Une histoire d'amour, d'amitié, de croyances, de promesses.
C'est beau, c'est touchant, c'est émouvant.
Je n'ai pas envie de trop en dire, j'aurais l'impression d'aller à contre courant. Sorj Chalandon n'en dit pas trop, il écrit tout en pudeur.
C'est un beau livre.
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Sorj Chalandon fait partie de ces auteurs qui savent écrire et associer les lecteurs à leur démarche .Le roman est court et le nombre de personnages réduit à trois.Il y a le narrateur,biographe,fils de résistant déporté, Beaudazoc,un vieux monsieur de 84 ans,et Lupuline,sa fille, qui a été bercée par les exploits de son père pendant la résistance .En arrière plan,le père du narrateur,décédé.
Beauzaboc et le narrateur vont se rencontrer pour la réalisation d'une biographie commandée par Lupuline.C'est cette rencontre qui va nous être rapportée et,peu à peu,nous conduire vers le malaise et les interrogations.
C'est un roman au rythme lent,si lent qu'il en est parfois irritant mais qui traduit avec force l' atmosphère de plus en plus pesante qui s'installe entre les deux hommes,exacerbée par les effets de la canicule de 2003.
L'écriture de Chalandon est parfois sèche ,brutale,rendant notre trouble encore plus opaque et les problèmes d'ordre moral qui vont se poser aux personnages vont peu à peu envahir notre conscience.
Sans doute faut il prendre un sujet "un peu plus léger à lire après "car j'ai trouvé ce roman pesant, perturbant mais il aborde toutefois le thème des non-dits ou des mensonges qui interpellera nombre d'entre nous bien au delà des faits de guerre.Un ouvrage qui mérite toute notre attention quant à la perception des autres,le jugement qu'on peut porter sur les êtres qui nous entourent et,bien entendu,sur nous mêmes .
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15 décembre 2006. Antoine, emmitouflé dans son épais manteau afin de se protéger de la neige, ferme son atelier de lutherie et se dirige vers un kiosque à journaux. C'est en feuilletant l'un d'eux qu'il fait un malaise dans la rue. Sur la page ouverte, le titre "Un traître au sein de l'IRA"...
Avril 1977, Belfast. Alors qu'il boit un coup avec ses amis irlandais, Jim et Cathy, Antoine fait la connaissance, dans les toilettes du bar Thomas Ashe, de Tyrone Meehan. Même si son ami parle de lui en tant que figure locale, Antoine n'y prête guère plus attention. La soirée se passe tranquillement, au rythme des chansons irlandaises. Lorsque les trois amis quittent le bar, ils remarquent les blindés anglais qui patrouillent. De retour à la maison, Jim raconte alors à Antoine qui est ce Tyrone Meehan : vétéran de tous les combats contre la puissance britannique et responsable de l'IRA. Très vite, le jeune homme prend position pour la cause irlandaise et son chemin rencontre à nouveau celui de Tyrone Meehan...
Adapté du roman éponyme de Sorj Chalandon, cet album, passionnant de bout en bout, nous plonge en plein conflit irlandais. Antoine, luthier à Paris, va se replonger dans son passé suite à la lecture d'un article de journal. C'est dans le cœur d'une Irlande déchirée, au cours des années 70/80, que l'on retrouve le jeune homme au sein de la cause irlandaise, aux côtés de ses amis, Jim, Cathy et le charismatique Meehan. Pierre Alary entremêle au cœur de ce récit les comptes-rendus d'interrogatoires de Tyrone Meehan par l'IRA. Des interrogatoires succincts mais riches de sens. L'auteur nous plonge dans une ambiance tendue, angoissante et traite avec justesse du combat, de la patrie, de la confiance, de la fraternité, de l'amitié, du deuil et, évidemment, de la traîtrise. Sorj Chalandon ayant donné libre cours à Pierre Alary, ce dernier s'est emparé brillamment de son roman, aussi bien scénaristiquement que graphiquement. En effet, l'auteur nous offre de magnifiques planches : un trait particulièrement élégant, des ambiances intenses et des couleurs monochromatiques.
Une ballade irlandaise, captivante et riche...
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Mon traître m'avait bouleversée mais m'avait laissée sur ma faim. Cette histoire m'avait pris aux tripes et avait éveillé l'envie de connaître les vraies raisons qui ont mené le traître à commettre cet acte impardonnable.
