Paris – Garde du Nord. Qu'est-ce qu'on aurait pu en dire de plus de ses visages ?
Est ce que des chiffres des horaires des sigles en besace en voitures en voilà, est ce que ça suffit à dire les instants d'un espace ?
La gare. Un lieu. Et si l'espace ce n'était que du temps. Simplement celui des gens.
Des milliers d'histoires. Des transporteurs d'ailleurs. Un lieu de passage, de transit, où rien ne doit s'arrêter.
Passer, glisser s'échanger.
Le point vectoriel du voyage. Un enchevêtrement de hasard au fil d'un carrelage blanc.
Je viens, je vais, je serai. L'itinéraire oublié et à jamais réinventé .
J' accoste ou je dérive. Je débarque là où se déposent les rames.
On ne reste pas dans la gare. Rien ne se fixe. Même plus le mobilier.
On évite les mendiants, on slalome entre les piliers. On voudrait un peu se faire oublier.
Qu'est ce qu'on pourrait dire de cette gare si ce n'est une histoire personnelle. Parce que nous avons tous pour finir notre histoire consignée dans une gare. Quelque part.
La
gare du Nord je la connais. Je la connais suffisamment bien pour y ranger certains de mes chapitres. Beaux et parfois terrifiants. Tous différents. Différents parce que la gare un mercredi a vu passer des anges à la gueule cassée et aux ailes déchirées, parce qu'un dimanche elle a vu des yeux de compas, parce que des livres, parce que des retards, parce que des trains qu'on ne prend pas, et tous ceux qu'on ne reprendra jamais, parce que des wagons, des snacks, et puis dehors les kilomètres d'un trottoir.
Immobile la gare. Jamais l'écriture de la vie.
De l'enfance, à l'adolescence, de la travailleuse, à la l'errance, de la course contre la montre, aux petites vasques de l'âme qui se déversent un matin rue de Dunkerque, la gare c'est comme une ville. On ne la connaît jamais.
Y a bien un plan, mais pour le lire faudrait un peu s'arrêter.
Ne plus marcher, ne plus courir, ne plus errer, juste reprendre un peu le cours de son temps.
A contre courant.
La gare ? Elle est déjà le passé qu'on vient chercher ou déposer et qui a oublié de vous dire qu'on a plus besoin de ticket pour accéder au quai.
C'est pas banal, une gare. On y arrive et on en part.
On s'y reconnaît et on s'y effraie, on y accourt, on s'y retrouve, et puis on en disparaît.
On voit tous ceux qu'on pourrait devenir, ceux qu'on ne s'est pas laisser devenir, ceux à qui on croit ressembler.
Aujourd'hui cette gare, et puis demain une autre, la même adresse, la même verrière, le même guichet, mais une autre gare parce qu'une autre histoire.
D'où viens tu, où vas tu, passager de la gare?
Raconte moi une histoire, n'importe laquelle, invente là si tu le souhaites, la main sur l'aiguillage, le pied au bord du quai, le front contre la vitre, une ligne de larmes, une rame de rire.
Dessine moi une gare, s'il te plaît.
La gare je la connais. Mais la tienne comment pourrais tu me la dire ?
Qu'est-ce ce qu'on aurait pu dire de tous ces visages?
Qu'ils font leur temps à la mesure des voitures qui avancent sur le quai ? Au pas du dernier voyageur qui en descend ? Ou qu'ils font sourire à la mesure de la course folle que dessinent des mains qui se cherchent et qui ne veulent plus se quitter ?
La même gare, les mêmes regards, les mêmes couloirs, le même espoir, le même amour, les mêmes secrets, le même ticket, les mêmes soupirs, les même paquets, le même été, la même année.
La même gare pour tous mais plus jamais la même pour ceux qui devront encore la traverser.
Alors, Paris
Gare du Nord à vrai dire j'aurai bien voulu en connaitre un peu plus loin que ses grandes lignes.
Astrid Shriqui Garain