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Citations de W. G. Sebald (167)


Durant la dizaine de jours que j'ai passés à Vienne, je n'ai rien vu, je ne suis entré nulle part, sinon dans les cafés et les bistrots, et en dehors des serveuses et des garçons, je n'ai parlé à personne. J'ai seulement dit quelques mots, s'il m'en souvient bien, aux choucas des jardins de l'Hôtel-de-Ville, et à un merle tête blanche attiré avec les choucas par ma grappe de raisin et que j'ai appelé en secret Simurgh.
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Ce genre d'intuitions me viennent immanquablement en des lieux qui appartiennent davantage au passé qu'au présent. Par exemple, lors de mes pérégrinations en ville, je jette quelque part un coup d’œil dans l'une de ces cours intérieures où rien n'a changé depuis des décennies, et je sens, physiquement presque, le cours du temps se ralentir dès qu'il entre dans le champ de gravitation des choses oubliées. Tous les moments de notre vie me semblent alors réunis en un seul espace, comme si les événements à venir existaient déjà et attendaient seulement que nous nous y retrouvions enfin, de même que, une fois que nous répondons à une invitation, nous nous retrouvons à l'heure dite dans la maison où nous devions nous rendre. Et ne serait-il pas pensable, poursuivit Austerlitz, que nous ayons aussi des rendez-vous dans le passé, dans ce qui a été et qui est déjà en grande part effacé, et que nous allions retrouver des lieux et des personnes qui, au-delà du temps d'une certaine manière, gardent un lien avec nous ?

(Pp. 302, 304)
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À présent, dit-elle, regardant en arrière, elle voyait bien que l'histoire n'était faite de rien d'autre que du malheur et des affections qui déferlent sur nous, sans trêve ni repos, comme les vagues sur le rivage de la mer, si bien, dit-elle, que tout au long de nos jours terrestres nous ne vivons pas un seul instant qui soit véritablement exempt de peur.
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Comme pour tant d'autres choses, dit Austerlitz, je ne saurais décrire exactement l'état dans lequel je me retrouvai alors ; c'était un tiraillement que je ressentais, une honte et un chagrin, ou je ne saurais dire quoi d'autre d'inexprimable, parce que les mots manquent, de même qu'ils m'avaient manqué lorsque étaient venus vers moi ces deux étrangers dont je ne comprenais pas la langue. Je me rappelle qu'en voyant le garçonnet assis sur son banc, je réalisai, au travers de ma sourde torpeur, à quel point l'état d'abandon dans lequel j'avais vécu durant ces nombreuses années, avait été destructeur et je me rappelle aussi qu'une terrible fatigue me gagna à la pensée de n'avoir jamais été véritablement en vie ou de ne naître que maintenant, pour ainsi dire à la veille de ma mort. Sur les raisons qui, à l'été 1939, avaient poussé le prédicateur Elias et sa pâle épouse à me recueillir chez eux, je ne peux qu'émettre des suppositions dit Austerlitz.