Pour moi il était surtout question de comprendre ses motivations afin de pouvoir l'accepter.
Mais il n'y pas que cela dans Retour à Killybegs.
Sorj Chalandon veut nous expliquer le contexte, c'est donc tout un pan de l'histoire de la lutte pour l'indépendance nationaliste irlandaise qui sera décortiqué. Un pays coupé en deux, déchiré, miséreux, opprimé et face à la menace permanente de la terreur.
La résistance a un visage, des motivations, des hommes forts et courageux prêts à mourir pour la cause, prêts à subir les pires ignominies en prison, pourchassés par les anglais mais aussi par les irlandais « de l'autre côté »
Des années de lutte, de dévotion et d'espoir broyés par le temps qui passe, par les défaites, par la fatigue et par le désespoir. Une armée en déroute, un mouvement en lambeaux… On comprend les tourments et les afflictions d'une âme pure rendue grise par la contingence, la fatigue et la soif de paix.
On comprend mieux l'engrenage fatidique qui a conduit le traître à mourir seul face aux fantômes de son enfance et à ses mensonges, face à une cause trop lourde à porter.
Dans mon traître la phrase : « Personne ne naît tout à fait salaud, petit Français. Le salaud, c'est parfois un gars formidable qui renonce » prend ici tout son sens.
À travers le récit poignant d'une trahison, Sorj Chalandon rend hommage aux Irlandais du Nord qui menèrent une guerre sans concession pour retrouver leur liberté et leur dignité.
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Joseph et Michel sont fils d'agriculteurs dans la région de Lens : une région habitée par les puits de charbons et les mineurs.
Joseph abandonne ses rêves de pilote automobile et de mécanicien sur les circuits et fréquente souvent les bistrots où sous la pression d'un mineur, il accepte d'être embauché dans la mine.
Son petit frère Michel n'a que 6 ans quand son grand frère en a 20. Le grand déborde d'affection pour le petit et réciproquement.
Le 27 décembre 1974, à Liévin, un coup de grisou emporte 42 mineurs. Joseph ne reviendra pas. Sa mort sème la désolation et la noirceur dans sa famille.
Michel, son petit frère ne rêve que d'une chose, le venger. Nous le retrouverons 40 ans plus tard et là, retournement de situation, on ne s'attendait pas du tout à ce que Sorj Chalandon nous livre un tel secret gardé par Michel.
Oui, Joseph était bien une victime de la mine mais pas comme nous l'avions compris au début du roman.
L'auteur nous emmène dans cette histoire avec une plume de maître. C'est un roman époustouflant qui rend hommage aux mineurs et aux victimes de la mine, un roman aussi noir que le charbon, mais réaliste en même temps.
Comme disait mon petit-fils de 12 ans en regardant les visionneurs de diapositives sur les mineurs en pays de Liège la semaine passée au musée de la vie wallonne : "Mais c'est un travail cruel...!"
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Un magnifique livre de Sorj Chalandon, L’Enragé, un roman tendre et effrayant, d’une humanité débordante, dénonçant les humiliations et les souffrances que l’homme fait endurer à ses semblables, en l’occurrence ici à des adolescents .
L’aventure et la vie quotidienne de Jules-et les autres- ses peurs, ses rêves, ses colères, sa force et sa faiblesse, dans la colonie pénitentiaire pour jeunes mineurs de Belle Île en Mer, en France en 1932.
Un roman vif et tempétueux animé par une belle écriture franche et juste, où le courage et la révolte s’unissent contre le mal et l’injustice. Universel non?
Un très beau-très grand-livre qui nous surprend à chaque page jusqu’à la dernière … qui nous surprend encore!!!
A lire vraiment !
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Avertissement n°1 : j'ai une grande tendresse pour Sorj Chalandon, alors ma chronique risque de manquer d'objectivité. Mais quand même.
En 1987, le narrateur, journaliste à Libé, couvre le procès de Klaus Barbie qui se tient à Lyon, sa ville natale. Il y retrouve ses parents, et notamment son père, mythomane et violent, qui ne s'est pas comporté de façon très claire pendant l'Occupation. Tandis que les témoins se succèdent à la barre pour reconnaître en Barbie leur tortionnaire, le narrateur se procure le dossier d'instruction de 1945 de son père, pour se faire son propre verdict : héros ou salaud ?
