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EAN : 9782374912875
206 pages
Quidam (06/01/2023)
4.5/5   3 notes
Résumé :
"« De même que le soleil ne cesse de briller quand il se couche, de même une grande nuit se poursuit continuellement en nous. » Ainsi parle Unu alors qu'il fuit Solombros et sa tyrannie pour les terres sauvages de l'inconnu.
Qui est-il ? Un barbare ? Un « grand fauve humain », comme le Moravagine de Blaise Cendrars ? Quelque initié ?
Ultime témoin d'un monde où l'homme, mortel et immortel, était encore mêlé aux forces originelles, le fugitif embrasse s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Pierre Cendors, ou l'art de transformer la cendre en or…

« La nuit, mère de la lumière.
Le jour, père des ombres. »

Quel étrange roman que celui de L'homme-nuit. C'est une fable onirique qui sort totalement des sentiers battus de la littérature contemporaine, atemporel pourrait-on dire, dans lequel résonne la marque de quelques auteurs singuliers. Il y a en effet par exemple du Pascal Quignard dans le texte avec cette structure fragmentée, cette parole poétique dilatée et musicale. Il y a du Jacques Abeille aussi dans la façon d'imaginer un empire, d'inventer de toute pièce une géographie, espace onirique pour y dérouler un conte fantastique ; je pense notamment à ce monde imaginaire surprenant développé par jacques Abeille dans « Les jardins statuaires » dont j'ai retrouvé des éléments de belle minéralité dans ce monde imaginaire développé ici avec Pierre Cendors, des colosses de pierre éboulés et des regards de statue de toute beauté, des sables gris et pulvérulent froid au toucher étouffant les pas, des solitude de pierre... « Que devient-il de l'homme, une fois celui-ci taillé, facetté, pétrifié, s'il est dépourvu d'un substrat originel vivace ? »

C'est un texte tellement dense que plusieurs relectures ne suffisent pas à en savourer toute la profondeur et la richesse. Chaque phrase peut être lue et relue, sans exception. Sans doute faut-il être habitué aux écrits de Cendors pour y déceler des liens avec toute son oeuvre et y retrouver une certaine réminiscence de ses thèmes de prédilection (nous trouvons par exemple l'Enigmaire dans ce récit qui est aussi le titre d'un de ses livres). Je n'ai lu de lui qu'Engeland il y a plusieurs années. Aussi, est-il normal de sentir qu'il me manque des clés pour comprendre totalement cet univers que je pressens gigantesque. Une somme humaine à dimension cosmique dans laquelle « tout – les pensées et les émotions dont nous sommes traversés, leur fracas harassé, harassant, le silence tombal des civilisations passées et à venir – absolument tout, ici-bas, même cette parole, nous touche sans nous atteindre face à l'inexorable roue de feu cosmique en quoi tout se consume ».

« de même que le soleil ne cesse de briller quand il se couche, de même une grande nuit se poursuit continuellement en nous ».

Quelle est notre part de nuit ? Quels sont les morts qui nous hantent, les crimes, réels ou imaginaires, qui nous habitent, les sacrifices objets de nos fantasmes, les errances qui nous sont constitutives ? Qui sommes-nous vraiment lorsque, en pleine nuit, dans la plus extrême solitude, nous perdons notre identité sociale pour revêtir notre part essentielle, primale, primordiale, primitive ? Nos racines ataviques ? « En chacun est toujours autre chose, quelqu'un d'autre, qui le précède ou le dépasse ». de cette facette obscure, la lumière peut-elle jaillir ?

« Tout ce que l'on tue – et dédaigner est tuer, écarter est tuer, éconduire est tuer – tout ce que l'on tue nous lie. Tout esprit, entends-tu, tout être arrachée à son existence, se survie à travers la nôtre, brièvement ou pour la vie. de ces mortes noces naissent inexorablement maux, infamies et folies, plus rarement sagesse et vertu (…) L'être que nous entrainons à la mort, par nos actes et nos non-actes, à peine enseveli, poursuit sa vie en nous. Son spectre continuellement harcèle ou conseille. En nous, il revit ses pires souffrances ; en nous, il s'abîme sans un cri et toute notre âme en retentit. ».

