Lorsque l'algorithme sera monté à la tête du surpuissant ultra-riche, que faudra-il pour l'en faire redescendre ? Un thriller acéré et artistique dans un monde de nouveaux paradigmes qui s'essaient au triomphe.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/09/28/note-de-lecture-
la-vengeance-des-perroquets-pia-petersen/
Quel est le lien entre ce prisonnier au secret, manipulé dans quelque Guantanamo qui ne dirait pas tout de suite son nom, évoluant désormais au bord de la folie, et cette artiste peintre franco-scandinave devenue en quelques années le must portraitiste des rois de la Silicon Valley ? Y aurait-il par là l'ombre du puissantissime Henry Palantir, multi-milliardaire propriétaire de Vision Technologies, idéalement située au confluent du numérique et de la sécurité, incontournable interlocuteur des gouvernements (surtout américain) comme des investisseurs financiers, et dernier client en date – à la commande encore en cours – de l'artiste Emm
a ? Dans un monde contemporain brutalement ramené à ses dimensions les plus étroites par la pandémie qui s'abat, recréant instantanément des frontières « en dur » là où tout était si soft, monde où peuvent s'évanouir dans la nature des professeurs de Stanford spécialisés en éthique numérique, monde où peuvent aussi ployer les résistances juridiques face à de nouveaux monarques absolus, monde où les algorithmes voient dissimulée leur nature profonde de perroquets stochastiques dans d'insondables boîtes noires (ce que les titres des chapitres nous rappellent avec élégance et malice), il faudra peut-être que des solidarités artistiques et réticulaires inattendues voient le jour, pour qu'une colère indispensable s'exprime.
Publié en août 2022 dans la collection Equinox des Arènes, trois ans après «
Paradigma » (dans la même collection) qu'il prolonge et amplifie par bien des aspects, le douzième ouvrage de
Pia Petersen appuie en beauté là où cela fait bien mal. Jouant à la perfection des motifs ultérieurs et psychotiques des ultra-riches, à l'image du «
L'invention des corps » de
Pierre Ducrozet ou du « Agora zéro » d'Éric Arlix et
Frédéric Dumoulin (voire, dans une tonalité plus « insider », ouverte au regard initial d'artiste mis en scène ici, du «
Ada » d'
Antoine Bello), ce thriller policier à la composition technique largement inhabituelle pénètre l'environnement des algorithmes et du langage qu'est le code à la manière d'un Hugues Leroy ou d'un
Neal Stephenson, mais y traque avant tout la mutation (incarnée dans les fantasmes d'un dominateur – figure actualisée du vampire tout juste métaphorique qui hantait déjà le «
Jack Barron et l'éternité » de
Norman Spinrad en 1969) d'un complexe militaro-industriel qui n'est plus celui projeté avec ironie par le jeune
Kim Stanley Robinson de «
La Côte Dorée », mais bien celui qui se nourrit désormais de surveillance généralisée, de deep learning, de mass recognition, de sociétés militaires privées et de sécurités intérieures gangrenées. Dans cet envers du décor principal, en jus de goyave à volonté et en espace agencé perpétuellement convivial, de la Silicon Valley, ce sont bien les motifs de l'
Alain Damasio des « Furtifs », du
Benjamin Fogel de «
La transparence selon Irina » Oou du
Stéphane Vanderhaeghe de «
P.R.O.T.O.C.O.L. » qui triomphent : comme le rappelle fort justement
Wu Ming 1 dans son tout récent «
Q comme Qomplot », il n'y a nul besoin de conspiration et de conspirationnisme pour qu'un changement de paradigme se produise. le techno-capitalisme y est prêt, quasiment en permanence, n'attendant que d'exercer son véritable métier de saisie d'occasions profitables pour les actionnaires : les véritables résistances face à cet état de fait sont encore largement à inventer, comme le souligne le Slavoj Žižek de « Dans la tempête virale », et
Pia Petersen nous y offre une foudroyante incursion par les street artists et les hackers numériques, désabusés mais pas dupes, combattants depuis le pied de la colline, certes, mais néanmoins parfaitement déterminés.
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