Avertissement n°2 : même si le narrateur ressemble fortement à Sorj Chalandon, ce livre reste une autofiction. Certes, l'auteur a astucieusement mélangé le réel et la fiction, même si l'on pressent que le réel est majoritaire -sinon, le roman ne serait pas aussi crédible, tant le père décrit est "bigger than life", dépassant l'entendement. D'ailleurs, j'ai été soufflée par certaines de ses saillies, qu'aucun écrivain n'aurait assez d'imagination pour inventer.
On reconnaît le paternel affabulateur et irascible de "Profession du père", qui a pourri l'enfance et l'adolescence de l'auteur, et qui a continué à le terrifier à l'âge adulte. Mais à 35 ans, le narrateur se sent enfin assez grand et fort pour oser se confronter à ce père et à son passé mouvementé. Sauf qu'en parcourant son dossier, il se retrouve face à un gamin de 22 ans tout aussi déroutant que le vieillard qu'il est devenu. Comment trouver la paix, alors, face à un individu aussi insaisissable ?
J'ai été bouleversée par cette histoire qui bouscule tant de certitudes, cette quête du père traversée par la douleur et la peur. Il n'y a aucun désir de revanche, juste le besoin de savoir et de comprendre. Le portrait de ce père sans limites est dressé avec sobriété, tandis que les grandes lignes du procès sont relatées avec cette humanité qui m'émeut tant chez Sorj Chalandon, et un infini respect pour les victimes du boucher de Lyon.
C'est donc un roman très particulier, qui touche à l'intime sans jamais être obscène, et qui interroge sur l'Histoire et nos convictions. Un drôle de livre sur un drôle de zigue, une réussite totale.
Et finalement, je me trouve assez objective.
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Bienvenue chez les ch'tis. Pas les rigolos, les autres. Ceux d'une mine meurtrière, d'où les personnages tirent le plus souvent leur croix. Veufs, frères ou oncles décédés, suicides... Chalandon n'y est pas allé de main morte côté tragique.
Michel Flavent a perdu son frère à la mine : 42 victimes du grisou d'un sale jour de décembre 1974. Il rumine dès lors une vengeance de quarante ans avant de passer à l'acte un jour bien après, bien après que son père se soit pendu, un peu après que sa femme soit décédée. Sa cible : le contre-maître aveuglé par la production, au détriment de la sécurité.
Chalandon a toujours ce don d'embarquer le lecteur dans ses courtes phrases sous pression lyrique. Mais s'il tisse savamment la toile d'un roman social sous tension de vengeance, c'est pour mieux nous prendre à revers. Le décor change, et l'on bascule alors dans une psyché profonde et obscure comme les boyaux de la mine. Où l'on y découvre que le déni, le mensonge à soi-même peut creuser des tunnels vertigineux.
J'ai bien aimé, mais sans plus. J'ai pourtant bien été embarqué dans le récit, presque laminé par moment. Mais je n'ai pas trop aimé basculer dans le côté psychologique, qui a eu pour effet me semble-t-il d'atténuer la portée sociale ou historique, que j'ai tant aimée dans "le quatrième mur", ou dans "retour à Killybegs".
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Un livre à certains moments, insoutenable, qui m’a complètement retournée et qui restera dans ma mémoire car il y a toute l’humanité, dans sa générosité et dans sa cruauté, dans ce livre où Sorj Chalandon montre ce que la guerre peut faire d’un homme, Georges, et de tous les hommes à travers lui.
Le choeur d’Antigone
:
« Tous ceux qui avaient à mourir sont morts. Ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire même ceux qui ne croyaient rien et qui se sont trouvés pris dans l'histoire sans y rien comprendre. Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux qui vivent encore vont commencer tout doucement à les oublier et à confondre leurs noms. C'est fini. »
S’il n’y avait pas de livres comme celui-là, qui se souviendrait de ceux qui ont été massacrés dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila les 16 et 17 septembre 1982 et de tous les autres déchiquetés depuis dans les attentats quasi quotidiens qui se produisent dans le monde. Un livre comme « Le quatrième mur » marque bien plus les esprits et pénètre les consciences alors que les images d’actualités glissent et s’effacent.
