Anne et Matthias ne conçoivent pas. Anne a passé la trentaine et croit que c'est fichu. Elle prend le relais des injonctions sociales à la procréation pour demander rapidement une PMA, puis des FIV. le parcours est long, semé d'embûches physiques pour Anne et de doutes pour Matthias.
Lorsque l'enfant paraît, rien ne se passe comme prévu. Au lieu de l'instinct maternel, c'est la dépression qui pointe et qui devient la compagne d'Anne, malgré une mère compréhensive et des amies présentes.
L'on passe de la première à la troisième personne sans vraiment savoir pourquoi, sans que l'on perçoive vraiment de changement de point de vue global.
C'est sans doute un livre qui intéressera les couples primipares, pour ma part j'ai déjà lu ailleurs des épisodes comparables et je n'ai pas compris ce qu'apportait cette narration alternée. Ce n'était sans doute plus le bon moment pour moi…
Merci à NetGalley et aux Forges de Vulcain pour cette lecture !
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(Les premières pages du livre)
La maternité.
Pourquoi n’en entend-nous pas parler?
Ou plutôt, pourquoi n'entendons-nous à ce sujet que les avis non sollicités sur nos vies intimes?
« Elle a 35 ans, toujours pas d'enfant, c’est: bizarre – contre-nature – elle doit avoir un problème » (rayez la mention inutile)
Tout le monde a un avis sur ce que les femmes devraient avoir dans le tiroir, mais
il doit rester fermé, le tiroir.
Y a pas de pourquoi qui tienne. Une femme, c’est fait pour être mère.
Et pourtant, de cette gageure, on ne sait rien, ou si peu.
(Saviez-vous que ça se prononce «gajure»?)
La maternité c’est comme ça, ça s'écrit comme ça se prononce. Et pourtant, un putain d’iceberg, pardonnez ma vulgarité.
Un joli glaçon émergé, et en-dessous, tout ce qui a été pensé, ressenti, connu,
mais crié à voix basse, dit mais pas écrit, peut-être, par la mère, si la fille est chanceuse,
mais quelle mère peut dire à sa fille: ça a été si difficile ?
ou sinon, murmuré d’une amie à une autre.
Mais ce n'est pas si simple, car il y a celles pour qui c’est facile, comme une respiration, comme une gorgée d’eau.
Mais qui pour mander cette chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus étourdissante, la plus inouïe, la plus singulière, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus commune, la plus terrible, la plus solitaire, la plus aliénante, la plus naturelle, la plus simple, la plus complexe, la plus exigeante ; enfin une chose dont on trouve des milliards d'exemples dans les siècles passés, et que pourtant l’on tait.
Nous avons jeté notre langue aux chiens.
L'amour, le couple, nous l’avons lu, vu, discuté, décortiqué jusqu’à la nausée.
Mais la maternité ?
Faudra vous débrouiller toute seule, oui, ma bonne dame.
Prélude
Maman mais pourquoi?
Hélène (c’est la mère de l’héroïne)
Vous allez rire, mais je ne me suis jamais posé la question.
Parce que c’est la vie non ? La joie ?
Parce qu'on voulait créer de la joie, voilà.
Tout simplement.
Louise (c’est la meilleure amie de l’héroïne)
Alors, cette question !
Parce que c’est comme ça, quoi. Anne va encore dire que je suis hyper conformiste, mais bon voilà, c’est comme ça, voilà.
Parce que les gens ont des enfants.
Parce qu’il faut continuer la famille. La lignée.
Parce que ma gynéco m'a dit qu’à partir de trente ans, il fallait y penser.
Parce que les femmes sont faites pour porter la vie. Je sais, Anne va encore râler que je suis de droite, mais c’est vrai, quoi, on a un utérus, c’est pour quoi faire sinon? C'est pas pareil que l’appendice quand même.
En fait, au début je me suis pas trop posé la question, et finalement, quand j'ai perdu le premier, j'ai su que j'en voulais un. Et je me suis débrouillée pour en avoir un. Il me le fallait.
Je peux vous faire une liste!
J'ai voulu un enfant parce que:
- on me dit que j'ai l’âge;
- j'ai fait tout ce qu'il fallait pour ça;
- être une femme c’est être une mère;
- Karim n’a pas le droit de gagner sur ce coup-là (Karim, c’est mon ex);
- ça sera un enfant très beau, puisque Karim et moi sommes très beaux;
- ça donnera un sens à ma vie;
- mon Corps n'aura pas le dernier mot;
- mon corps en est capable;
- je suis seule, tellement seule;
- c’est l’ordre des choses.
