L'approche psychologique (avant même que psychanalytique) aux effets de la crise économique sur le psychisme de ses victimes, c'est d'abord la dénonciation des raisons et des effets du silence sur, voire du déni de l'existence de tels effets.
C'est ensuite de partir de l'axiome suivant : "la vie sociale ne relève pas pour un être humain de l'avoir, mais de l'être" (p. 39) ; sa privation par effet de la perte d'une activité professionnelle affecte donc l'être psychique du chômeur, notamment en termes de culpabilisation et de honte. Pour son entourage, pris de peur projective, elle se décline en rejet et en haine.
Les deux premières parties de l'ouvrage, pour moi les plus intéressantes, tracent, à partir de l'enfance et particulièrement de l'entrée à l'école, le parcours créateur des deux "branches de la colonne vertébrale psychique", la branche privée fondée sur l'affectif et la branche sociale fondée sur "le faire". L'image de soi, l'estime de soi, à travers l'école et ensuite par transposition identique dans le lieu de travail, sont redevables de cette logique du "faire" qui est mise à mal à la fois par une recherche d'emploi frustrante et éventuellement révisée à la baisse, par l'injonction "c'est ça ou rien !" et a fortiori par la "mise à mort sociale" que constitue le chômage.
Il est toujours important, dans cet ouvrage, de tenir compte à la fois des effets avérés de la crise - chômage, pauvreté, précarité, perte de logement, malnutrition - et des craintes de sombrer un jour dans une telle situation ; de la même manière, la psychologue tient compte autant de la représentation individuelle de tels événements et peurs que de l'évolution des représentations sociales desdits, qui hélas vont dans le sens d'une culpabilisation croissante des victimes, d'une désolidarisation avec elles, ces involutions comportant enfin des conséquences politiques dangereuses et de mauvaise foi.
La cinquième et dernière partie affronte de façon assez inattendue la question du "silence face à la crise". En effet s'opère un retour sur la sphère du privé "otage de la crise", en particulier au sein des familles et de la vie de couple, avec différentes facettes des non-dits, et enfin dans le silence public est analysé celui des politiques et celui des "psys" sur des tons aussi engagés dans les deux cas.
Le style de l'ouvrage est à la fois très discursif, d'accès aisé (phrases claires, plan lisible, typographie aérée), au ton qui évite autant que possible la polémique, qui privilégie des observations irréfutables avec parfois des données quantitatives à l'appui (surtout concernant la hausse de la pauvreté), et en même temps fort d'un engagement appuyé, en particulier dans sa démarche et dans ses conclusions.
Je vais conclure ma note sur une petite observation tout à fait marginale dans l'argumentation du livre, peut-être même relevant de la note de bas de page comme la sienne, motivée par ma propre réflexion plus que par la démonstration de l'auteure : ce qui relierait les deux branches de la colonne vertébrale psychique, ce serait ce questionnement très précoce de l'enfant sur les conséquences de son existence sur le bonheur du monde (d'abord celui de ses parents, s'ils l'ont désiré). Ce qui peut faire défaut aussi bien dans la branche privée que dans la branche sociale, notamment en cas de chômage, ce qui fait in fine s'écrouler l'édifice psychique individuel, c'est le basculement de la réponse à ce questionnement très archaïque. D'où la hausse vertigineuse des suicides en temps de crise.
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Car, à l'école, en fournissant le travail demandé, on n'obtient pas l'amour de l'enseignant. On obtient un statut de bon (ou de moins bon) élève. Un statut qui peut certes valoir à celui qui l'acquiert l'estime de l'enseignant. Mais - complication supplémentaire - un statut et une estime qui, loin d'être à tout jamais assurés, sont à gagner et à regagner sans cesse.
[...]
Dans l'univers de l'enfant, qui pensait jusque-là qu'il suffisait d' "être" pour être aimé, cette nécessité d'une tâche à accomplir pour exister fait donc surgir un nouvel élément : le "faire".
Savoir être de Claude Halmos .Son visage est bien connu des téléspectateurs. Claude Halmos intervient encore régulièrement en télévision après avoir été pendant plusieurs années, l?une des chroniqueuses régulières de « La grande famille », l?émission culte que présentait Jean-Luc Delarue sur Canal Plus dans les années 95. Par son métier de psychanalyste, Claude Halmos a depuis 2002 rendez-vous chaque semaine avec les auditeurs de France Info qui lui posent des questions liées à la vie en société, aux difficultés de couple, aux relations avec les enfants, à la façon de réagir face à des situations banales ou au contraire exceptionnelles. Dans son émission, toutes les interrogations de notre époque sont envisagées, elle y répond toujours avec tact et efficacité, trouvant les mots justes qui donnent à réfléchir. Ce livre est un recueil de près de 200 chroniques diffusées sur France Info. Claude Halmos a trouvé dans la publication d?ouvrages la possibilité de s?adresser au plus grand nombre. On citera « Parler, c?est vivre » publié en 1997 ou plus récemment « Parler à hauteur d?enfant » ou « Est-ce ainsi que les hommes vivent » paru en 2014. Formée par Jacques Lacan et Françoise Dolto, Claude Halmos a un regard très juste, très pertinent, sur la psychanalyse qui est pour elle un combat de chaque jour. Ecouter le patient, aller à la racine du mal trouver les mots, donner les clés pour s?en sortir et comme l?écrit Claude Halmos dans la préface de son livre, si elle a beaucoup donné, elle a aussi beaucoup reçu de ses patients. Ce livre est passionnant car il nous permet aussi de changer notre regard sur le monde qui nous entoure, sur ceux qui partagent notre quotidien et par ces chroniques, par les mots qu?elle emploie pour guérir les maux de l?âme, Claude Halmos nous invite aussi à ouvrir les yeux sur notre propre existence. « Savoir être » de Claude Halmos est publié chez Fayard.
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