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Ce livre, je l'ai reçu en moi comme un rugissement, le témoignage d'un être fragile, violent et inconsolable. C'est ainsi que j'imagine la personnalité de Sorj Chalandon au moment où il a écrit ce texte. À travers ces trois adjectifs.
Ce texte a sonné en moi tel un coup de poing au ventre comme à chaque fois où les heures les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale sont convoquées dans un récit, autobiographique ou romanesque.
Je suis né en 1962, épargné donc a priori par cette guerre. Mais certaines guerres produisent des déflagrations qui dévastent les dimensions temporelles. On ne sort pas indemne de certaines guerres dont les ondes de choc traversent le temps et les personnes. Touchent des enfants nés bien après, tranquillement, lorsque la paix est revenue. Mais la paix est une chose étrange qui ne s'en va pas comme cela, d'un seul geste, comme un interrupteur qu'on allume puis qu'on éteint...
1962, c'est justement cette année-là que Sorj Chalandon qui a dix ans à l'époque se voit transmettre, entendre ce message, cette insulte, « Enfant de salaud », comme une pierre dans un jardin. C'est son grand-père qui a prononcé cette phrase, il savait sans doute déjà beaucoup de choses...
Longtemps après la guerre, Sorj Chalandon découvrira la véritable histoire de son père, sa véritable identité, son parcours, ses vérités, ses mensonges, ses impostures. Précisément en 2020.
Mais qu'est-ce qu'être un enfant de salaud ?
Ce texte magnifique couture deux histoires, la petite et la grande. Mais quelle est la petite, quelle est la grande ?
Mai 1987, Sorj Chalandon, journaliste à Libé va suivre le fameux et retentissant procès de Klaus Barbie à Lyon. C'est un moment sidérant, inouï et dans cet espace-temps abyssal, nous voyons défiler à la barre les vivants et les morts, les martyrs, les quarante-quatre enfants juifs d'Izieu qui furent déportés vers Auschwitz et qui n'en revinrent jamais. La foule est là et parmi la foule figure le père de Sorj Chalandon, grâce à sa carte de presse, va permettre à son père de rejoindre le public et suivre tout le déroulement du procès.
Et c'est là que l'intime rejoint l'universel.
Ce procès devient une vraie caisse de résonance pour s'emparer du père, de sa vie, tenter un dialogue impossible, souvent violent, sans cesse une sorte d'esquive, quelque chose qui se révèle être une véritable imposture.
Cette fuite est une douleur pour ce fils qui rêve d'idéal. Son idéal est déjà de savoir ce qui fit, ce que fut son père durant la Seconde Guerre mondiale.
Alors, en mai 1987 nous assistons avec une harmonie merveilleusement orchestrée dans le récit à deux procès, celui de Barbie et celui que l'auteur va assigner à son père, sans relâche, ne lâchant rien, car le présumé innocent, je parle du père, est aussi fuyant qu'une anguille entre les mains.
Comment débusquer l'imposteur qu'est ce père à travers cette image de salaud ?
Un enfant est toujours fier de son père. Un père est un géant lorsqu'il se penche vers l'enfant pour le prendre dans ses bras et le porter vers le ciel, rire avec lui dans la lumière du jour, l'embrasser, l'étreindre pour le rassurer de ce vertige. Qui peut être ce père tendre ainsi et qui fut peut-être autre chose durant la guerre ?
Durant le procès qui va durer quelques mois, il y a des pauses, le père et le fils se voient, se confrontent, c'est une lutte qui frôle le parricide...
Chercher le père. Qui fut-il ? Qui fut ce père qui trahit ainsi son enfant, son fils unique ?
Sorj Chalandon n'obtiendra sans doute jamais toute la vérité, bien qu'ayant mené de son côté une enquête fine.
Savoir que son père traversa l'histoire de cette Seconde Guerre mondiale avec pas moins de cinq visages.
Peut-on être soulagé de savoir qu'il lui en manqua au moins un... ? Lequel ? Ce livre nous le dit.
Chercher le salaud dans ce père. Être salaud en tant que père, cela ne signifie-t-il pas d'avoir transmis à un fils une histoire qui ne lui appartenait pas ? D'avoir menti. Trahir ainsi.