Et peut-être ne sont-ce que des mauvaises raisons: mais, après tout, y en a-t-il de bonnes ? J’obtiens ce que je veux, maintenant. Je suis Maman.
Anne (c'est elle l’héroïne)
Bien. D'abord, si je peux me permettre, j'aimerais qu’on dise «mère», pas «maman». C'est très aliénant, maman, c’est infantilisant. D'ailleurs, pour être inclusif, il vaudrait mieux dire « parent mais pourquoi?» Enfin bref. Je vous le dis, voilà.
Justement, nous, c’est notre projet, à deux. Notre enfant, c’est un projet de couple. Enfin, pour moi... je veux pas dire... pour d’autres, chacune fait comme elle a envie!
Mais quand même c’est vrai que pour moi c’est une envie depuis, je ne sais pas, je ne peux pas dire « viscérale » parce que je ne crois pas trop à tout ça, je sais bien que c’est un construit social, mais j'ai toujours SU que je voulais être mère. Donc, c’est comme Ça. Enfin c’est sûr qu'avec le bon père, c’est là que ça devient concret. Je sais que Matthias sera un bon père, voilà, je l'aurais pas fait avec n'importe qui.
Mais c’est. ma vie ne sera pas complète sans ça. Je sais que c’est con, est-ce que c’est vraiment féministe ? Mais c’est comme ça. On dit beaucoup de choses sur le désir d’enfant, que l'enfant n’est pas un objet, qu’il faut « un papa et une maman ». C’est n'importe quoi. Moi, je comprends ça, vouloir un enfant à tout prix. Je ne sais même pas si c’est pour moi, pour lui, pour la société. Je crois que je l'aurais même fait toute seule, en fait. Je dois être un peu tarée, ou bien c’est la société qui l’est. Va savoir.
Gabrielle (c’est une autre amie de l’héroïne)
Pour rien au monde, et merci bien !
Non, je ne veux pas d'enfant. Non, je ne changerai pas d'avis. Non, je ne suis pas dégénérée. Non, je ne ressentirai pas l'horloge biologique. Non, ce n'est pas parce que je n'aime pas les enfants.
Pourquoi me forcez-vous sans cesse à dire non? Pourtant je ne suis pas quelqu'un qui dit non. Et, pour cette seule chose, je dois dire non, sans cesse, à tous, tout le temps.
Au vrai, si j'avais vraiment le choix, je ne serais pas contre avoir un enfant, mais comme un homme : juste pouvoir rentrer à la maison, jouer dix minutes au cheval, risette sur la joue, et c’est bon maintenant laissez-moi travailler. Comme un homme, surtout, sans aucune attente portée sur ma manière d’être mère, libre de rater, libre d’être mère par intermittence, libre d'abandonner, pourquoi pas, mon enfant. Libre enfin, d’être femme même sans enfant. D'un père qui abandonne son enfant, on dira qu’il a jeté sa gourme, au pire que c’est un irresponsable, mais il ne subira pas l’opprobre comme une femme. Qu'est-ce que j'en sais, moi, si je vais aimer mon enfant ? La «nature» a bon dos, mais je n’y crois pas du tout, moi, à la nature. L'horloge biologique, je l’attends de pied ferme. Parce qu’elle n'existe pas.
Pourquoi avons-nous obligation d’enfanter, je vous le demande ? Le monde n’a pas assez d’enfants malheureux ? Sommes-nous en voie d’extinction ? Parce que « c’est la nature », mais savez-vous, Je ne souhaite pas retourner vivre dans une grotte à manger du mammouth cru parce que « c’est la nature ». Mon bonheur ne passe pas par là, ne vous en déplaise, à vous tous.
Jusques à quand, enfin, cesserez-vous de me demander pourquoi ? Si seulement je n'étais pas une femme.
I Décider
Point info 1.
Je suis comme ça, moi, je cite mes sources, je diffuse l'information.
Je vous en prie, c’est gratuit, et puis vous en aurez pour votre argent. Ça vous reposera entre deux passages de bonnes femmes qui se plaignent.
On est comme ça, nous les bonnes femmes. Alors, commençons par nos âges.