page 166
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Adela, dit Austerlitz ; elle est restée la même à mes yeux, aussi belle qu'elle était alors. Souvent, à la fin des longues journées d'été, nous jouions ensemble au badminton dans la salle de bal désaffectée depuis la guerre, tandis que Gerald soignait ses pigeons avant la nuit. Le volant allait et venait au gré des coups de raquettes. La trajectoire qu'il parcourait en sifflant, repartant à chaque fois dans l'autre sens sans qu'on ait su vraiment comment, dessinait dans le crépuscule une traînée blanche et Adela, je l'aurais juré, flottait dans l'air, à quelques pouces au-dessus du parquet, plus longtemps que ne l'eût autorisé la loi de la pesanteur. Après la partie nous restions la plupart du temps quelques minutes dans la salle, à contempler jusqu'à ce qu'elles disparaissent les ombres mouvantes d'une aubépine que dessinaient, sur le mur opposé de la fenêtre en ogive, les derniers rayons du soleil rasant. Les motifs déliés alternaient sans trêve sur la surface claire ; fugaces, instables, ils s'évanouissaient aussitôt nés ; et pourtant cette dentelle d'ombre et de lumière incessamment recomposée évoquait des paysages de montagne avec leurs rivières gelées et leurs champs de glace, de hauts plateaux, des steppes, des étendues désertiques, des éclosions de fleurs, des îlots, récifs de corail, archipels et atolls, des forêts ployant sous la tempête, des herbes graciles et des fumées chassées par le vent. Et un jour que nous regardions ensemble le monde qui lentement s'obscurcissait, Adela me demanda, en se penchant vers moi, il m'en souvient : vois-tu les palmiers, vois-tu la caravane qui chemine là-bas dans les dunes ?...
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Plusieurs fois il est également arrivé, dit Austerlitz, que des oiseaux égarés dans la forêt de la Bibliothèque aient foncé sur les arbres se reflétant dans les vitres et soient tombés raides morts après un choc sourd. Assis à ma place dans la salle de lecture, j'ai souvent réfléchi au lien qui existe entre de tels accidents imprévisibles, comme la chute mortelle d'une créature qui s'est écartée de sa voie naturelle ou encore les symptômes récurrents de paralysie affectant le réseau informatique, d'une part, et la conception d'ensemble, cartésienne, de la Bibliothèque nationale, de l'autre ; et j'en suis arrivé à la conclusion que dans chacun des projets élaborés et développés par nous, la taille et le degré de complexité des systèmes d'information et de contrôle qu'on y adjoint sont les facteurs décisifs, et qu'en conséquence la perfection exhaustive et absolue du concept peut tout à fait aller, et même, pour finir, va nécessairement de pair avec un dysfonctionnement chronique et une fragilité inhérente. Pour ce qui me concerne, du moins, moi qui ai consacré une grande partie de ma vie à étudier dans les livres et me sens presque comme chez moi à la Bodleian, au British Museum et dans la rue de Richelieu, cette gigantesque nouvelle Bibliothèque censée être, selon une expression horrible qui maintenant fait florès, le sanctuaire de tout notre patrimoine écrit, a prouvé son inutilité dans l'enquête que j'effectuais pour retrouver les traces de mon père qui se perdent à Paris (pp. 328-329).
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C'est pourquoi on ne devrait, conseille Beyle, acheter aucune gravure des beaux points de vue ou perspectives que l'on découvre en voyageant. Car une gravure a tôt fait d'occuper tout le champ du souvenir et l'on peut même dire, ajoute-t-il, qu'elle finit par le détruire.
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Le pêcheur apparaît dans l'encadrement de la porte et descend aussitôt avec nous le jardin en pente avec ses dahlias resplendissants, jusqu'à la Saale où nage dans l'eau une grande caisse de bois dans laquelle il prend les barbeaux un par un. Quand nous les mangeons le soir, nous n'avons pas le droit de parler, à cause des arêtes, et devons rester nous-mêmes muets comme des poissons. Je ne me suis jamais vraiment sentie à l'aise au cours de ces repas et les yeux chavirés des poissons m'ont souvent suivie du regard jusque dans mon sommeil.
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Thomas Browne est frappé par l'impermanence de toutes choses en rapport avec un processus sans fin de transformation revenant à manger et à être mangé. Sur chaque forme nouvelle plane l'ombre de la destruction. Car l'histoire de chaque individu, celle de chaque communauté et celle de l'humanité entière ne se déploie pas selon une belle courbe perpétuellement ascendante mais suit une voie qui plonge dans l'obscurité après que le méridien a été franchi.
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De Pilsen, où nous fîmes un assez long arrêt, je me rappelle seulement, dit Austerlitz, que je suis descendu sur le quai et que j'ai photographié le chapiteau d'un pilier en fonte parce qu'il avait déclenché en moi un phénomène de réminiscence. Cependant, ce qui m'inquiétait à sa vue, ce n'était pas la question de savoir si ce chapiteau aux formes compliquées, rongé par une pellagre brunâtre, s'était effectivement incrusté dans ma mémoire lorsqu'à l'époque, à l'été 1939, j'étais passé par Pilsen avec le transport d'enfants, mais bien plutôt l'idée, en soi ridicule, qui m'avait traversé l'esprit, que ce pilier, ayant accédé en quelque sorte par les squames recouvrant sa surface au règne du vivant, ait pu se souvenir de moi, et si l'on peut dire, dit Austerlitz, porter témoignage de ce que moi-même je ne savais plus.
     

