"Sans frontières, parfois sans nom, nous ne régnons pas, nous allons" : monstrueux de subtilité et de poésie, un labyrinthe science-fictif et tarkovskien pour réinterroger la possibilité puissante de l'art après Ravensbrück
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/02/09/note-de-lecture-lenigmaire-pierre-cendors/
Même s'il a fallu ici prendre pour faux guide occasionnel le «
Little Nemo » de
Winsor McCay, s'il a fallu composer avec des tropismes arctiques et de mythiques communions avec la nature ré-ensauvagée (les loups de
Baptiste Morizot ne sont pas si loin, la souille de
Michel Tournier est étonnamment proche, c'est bien dans la discrète création et rusée mise en place d'un langage ad hoc, d'un vocabulaire aussi spécifique que savoureux (processionner, croailler, colériser, ultième, courre, décousure, mutité, surrection, charogner, encolérer, irrassasié, géniture, vacarmer, falaiseux, larmer, passée, récifal, cimetièral, inexister, apâli, plumifère, ondant, cortéger, inemploi, néantes, chaoticien,…) que peut s'opérer au fil des pages l'appréhension du monde flottant qui est ici l'enjeu de toute magie analytique.
Non pas un bardo volodinien, mais un ukiyo, et pour tenter de saisir ce monde flottant, le cheminement des artistes a autant d'importance – ou davantage – que leurs oeuvres proprement dites : c'est ainsi que l'air guitar et les musiques fantômes, sans instruments, comme en écho au « Manger fantôme » de
Ryoko Sekiguchi, peuvent pleinement jouer leur rôle, dans la fiction comme auprès de nous, lectrice ou lecteur. Les riches lectures des oeuvres antérieures de
Pierre Cendors effectuées par ma collègue et amie Marianne, sur ce même blog, que ce soit celle de «
L'homme caché » (2006), d'«
Engeland » (2010) ou des «
Archives du vent » (2015) – et de son proto-making of en parallèle, « L'invisible dehors »), comme, presque paradoxalement, les boucles hypnotiques du
Gabriel Josipovici de «
Goldberg : Variations », pointaient dans une direction presque indicible, aujourd'hui, celle qu'exprime avec une ferveur éblouissante cet « Énigmaire » : c'est bien notamment par le parcours discret – voire secret – d'artistes réels et, plus encore, d'artistes imaginaires, que peut se conjurer, encore et encore, l'interrogation fondamentale de Theodor W.
Adorno sur la possibilité de la poésie (et de l'art) après Auschwitz (ici, en l'espèce, après Ravensbrück), et que prend tout son sens la citation centrale, rappelée ailleurs aussi par le grand
Hans Magnus Enzensberger, attribuée au général Hammerstein dont les filles étaient totalement engagées dans la résistance anti-nazie, sous sa bienveillante ignorance : « La peur n'est pas une vision du monde ». Et c'est ainsi que
Pierre Cendors, dans la solide dureté d'une prose poétique à facettes, nous autorise un réenchantement aussi secret que d'abord improbable.
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