« En 2015, en France, les femmes donnent naissance à leur premier enfant à 28,5 ans en moyenne, soit quatre ans et demi plus tard qu’en 1974. L'âge à la première maternité ne cesse d'augmenter depuis cette date. Sa hausse est toutefois moins rapide depuis une quinzaine d'années. (...)
En 2012, les femmes les moins diplômées ont leur premier enfant quatre ans plus tôt que les plus diplômées. » Source : Sabrina Volant, in Insee Première, n°1642, 27/03/2017.
Je vais vous parler de trentenaires diplômées. Pas forcément représentatives de grand choses, mais je les connais. Celles qu’on voit dans les séries quand qu'elles essaient de trouver un mec.
Et puis ensuite elles disparaissent. À ce qu’il paraît, ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
C'est Anne qui parle :
Ça a débuté comme ça. Et on ne savait pas, on ne savait vraiment pas, que notre voyage à nous, il ne serait pas imaginaire, qu’il allait nous traîner de déceptions en fatigues, de la vie à la mort. Mais ça, on ne le savait pas, parce que ça a l’air si simple.
C’est une chose que de vouloir un enfant, c’en est une autre d'en faire.
Je dis ça maintenant, évidemment sur le moment ce n'est pas comme ça que j'y pensais. Je pensais que ça viendrait sans problème, que ce serait simple. Je ne pensais même pas que j'étais si vieille que ça.
J'avais en tête mes copines pour qui c’est arrivé sous pilule, ou au bout d’un mois après l'avoir arrêtée, enfin bien sûr c’est pas la chose la plus naturelle du monde ? On n’a pas conquis, en tant que femmes, le droit de faire un enfant si on veut, quand on veut ? Bah bien sûr, je ne savais pas combien de nanas avaient fait des fausses couches, ça ne se dit pas, et puis c'est tellement, je ne sais pas. insultant, limitant, violent, de t'entendre dire, alors que potentiellement tu n'es même pas à la moitié de ta vie, que c'est là, maintenant, qu’il faut se dépêcher. La Nature. Je hais ces conneries. Qu'on se batte pour la préserver, bien sûr, mais qu’on ne me ramène pas à Ça. Je ne suis pas un rat de laboratoire. Enfin ça, c’est ce que je croyais.
D'abord il y a eu les études, chez moi ça a trainé avec la reconversion, je suis passée du contrôle de gestion à professeure des écoles, de la maxi tune et du néant de sens total à l’exact inverse. Et mon nouveau boulot était crevant, contrairement à ce qu’en pensent Jean-Michel et Mme Michu, et il a fallu attendre d’avoir un poste fixe pour que je puisse un peu me projeter... pareil pour les mecs, ça a pas mal défilé au début, et puis ensuite il y a eu Matthias. D'abord on a attendu parce qu'on voulait profiter, profiter de quoi on ne le savait pas encore, c’est après qu'on réalise, mais bref, profiter de la vie, de la Jeunesse, ce genre de conneries. On voyageait beaucoup, Matthias commençait à bien gagner sa vie, c’est pas avec mon salaire qu’on aurait pu découvrir le Japon, on sortait, on manifestait le premier mai, pas très original j'imagine.
Matthias voula
Et puis j'avais découvert une abomination hormonale enfin je ne sais pas trop, pourtant «tout à fait classique» disait ma mère : l’hypervigilance. La nuit, j'entendais le moindre petit bruit que faisait le bébé, même au bout du couloir avec la porte fermée, j'avais l'impression de ne plus jamais atteindre le sommeil profond et que même dans mon sommeil je devais être disponible au moindre besoin de l’enfant. Je me levais souvent pour vérifier qu'elle allait bien, qu’elle était encore vivante. Je rêvais que je ne dormais pas car j'écoutais le bruit de sa respiration. J'essayais vraiment de dormir en même temps que ses siestes, je me couchais dans mon lit et tout, mais non, même chose, mes pensées tournaient et retournaient autour de tout ce que devais faire, de ce que je faisais mal, et surtout, je me disais, je me souviens, je n’arrêtais pas de me dire: «il faut que je dorme, il faut que je dorme, que je dorme...» Mais rien.
Je me suis dit au début que c'était ça l’instinct maternel, que ça voulait dire que j'étais une mère comme les autres, même si j'avais l'impression de ne pas, de ne pas... percevoir le bébé comme j'aurais dû. p. 164-165