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Gabriel Iaculli (Traducteur)Gojko Lukic (Traducteur)
EAN : 9782070756261
144 pages
Gallimard (18/04/2002)
4.42/5   6 notes
Résumé :

Un professeur de lettres entre deux âges, juif belgradois, célibataire, est amené à fouiller les archives et à explorer la période de la Seconde Guerre mondiale qui a vu disparaître presque toute sa famille, au point que la cime de son arbre généalogique se trouve réduite à quelques branches malingres et presque sèches. Au cours de ses recherches, il trouve la trace de Goetz et de Meyer, deux je... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Parvenu à la cinquantaine, un professeur belgradois éprouve le besoin de de combler les vides de son arbre généalogique. Il ne s'est jamais marié, n'a pas d'enfants ; il "sait où la vie le mène, il ne lui reste plus qu'à savoir d'où il est sorti".
Ses parents ne lui ont pas parlé de leur passé et ses connaissances sur la Shoah se limitaient jusqu'alors aux informations générales diffusées par les manuels scolaires, les livres d'histoire, le cinéma ou la littérature, rien n'indiquant que cette histoire le concernait.

Or, presque toutes les membres de sa famille, du côté maternel comme paternel, ont péri lors de l'Holocauste : lui qui devrait pouvoir se vanter d'avoir soixante-sept parents proches n'en a plus que six. Hantant alors les archives et les bibliothèques, il découvre qu'ils sont probablement morts sur les routes de Belgrade, dans les camions conduits depuis le camp de la Foire des Expositions de Belgrade où avaient été parqués les juifs qui s'étaient fait recenser, vers le charnier de Jajinci.

Au volant des camions, les sergents chefs SS Goetz et Meyer, recrutés pour exterminer les femmes, enfants, et vieillards juifs de Serbie (les hommes furent fusillés). Une mission réalisée à l'aide de ces dušegupka inspirés des véhicules conçus pour le programme "Euthanasie" appliqué aux malades mentaux, le monoxyde de carbone pur ayant été remplacé par le gaz d'échappement du moteur. Une solution moins coûteuse et donnant à l'intérieur du camion un "air tout à fait innocent".

"Avouons qu'il est difficile de rester insensible à tant de prévenance."

Si sa démarche a d'abord pour but de redonner corps à ses aïeux disparus, le narrateur se prend très rapidement d'un intérêt obsessionnel pour Goetz et Meyer, éprouvant le besoin de rendre les bourreaux réels, palpables, pour se faire une idée juste de ses parents en redonnant à leur calvaire sa dimension concrète.

Seulement, et il le répète inlassablement, il ne les a jamais vus, alors il ne peut que les imaginer, les créer à partir de souvenirs aériens, de mémoires incertaines et de fragiles documents d'archives.

Il se lance ainsi dans une entreprise fantasmagorique et intime de reconstitution de ces deux figures qui se fondent en une entité commune. Il se représente des détails de leur vie privée, leur invente des rêves et des ambitions, des goûts et des manies. Il retranscrit les conversations menées à bord du camion, banales et anodines. Il imagine que l'un, dont les rêveries sont d'abord troublées par les bruits coups sourds et les cris étouffés qui leur parviennent lorsqu'ils ouvrent les fenêtres, finit par ne plus les entendre. Il les suppose de bonne humeur, dénués d'idées noires mais pourvus d'un bon appétit. Leurs nuits ne sont pas hantées de cauchemars, aucune crise de conscience ne les perturbe.

"…ils sont la preuve qu'Himmler avait raison en affirmant qu'un procédé plus humain de mise à mort atténuerait la tension psychologique ressentie par les membres des groupes d'intervention…"

La proximité que crée le narrateur avec ces figures qui deviennent si prégnantes qu'il finit par les voir et par dialoguer avec elles, instille chez le lecteur un troublant malaise, exhaussé par l'ironie cruelle et constante qui imprègne le texte, où s'insèrent données comptables et considérations mécaniques témoignant d'un pragmatisme de l'horreur (combien de temps faut-il, selon le diamètre d'un tuyau d'échappement, pour asphyxier une trentaine de juifs ?), et où il est admis que Goetz et Meyer, non, n'avaient rien à se reprocher : ils étaient très consciencieux…

L'obsession du héros pour les deux sergents chefs révèle de manière poignante la quête désespérée d'un sens sans lequel il devient impossible de continuer à vivre. Car quelle sorte d'homme est celui qui accepte d'accomplir un devoir qui implique la mise à mort de cinq à six-mille âmes ? Comment justifier l'existence même d'un système qui se consacre à déterminer les manières les plus rentables d'exterminer des individus sans jamais remettre en cause la légitimité du paradigme à l'origine de cet objectif ?

Dépositaire d'un deuil d'autant plus difficile à dépasser qu'il résulte de la manifestation inconcevable d'un mal pourtant bien réel, se perdant dans ses tentatives pour pénétrer le traumatisme personnel et familial au-delà des données collectives de l'Histoire, le héros glisse vers une forme de démence.

