mais très vite cet enfant devient La Teigne, pour lui, pour les autres, lorsque ses démons l'emportent sur sa part encore belle de lui.

S'évader de ce lieu signifie mourir. Jules va survivre. Il va survivre grâce à la fois à son bon côté, c'est-à-dire l'enfant de la Mayenne d'où il vient, mais aussi grâce ou à cause de cet autre versant de lui, son côté ombre, - La Teigne, façonné par la vie qui broie des enfants, façonné par les murs d'un bagne pour enfants, des gardiens qui en ont tant vu, eux souvent sortis miraculeusement des tranchées de Verdun, alors eux la vie ils ont l'impression de la connaître d'un certain point de vue, et ces gosses qu'on leur envoie, il faut les mater. Ils se sentent investis d'une mission. Qu'importe si ces enfants sont des orphelins, des orphelins de guerre, qu'importe s'ils ont volé un morceau de pain, un jambon, une poule rien que cela... Porté le poing un samedi soir pour un regard de travers... Souvent c'est à peine cela... C'est ainsi que Jules devient La Teigne...

Parce que sur les îles il y a aussi de la fraternité, Jules va survivre et ne pas se noyer... Mais jusqu'à quand ?

Il va survivre grâce à Ronan le patron pêcheur, Alain le communiste, Pantxo le Basque et Sophie, épouse de Ronan et aussi infirmière là-bas entre les murs...

Ce roman est un rendez-vous avec l'humanité telle qu'elle est.

Sorj Chalandon a transmis sa rage d'enfant meurtri dans ce roman que j'ai adoré. Connaissant quelques romans de cet auteur, connaissant son histoire, sa relation avec son père, un menteur, un mythomane, un être violent, une mère absente ou tout au moins consentante à tout ce que le père imaginait comme perversité, Sorj Chalandon est sans doute ici pour moi cet enfant qui s'évade, non pas de cette prison physique pour enfant, mais de la sienne, celle érigée par ses parents. Effroyablement.

Peu m'importe alors qui est Jules Bonneau, ce qu'il adviendra de lui... Puisque désormais je l'ai démasqué.

Un enfant qui pense que le monde des adultes n'est que violence. Que le monde réel est celui-là, ce monde qui fait peur, hostile et ingrat, jusqu'à ce moment où à la faveur d'une barque de pêcheur, un autre monde s'ouvre, se tisse avec des liens de confiance, un homme surgit, un patron pêcheur, d'autres hommes, une femme...

Sorj Chalandon a fait de ce personnage un enfant qui tient debout, qui court, dans la traque des autres hommes lâchés comme des fauves. Un enfant peut-être échappé de lui-même.

J'ai vu dans ce roman fulgurant l'expression d'une humanité irréductible face à l'incompréhension, à la violence, la méchanceté du monde.

Ainsi l'enragé, c'est cela ce texte qui m'arrache à ma vie tranquille, qui me happe, qui me broie, avec une incroyable et saisissante manière de rendre vivant ces personnages devant moi, cette force romanesque qui rend possible la fuite, la douleur, le chagrin, l'espoir, la fraternité, la trahison aussi, peut-être le futur d'un enfant né à un mauvais endroit au mauvais moment.

Pendant ce temps où les enfants étaient traqués comme du vulgaire gibier, un homme dans un bar, fumant la pipe, buvant un petit canon, était là avec son chapeau et ses yeux tristes de chien battu mais son regard tendre et ironique sur le monde alentour, gisant dans ses rêves, ses pensées, imaginant qu'une île n'était pas cela, un fragment d'horreur à la dérive... Il aimait la mer, la pêche à la baleine mais seulement quand la baleine se rebelle, il aimait Brest sous la pluie, la rue de Siam, il écrirait plus tard rappelle-toi Barbara il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là, il dirait quelle connerie la guerre et on pleurerait sur ses paroles, mais ce jour-ci d'un mois d'août de l'année 1934 il ne pleuvait pas sur Belle-Île-en-Mer et son coeur fut malgré tout transi de pluie à force de voir ce spectacle horrible devant lui, cette traque, cette chasse non pas à la baleine mais à l'enfant...

« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Au-dessus de l'île on voit des oiseaux,

Tout autour de l'île, il y a de l'eau.

Qu'est-ce que c'est que ces hurlements ?

C'est la meute des honnêtes gens

Qui font la chasse à l'enfant. »

Ce roman d'une puissance d'évocation incroyable est peut-être le livre de Sorj Chalandon qui m'a le plus remué jusqu'ici, sans doute parce qu'il y a mis aussi beaucoup de lui-même, à travers la figure de cet enfant, sa tendresse et sa rage.

Commenter  J’apprécie          10150
Enfant de salaud

"Ton père portait l'uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud ! " C'est ainsi que son grand-père avait assené au narrateur, alors âgé de dix ans, son exaspération d'entendre, une fois de plus, les soi-disant exploits de Résistant de l'intéressé. Jamais depuis, "l'enfant de salaud", devenu journaliste, n'avait osé aborder le sujet de ce passé avec son père, imprévisible et violent. Ce n'est qu'en 1987, lorsqu'il parvient à exhumer des archives le dossier judiciaire paternel, qu'il découvre l'improbable parcours d'un homme menteur et manipulateur, qui ne cessa de changer de camp tout au long de la seconde guerre mondiale. Pendant que le fils interpelle enfin son père sur ses inavouables secrets, il se retrouve aussi dans les rangs de la presse qui couvre le procès criminel de Klaus Barbie.





