C'est à l'occasion d'une récente rediffusion du film de Bille August que j'ai réalisé que j'avais bien fait d'avoir lu le roman avant d'en avoir vu l'adaptation cinématographique. Au moment de sa sortie en 1993, j'avais bien failli me déplacer pour la voir au cinéma. Je m'étais rattrapé en lisant le roman.
Pour des raisons certainement financières, les scénaristes du film ont dû beaucoup édulcorer le roman, supprimer des personnage et laisser de côté des événements.
La Maison aux Esprits est un livre qu'on ne lâche plus dès lors qu'on l'a ouvert. Dès la première page, on se laisse prendre à ce roman fleuve, cette saga familiale qui s'étend sur pratiquement cinquante ou soixante ans (en fait sur quasiment tout le vingtième siècle) et suit l'ascension sociale de l'ambitieux Estéban Trueba, qui faute d'avoir trouvé une mine d'or dans le désert d'Atacama, achètera une propriété agricole en faillite pour en faire une des plus prospère du Chili. Comme
La Maison aux Esprits est l'oeuvre d'une écrivaine, on ne s'étonnera pas que ce sont les personnages de femmes qui sont le plus souvent au coeur de la narration : Clara l'épouse, Blanca, la fille et Alba, la petite fille sont les trois générations de femmes qui accompagnent Estéban Trueba dans sa longue vie de notable, de gentleman farmer tyrannique et réactionnaire, tellement qu'à la fin de sa vie il accueillera avec joie le coup d'état du général Pinochet contre ces socialistes qui ont eu le front de l'exproprier. Et c'est précisément ce moment dramatique qui devient le point culminant du roman, le moment où se révèle la valeur de chacun. Celle d'Estéban, vieillard désillusionné face à une situation qu'il ne maîtrise plus, celle de Bianca qui a rompu avec le milieu social de son père pour épouser Pedro le révolutionnaire devenu ministre, celle d'Alba livrée aux tortionnaires de la junte militaire (dont Estéban, le fils naturel de son propre père, n'est encore pas le pire). Si au début, l'action romanesque abonde de détails pittoresques et s'aventure même assez régulièrement dansle fantastique, la fin est beaucoup trop dramatique aux yeux d'
Isabel Allende pour qu'il puisse y avoir place pour des anecdotes prêtant à sourire. C'est à ce moment que l'on réalise que toute cette fresque familiale avait pour seul objectif de régler des comptes avec ce régime qui a terminé son règne de terreur avec un bilan humain de plusieurs milliers de victimes tuées, torturées ou exilées, ainsi qu'avec ceux qui par leur refus d'accepter le changement ont contribué à leur ouvrir la porte du pouvoir. Quarante et un ans après sa parution en 1981,
La Maison aux Esprits reste un des grands romans du dernier quart du 20ème siècle et une passionnante leçon d'histoire en même temps qu'un beau moment de lecture à passer.