Convaincu qu'en cherchant le sens des points d'interrogation de son arbre, il trouverait le sens du point d'interrogation qu'il est devenu, il réalise n'être en réalité qu'une fin de lignée, "une pomme ridée au bout d'une branche fanée d'un arbre desséché", un homme brisé "fait d'une multitude de petits carrés vides où jamais aucun mot ne sera inscrit".

"Il y a des choses que l'on n'arrive jamais à comprendre, et mieux vaut peut-être qu'elles demeurent ainsi, que l'absurde soit leur seul sens. Par exemple un groupe de gens se met autour d'une table et prend la décision de détruire tout un peuple."

Un texte fort, original, désespérant.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Un livre que l'on ouvre et on se retrouve en apnée jusqu'à la page finale ... pas de chapitre, pas de paragraphe.
Un livre qui nous parle d'un monde où "chaque individu est un univers particulier".
Un livre qui nous raconte une histoire où "neuf mille cinq cents univers passent de l'état solide à l'état gazeux".
Un livre qui évoque pour nous une dusegupka "littéralement, en serbe : "lieu où les âmes sont mises à mort", nom donné aux camions à gaz".
Un livre qui nous démontre calmement et froidement que le camion à gaz est l'outil le plus adapté, le plus économique, le plus conforme "au progrès de la pensée scientifique" .
Un livre où on découvre qu'on peut mourrir deux fois, une fois "dans les ténèbres d'un camion, ne désirant que de l'air pur", la seconde "sur un amoncellement de cadavres, ne désirant que le repos" en attendant d'être brûlés.
Un livre où nous faisons ke dernier voyage en accompagnant Adam, de son appartement que l'on quitte et où tout est bien rangé, pour partir en car vers la prochaine étape, le camp où s'instaurera la routine avant d'être "transféré" ou "traité" selon le vocabulaire de Goetz ou de Meyer.
Un livre où l'on apprend qu'il est préférable d'insuffler lentement et progressivement le gaz car alors les prisonniers meurent dans un demi sommeil, au lieu de subir des convulsions et d'expulser des vomissures et des excréments, ce qui compliquaient la tâche des nettoyeurs.
Un livre dont je suis sortie avec comme devoir pour demain ".. écrire une composition, "sur le thème : aujourd'hui je suis quelqu'un d'autre" à vous de choisir ... Adam, le commandant Andorfer, Goetz, Meyer ...
Un livre où on apprend que le suicide n'est pas un acte de lâcheté mais "le droit de choisir le dernier moment de sa vie".
Un livre qui souhaite répandre "la semence de mémoire", "une semence qui ne donnerait pas de fruit, mais qui, si elle était tombée sur un sol fertile, empêcherait du moins la croissance des mauvaises herbes de l'oubli".
Un livre qui fait mal ... très mal ... mais l'horreur doit être digérée et la mémoire ravivée aujourd'hui... demain et après demain.
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Un roman passionnant sur le fond, l'Holocauste et le problème de la responsabilité, la question torturante du bien et du mal.
Un roman déroutant par sa forme qui flirte avec l'humour noir, une ironie dévastatrice et même le ridicule.

Un texte provocant chez le lecteur une quasi apnée, un quasi étouffement par la particularité de l'écriture et par le choix d'un paragraphe qui court sur plus de 100 pages.
Le roman se situe à Belgrade, dans un passé assez proche mais non daté.
Le narrateur un juif professeur de lettre dont pratiquement toute la famille a disparu dans les camps, est amené à faire des recherches sur son passé et celui de sa famille.

Ses recherches dans les archives sont décevantes mais il a trouvé un petit fil rouge, deux SS envoyés d'Allemagne pour leur compétence particulière, conduire et faire fonctionner un camion transformé en chambre à gaz. Ils sont mutés à Belgrade pour leur « savoir faire »
Goetz et Meyer, deux SS que David Albahari transforme en une seule entité « Goetz et Meyer »

Le narrateur tente de comprendre ce qui s'est passé, de comprendre qui étaient ces deux hommes qui ont participé à l'élimination de sa famille et à celle de cinq mille juifs de Serbie.

Cette enquête tourne à l'obsession et le narrateur frôle parfois la folie par la difficulté a retrouver trace de sa famille et au fur et à mesure qu'il découvre les faits, les noms, les chiffres.
Pourquoi « Goetz et Meyer » ont-ils participé au Génocide ? Comment ont-ils fait pour supporter cela ? Voir des femmes, des enfants, des vieillards, monter dans ce camion, leur sourire, faire « comme si » il s'agissait d'un petit voyage anodin puis débarrasser le camion des corps, nettoyer le tout et … recommencer.
Sont ils inconscients ? Sont ils des modèles d'obéissance ? Sont-ils des monstres ?

A la lecture de tous les livres sur l'Holocauste, les questions lancinantes sont toujours les mêmes : pourquoi, quel homme peut faire cela, qu'est-ce qui me différencie de tels hommes, qu'aurais je fais dans les mêmes circonstances …
Que reste-t-il aux survivants ? J'ai pensé à plusieurs reprises au livre de W.G. Sebald Les émigrants, en lisant ce roman.
David Albahari livre ici un roman d'une très grande force qui ouvre la porte aux interrogations, à l'incompréhensible, à l'inhumain.