Mon père mourut en 1984 et nous avons alors découvert que parmi les cinq enfants qui jetions des roses dans le trou du caveau qui s'apprêtait à être refermé, notre soeur ainée ne partageait pas la même émotion puisque ce n'était pas son père. Son père, le grand amour de ma mère, était mort quarante ans plus tôt, fusillé par la Gestapo à l'âge de vingt ans. Mais elle le savait déjà depuis l'âge de onze ans, mon père le lui ayant révélé en état d'ébriété : « tu n'es pas ma fille ! ».
Bon, bref, je reviens à Sorj Chalandon et à son récit dont je découvre, et vous en êtes témoins, qu'il fait écho à nos histoires intimes, nos malédictions, des bonheurs qui surviennent dans la tourmente, les questionnements, ce qui tiendra du secret et ce qui sera révélé aux autres après, peut-être pas à tout le monde...
Sorj Chalandon a convoqué en 1987 ce qu'il a su en 2020 sur son père, c'est la part de fiction qu'il a introduit dans ce récit.
Le reste, tout le reste est vrai, tellement vrai. Tellement bouleversant.
L'écriture est ténue, serrée, elle laisse pourtant passer l'émotion, c'est sa force.
Je ressors ébranlé de ce livre empli d'humanité.
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L'œuvre de Sorj Chalandon nous a déjà fait connaître des traîtres, des menteurs et des mauvais pères. Son dernier livre est une synthèse de tout cela avec, pour personnage principal, son père: mauvais père, vrai menteur, faux héros, traître à tout va.
Et, en trame de fond, le procès Barbie.
C'est là, pour moi, que le bât blesse.
Si on écrit pour solde de tous comptes, un récit autobiographique où on" tue le père"- parfois il faut bien-, il serait de bonne guerre qu'on le tuât proprement et, à tout le moins, sans mentir à son tour. Donc sans mise en scène romanesque.
Or le procès Barbie (juillet 1987) est bien antérieur à la découverte, en 2020, par Sorj Chalandon, du dossier qui accablait son père, mythomane et, pendant la guerre, histrion qui endossa tous les uniformes comme des costumes de scène, et trahit successivement tous ses prétendus engagements. Ce qui le conduisit en prison. D'où le dossier...
Le "collage" de la découverte par le fils (Sorj lui-même) du dossier paternel et du compte-rendu par le journaliste (toujours Sorj) du procès de Klaus Barbie auquel aurait assisté le père Chalandon est donc un procédé romanesque. On n'est plus dans le récit autobiographique mais dans la fiction.
Si le procédé avait donné suspense et force à ce règlement de comptes du fils avec le père, on pardonnerait cet artifice mélodramatique, d'autant que Sorj Chalandon, qui était rapporteur du procès pour Libération en fait un compte-rendu passionnant.
Mais voilà : cette alternance systématique du procès public de Barbie avec le "procès" moral du père fait long feu.
Elle fait perdre aux deux récits leur pertinence respective et au livre lui-même sa vigueur et son rythme.
Même quand on est ignorante, comme je l'ai été jusqu'à la dernière page, de la chronologie veritable, on sent quelque chose de poussif, de forcé dans cette "contaminatio" qui en forçant la temporalité, émousse la sincérité et fatigue l'intérêt.
Je suis une fervente lectrice de Chalandon, mais j'avoue que cet"Enfant de salaud" au titre racoleur ne m'a pas convaincue.
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C’est l’histoire d’un luthier français qui veut rejoindre la lutte de l’IRA, un délire.
Ce texte est onctueux comme une bière irlandaise, les adjectifs sont sombres comme une Guinness, les verbes sont denses comme la mousse d’une « stout » et donnent de la profondeur aux phrases du brasseur de mots, Sorj Chalandon.
« Je sentais la guerre, je la sentais dans l’odeur de charbon et de tourbe, d’huile grasse et de pluie froide. Cette odeur de Belfast, cette saveur d’inquiétude. »
Tant imprégné qu’Antoine le luthier deviendra « Tony » aux yeux de ses irlandais amis.
Ses désillusions seront à la hauteur de ses engagements.
Son confident, son compagnon, son initiateur, son maître sera son traître.
Le traître de sa patrie, de ses voisins, de sa femme, de son fils, le traître de lui-même.
Plongeon vraiment réussi dans le Belfast pieux et pluvieux.
