Assez déçu par ce roman, après ma lecture enthousiaste de
Cristal qui songe, du même auteur.
Là encore, une fable ou presque, des personnages atypiques et torturés, de la morale et des dilemmes.
Dans un décor de campagne et de petite ville qui n'est pas sans rappeler celui de
Demain les chiens, de
Simak, nous suivons une poignée d'enfants asociaux, bizarres ou dotés de pouvoirs psychiques.
Le récit s'étire sur une dizaine d'années et se divise en trois parties bien nettes de cent pages chacune. Trois actes, pourrait-on dire.
J'ai retrouvé ce style inimitable, cette plume toute en sensibilité, parfaitement taillée pour traiter des sujets fétiches de l'auteur. L'écriture est économe et le plus souvent agréable, parfois poétique. de nombreux effets la rendent spéciale et élégante, comme le recours aux ellipses. Ces effets sont parfois de trop et gênent la compréhension.
J'ai trouvé que l'écriture péchait surtout dans l'intrigue et la construction du récit.
Sur le découpage, rien à redire. La première partie présente l'ensemble des protagonistes. La suivante suit le point de vue (et le récit) d'un garçon. La troisième fait de même pour un autre garçon.
Mais que l'histoire est tortueuse !
La difficulté dans la première partie vient de ce que les différents personnages – et ils sont assez nombreux – nous sont présentés par bouts de séquences non homogènes en nombre, en taille et en forme. Chacune récit ressemble à une petite nouvelle et se lit plus ou moins aisément, mais rassembler le tout pour voir où l'auteur veut nous emmener est assez ardu. Enfin, bon an mal an, on arrive à lier le tout avant la fin de ce premier acte.
Les deux autres parties sont très différentes de la première, et étonnamment similaires entre elles dans la narration, puisque dans chacune on suit un jeune homme dont le récit nous est conté par l'entremise d'une séance de psychothérapie visant à lui faire retrouver la mémoire.
Je n'ai pas compris l'intérêt du procédé narratif. En l'occurrence je l'ai trouvé artificiel et inutile. Par contre, pour ce qui est de rendre la lecture fastidieuse et confuse, c'est gagné ! Non seulement les tranches de récit arrachées dans ces deux parties sont nombreuses, mais elles arrivent aussi dans un ordre pas toujours chronologique, avec des ruptures de temps. J'ai perdu le fil plus d'une fois. Maigre satisfaction : la conduite plutôt bien menée de ces séances psy (surtout celle de la seconde partie).
Globalement, je trouve les choix narratifs plutôt douteux, avec un résultat cher payé pour proposer quelques réponses en différé. D'autant que le suspense sonne souvent faux, avec l'usage récurrent de la technique « tourner autour du pot ».
Ces lacunes me rappellent un travers de l'auteur que j'avais observé dans la dernière partie de
Cristal qui songe : la forte redondance du récit avec des personnages qui passent leur temps à raconter aux autres ce qu'ils ont vécu. Au moins dans cet autre roman, le récit restait parfaitement linéaire.
Ensuite il y a l'histoire proprement dite et les thèmes abordés. Et là aussi, j'ai été déçu.
Ça partait très bien je trouve, avec les premières intrigues qui posent bien l'ambiance, tragique.
Ensuite, on finit par comprendre le schéma, l'idée, avec cette poignée d'enfants rejetés qui vont s'unir à leur façon. Et tour à tour les parties 2 et 3 vont compléter le récit.
Mais au moment de refermer le livre, je ne suis pas certain d'avoir compris le message, ni même qu'il y en ait un précis. Cette lecture me laisse la sensation désagréable que l'auteur nous a embarqués dans les méandres de son imagination fertile sans scénario clair.
Le thème de l'équipe aux pouvoirs complémentaires est central (impossible de ne pas penser aux superhéros), mais, paradoxalement, il n'est jamais traité directement, comme si ce n'était pas le sujet principal (et en effet je ne crois pas que ce le soit). Il y a bien quelques séquences d'action – croustillantes d'ailleurs – mais vraiment, ce roman n'est pas le genre de divertissement surfant habituellement sur ce thème.
Le thème philosophique de la Gestalt mixé avec le thème de la nature de l'individu au sein de la société (on n'est pas loin du thème de la ruche), cela c'est la grande originalité du roman. L'auteur brode tant qu'il peut sur ce sujet. Et pourtant, j'ai eu le sentiment qu'il n'était pas allé au bout de son raisonnement. On a l'impression qu'il pose un concept, applique dessus quelques idées générales du type limites / perspectives, et c'est à peu près tout.
On retrouve le thème, cher à l'auteur, des personnages asociaux qui peinent tout au long de leur existence. Un aspect particulièrement réussi. Par contre, j'ai trouvé qu'il ne profitait pas vraiment de l'intrigue générale autour du thème du dépassement de l'humanité. La synergie entre les thèmes fonctionnait bien mieux dans
Cristal qui songe.
Quant au dénouement, vite expédié, peu original et assez plat, il m'a laissé de marbre…
Le titre est bien trouvé. Avec sa polysémie, il rend parfaitement compte des thèmes traités par l'auteur : plus qu'humains grâce à leurs pouvoirs, plus qu'humains parce qu'en tant que Gestalt, ils les transcendent. Plus qu'humains car malgré leurs handicaps, ils vont chercher et réussir à s'élever, tandis que les humains pour la plupart les rejettent ou les exploitent.