Sans rien changer aux faits, Sorj Chalandon a choisi d’antidater sa découverte des actes de son père – en réalité posthume -, pour la faire coïncider avec la période du procès de Klaus Barbie. Ce sont ainsi deux procès qui entrent en résonance dans ce roman, l’un bien réel, l’autre convoqué dans l’imaginaire de l’auteur. Barbie avait refusé de paraître aux audiences, le père de répondre de ses mensonges à son fils. Dans un cas comme dans l’autre, les coupables sont restés jusqu’au bout dans le déni, rendant encore plus insupportables la souffrance et le questionnement des plaignants. Alors, pour l’auteur, torturé sa vie durant, non seulement par la conscience des crimes, mais aussi par le déni et les mensonges de son père, ce livre est en quelque sorte un procès personnel posthume, la confrontation à laquelle il n’aura jamais pu convoquer cet homme insaisissable.





Sorj Chalandon connaît parfaitement le cas et le procès Klaus Barbie, ses reportages sur le sujet lui ayant même valu à l’époque le prix Albert Londres. Sa narration est précise et significative. Le lecteur revient avec émotion sur les lieux des crimes du Bourreau de Lyon, notamment sur celui de la rafle des 44 enfants juifs d’Izieu. Il se retrouve immergé dans la salle d’audience, sous le choc des faits et de l’indifférence méprisante du criminel nazi. Face à l’évidence d’une telle monstruosité, l’écrivain imagine les réactions de son père. Cet homme dont le parcours reste une énigme, tant il démontre de grotesque inconséquence dans ses multiples et opportunistes revirements, serait-il resté de marbre lui aussi, la conscience imperméable et le mensonge plus fanfaron que jamais ? Lucide, l’écrivain dresse le portrait d’un père barricadé dans sa réalité distordue, incapable de se voir dans sa vérité nue, sous peine de basculer dans une folie définitive. Et si, dans la vie réelle, ce père lui a toujours échappé, il sait sans illusion que, même si elle avait pu avoir lieu, aucune confrontation frontale, fusse-t-elle même celle d’un procès, n’y aurait rien changé.





Sorj Chalandon signe un livre sincère et bouleversant : une tentative, comme il le dit lui-même, de « changer ses larmes en encre ». Coup de coeur.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          1016
Une joie féroce

Quelle fin élégante et douce pour ce nouveau roman signé Sorj Chalandon ! Pourtant, tout au long de cette histoire de femmes solidaires et courageuses, j’ai côtoyé le drame, la maladie impitoyable, ces soins qui infligent tant de souffrances, qui flanquent des vies par terre pour tenter de la sauver, cette fameuse et unique vie dont nous héritons sans rien avoir demandé.



Cette maladie que nous avons souvent de la peine à nommer… Par contre, lorsque le mot est lâché, on entend chacun raconter la sienne et en rajouter. Cette maladie, c’est le cancer. Même si elle passe un peu au second plan durant la partie thriller du roman, elle est bien présente et rappelle vite à l’ordre celui ou celle qui a oublié son emprise.

Comme pour chaque roman de Sorj Chalandon, j’ai été emporté, captivé, secoué par ce qu’il décrit si bien, avec des mots si justes. Lorsque je l’avais rencontré, lors d’une fête du livre à Saint-Étienne, après la parution du Quatrième mur, il m’avait dit qu’il avait ramené du Liban un lourd sac de pierres et qu’il en partageait ainsi le fardeau avec ses lecteurs.

Ici, dans Une joie féroce, c’est un peu pareil avec ce cancer qui brise la vie ordonnée de Jeanne, cette héroïne qui m’a guidé au fil des pages et fait partager des moments peu ordinaires. En plus, elle travaille dans une librairie et je note que l’auteur sait bien parler de ses confrères.

Jeanne rencontre Brigitte lors de sa première chimio et naît, entre elles, une amitié profonde. Elles forment une équipe avec la jeune Melody, elle aussi en soins, et Assia, la compagne de Brigitte. Ces rencontres avec les différentes actrices du roman permettent de respirer un peu et d’oublier les conséquences des traitements car ces femmes ont leur histoire et j’ai bien apprécié les surprises réservées par l’auteur, avec des coups de théâtre même !

Quelques personnages masculins traversent le récit. S’ils sont médecins ou même receleur, ils font bien leur travail mais que dire de la lâcheté de Matt, le mari de Jeanne ? Il fuit, laisse tomber celle qui partage sa vie et se comporte comme un vrai salaud. D’ailleurs, et c’est bien ainsi, on l’oublie assez vite car, comme je l’ai déjà indiqué, le plus beau de ce roman, c’est l’amitié et la solidarité entre ces femmes malades.



C’est fort, très émouvant et en même temps, malgré la mort qui menace, une belle leçon de vie, Ces femmes partagent et communiquent Une joie féroce pour s’affranchir des pires difficultés, des pires souffrances qu’une existence peut réserver.


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
Commenter  J’apprécie          1003




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs de Sorj Chalandon Voir plus

Quiz Voir plus

Sorj Chalandon

Combien de romans a écrit Sorj Chalandon jusqu'à présent (mars 2014) ?

2
4
6
8

11 questions
103 lecteurs ont répondu
Thème : Sorj ChalandonCréer un quiz sur cet auteur

{* *}