Quand on a soi même écrit près de 500 chansons dont certaines ont fait le tour du monde, reprises par des dizaines d'interprètes et pris des couleurs universelles, il est légitime de se pencher sur les chansons des autres, celles que l'on écoute pour en livrer des clés de lecture intimes ou non.
Les chansons de
Bob Dylan sont des histoires ouvrant les champs du possible, emportant les auditeurs vers des mondes insoupçonnés où le remord se mêle au désespoir où l'amour est omniprésent où les héros ne sont jamais fatigués, où les femmes ne subissent pas les contraintes de la religion, où l'espoir n'est jamais loin malgré les défaites.
On se souvient du héros de Tom Thumb's Blues, sous la pluie à Juarez, incapable de célébrer la Pâque de l'amour à Saint Annie, rejeté par Melinda une femme vénale, malade sans que son ami médecin ne puisse diagnostiquer son mal, résigné et repartant pour New York parce qu'il en a eu marre.
Des centaines d'histoires analogues, mais aussi des hymnes à des héros détruits par la société, Davey Moore,
Rubin Carter dit Hurricane, Georges Jackson et tant d'autres...
Des hymnes cultes, All along the watchtower magnifié par Jimy Hendrix, Knocking on heaven's door repris par Gun's and Roses pour enflammer les salles du monde entier, la fuite amoureuse éperdue de Tangled up in blue...
Mais aussi des prémonitions, la stupidité des fake news dès 1974 avec Idiot Wind par exemple.
Le livre que nous propose Dylan aujourd'hui est un très beau livre, un cadeau de dylanophile à des dylanophiles (il n'y a pas de genre attaché à ce terme). Les commentaires sont illustrées de photos des chanteurs et des groupes, de timbres, de publicités, de photos d'objets, d'affiches de cinéma ou de concerts
Une ode au disque vinyle qui s'ouvre sur une photo en double page où l'on assiste à la mise sous pochette des précieuses galettes noires. Tout un univers disparu.
Je n'ai pas résisté à la liste des chansons passées au scanner par l'auteur.
Ce n'est pas un livre qui se lit de la première à la dernière page, mais un livre marelle, le blister défait, je me suis précipité sur mes chansons favorites en commençant la lecture dans l'ordre suivant 189, 53, 305, 165, 171, 149,195, 237.
189 - Blue suede shoes de Carl Perkins et ses premiers vers obscurs "There's 1 for the money, 2 for the show, 3 to get ready, now run get go, but don't you step on my blue suede shoes." le message est évident nous dit Bob, tu peux faire ce que tu veux de moi mais surtout ne touche pas à mes pompes. Les pompes, refuges du rocker qui ne peut se payer une voiture mais consacre ses économies et son énergie au cuir de ses chaussures. Des chaussures siglées. Une histoire de la pompe dans le rock accompagne le commentaire de cette chanson avec l'anecdote de cet apparatchik de la Tcheka qui répond à
Lénine, pour connaitre le nombre de personnes exécutées par mes services comptez le nombre de chaussures et divisez par deux !
53 - My generation des Who est "une chanson qui ne fait pas de cadeau" ; l'hymne d'une génération qui ne veut ni être comprise ni être représentée. Vous boomers, enfants de la Génération grandiose s'interroge Dylan, qu'avez vous fait de votre héritage ? Pete et Roger s'entendent à merveille pour faire passer un non message, "la crainte est probablement l'élément le plus honnête de la chanson"
Iconoclaste ?
305 - On oublie qu'avant d'être popularisée par the Animals, Don't let me be misunderstood a été écrite pour
Nina Simone. Malentendus et quiproquos pour cette chanson d'un jeune prodige. "C'est insupportable d'être mal compris"
Dylan embraye sur les contresens ou les faux sens commis par les traducteurs. L'incipit de l'étranger le fameux "Aujourd'hui, maman est morte" a été traduit en anglais "Mère est morte aujourd'hui" très loin de l'intimité suggérée par la phrase originale.
Il poursuit avec les différences entre le passé simple et le passé composé du français comparés aux temps anglais. Il appelle à la rescousse
Henri Estienne et même Zamenhof l'inventeur de l'espéranto, pour conclure "Je ne voudrais pas être mal compris"
Le clou du livre est le voisinage entre 165 - Volare de Domenico Modugno : "Attention à ne pas voler trop haut" ; "Quelques doux murmures intimes, un instant d'exultation, puis un intermède récitatif et enfin une touche de mélancolie qui se passe de traduction." ; et 171 - London Calling des Clash "Le punk rock est la musique de la frustration et de la colère (mais les Clash font exception) la leur est celle du désespoir" "Clash se moque de the Fool on the Hill des Beatles et vous allez prendre un coup de matraque sur la tête pendant que vous chantez Hey Jude"
En lisant ces commentaires après avoir réécouté ces chansons on se prend au jeu de la découverte, genre : je n'avais pas vu tout ça dans cette chanson, j'y retourne immédiatement.
Vous l'aurez compris, Dylan déploie sa connaissance de la musique rock des dernières décennies mais aussi sa connaissance de l'histoire, de la littérature, de la philosophie européennes. Ses commentaires sautent du coq à l'âne, manient l'humour et l'ironie, mais nous ramènent toujours à l'essentiel la chanson qui leur tient lieu de support.
"Strangers in the night est la chanson du loup solitaire, de l'étranger, l'outsider, l'oiseau de nuit (...)"
La prochaine fois je vous parlerai de 237 - Blue Moon, et de 195 - My Prayer.
Et aussi de toutes les autres, 66 au total...
Merci