En restituant la vie d'Alexandra David, devenue Alexandra David–Neel,
Laure Dominique Agniel nous entraîne dans une fabuleuse histoire humaine celle d'une femme libre.
Quand sa mère prononce cette funeste réalité, "c'est une fille !" Ce jour-là le sort d'Alexandra est scellé, elle sera d'abord une rebelle.
Son prénom de naissance, Louise, elle ne le portera pas, et ne sera pas non plus ce prêtre, encore moins cet évêque divinement espéré, par sa mère.
Quel destin, puisque page 16
Dominique Agniel nous restitue, "tout déplaisait à ma mère, en mon père, et je lui ressemble tant. Je suis la fille de l'homme qu'elle n'a pas aimé, malgré le sang et le lait dont elle m'a nourrie. Je suis un parasite qui a grandi en elle…"
Sans avoir à faire l'éloge de l'anticonformisme, sans avoir à faire de fortes déclarations, Alexandra va incarner peut-être au plus haut degré du féminisme imaginé par les femmes au début du XXe siècle, un féminisme irréductible et une incroyable exploratrice des peuples qu'elle va peu à peu apprivoiser.
Alors pourquoi se marier ? Il la voulait mariée, n'est-ce pas une bonne raison, mais elle, elle voulait être indépendante, et à cette époque, pour avoir accès à la banque il fallait être mariée.
Elle choisit donc de donner son accord à Monsieur Philippe Neel, s'empressant de lui dire je vous avais prévenu. Les quinze jours de mariage fougueux laissaient planer un espoir pour Philippe.
Ce sera presque un mariage blanc, un mariage crème, vu de loin, vécu de très loin. Seule leur correspondance maintiendra un lien d'affection et d'admiration entre eux. Elle voulait former un couple moderne inédit à la fois dans le monde du spectacle et parmi les explorateurs, il sera le mari idéal, totalement transfiguré en, "le meilleur des maris et mon seul ami", jusqu'à l'échéance finale puisque Philippe Neel décédera bien avant son époux en 1941.
Ironie de l'histoire elle franchira le cap des 100 années, encore une première dans le domaine du féminisme.
Avec une allégresse toute printanière, j'ai pu déguster toute sa carrière de chanteuse d'opéra. Faute d'écouter sa voix, j'aurai avec elle, visité de nombreuses capitales. Elle fera une brillante carrière, et ce sera pour Philippe le plaisir de l'écouter, subjugué par son talent.
Conduite par sa conviction que "L'obéissance c'est la mort ! Chaque instant dans lequel l'homme se soumet à une volonté étrangère est un instant retranché à sa vie"p 53 . Elle fera le pas de plus pour quitter la scène et entrevoir l'Extrême-Orient.
"Seule sur le pont, Alexandra s'éloigne du monde des humains pour entrer dans un domaine où le temps et l'espace n'ont plus la même valeur", dit-elle P 44. Par ces paroles elle ressent la fin d'une vie et le début d'une autre.
Pour avoir moi-même découvert les cultures d'Extrême-Orient, je peux imaginer le choc que fut pour cette ardente personne, de découvrir une autre relation à la nature, à l'espace, et vivre la spiritualité au rythme des saisons, au coeur des montagnes les plus austères, où n'habitent plus que les silences.
Elle deviendra la journaliste que nous connaissons aujourd'hui à travers les ouvrages où elle retrace toutes ses conquêtes d'un monde nouveau, d'une autre vision du rapport de la femme à la nature.
C'est aussi dans ce contexte Extrême-Oriental qu'elle va rencontrer ce jeune si doué, Yongdeng, qui deviendra malgré l'hostilité de Philippe son propre fils adoptif, qui participera ensuite à ses nombreux voyages.
Elle deviendra aussi celle qui enrichira les collections du musée Guinet.
Après avoir lu et parcouru avec
Laure Dominique Agniel la vie de Gauguin, j'ai admiré l'élégance de ses propos pour traduire avec un regard neuf, le modeste train de vie d'un peintre novateur, dépoussiéré d'images éculées d'un Gauguin vivant comme un pacha entouré de ses femmes, pour ne pas dire de son Harem.
"Jésus vivait dans un rêve mais il était grand. Ils l'ont trahi ! S'indigne le jeune peintre, page 38". Cette phrase s'accorderait pleinement au parcours que trace
Laure Dominique Agniel, lorsqu'elle reprend les écrits de la féministe, pleinement consciente, aussi bien du message vrai du christ, que de celui enseigné par les lettrés de Chine.
Avec beaucoup de subtilité, sa biographie restitue entre guillemets, les phrases authentiques prononcées ou écrites par Alexandra Neel.
Ce livre est un bijou, qui de surprise en surprise, ouvre pour le monde féminin de bien belles perspectives. Car ces perspectives ne sont pas intellectuelles mais vivantes, pratiques, charnelles, ce sont celles d'une femme libre.