Une anthologie qui nous remet les pieds sur terre.
La figure du soldat de la première guerre mondiale me paraît lointaine, temporellement mais aussi culturellement dans un sens : je ne suis pas amatrice de ce thème d'une part, d'autre part, les figures de Poilus que j'ai pu rencontrer au cours de mes lectures prenaient les traits de pauvres quidam.
Mais là, il s'agit de passionnés de littérature, d'instituteurs, d'agrégés de philosophie, de poètes - mon univers. Oui, dans les tranchées se battaient aussi des hommes aux penchants artistes et intellectuels. Bien sûr, je n'ai pas oublié
Cendrars ni
Apollinaire, mais je ne sais pourquoi, dans ma tête, ils faisaient figure d'exception, or nous rencontrons ici 16 auteurs, présentés dans de courtes notices biographiques. Je n'en connaissais aucun. Certains ont pourtant une place dans l'histoire littéraire. Par exemple,
Maurice Betz a été le traducteur de
Thomas Mann, de
Nietzsche et de son ami
Rainer Maria Rilke ;
René Maublanc est le vulgarisateur du haïku en France,
Julien Vocance en est le précurseur.
La préface et la postface permettent une mise en perspective de ces écrits, l'appropriation du genre du haïku (importé du Japon par
Paul-Louis Couchoud autour de 1904) tant dans le style que dans la thématique. Autant sa forme brève se prête aux conditions précaires des soldats pendant la guerre, autant la tradition est loin de cette thématique porteuse de mort.
Chacun des auteurs se joue des codes des
poésies japonaise et occidentale. Certains mélangent allègrement les deux, produisant un format original aux effets parfois déstabilisants.
Surtout, la brièveté produit des instantanés de la vie au front, des soldats et des civils, des combats, des morts, des blessés, des estropiés, hommes et paysages, ainsi que de l'après.
J'ai particulièrement apprécié les
poèmes de
Marc-Adolphe Guégan, empreint d'humour et d'ironie. Les recueils de
Julien Vocance, « Cent visions de guerre », paru en 1916, et « Fantômes d'hier et d'aujourd'hui », paru en 1917, qui sont reproduits intégralement, me paraissent tout à fait essentiels, le deuxième étant, à mon sens plus abouti sur le plan de la forme (jeu important sur les sonorités, règles du haïku davantage appliquées, ensemble de haïkus se faisant écho comme s'il s'agissait des strophes d'un même poème), et de ce fait plus intense.
Un témoignage original et précieux, tant pour l'histoire que pour la littérature.