« La ville portait sa gueule de drame », ce roman aussi :
Grève de la faim dans la prison de Long Kesh.
Mort du héros du nationalisme irlandais Bobby Sands.
« Dirty protest » où les prisonniers évoluaient nus, les murs tapissés de leurs excréments.
Autant d’événements que je découvre par la mobilisation de cet introverti de Tony, par sa passion dévorante pour ce pays. « On ne joue pas à la guerre, on la fait. »
Par de jolis mots ciselés, on pénètre l’intimité des pubs enfumés, des maisons de pierres sèches habitées de gens fatigués de pauvreté mais aiguisés de liberté.
On s’attache à ces familles accueillantes où le thé scelle la loyauté et le violon fait pleurer des larmes de bière.
Merci M. Chalandon pour cette immersion dans cette insurrection, pour cette incursion dans
la dévotion de ce français trahi par un ami.
Il a été « Mise Eire », je suis l’Irlande en gaélique, à cause d’un minable, il repartira misérable.
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En Mayenne, dans un petit village, les habitués du café Bosco se relaient pour tenir une promesse. La promesse de faire durer un lien, de faire vivre l'oubli pour ne pas l'effacer. Comme une légende bretonne, une lanterne qu'on allume pour ne pas avoir peur, pour ne pas être seul, pour ne pas se séparer, pour ne pas se perdre dans la tempête.
C'est tendre et rugueux à la fois, comme l'amitié.
C'est sombre et lumineux.
C'est un poème, un moment suspendu...
"À travers les persiennes, le jour fait ce qu'il peut. Il filtre de latte en latte, il glisse avec peine, il s'épuise en poussière grise, il est déjà mourant."
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C'est le deuxième roman de Sorj Chalandon que je lis et si j'ajoute une critique aux nombreuses déjà écrites c'est juste pour dire mon admiration. D'un sujet brûlant, oserais-je dire explosif, il réussit à faire un roman magnifique, plein d'humanité et de sensibilité.
C'est un roman de guerre, la guerre du Liban, le massacre de Damour auquel répond celui de Sabra et Chatila, l'intervention militaire israélienne de 1982, une guerre à laquelle j'avoue ne pas comprendre grand chose. Mais c'est aussi un roman d'espoir et d'amour, d'amour pour les Hommes, ce genre d'amour qu'on peut ressentir quand on fait abstraction de tous les clivages et de toutes les différences.
Sorj Chalandon est un magicien des mots, son écriture est superbe, forte et percutante. Son roman réunit tout à la fois l'espoir, la fraternité, l'amour et la paix mais aussi la guerre, l'incompréhension et l'impuissance. A l'instar de l'Antigone d'Anouilh, utilisée comme une métaphore du conflit, c'est beau et tragique à la fois, à lire !
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Mon premier véritable coup de coeur de cette rentrée littéraire.
Rien d'étonnant à cela!
Quand on entre dans un livre de Sorj Chalandon, on sent le talent du conteur et l'humanité de l'homme au bout de la plume (ou du clavier) et ce dernier opus fait encore un "sans faute" dans une bibliographie déjà remarquable.
Décembre 1974: 42 mineurs tués par un coup de grisou dans la fosse 3Bis à Lievin.
Derrière ce magnifique hommage aux victimes, la double casquette de journaliste d'investigation et d'auteur fait merveille. Une solide documentation accompagne une narration sans pathos, au plus prés des individus, des personnages attachants, réels dans leurs drames ou leurs parcours. Et cette nécessité de ne pas oublier un fait-divers dramatique qui a brisé bon nombre de familles.
Mais la surprise du roman est aussi dans ce revirement de narration, entraînant le lecteur dans la réalité de l'univers carcéral et des effets de manches des prétoires. On croit lire un livre social, il se décline aussi en thriller psychologique.
Une histoire de mineurs avant tout! Sans comparer avec celui, autre journaliste/auteur, qui au 19ème siècle, a fait vibrer des générations de lecteurs avec son Lantier de Germinal, il y a ici un parallèle, un passage de témoin par un discours militant dénonçant la rentabilité qui broie l'individu. Chaque ligne du roman évoque le courage et l'orgueil d'une profession quasi disparue et le diaporama d'une France encore rurale et ouvrière, fortement politisée.
Un très beau livre où se retrouve cette propension à la mélancolie, à la nostalgie et à l'introspection propre à un auteur qui me comble toujours.