Babel (poche), 2013 - p. 261 / Publié en 2001, traduit de l'allemand par Patrick Charbonneau, Actes Sud, 2002.
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La température de leur corps est alors de trente-six degrés, comme celle des mammifères, des dauphins et des thons au meilleur de leur activité. Trente-six degrés, dit Alphonso, est le point qui, dans la nature, s'est toujours avéré le plus favorable, une sorte de seuil magique, et il lui était arrivé de songer, pour reprendre les termes de ses propos, dit Austerlitz, il lui était arrivé de songer que tout le malheur des hommes venait de ce que, à un moment donné, ils s'étaient écartés de cette norme, s'étaient échauffés et vivaient en permanence dans un léger état fiévreux. Par cette nuit d'été, dit Austerlitz, jusqu'à la pointe du jour, nous sommes restés assis dans cette combe au-dessus de l'embouchure du Mawddach et nous avons observé la centaine de milliers de papillons nocturnes, selon l'estimation d'Alphonso, venus danser autour de nous leur ballet virevoltant. Admirées surtout par Gerald, les diverses stries lumineuses qu'ils semblaient laisser derrière eux, traits, boucles et spirales, n'avaient en réalité aucune existence, avait expliqué Alphonso, elles n'étaient que traces fantômes dues à la paresse de notre oeil, qui croit encore voir un effet rémanent à l'endroit d'où l'insecte, pris une fraction de seconde sous l'éclat de la lampe, a déjà disparu. C'était à ces genres de phénomènes factices, à ces irruptions de l'irréel dans le monde réel, à certains effets de lumière dans un paysage étalé devant nous, au miroitement dans l'œil d'une personne aimée, que s'embrasaient nos sentiments les plus profonds, ou du moins ce que nous tenions pour tels.
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malgré l'affection qu'il continuait, tenait-il à préciser, de nourrir pour ses élèves, ceux-ci lui étaient apparus comme des créatures ne méritant que haine et mépris, à la vue desquelles il avait plus d'une fois senti monter en lui une violence sans bornes et irraisonnée.
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In der Dunkelheit                          Dans l'obscurité
                                                 
über der Mündung                       sur l'embouchure
der Somme die Pleiaden             de la Somme les Pléiades
leuchtend                                        lumineuses
wie nirgendwo sonst                   comme nulle part ailleurs
              
-
               
Unerzähl                                         Nul encore n’a dit
                                                   
bleibt die Geschichte                    l’histoire
der abgewandten                          des visages qui
Gesichter                                         se sont détournés
             
