Tout sonne authentique dans cette biographie du jeune résistant républicain espagnol (Francisco Ortiz Torres) que le lecteur accompagne chronologiquement dans son itinéraire: il part d'Andalousie, se bat en Espagne, émigre en France, est déporté en Allemagne nazie, puis revient en France. Avec photos, références historiques minutieuses et éclairantes, utiles pour tous, (1) qui attestent de la cohérence d'un homme face aux tribulations monstrueuses de l'Histoire, du fascisme espagnol et du nazisme.
Car il faut appeler les choses par leur nom, dire le soulèvement franquiste contre le gouvernement légal, une agression contre la démocratie qui déclenche l'épopée douloureuse des démocrates espagnols :
« Ils étaient partis comme ils étaient, vêtus de leurs vêtements de paysans, un pantalon gris sombre, une chemise claire, des espadrilles aux pieds et sur la tête un béret foncé. »
Le héros républicain est présent avec ses poèmes, ses chansons, ses traits de caractère, une attitude de solidarité, une grande maîtrise de soi, le sens de l'amitié et de la responsabilité.
Le récit forme une boucle : Naissance d'une vocation de résistance républicaine, son évolution, et dans l' épilogue, un suivi générationnel, la vocation musicale de son fils, Juan Francisco Ortiz, qui devient un guitariste de talent.
Nicole Yrle a reconstitué l' histoire de Francisco Ortiz Torres, grâce à sa grande culture de l'époque ( La guerre d'Espagne, les camps de concentration, les écrits de
Malraux et
Semprun) puis par des recherches précises.
Elle commente son personnage, déterminé, mais sujet à d'inévitables interrogations :
« Souffrant dans son corps, et en dépit de tout ce qu'il avait déjà vu en Andalousie, Francisco n'a-t-il pas, à un moment ou à un autre, ressenti de l 'horreur devant tant de morts, tant de blessés, de deux côtés ? »
On vit l'instant par les impressions auditives du prisonnier dans un train :
« le train multiplia les arrêts comme à plaisir. La porte resta fermée. Des hurlements dans la langue gutturale de l'oppresseur laissaient toutefois supposer qu'on était dans une gare et que d'autres prisonniers montaient à bord. D'autres fois, un silence pesant suggérait qu''on était en rase campagne, on tendait l'oreille, on guettait longtemps le sifflement du jet de vapeur précédant le départ. Il faisait chaud, on étouffait, on avait faim et soif... »
C'est pour le lecteur une page d'histoire collective vécue au présent par un individu conscient, par exemple d'une politique française timorée :
« Il (Francisco) n'était pas le seul à en vouloir aux Français qui n'avaient jamais envoyé les armes promises, et à être persuadé que l'issue de la guerre en eût été changée ».
La boucle narrative revient puisqu'après le récit reconstitué par
Nicole Yrle, on revit sa genèse, les confidences tardives du personnage principal qui deviendra un « passeur de mémoire ».
Boucle humaniste aussi, puisque l'auteur,
Nicole Yrle, transmet à ses lecteurs, le goût de la solidarité et de l'amitié, des valeurs familiales exprimées par la préface de Juan Francisco Ortiz, le fils, et la touche finale du poème de Francisco Ortiz, le père.
Dans un contexte historique différent, non plus la guerre d'Espagne et la 2e guerre mondiale, mais une guerre européenne inattendue, en Ukraine, ces valeurs altruistes et légalistes méritent bien d'être mises en relief.
(1)
Le vingt sept février 1939, après un débat houleux à la chambre des députés, le gouvernement français reconnut officiellement le régime franquiste et le deux mars,
Philippe Pétain fut nommé ambassadeur en Espagne et déclara oeuvrer « pour un retour des traditions amicales entre la France et l'Espagne »