" Les êtres humains ne seraient plus des individus, mais un marché ", tel est le message de
M.T. Anderson en racontant cette histoire.
Prenant le contexte d'un récit de science-fiction - Terre totalement détruite par la pollution de surproduction-surconsommation, vie reconstituée artificiellement sous bulle, déplacement en aérocar, colonisation des planètes du système solaire, stérilité de la population due aux radiations qui recourt au conceptorium avec possibilité de choix des caractères génétiques, usage banalisé des drogues hallucinogènes... - l'auteur met en scène une société américaine totalement sous contrôle, formatée par cette
interface, un implant cérébral relié aux médias dirigés par les " corporations " industrielles. le rêve américain dans toute son horreur et ses excès. de l'information orientée, des conseils personnalisés à caractère commercial diffusés en permanence, des stimulations qui parasitent la pensée, ne lui accordent aucun répit. le texte lui-même est entrecoupé de ces messages tronqués, flash politiques et propagandistes, annonces, réclames, génériques, chansons. C'est édifiant. Et affolant. Cette
interface est une prison perverse. Les individus sont ainsi surveillés économiquement dès leur plus jeune âge - l'enseignement est pris en charge par les corporations - , chacun de leurs actes soumis aux statistiques d'une logique de profit dont le principe est de définir un profil de consommateur - codés, décodés -, dépendants de cette
interface qui déroule toute leur vie. La connexion permet la télépathie, rendant paradoxalement la communication superficielle et caduc l'usage des mots, oraux ou écrits. le langage, efficace et direct, s'appauvrit au profit de cette spirale aspirante d'images et de jingles lançant incessamment des modes. Restez branché ! La voix enthousiaste et mielleuse d'une conseillère brouille et remplace l'esprit critique, la capacité de réflexion, la conscience, s'immisce dans les émotions au mépris de toute intimité.
Certes, il est possible de qualifier ce roman d'histoire d'amour. Mais la rencontre de Titus et Violet est portée par un récit puissant qui assène ces chapitres, par une écriture vive, orale, un esprit résolument adolescent. Des portraits au vitriol accompagnent le cynisme sous-jacent et racontent une apocalypse : agonie environnementale, celle d'une population américaine sans cervelle, monstrueuse et manipulée, les corps se couvrant des séquelles de la destruction, l'esprit réduit au matérialisme et à l'instantané, oublieuse de son humanité, du reste du monde que sa politique économique va précipiter dans un ultime conflit.
Une vision désespérante magistrale, une excellente dystopie.
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