             
Poèmes accompagnés des gravures de Jan Peter Tripp avec les Regards de Julie Seltz et d'Anna Sebald / Traduits de l’allemand par Patrick Charbonneau (pp. 24-5 & 74-5)
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Les rares clients attardés disparurent les uns après les autres, de sorte que pour finir, dans cet endroit qui était l'image en miroir de la salle d'attente, il ne resta plus, à part nous deux, qu'un buveur de Fernet solitaire et la dame du buffet trônant jambes croisées sur un tabouret de bar derrière le comptoir, corps et âme absorbée par le limage de ses ongles. De cette femme blonde oxygénée à la chevelure dressée sur sa tête comme un gros nid d'oiseau, Austerlitz dit au détour d'une phrase qu'elle était la déesse des temps révolus. Il y avait effectivement, sur le mur derrière elle, au-dessus des armoiries au lion du royaume de Belgique, une impressionnante horloge au cadran jadis doré, noirci à présent par la fumée de tabac et la suie du chemin de fer, sur lequel se déplaçait une aiguille d'environ six pieds. Pendant les pauses de notre discussion, nous prenions l'un et l'autre la mesure du temps infini que mettait à s'écouler une seule minute, et nous étions chaque fois effrayés, bien que ce ne fût pas une surprise, par la saccade de cette aiguille pareille au glaive de la justice, qui arrachait à l'avenir la soixantième partie d'une heure puis tremblait encore une fraction de seconde, lourde d'une menace qui nous glaçait presque les sangs.
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Notre propagation sur terre passe par la carbonisation des espèces végétales supérieures et, d'une manière plus générale, par l'incessante combustion de toutes substances combustibles. De la première lampe-tempête jusqu'aux réverbères du XVIIIème siècle, et de la lueur des réverbères jusqu'au blême éclat des lampadaires qui éclairent les autoroutes, tout est combustion, et la combustion est le principe intime de tout objet fabriqué par nous.
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Vous savez, dans les années qui suivirent la destruction, la façon radicale de ces gens de se taire, de cacher et, comme il m’arrive de penser, d’oublier effectivement, n’est à vrai dire que l’envers d’une attitude qui a fait, par exemple, que le propriétaire du salon de thé de S., Schöferle, s’est adressé un jour à la mère de Paul, qui se prénommait Thekla et avait un temps fréquenté les planches du théâtre municipal de Nuremberg, pour lui dire que la présence journalière d’une dame mariée à un demi-juif pouvait être désagréable à sa clientèle bourgeoise et qu’il la priait, avec tous les égards qui lui était dus, cela va de soi, de bien vouloir dorénavant éviter de fréquenter son établissement. Je ne suis pas étonnée, dit Mme Landau, je ne suis absolument pas étonnée de constater que vous ayez pu ne rien savoir de toutes les bassesses et mesquineries auxquelles étaient confrontée une famille comme les Bereyter dans un trou aussi misérable que S. était alors (..) je n’en suis pas étonnée car, n’est-ce pas, cela s’inscrit dans la logique de toute cette histoire.
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Dans la seconde moitié des années soixante, pour des raisons tenant en partie à mes recherches et en partie à des motivations que moi-même je ne saisis pas très bien, je me suis rendu à plusieurs reprises d'Angleterre en Belgique, parfois pour un jour ou deux seulement, parfois pour plusieurs semaines. Au cours de l'une de ces excursions belges, qui toujours me donnaient l'impression de voyager très loin en terre étrangère, je me retrouvai, par un jour radieux de l'été commençant, dans une ville qui jusqu'alors ne m'était connue que de nom, Anvers. Dès l'arrivée, lorsque le train franchit à faible allure le viaduc flanqué des deux côtés de bizarres tourelles pointues pour s'immobiliser sous la sombre verrière de la gare, je fus saisi par un sentiment de malaise qui persista tout le temps que dura mon séjour en Belgique.
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Sur le terrain vague où s’élève
aujourd’hui cette bibliothèque, délimité par
le triangle de la gare d’Austerlitz et du pont
de Tolbiac, il y avait jusqu’à la fin de la guerre
un vaste entrepôt où les Allemands regroupaient
tous les biens pillés dans les appartements
des Juifs parisiens. [...]

Et là-bas, sur le terre-plein d’Austerlitz-Tolbiac,
s’est entassé à partir de 1942 tout ce que
notre civilisation moderne a produit
pour l’embellissement de la vie ou le simple
usage domestique, depuis les commodes Louis XVI,
la porcelaine de Meissen, les tapis persans
et les bibliothèques complètes, jusqu’à la dernière
salière et poivrière...
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Dans les années qui suivirent, à chacun de mes séjours à Londres ou presque, j'ai rendu visite à Austerlitz sur son lieu de travail, à Bloomsbury, non loin du British Museum. Le plus souvent, je restais une heure ou deux avec lui dans son bureau exigu, qui ressemblait à une réserve de livres et de papiers et où, entre les dossiers posés et ceux qui encombraient le devant des étagères surchargées, il ne restait plus guère de place pour lui, et encore moins pour son élève.
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[...] quand ils sont "à l'étranger", les émigrants, on le sait, ont tendance à se raccrocher à leurs proches.
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