Telle est la quête poétique de Pierre Cendors dans un récit magnétique, féérique et magique, un récit autant aventure universelle que épopée de l'intime, aussi bien déplacement spatio-temporel que voyage intérieur, dans une langue particulièrement ciselée, écho troublant de la voix ensilenciée des ciels lourds et bas, de celle encolérée des vents, de celle ensauvagée de la Grande Nuit. Nous détruire ou entrer en connaissance, telle est l'issue pour calmer nos spectres intérieurs.

Nous sommes dans un empire imaginaire où le rite religieux est voué aux dieux de l'Obscurité et notamment à la Mère sombre, La Nocturne. C'est une religion faite de rites, de sacrifices, de sorcellerie. Kamaal en est à la fois l'impératrice et la prêtresse, celle qui communique avec la Nocturne. Mais ces dieux de l'obscurité sont chassés pour le Soleil, pour l'adoration de la lumière incarnée en un seul être auquel croire. Les luministes contre les adorateurs de l'obscurité, ces derniers n'ont désormais plus voix au chapitre et doivent se cacher. Des exactions sont perpétrées au nom de la foi sur le peuple dont les foyers de dissidence, promptement maitrisés, ont profité au commerce de l'esclavage. Pour avoir sur le tout le territoire que des hommes et des femmes de même obédience, quitte à asservir, bruler, tuer, réduire à l'esclavage. Quand la lumière apporte sang, souffrance et chaos…

Nous suivons l'énigmariste, archiviste de la religion de l'ombre, dernier serviteur de cette religion qui n'est plus. Cette homme-nuit est un nain difforme et laid. Nous le suivons, assistons à ses transformations en différents personnages, découvrons sa quête ainsi que ses rencontres avec les différents personnages du récit, notamment Lumnia, aussi appelée la Moureuse, celle qui sait écouter la voix des morts, reconnaissable à « son odeur sauvagine de musc et de santal, une senteur de feu boisé, d'écorce mouillée, de rémanence résineuse ». Mais aussi Kamaal, prêtresse qui sait capturer les murmures du sacré, dont l'alliance avec la Moureuse représente l'union du sacré et de la mort, l'abolition des frontières entre les vivants et les morts. Il croise sur son chemin le fils de Kamaal, Solunus, jeune homme borgne, dont le père a imposé dans le royaume, après la mort de sa femme, le culte du nouveau dieu de façon brutale. Solunus est un personnage central dans le livre car il est à la croisée des deux religions, la religion vouée à la Nocturne de par sa mère, prêtresse, et la nouvelle religion des luministes de par son père. Il y a conflit en lui et décisions à prendre pour l'une ou l'autre religion. Il y a également la Démaphone, porteuse de flambeau, jeune fille solitaire impénétrable « comme on l'est à cet âge où l'âme, sous sa blancheur d'amandier, se découvre une saveur amère » amoureuse de Solunus.

L'énigmariste est à la croisée de tous les personnages du récit qui ont eux-mêmes tous des liens entre eux, nous sommes parfois dans sa tête, parfois nous le voyons au travers le regard des autres. Il est celui qui fait émerger la lumière des ombres, celui qui donne des clés et qui guide, celui qui permet d'affronter nos ténèbres, celui en qui se mêlent « ce qui nait en ce qui meurt, ce qui vient en ce qui part, celui que je ne suis plus en celui que je deviens, l'homme du non en l'homme du oui – un refus, une fureur, une véhémence intérieure mûrissant l'orage d'où renaissent ces ciels printaniers lavés de fraicheur ».

« Va, ne crains pas de te perdre dans son obscurité ! La nuit, étranger, n'est pas un jour privé de lumière. Dit-on du jour que c'est une nuit qu'éclaire l'astre solaire ? La nuit que tu crois connaitre, Solunus, n'est que l'orée d'une plus grande nuit. Vaste son étendue, sans fin son nocturne ondoiement océanique dont le jour n'est qu'un affleurement sableux, un îlet, une escale rythmant cette traversée qui obscurément se poursuit au revers de notre vie. La Nuit, fils de Kamaal, essaime en silence, et ses travailleuses ramènent des noirs vergers un nectar dont elles secrètent un miel au gout soleilleux autant que ténébreux ».

Le récit est une fable fantastique dans laquelle l'amitié, la religion et ses fanatismes, la quête intérieure, la porosité entre le royaume des vivants et le royaume des morts, les silences et les retraites solitaires, la vie post-mortem et la mort ante-mortem prennent sens. Il y a un entrelacement troublant du temps, le passé dans le présent, l'avenir dans le présent, la mémoire d'un avenir, un « sous-venir » ou « le venir de la mort sous la vie ».