Rentrée littéraire 2017
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Après le très marquant « Enfant de salaud », « le quatrième mur » est un roman âpre sur la peur, la résistance, la paix, la liberté, l'amour.
Ce qui frappe d'emblée, c'est l'écriture de l'auteur, la justesse et la puissance des mots, le rythme du texte avec ses phrases courtes et mélodieuses.
Ce qui frappe également, ce sont les thèmes abordés, très dur, la guerre civile au Liban dans les années 1980, la violence intolérable des hommes ordinaires, et la douleur affreuse de ceux qui restent. Cette lutte armée est d'autant plus insoutenable qu'elle oppose les personnes d'un même pays. Vos amis deviennent du jour au lendemain vos ennemis, et les victimes d'un jour deviennent bourreaux le jour suivant. Il n'y a pas de morale. En chacun de nous, il y a la lumière et les ténèbres.
Ce roman est particulièrement noir avec des passages très durs, mais aussi de belles pages sur la liberté, la fraternité, l'amour.
Je retiens aussi de magnifiques personnages, comme Imane.
*
Le quatrième mur, c'est « Une façade imaginaire, que les acteurs construisent en bord de scène pour renforcer l'illusion. Une muraille qui protège leur personnage. Pour certains, un remède contre le trac. Pour d'autres, la frontière du réel. Une clôture invisible, qu'ils brisent parfois d'une réplique s'adressant à la salle. »
Le "quatrième mur" est donc un paravent invisible entre l'acteur et le spectateur. Elle protège le comédien des débordements émotionnels des spectateurs.
Elle est aussi une autre forme d'engagement, en défendant son point de vue sans violence, avec respect, seulement par la force des mots.
« le théâtre était devenu mon lieu de résistance. Mon arme de dénonciation. A ceux qui me reprochaient de quitter le combat, je répétais la phrase De Beaumarchais : le théâtre ? « Un géant qui blesse à mort tout ce qu'il frappe ». »
*
Samuel, un juif grec de Thessalonique, metteur en scène, a un rêve un peu fou, celui de mettre en scène la tragédie d'Antigone à Beyrouth, en pleine guerre civile, dans le but d'ouvrir, pendant deux heures, une fenêtre sur la paix et la réconciliation.
Il veut confier les rôles à des interprètes choisis parmi les différents camps en guerre, Phalangistes, Palestiniens, Arméniens, Chaldéens, Chiites, Druzes.
Mais atteint d'une maladie incurable, il convainc son ami Georges, lui-même metteur en scène, de prendre en charge la préparation et la mise en scène de la pièce.
Voulant respecter sa promesse, Georges quitte la France et s'envole pour le Liban.
Et c'est là que l'on entre de plein fouet dans la guerre.
*
Les références à la tragédie d'Antigone réécrite par Jean Anouilh invitent à réfléchir sur la résistance incarnée par la fière Antigone et l'autoritaire Roi Créon.
« Voilà. Ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone. Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien... »
La jeune Antigone apparaît bien fragile face à l'imposant roi Créon, mais n'est-elle pas celle qui refuse de céder ? J'ai aimé cette idée de l'art du théâtre contre la barbarie des hommes.
*
Pour être honnête, j'ai nettement préféré la deuxième partie de l'histoire. J'ai eu des difficultés à entrer dans l'histoire, car l'auteur prend son temps pour mettre en place son scénario et ses personnages. Le début est donc essentiellement tourné vers la présentation des deux personnages principaux.
Et puis au milieu du récit, une fois au Liban avec Georges, on bascule dans une tempête qui vous percute, vous heurte et ne vous lâche plus. C'est un déferlement de violence et d'émotions fortes auquel on ne peut être indifférent.
« J'ai cherché de l'aide autour de moi, frappé à la première porte. Elle était entrouverte. Des chaussures étaient alignées sur son seuil. J'ai pensé à Boucle d'Or, à la famille ours de ma fillette en paix. Les sandales du père, les claquettes de la mère, les chaussures des enfants. J'ai passé la tête, j'ai appelé doucement. Je suis entré. »
*
Encore une fois, j'ai été saisie par l'écriture de Sorj Chalandon, à la fois bouleversante de force et de poésie.