J'ai été bouleversée par ce roman. Tout d'abord parce qu'il évoque, ce que j'ignorais totalement, l'existence de camps en Serbie, et parce que quand on dit Holocauste on ne pense pas forcément à ce pays.
Un roman sombre bien entendu mais qui palpite pourtant de vie, une vie douloureuse certes mais la vie « malgré tout ».
Il plonge le lecteur dans un magma brûlant le contraignant à courir devant les coulées de lave qui déferlent.
Sa façon de transformer ces deux hommes en une seule entité « Goetz et Meyer » les liant définitivement car ils sont les « rouages d'un vaste mécanisme »

Les témoins de l'Holocauste sont en train de disparaitre et il est indispensable que des voix reprennent ce récit, empêchent l'oubli.

Un grand et beau roman qui date déjà de 2002, alors un grand merci à Passage à l'Est qui me l'a fait connaitre et qui a initié cette lecture commune avec Patrice.

Lien : http://asautsetagambades.hau..
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138 pages, d'un seul tenant,   à peine de la ponctuation, un point de temps en temps. J'en fais une lecture hachée, pour reprendre mon souffle. le contraire d'un livre léger.

L'auteur enquête sur la disparition de la communauté juive de Belgrade en 1941-1942.  9500 Juifs se sont présentés au recensement. 4000 hommes furent fusillés, femmes, enfants et vieillards conduits au camp de la Foire des Expositions de Belgrade. du camp, 5000 furent gazés dans un camion conduit par deux sous-officiers : Goetz et Meyer.

"De quelle sorte d'hommes étaient Goetz et Meyer? de quelle sorte d'hommes est celui qui, comme eux deux accepte d'accomplir un devoir qui implique la mise à mort de cinq ou six mille âmes? Moi, j'ai du mal à me décider à mettre une mauvaise note à un élève en fin de semestre en fin d'année scolaire n'en parlons pas, mais cette épreuve est dérisoire comparée à celle que devait subir Goetz et Meyer. Et que dire s'ils n'avaient nullement le sentiment d'endurer une épreuve quelconque."

Le narrateur, un professeur juif qui a survécu caché, reconstitue son arbre généalogique. Il recherche les survivants de sa famille, l'identité de ceux qui ont disparu. Mais surtout il s'interroge sur les mécanismes de leur élimination. Comment des gens ordinaires ont pu conduire à la mort des femmes et des enfants? Goetz et Meyer hantent les pensées du professeur peut être plus que les disparus.

Une lecture essentielle mais éprouvante.
Lien : https://netsdevoyages.car.blog
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Un roman bouleversant, qui parle de la seconde guerre mondiale sous un jour inhabituel, celui de l'occupation en Serbie. L'auteur cherche alors à brosser un portrait, mettre des traits sur le visage de deux inconnus, deux jeunes sergents-chefs S.S., deux bourreaux qui se sont consciencieusement occupés de la question juive en Serbie.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
À quatre vingts ans et quelque, l'âge qu'ils avaient en moyenne, on est content du simple fait que le jour, la nuit et les objets palpables existent encore, on se demande plus pourquoi l'on est en vie.
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Goetz et Meyer. Je ne les ai jamais vus, je ne peux que les imaginer. Dans ce genre de couple l'un est généralement grand et l'autre petit, mais étant donné que tous deux étaient des sous-officiers S.S., on peut aussi croire qu'ils étaient plutôt grands, peut-être de la même taille.
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Himmler avait raison en affirmant qu'un procédé plus humain de mise à mort atténuerait la tension psychologique ressentie par les membres des groupes d'intervention chargés de passer par les armes les populations russes et juives.
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Ce n'est pas de ma faute si la vie est faite de répétitions et si son mouvement apparemment rectiligne n'est en fait qu'un mouvement où l'on tourne en rond.
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La colère ne nous apporte rien, si ce n'est un poison qui se répand dans nos veines et nous obscurcit l'esprit, et de toute façon rien ne pourra changer le fait que je suis une pomme ridée au bout d'une branche fanée d'un arbre desséché.
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Vidéo de David Albahari
Le vendredi 13 juillet 2018, la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris - www.charybde.fr ) avait la joie de recevoir Emmanuel Ruben pour évoquer les récentes publications de "Le coeur de l'Europe" (éditions La Contre Allée) et de "Terminus Schengen" (éditions le Réalgar), et pour effectuer un parcours au sein de la littérature d'ex-Yougoslavie. Il évoquait Milos Crnjanski, Ivo Andric, Aleksandar Tisma, Danilo Kis, Milorad Pavic et David Albahari, tandis que le librairie Charybde 2 évoquait Faruk Sehic, Miljenko Jergovic et Goran Petrovic.
Ceci est l'enregistrement de la première heure de la rencontre.
+ Lire la suite
>Littératures indo-européennes>Balto-slaves : Bulgare, macédonienne, serbo-croate>Littérature serbo-croate (36)
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