Le style est flamboyant et travaillé minutieusement, érudit, c'est de la dentelle très fine, aux fils de soie d'une rare qualité, superbement ajourée, aux entrelacs complexes et subtils, une toile d'araignée délicate qui luit et vibre dans l'obscurité. Les mots sont précieux, rarement usités, et au milieu de la poésie en prose, Cendrors ose transformer les verbes en noms, jouer avec les mots et les noms propres des personnages et des lieux (La Moureuse, association d'amoureuse et de mort ; le Démaphone, la voix du daimon, la ville de Solombros)…Notons d'ailleurs que le nom de famille de l'auteur est prémonitoire, Cendors, pour celui qui sait si bien transformer la cendre en or…Malgré cette complexité, le livre se lit d'une traite tant la fable est passionnante et belle. Elle émerveille de ses beautés, de ses trouvailles, de ses sens cachés à dénicher tel le chercheur d'or. Je ressors de L'homme-nuit transformée et travaillée, avec davantage de lumière intérieure qu'au début de ma lecture.

Notre âme est tel un lac sombre qui, au fur et à mesure de la lecture, devient d'une transparence cristalline tant elle boit et se nourrit du ciel de Pierre Cendors, de sa poésie et de sa sagesse.


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Exploration, à nouveau, des solitudes nocturnales, mythiques et magiques ; poétique spéculation (jeu de miroirs et de dédoublements autant qu'hantée méditation) sur notre part obscure, les morts qui nous hantent, les sacrifices qui nous tentent, les fuites qui sont cette vérité de l'être que, de livres en livres, Pierre Cendors poursuit. Dans un empire imaginaire, les dieux de l'obscurité sont chassés au nom de la lumière, celui qui en est le secret archiviste, l'énigmariste, est pourchassé, nous suivons ses métamorphoses, sa quête d'une nuit où se franchir. Somptueux roman, L'homme-nuit embarque son lecteur dans ce récit d'aventure autant que d'exploration intime où fantômes et dieux absents disent l'obstinée lumière de l'obscurité.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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Épique et intime, un autre énigmaire, nimbé de fantasy, où le religieux et le métaphysique se dissolvent savamment dans le mythe et dans la puissance pure des récits qui bifurquent.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/07/11/note-de-lecture-lhomme-nuit-pierre-cendors/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Qu'importe mon nom. Je l'ai moi-même rarement prononcé. Les puissants de ce monde préfèrent ignorer ceux de ma sorte. Ils se défient d'une nuit à visage humain, une nuit qui n'est que l'écho de l'autre, la ténèbre originelle, la Grande Nuit, celle d'une chambre nuptiale au silence funéral, règne de la reine noire, la déesse sombre - la Dea Obscura.
Gouverneurs, nobles et intendants, tous détournent leur crâne dégarni, leur cou vulturin, leurs mains alourdies de gemmes, en me montrant le dos. Ils me rangent là, avec leur propre ombre, parmi les bêtes et les esclaves, avec tous ceux qui, pour avoir un jour réellement existé, n'eurent de réalité pour personne.
(Incipit)
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La première rencontre d’un ami est une apostasie : on quitte sa religion pour celle de l’autre. On l’embrasse avant même d’en connaître rites et coutumes. Je me suis d’abord reconnu en lui. Il était nain ; j’étais borgne. Il avait l’allure calme et frustre de l’arbre à forte ramure ; j’étais tout en gestes inachevés, en rejets, en surgeons impatients. Les racines couraient en surface, les siennes plongeaient sous le roc qu’elles scindaient.
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Je sais du corps des femmes, n'en ayant touché aucun, ce que nombreux ignorent, qui souvent ont étreints. L'un possède l'admirable régularité d'un palais dont la souveraine, toutefois, est absente ; un autre, dépourvu de grâce, excite animalement l'intérêt ; la plupart n'ont que le printemps pour richesse, très peu s'ennoblissent à l'été ; l'automne en glorifient seulement quelques-uns.
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Tout ce que l’on tue – et dédaigner est tuer, écarter est tuer, éconduire est tuer – tout ce que l’on tue nous lie.
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Vidéo de Pierre Cendors
Extrait de l'intervention de Pierre Cendors au Café littéraire" de Bollène pour son roman "ENGELAND " (Editions Finitude) le 13 mai 2011.
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