D'une beauté farouche, dénudée du superflu pour n'en laisser que la force vitale, ce roman m'a impressionnée par le contraste entre la retenue du style et l'intensité des émotions exprimées.
Les mots, bouleversants, choisis avec une extrême minutie, combattent, frappent, brutalisent, se défendent, détruisent, tuent.
Assourdissants, comme une déflagration.
Le lecteur tombe dans un torrent d'émotions qui le fauche, le bouscule, l'écrase, le renverse. La haine, la peur, le dégoût, la colère, la tristesse s'enchevêtrent.
"Vous ne savez pas. Personne ne sait ce qu'est un massacre. On ne raconte que le sang des morts, jamais le rire des assassins."
Le quatrième mur prend alors un autre sens, car il devient également un rempart contre l'impossible, contre le drame des massacres, le sang, la folie des hommes. Je me suis sentie oppressée, étouffée, terriblement triste devant la souffrance des personnes qui vivent la guerre au quotidien.
Et en tournant la dernière page du livre, j'ai été frappée par un silence glacé et pesant.
Le déchaînement de violence s'est arrêté, j'étais de nouveau chez moi, en sécurité.
*
Pour conclure, ce roman récompensé par le Prix Goncourt des Lycéens en 2013 consolide mon envie de poursuivre ma découverte des autres romans de Sorj Chalandon. L'auteur raconte avec respect, sans prendre parti, la folie dont les hommes sont capables.
Il m'a transportée en zone de guerre et j'en suis ressortie bouleversée, émue.
Je n'ai eu qu'une envie, celle de découvrir un autre de ses romans et y retrouver cette puissance narrative.
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Le Retour à Killybegs pour Tyrone Meehan, c’est le retour aux sources, dans la modeste maison sans confort du père, Patraig Meehan. Là où il a reçu en héritage l’amour de l’Irlande, la violence, l'engagement pour l'indépendance de l'Irlande , coute que coute. Mais aussi les coups du père. C’est dans cette maison que la mort va le délivrer de la honte.
Le 24 décembre 2006, au cours d'une conférence de presse, il s’est libéré d’un secret, il a trahi son camp depuis vingt-cinq ans en donnant des renseignements aux anglais, lui l’homme respecté et admiré de tous, l’un des leaders de l’Ira. A ses côtés, Sheila, sa femme, toujours là pour lui.
« Sa voix. Une souffrance de voix
Qu’as-tu fait, petit homme ? » Mais elle n’attend pas de réponse.
Trois ans après avoir écrit « Mon traitre » Sorj Chaalndon donne la parole à Tyronne. Retour à Killybegs est un récit sans concessions, sans apitoiements, c’est la confession douloureuse d’un colosse aux pieds d’argile. Un homme courageux en prison, un homme piégé, un homme à la vie sans répits. Vingt-cinq ans de trahison, vingt-cinq ans de nuits sans sommeil.
On comprend mieux l'engrenage fatidique qui l'a conduit à mourir seul face aux fantômes de son enfance et à ses mensonges. Qu’as-tu fait, petit homme ?
C’est un livre qui laisse des traces, bouscule, dérange, bouleverse, admirablement écrit.
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Depuis quelque temps je vois sans arrêt ce livre passé devant mes yeux.
Comme j’adore les écrits de Sorj Chalandon, je me devais de le lire.
Ce n’est pas un enragé, c’est un cri, une fureur, une rage et un combat.
Pendant la lecture de l’ouvrage, Jules Bonneau (le personnage principal du livre) rencontre Jacques Prévert, il fait un poème de son histoire. Tout y est dit (ou presque).
Je vous laisse déguster chaque mot et…
Bonne lecture !
La Chasse à l’enfant
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île
On voit des oiseaux
Tout autour de l’île
Il y a de l’eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu’est-ce que c’est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Il avait dit « J’en ai assez de la maison de redressement »
Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l’avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant, il s’est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes, les touristes, les rentiers, les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Pour chasser l’enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s’y sont mis
Qui est-ce qui nage dans la nuit ?
Quels sont ces éclairs, ces bruits ?
C’est un enfant qui s’enfuit
On tire sur lui à coups de fusil Bandit !
Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent ? Rejoindras-tu le continent ?
Au-dessus de l’île
On voit des oiseaux
Tout autour de l’île
Il y a de l’eau
Jacques Prévert
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